
La lecture des recensements de Sainte-Adresse est intéressante pour essayer de deviner à quoi ressemblait le bourg au milieu du XIXe siècle. Les métiers y sont beaucoup plus variés qu’à Giverny à la même époque, où les choix de moyens de subsistance étaient très limités. La mer offre une large gamme de professions : calfat, mareyeur, pêcheur, marchand.e d’huitres ou de poisson, voilier, marin, capitaine au long cours et même gardien de phares.
En 1866, la commune de Sainte-Adresse compte 4 instituteurs. Elle regorge de cordonniers, de blanchisseuses, de maçons, de journaliers, de repasseuses, de couturières. Elle a son lot de propriétaires et de domestiques, de jardiniers. Elle dispose de voituriers, cochers, conducteurs d’omnibus. On y trouve des tonneliers, des scieurs de long, des bûcherons. Elle ne manque pas d’épiciers, de boulangers et de bouchers. Elle compte des marchands de volailles et des marchands de légumes.
Aristide Jacqueline exerce en tant que ferblantier, Alphonse Karr apparaît comme homme de lettres. On croise un directeur d’assurances maritimes et un receveur des finances (1 épouse, 1 fils, 6 domestiques !), un capitaine du génie, des négociants dont l’un, Finlay, a reçu l’étonnant prénom de Wasington. Eugène Marchand a la bonne idée d’être marchand (de charbon), ça me fait plaisir. Charles Napp est consul de la république argentine.
Bien avant les chambres d’hôtes, Monique, veuve Burel, est loueuse en garni. Louise Schlageder tient un hôtel-restaurant. Chez les Langer, (négociant) les trois enfants ont une bonne d’enfants et une institutrice. Chez les Lockhart (négociant), on a engagé une nourrice pour le petit Henri Robin, 1 an.
Le curé a trois domestiques a son service, deux femmes quadragénaires comme il se doit et un jeune homme. Le sacristain a cinq enfants plus un ouvrier cordonnier (ça me dépasse : il aurait deux métiers mais un seul d’inscrit ?) On peut trouver des terrassiers et des tapissiers, des peintres, des menuisiers, des charpentiers et des tailleurs d’habits, une modiste et un coiffeur, un serrurier. Adélaïde Canut femme Camut (ne confondons pas) est débitante, de tabac je suppose. Hyacinthe Cliquet est inspecteur d’omnibus. Eugène Dumont, veuf et père de 8 enfants, loue des voitures. Aucun des jeunes ne travaille, ils ont 2 domestiques : c’est un beau métier.
Victor Warnod exerce en tant que photographe. Les trois fils du forgeron sont cochers. Ils doivent connaître Pierre Lemerchey, sellier. François Racine travaille comme berger.
Nellie Lusac, à 32 ans, est fleuriste et il n’y a qu’un nom dans son foyer. L’agent recenseur, troublé de cette indépendance, a coché la case garçon, alors qu’il a bien écrit marchande au féminin. Léonie Lavigne vend des cierges. Elle a 30 ans, elle est célibataire, elle vit seule elle aussi. Ce sont deux cas rares, j’espère qu’elles sont amies. La règle, c’est la vie de famille, souvent élargie. Adolphe Monet, en venant habiter chez sa soeur, suit la norme de l’époque.
Certains métiers sont plus difficiles à se figurer. Conducteur de ponts et chaussées, par exemple. Que peut-il bien conduire ? Mais le pompon revient à la profession de regrattier, découverte dans un recensement antérieur. J’ai d’abord lu régatier, et je me suis étonnée que ce soit un métier. Mais à mieux y regarder, il s’agissait de regrattier, quelqu’un qui vend des denrées au détail, mais aussi qui organise le regrat, c’est-à-dire la revente des restes des repas des riches. J’ignorais tout de cette pratique anti-gaspi qui choque aujourd’hui notre sens de l’hygiène, et je comprends mieux pourquoi George Sand, quand elle demandait à son jardinier de leur servir les beaux melons poussés au jardin, s’entendait répondre que les rats les avaient mangés (je cite l’anecdote de mémoire).