Claude Monet, Coin d’appartement, 1875, musée d’Orsay (W365)
Exposé au musée des impressionnismes Giverny jusqu’au 2 juillet 2023
Que peindre aujourd’hui ? L’oeil de Monet, toujours aux aguets, s’est arrêté sur un intéressant contre-jour : celui que dessine la lampe à pétrole dans le cadre de la fenêtre. Au sol, le reflet de la lumière luit comme la coulée bleue d’une rivière sur le parquet ciré en point de Hongrie. Intéressant à peindre aussi, ce contraste entre le premier plan bien éclairé et le clair-obscur qui règne à l’intérieur de l’appartement. La couleur contre l’ombre.
C’est la morne saison, les potées qui décorent le jardin pendant l’été ont été mises à l’abri du gel dans la maison. A en juger par leur décalage, on peut les croire posées sur les marches d’un escalier. En réalité, celles du premier plan sont sans doute placées sur des supports, de façon à renforcer leur aspect de petits arbres en trichant sur leur taille.
Pierre-Auguste Renoir, Claude Monet, 1875, musée d’Orsay.
Actuellement présenté à l’exposition ‘Léon Monet’ au musée du Luxembourg.
Un tableau de Renoir daté de la même année nous montre Monet et ce qui se trouve derrière lui. Le peintre porte curieusement un chapeau dans sa maison, comme dans un autre portrait de Monet par Renoir, Monet lisant.
Les plantes sont remisées dans une pièce lumineuse, peut-être un jardin d’hiver. Wildenstein parle d’une véranda. La lumière qui frappe le visage de Monet par la droite indique une fenêtre de ce côté également. Monet peint-il vraiment, ou fait-il semblant ? Si nous imaginons qu’il peint, nous avons la sensation étrange que Renoir est caché derrière le rideau du Coin d’appartement et que nous assistons à la scène, au moment même où Monet exécute le tableau. En réalité, la position du rideau et de l’arbrisseau ne correspondent pas. Monet se tient plus en retrait pour peindre le Coin d’appartement.
Claude Monet, Camille au métier, 1875 (W366), The Barnes Foundation, Philadelphia
La toile cataloguée juste après le Coin d’appartement est comme celle de Renoir peinte en direction de la véranda et nous montre Camille penchée sur son métier à broder, dans un chromatisme époustouflant.
Monet s’est donc installé là, dans la véranda, saisi par l’angle original qui s’offrait à lui quand il regardait vers le hall. Un tableau. A condition de peindre au format portrait pour obtenir le troublant effet de lumière traversante. Le format paysage, trop stable, ne convient pas.
Mais il lui faut des figures pour lutter contre le sentiment de vide d’un intérieur désert. Est-ce un jeudi ? Une période de vacances scolaires ? Toute la famille est requise pour l’entreprise de peindre.
Monet a placé très précisément son fils à l’endroit adéquat, légèrement décalé vers la droite pour ne pas perturber le reflet, pour ne pas être aligné avec la lampe. Mets-toi là et reste tranquille. Jean a sept ans. Il obéit.
Camille, qui préfère sans doute rester assise, équilibre la composition sur la gauche. Voilà des années qu’elle-même pose pour son époux. Elle aime se trouver avec lui, immobile, pendant qu’il travaille.
La brosse de Monet restitue la netteté avec laquelle l’oeil voit ce qui est proche et le flou des lointains. Camille est à peine esquissée alors que les plantes du premier plan sont représentées avec précision. Et entre les deux, le regard du petit Jean, sérieux, posé sur son père en train de le peindre. Car bien sûr, ce n’est pas le spectateur du tableau qu’il regarde. Il fixe ses yeux sur son papa.
A quoi pense-t-on à sept ans quand on doit rester immobile, les mains dans les poches, pendant des dizaines de minutes ? Monet est un taciturne, je ne crois pas qu’il lui parle. L’enfant sent le regard de son père posé sur lui, il se sait le centre de son attention, et cela lui suffit pour lutter contre l’ennui. Monet lui a donné une expression rêveuse mais pas boudeuse. Le petit Jean se tient à mi-distance entre son père et sa mère. Il est fils unique, habitué à jouer tout seul. Il le restera encore pendant quatre ans, jusqu’à la naissance de son frère Michel et l’arrivée dans leur vie de la tribu Hoschedé. Une autre époque.
Quant au titre, Coin d’appartement, on ne sait qui l’a donné au tableau. Il m’évoque une autre toile de Monet conservée au musée d’Orsay, Coin d’atelier. Les peintres du XIXe siècle ont souvent représenté le lieu où ils travaillaient, peignant tout simplement la pièce qu’ils avaient autour d’eux. Monet fait de même en brossant cet aspect de son domicile. Pas de bohème ici. Le peintre peut être fier de son logement. Il habite dans une maison neuve d’Argenteuil, meublée de façon bourgeoise, avec tentures et chandelier dont il restitue les teintes chatoyantes.
Après une vente aux enchères ratée où Monet doit racheter son tableau, c’est son ami Gustave Caillebotte qui en fait l’acquisition. La toile se retrouve ainsi dans le legs impressionniste fait par Caillebotte à l’Etat français, au coeur des collections de l’actuel musée d’Orsay.
Claude Monet, La Maison de l’artiste à Argenteuil, 1873. The Art Institute, Chicago
Enfin, je sollicite votre aide, chers amateurs de plantes vertes. Quelles sont celles que Monet fait pousser ? Je bute sur leur identification. Quels sont ces arbres grêles, comment s’appellent ces feuilles panachées trop souples pour être des sansevierias ? Sur le tableau qui fait l’affiche de l’exposition du MDIG » Les Enfants de l’impressionnisme « , la floraison blanche me fait penser à des anthémis, mais les feuilles ne correspondent pas. Si vous avez une idée, merci de nous la partager !
P.S. Je découvre en recherchant Argenteuil dans le blog que j’ai déjà commenté, plus brièvement, les tableaux W365 et W366 en 2007. Je n’en avais aucun souvenir… C’est ici.
What a brilliant article. Thank you so much for your writings and your research and your keen eye for details which I find fascinating.
I’ve always loved these canvases that show intimate glimpses of Monet’s domestic life, especially in those earlier years.
We’ve always been led to believe that the elegant blue and white planters were bought by Monet in Holland during his stay there after the Franco Prussian war and of course he painted them at Argenteuil and Vetheuil. Do the original ones still exist at Giverny or are they now replicas?
I think the plants inside the house are Aspidistras and the overwintering tall plants may be Oleanders?
Also the dress that Camille is wearing while working on her embroidery, is it the same as in Renoir’s portrait of her reclining on the sofa?
Ariane, I sent you a photo of my own painting inspired by the Monet interior to your email address at giverny.org. Hope you are still using that address.
Monet’s blue planters appear on the canvases of Argenteuil and Vétheuil, but not any later, I believe. They might have been bought in Holland, or in France where the fashion for chinese ceramics was growing. They don’t exist anymore at Giverny. At the restoration of the property, Gerald van der Kemp decided to put blue planters in front of the house, though there don’t seem to be any on the photographs taken in Monet’s times. The new ones are not antics nor of specific interest.
I do agree that Camille is wearing the same extraordinary dress as on Renoir’s painting. Wondering what kind of dress it is… Will a 19th Century fashion specialist come to the rescue?
Que ces toiles sont belles,magnifique celle de Camille!
Les grandes plantes,les feuilles me font penser un peu à celle du saule…mais je dois me tromper très certainement!!
Les autres peut-être des aspidistra mais sans conviction…
Les jardiniers de Giverny éventuellement pourraient t’informer..
P.S je n’avais pas lu le commentaire de Dugald Stark pour la plante
Bravo et merci à tous les deux ! Le site de Gerbeaud qualifie l’aspidistra d’une de nos plus anciennes plantes d’intérieur. Et la plante existe en version panachée.
Quant au petits arbres en pots, l’hypothèse d’un laurier-rose (Nerium oleander) est plausible. L’arbuste existe en blanc, ce qui collerait avec le tableau du jardin d’Argenteuil.