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Jean Monet dans son berceau (2)

La découverte de l’intervention de Beguin-Billecocq pour trouver une nourrice au petit Jean Monet jette un éclairage nouveau sur le tableau Jean Monet dans son berceau (W101). En effet, le début de l’histoire de la toile reste mystérieux. Wildenstein, dans son catalogue raisonné de l’oeuvre de Monet, note que le peintre en a fait don à un ami. L’identité de cet ami est inconnue.

Le biographe suggère le docteur de Bellio, grand soutien des impressionnistes. Pourtant celui-ci ne paraît commencer à collectionner les toiles que plus tard : son premier achat d’un Monet daterait de 1874.

Il paraît plus probable qu’ils s’agisse tout simplement de Théophile Beguin-Billecocq. Le comte a séjourné chez les Monet, il connaît personnellement père et fils, et depuis longtemps. Né en 1825, il a 25 ans de moins qu’Adolphe Monet, 15 ans de plus que le peintre. Il a été témoin des relations houleuses entre l’adolescent plein de vie et son père autoritaire, qui qualifie Oscar de « sauvage d’Amérique ». Il est à même de comprendre la situation assez désespérée du jeune Monet, rejeté par sa famille pour cause de vie maritale avec un modèle, et de lui tendre la main.

Beguin-Billecocq, selon ses mémoires, trouve une nourrice, Eulalie. Il donne peut-être le berceau, le trousseau. On imagine la reconnaissance qu’éprouve Monet. Pour l’exprimer, le peintre prend ses brosses et une très grande toile. Le tableau frappe par ses dimensions, presque grandeur nature.

L’oeuvre n’est pas signée, preuve qu’elle n’était destinée ni à l’exposition ni à la vente. Ses dimensions sont à la mesure de la gratitude de Monet, mais un peu embarrassantes. Qui voudrait exposer chez soi un tableau immense du bébé d’un ami ? A une date inconnue, la toile est vendue. Elle changera souvent de mains avant de trouver sa place dans la collection Mellon.

Jean Monet dans son berceau

Claude Monet, Jean Monet dans son berceau, 1867, huile sur toile, 116 x 89 cm.
National Gallery of Art de Washington, collection Mellon.

Le musée des impressionnismes Giverny se concentre sur « Les Enfants de l’impressionnisme » ce printemps. Parmi les nombreux chefs-d’oeuvre exposés figure cette toile intimiste de Claude Monet. Avec une grande tendresse paternelle, l’artiste a représenté son fils Jean âgé de quelques semaines et couché dans son berceau.

C’est un très joli berceau, n’est-ce pas ? La nacelle, suspendue à un support qui la met à hauteur du lit des parents (pas un cododo mais presque !) et permet le balancement, est habillée d’un ravissant tissu à fleurs, peut-être du satin. La parure dessine de profonds festons gansés de rouge. Un voile du même tissu tombe d’une crosse et tamise la lumière pour protéger bébé de l’éclat du soleil ou des courants d’air.

Le petit Jean, dans son bonnet blanc à noeud bleu, ne fait pas pitié. Il tient dans la main gauche ce qui ressemble à un hochet tambour. Un autre jouet, un moulinet, repose au bas du berceau, attendant de retenir à nouveau son intérêt. Assise près de lui, une femme à la tête couverte d’un bonnet blanc ne quitte pas l’enfant des yeux.

Tout cela ne cadre pas tellement avec la misère présumée dans laquelle Claude et Camille vivent à cette époque. Mais il ne faut pas se fier au berceau ou aux jouets : sans doute, comme aujourd’hui, les prêts entre jeunes parents sont-ils fréquents, et peut-être que le petit Jean bénéficie d’un berceau qui ne lui était pas destiné à l’origine. Même chose pour les jouets.

La vérité de la situation misérable des Monet transparaît plutôt dans le caractère exigu de la pièce. Depuis que le berceau a investi la chambre des parents, dont on aperçoit le lit à gauche, on ne peut plus se tourner sans se cogner aux meubles. L’angle choisi laisse penser que la chambre est très petite.

Camille a accouché à son domicile, un meublé près du parc Monceau, avec l’aide d’un étudiant en médecine ami du peintre, Ernest Cabadé. Pendant ce temps Monet séjournait au Havre chez son père. Quelques semaines plus tard, il revient enfin à Paris auprès de Camille et du petit qu’il découvre, ému. C’est un peu de cette tendresse paternelle qu’il nous donne à voir dans cette toile, mais aussi son regard de peintre et sa réaction face à ce qui lui apparaît comme un bien joli tableau.

Le personnage féminin assis à côté du berceau a donné lieu à des spéculations parmi les historiens de l’art. Le profil ne paraît pas être celui de Camille, la mère de l’enfant. Le catalogue de l’exposition évoque une identification à Julie Vellay, compagne de Pissarro et marraine du petit Jean Monet. Mais l’auteur de la notice y voit plutôt une nourrice « embauchée par Théophile Beguin-Billecocq, fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères qui fréquentait la famille Monet au Havre et fut un soutien financier important pour le jeune Monet. »

Selon les Mémoires du comte, Camille ne pouvait (ou ne voulait ?) pas allaiter. C’est lui qui s’était chargé de trouver une nourrice à l’enfant, une jeune femme venue de Champagne. Il ne dit rien du berceau, mais il ne serait pas étonnant que ce soit un cadeau de sa part.

Monet ne souffle mot de cela dans aucune des lettres qui nous sont parvenues. Peut-être a-t-il remercié par écrit son ami de ses largesses. Si c’est le cas, cette lettre est tout aussi inédite que le Grand Journal de Beguin-Billecocq.

Une ouverture dans la bourrasque

Les jardins de Monet ont rouvert aujourd’hui dans une atmosphère fraîche et ventée, où les apparitions du soleil se sont comptées en secondes.

La floraison est normale pour un début de saison, pensées, narcisses, premières tulipes, et déjà les fritillaires se sont hissées aux altitudes vertigineuses dont elles sont coutumières. Les jardiniers ont innové en plantant des variétés aux couleurs incertaines, à mi-chemin entre le jaune et l’orange ou le jaune et le vert. Cela change des habituels orange ou jaunes stridents des couronnes impériales et donne un intérêt nouveau à cette belle fleur à bulbe.

Sur la gauche de la maison, le mur a reçu son nouveau treillage et cinq arbres fruitiers ont été plantés. Celui du milieu est en forme de V ou palmette, les autres en forme de U. Le massif devant a retrouvé ses rosiers et gagne en netteté.

Les pommiers du Japon explosent d’une myriade de fleurs roses, à la grande joie des visiteurs asiatiques présents. Je les ai regardé poser comme eux seuls savent le faire, dans des attitudes bizarres et amusantes. L’une après l’autre les dames se plaçaient devant l’arbre en fleurs, attrapaient un rameau et l’approchaient de leur visage. Est-ce un stéréotype ? En tout cas les Japonais ou les Coréens ont une façon bien particulière de réagir au jardin, de se l’approprier, qui ne cesse de me ravir. Depuis trois ans les Asiatiques manquaient à Giverny. C’est tout juste si on en a aperçu quelques-uns l’an dernier. J’espère qu’ils sont de retour pour de bon. Sans eux, ce jardin japonisant était amputé d’une dimension, privé d’une part de son « rêve extrêmement oriental » selon l’expression du critique d’art Louis Vauxcelles.

Les enfants de l’impressionnisme

Voici l’affiche de l’exposition qui ouvre ce vendredi 31 mars 2023 au musée des impressionnismes de Giverny, la veille de l’ouverture des jardins de Monet le 1er avril.

Le tableau choisi pour annoncer cette expo est une merveille de douceur : Claude Monet représente son fils Jean en train de jouer au cerceau devant leur maison d’Argenteuil. C’est sans doute la mère de l’enfant, Camille, qui est debout sur le seuil et les regarde tous les deux. Elle est vêtue d’une robe dont le bleu est assorti aux potées luxuriantes qui animent la cour. C’est l’été, l’ombre est douce, le jardin déborde de fleurs.

L’exposition a pour thème les enfants de l’impressionnisme et nous promet des Monet, Renoir, Pissarro, Cassatt, Morisot ainsi que des artistes plus contemporains. J’ai hâte de la découvrir et suis ravie de cette programmation qui fera plaisir aux visiteurs de Giverny.

Ce n’est qu’après m’être délectée de l’image que j’ai prêté attention au titre en voyant la photo s’afficher sur l’écran. Quelle étonnante police de caractères où le N d’enfants se fond dans le A et le T voisins, où le F a l’air d’arriver du ciel et de vouloir se faire une place entre le N et le A ! Le E de Les semble porté dans les bras par le L et le S, comme un petit enfant. Le O d’impressionnisme joue au cerceau avec le N. La dernière lettre, le E, fait le petit train avec les précédentes, qu’elle tire vers la droite.

C’est ludique tout en restant lisible, parce que le mot enfant nous est très familier et qu’impressionnisme se lit dans sa globalité. Si lisible en fait que je n’aurais sans doute pas fait attention à ce choix de police si ce n’était l’une de mes préoccupations du moment : cette semaine j’ai eu à choisir une fonte pour le titre de mon prochain livre « Le Village de Giverny » à paraître ce printemps. Notre attention est sélective, elle nous montre ce qui nous intéresse à cet instant et que nous ne remarquons pas d’habitude. Il suffit d’attendre une naissance pour voir des femmes enceintes partout.

L’exposition du MDIG a fait l’objet d’un catalogue, bien entendu, en vente ici. Je vous laisse découvrir la façon dont le titre a été posé sur la couverture. Cela m’a fait sourire, peut-être parce que je n’aurais jamais osé.

Euphorbe

Coccinelle sur une inflorescence d’euphorbe

L’euphorbe est à la fois singulière et plurielle. Elle ne ressemble pas tout à fait à une fleur, mais pas vraiment à une feuille non plus. Elle suscite des sentiments mêlés, attirance ou rejet. Ni jaune ni verte, sa couleur parfois limite criarde est indéfinissable. Mais on ne saurait parler de l’euphorbe de façon définitive car il en existe des milliers de variétés aux caractéristiques personnelles. Une chose est sûre, elle sort de l’ordinaire, et sa culture demande très peu de soins. L’euphorbe adore qu’on n’en fasse pas trop.

Sa floraison qui dure jusqu’au temps des roses a déjà commencé, pour le plus grand plaisir des amoureux des jardins qui n’ont pour l’instant pas grand chose à se mettre sous les yeux. La plupart des fleurs sont encore en train de réfléchir à leur futur épanouissement. Elles hésitent, tâtent la température… La saison elle aussi hésite, une heure de printemps, deux heures d’hiver. Jusqu’à cette petite coccinelle qui semble hésiter sur la conduite à adopter.

A Giverny, on compte les jours avant l’ouverture des jardins de Monet, le 1er avril.

Magnolia de Soulange

Magnolia soulangeana dans les jardins de Claude Monet à Giverny

Ses fleur énormes d’une belle couleur rose nacré donnent un attrait irrésistible au magnolia de Soulange. C’est en ce moment qu’il se manifeste dans toute sa grâce, à l’avant-garde du printemps. On l’oubliera plus tard, quand son feuillage vernissé, trop épais pour rendre son ombre agréable, aura pris le relais. Mais pour l’instant il magnifie les parcs et jardins publics, où bien peu de plantes sont en mesure de lui voler la vedette.

A Giverny, la fondation Monet n’a pas encore ouvert ses portes, mais par chance, c’est de la rue qu’on observe le mieux le magnolia soulangeana, alias magnolia de Chine, qui est planté à côté du deuxième atelier.

Sa floraison commence à peine. Gageons qu’elle sera encore au top dans huit jours, pour l’ouverture au public des jardins de Monet.

Les Andelys par Vallotton

Félix Vallotton, Le château Gaillard et la place des Andelys, 1924, musée de Vernon

Parmi toutes les belles toiles nabies que le musée de Vernon a la chance de posséder, peintes par Pierre Bonnard et Maurice Denis notamment, si nouvelles à leur époque, celle-ci est certainement la plus dérangeante. Elle est signée Félix Vallotton.

Les Andelys, la place Saint-Sauveur l’après-midi.

Félix Vallotton, (alias le Nabi étranger car il est né en 1865 en Suisse à Lausanne) s’est fait une spécialité de la peinture grinçante. Au début, elle met mal à l’aise, ce qui est le but recherché. Avec le temps, à mesure que l’on découvre Vallotton, c’est une nouvelle forme de plaisir pictural qui s’installe, un peu comme on anticipe l’humour trash d’un éditorialiste en se disant « qu’est-ce qu’il va encore nous sortir ».

Comme nous en informe le tableau, daté à côté de la signature, Félix Vallotton a séjourné en 1924 au Petit Andely, à une trentaine de kilomètres de Giverny vers l’aval de la Seine, et il a exécuté plusieurs tableaux de ce quartier très pittoresque des Andelys. Le motif de celui du musée de Vernon est pris derrière l’église Saint-Sauveur, et fait apparaître la silhouette du Château-Gaillard à l’arrière-plan.

Un siècle plus tard, le lieu n’a pas changé, ce qui est un petit miracle au regard des bombardements de 1940 qui ont ravagé le Grand Andely, à un kilomètre de là. Si bien que la comparaison du tableau et du motif est possible, et révélatrice : au naturel, le château est beaucoup plus loin. Le peintre l’a rapproché de nous pour lui donner un aspect pesant, imposant, angoissant. La forteresse domine le village de toute l’autorité ducale, et ses hauts murs font penser à une prison.

Quand je guide au musée de Vernon et que je demande aux visiteurs s’ils aiment ce tableau, il s’en trouve toujours pour faire la grimace. « Ce vert ! » disent-ils. La photo ne traduit pas totalement l’acidité de la couleur choisie par Vallotton, si présente dans le tableau. On cherche ensemble encore d’autres raisons à leur rejet : la masse sombre de l’église paraît menaçante, l’ombre inquiétante envahit tout, le vide de la place n’est pas de bon augure… La dame au chien paraît avalée par l’église, le monsieur à la canne rase le mur. Ce n’est pas un endroit où il fait bon se promener.

Tout cela est calculé. Si Vallotton avait voulu son image plus gracieuse, il aurait pu peindre son motif au soleil du matin, ou encore se placer de l’autre côté de l’église, à l’ouest. L’artiste, aux dires des commentateurs, porterait en lui une part d’ombre et la peinture lui servirait à l’exorciser.

Mais il y a toujours une note d’humour, et je la vois dans ce volet qui se détache sur le bord gauche du tableau. Qui dit volet dit fenêtre, vue, spectateur. Vallotton nous propose de nous mettre à cette fenêtre et « d’admirer » la vue.

Les fenêtres d’ailleurs abondent dans cette oeuvre, certaines un peu trop mignonnes pour être honnêtes, presque puériles avec leurs petits rideaux. Elles tournent le dos au château menaçant, comme si elles refusaient de regarder le danger en face. D’autres sont fermées de volets, muettes.

On est si peu de temps après la Première Guerre mondiale, et Vallotton a été si impliqué dans ce conflit, qu’il ne me paraît pas hors de propos d’imaginer que les fenêtres fermées de volets sont une image des morts. Les autres fenêtres seraient alors une image des vivants, bien « sages » et inconscients des périls qui s’annoncent. Cette ombre gigantesque qui vient de l’Est et qui mange le mur ensoleillé de la maison du fond pourrait figurer la menace de la Prusse sur la France, dont Vallotton, plus lucide que les autres, sait qu’elle n’est pas écartée. Et le château en ruines au sommet de la colline prend alors le sens d’une défense dérisoire, obsolète, qui prête à rire. C’est cela, l’humour de Vallotton.

La ferme Singeot

L’ancienne ferme des Singeot, dont la cour sert parfois de terrasse au café-restaurant Les Nymphéas.

Début mai 1883, Claude Monet et sa grande famille s’installent à Giverny. Monet a trouvé une maison à louer dans le quartier du Pressoir.

La propriété appartient à Louis Singeot et son épouse Aglaée. Le couple habite juste de l’autre côté de la rue de Haut, une maison cadastrée parcelle C 1090. Celle où logeront les Monet-Hoschedé est bâtie sur la parcelle C 1091. Les deux maisons ont été construites en même temps, vers 1880-1881. La matrice des propriétés bâties les note comme achevées la même année 1882. La maison familiale historique des Singeot, sur la même parcelle 1090, avait pignon sur la rue de Haut.

Matrice des propriétés bâties de Giverny, compte de Louis Singeot

Qui est ce Louis Singeot, dont les biographes de Claude Monet disent qu’il s’agit d’un riche propriétaire givernois ? Il est vrai que les biens appartenant à Louis Joseph Auguste (ou Augustin) Singeot s’alignent sur cinq pages dans la matrice des propriétés non bâties. L’homme se déclare tantôt cultivateur, tantôt propriétaire, tantôt rentier. Il possède surtout des labours, mais aussi des vignes, des prés, des bois, des ‘plantations’ sans plus de précisions, au total environ 180 parcelles en général d’assez petite taille, mais cela finit par compter tout de même. Malgré tout, il faut relativiser : La commune de Giverny est divisée en plusieurs milliers de parcelles. Louis Singeot ne possède qu’une assez modeste portion du village.

Début du compte de Louis Singeot dans la matrice cadastrale des propriétés non bâties de Giverny

Les Singeot n’ont pas d’enfant. Louis est issu d’une famille qui a perdu 4 enfants et dont il est le seul rescapé. Né en 4e position, il voit mourir son frère aîné, François, 10 ans, et son frère cadet, Alphonse, 8 ans. Louis se marie sur le tard, à 41 ans et demi (l’acte est précis !), alors qu’il habite toujours avec sa mère Sophie Radegonde dans la maison familiale. L’élue est Aglaée Saintard, une jeunette de 21 ans. Mais pas trace de naissance ultérieure à l’état-civil de Giverny.

Au moment du mariage de Louis et Aglaée en 1866, papa Singeot est décédé depuis un an. C’est donc Louis qui est le chef de famille. Il administre les biens, met sans doute aussi la main à la pâte, et acquiert patiemment des propriétés voisines avec un projet en tête : les réunir pour créer un vaste domaine où il fera bâtir une belle maison.

Que veut-il en faire ? Quinze ans plus tard, la construction simultanée des deux maisons, la sienne et celle qu’il louera bientôt à Monet, laisse à penser qu’il a l’intention de tirer un revenu de cette propriété. A moins – spéculons un peu – qu’il ne souhaite y habiter lui-même, mais en soit empêché pour l’instant par sa vieille maman, attachée à sa maison familiale et refusant de la quitter. Singeot mettrait alors en location la maison voisine, puis renoncerait à la récupérer.

En 1884, maman Singeot s’éteint. Louis hérite de tout, ce qui ne change pas grand chose en vérité. Il semble qu’il déménage à Gasny pour un temps, avant de revenir, en 1886, occuper le fauteuil de maire de Giverny, qu’il abandonne moins d’un an plus tard.

Louis et son épouse s’installent alors à Vernon, avenue de Paris, en location dans une maison qu’ils partagent avec un architecte. Le recensement de 1891 révèle qu’ils vivent sans domestique à demeure, détail surprenant. Seraient-ils moins aisés qu’il n’y paraît ?

Quand Monet leur achète finalement la maison, en 1890, (et à mon avis c’est Monet qui propose d’acheter et non Singeot qui met en vente) Louis et Aglaée réinvestissent la somme dans la construction d’une maison route d’Evreux. Après le décès de son époux, Aglaée mettra cette maison en viager pour s’assurer un revenu jusqu’à son dernier jour.

Les prénoms de Giverny

Non, nos ancêtres ne s’appelaient pas tous Pierre, Paul, Jacques, Catherine ou Marie. Le registre de l’état-civil de Giverny des années 1861 – 1902 garde trace de prénoms d’une originalité décoiffante. Voici un florilège des noms de baptême les plus inattendus (et peut-être inspirants ?) attribués à des bébés givernois :

Prénoms de filles : Anaïse – Dulcinée – Eugénie – Augustine – Alexandrine – Armandine – Radegonde – Célénie – Appolline – Rosalie – Félicité – Ernestine – Fideline – Désirée – Adélaïde – Renelle – Rose – Victoire – Espérance – Marguerite – Victorine – Irma – Reine – Aimée – Euphrasie – Clémentine – Zoé – Angélina – Pascalie – Estellia – Marceline – Elise – Célestine – Magdeleine – Julienne – Octavie – Léocadie – Hyacinthe – Berthe…

et aussi de plus classiques comme : Henriette – Denise – Geneviève – Hortense – Mathilde – Lucile – Amélie – Caroline – Cécile – Pauline – Juliette – Eleonore – Camille – Gabrielle – Mélanie – Clotilde – Angèle – Thérèse – Elise…

Prénoms de garçons : Merri – Ambroise – Isidore – Abel – Vital – Auguste – Florentin – Stanislas – Roi – Parfait – Narcisse – Eugène – Armand – Evariste – Juste – Eustache – Hilaire – Kléber – Samson – Léopold – Hippolyte – Léon – Athanase – Sosthène – Toussaint – Octave – Cazimir – Théophile – Prospert – Principe – Adjutor…

et aussi de plus classiques comme : Mathieu – Georges – Gaston – Lucien – Emile – Quentin – Adrien – Romain – Valentin – Ernest – Edouard – Julien – François…

La maison de Sorolla à Madrid

Musée Joaquin Sorolla, Madrid

Lors de son voyage à Madrid en 1904, Monet n’a pas rencontré le célèbre impressionniste espagnol Joaquin Sorolla, d’après ce que nous pouvons déduire de la lettre que lui envoie son meilleur ami Aureliano de Beruete. Mais Monet a été accueilli chez Beruete, il est donc entré dans un intérieur de peintre madrilène.

Musée Joaquin Sorolla, Madrid

Si on ne visite pas la maison de Beruete, celle de Joaquin Sorolla est devenue un musée. Au moment de sa construction, le quartier devait être paisiblement résidentiel. Le joli bâtiment est maintenant cerné par des édifices récents, comme un témoin du Madrid d’autrefois qui résiste.

Le jardin, petit havre de paix citadin, a été restauré entre 1987 et 1990. C’est un concentré de luxuriance, de fraîcheur et de style.

Buis taillés, jeux d’eau, statues lui donnent un caractère formel et bien entendu hispanisant, un aspect renforcé par l’usage de carreaux de faïence décorés.

Les azulejos font leur show dans l’escalier, qui ne passe pas inaperçu.

La maison est un rêve de maison d’artiste : elle a conservé le mobilier, de nombreux tableaux, les objets et souvenirs, la décoration d’origine… On est chez les Sorolla.

Buste de Sorolla par Mariano Benlliure Gil

L’intérieur est bourgeois et chic, parfaitement conservé, tout à fait dépaysant dans le temps et dans l’espace. Harmonie, religiosité à l’espagnole, c’est une maison pour vivre heureux, et peindre.

Avant les visiteurs

Prunus en fleurs à Giverny

Dans les jours qui précèdent l’ouverture fixée au 1er avril, les jardins de Monet flottent dans leur rêve, suspendus dans l’attente du printemps.

Les potions magiques

Boite aux lettres ancienne, gare de Tolède

18/18

Que faut-il dire et que vaut-il mieux taire dans les lettres que l’on adresse aux siens ? Rien de ce qui touche la santé ne doit être passé sous silence, telle est la doctrine des Monet. Aussi Germaine est-elle tenue au courant par sa mère des aléas de digestion de son beau-père :

Monet est mieux ce matin heureusement car hier, pris de douleurs intestinales, il était bien découragé et n’a pas voulu bouger de l’hôtel. Il est vrai que le dimanche, c’est une cohue à ne pas se risquer. […] Quelle chaleur ici, c’est effrayant.

Alice Monet à sa fille Germaine, Madrid, 17 octobre 1904

Pourtant Monet n’est pas totalement remis, car sa turista se poursuit à Tolède :

Mon pauvre Monet est bien indisposé, il a encore été bien souffrant cette nuit.

Alice Monet à sa fille Germaine, Tolède, 19 octobre 1904

Monet ne s’habitue pas à la nourriture espagnole, lui qui a pourtant la réputation d’avoir un estomac à toute épreuve, lui qui aime les salades couvertes de poivre et la viande bien faisandée ! Enfin, le 20 octobre, Alice veut croire que c’est passé :

Monet est arrivé ici très fatigué, énervé et s’est couché de suite. Grâce à des potions, du bon thé et une bonne nuit, il était ressuscité ce matin et dès 9h nous étions au musée jusqu’à midi.

Alice Monet à sa fille Germaine, Madrid, 20 octobre 1904

On sent percer une pointe de satisfaction, celle d’avoir su s’y prendre pour remettre son mari d’aplomb. Alice a une grande habitude de soigner des malades et l’expérience de ce qu’il faut faire. Dommage qu’elle ne nous dise pas ce qu’il y avait dans ses potions et son bon thé (ou tisane ?).

Boîte aux lettres espagnole

Mais déjà le retour se profile. Probablement moins difficile que l’aller, car ils ont dû prendre la précaution de louer leurs couchettes, ils embarquent le lendemain, un vendredi, pour la France et sont à Biarritz le samedi. Le dimanche et le lundi les voient à Bordeaux, à l’hôtel du Chapon fin, où ils retrouvent une délicieuse table gastronomique : « On est très bien au Chapon fin, quel dîner ! » Ils font ensuite une étape près d’Angoulême avant de gagner Tours le mercredi. De là, cap sur Blois, et enfin Giverny rallié le vendredi soir.

Monet n’a jamais vraiment cessé de penser à son jardin, dont il a laissé les rênes à Félix Breuil, le chef-jardinier :

Monet est désolé que tu ne lui donnes pas de détails sur le jardin, il espère que tout va bien et que tout ce que Félix attendait est bien arrivé.

Alice Monet à sa fille Germaine, Madrid, 20 octobre 1904

Et tandis qu’ils tressautent sur les routes de France, où « la voiture marche bien mal » et ne dépasse pas le 30 à l’heure, l’esprit de Monet s’évade. Il songe aux prochaines courses de côte à Gaillon, à une vingtaine de kilomètres de Giverny, ce qui se traduit par une nouvelle recommandation à Germaine :

Comme Monet pense aux courses de Gaillon, il me charge de te dire de donner commande de prendre samedi chez B. un pâté de 12 fr. volailles et jambon afin que nous puissions le prendre dimanche en allant aux courses.

Alice Monet à sa fille Germaine, 23 octobre 1904, Bordeaux
Silvain Besnard, le chauffeur, et Monet à la course de côte de Gaillon ; à l’arrière, la Panhard-Levassor – Photo publiée dans Claude Monet au temps de Giverny, collection familiale.

On appréciera la chaîne Monet – Alice – Germaine – employé des Monet – charcutier B, ainsi que la façon dont le peintre se préoccupe de faire bonne chère, même en pique-nique. Enfin, le 27 octobre, ils pensent être à l’heure pour dîner en famille à Giverny, mais la voiture n’est pas très fiable :

Monet qui prévoit tout veut que je vous dise de vous mettre à table, si nous ne sommes pas là à 7h 1/2, car nous aurons quelques montées qui seront pénibles. Ne vous inquiétez pas, s’il y avait la moindre panne, je télégraphie.

Alice Monet à sa fille Germaine, 27 octobre 1904, Blois

Délicate prévenance… Avec un tel sens de la tribu, Alice aurait adoré les réseaux sociaux et le portable, j’en suis sûre. Et avec un tel goût pour la table, toute la famille aurait été fan de Top chef.

En gare de Tolède

La gare de Tolède

17/18

Le style mauresque qui impressionne tant Alice Monet est partout à Tolède. Impossible de deviner quel était leur hôtel « absolument mauresque » et non moins « baroque » . Mais il est certain que Claude, Michel et elle sont passés par la gare de chemin de fer.

Photo de l’inauguration de la gare de Tolède, 24 avril 1919

Telle qu’elle se présente, elle date de 1919. Une photo de l’inauguration accrochée à l’intérieur montre le bâtiment de l’ancienne gare, par où sont arrivés les Monet, à gauche de la tour. Il a été démoli peu après.

Tolède, intérieur de la gare ferroviaire

Je ne sais qui a eu l’idée de laisser tomber le style impersonnel du premier bâtiment et de gratifier les usagers du train de cette petite merveille.

Les voyageurs prenaient leur billet à ces incroyables guichets, désormais désaffectés.

L’invitation au voyage se poursuit côté quai. Si ces bâtiments avaient existé en 1904, nul doute qu’Alice aurait trouvé la gare de Tolède, elle aussi, « absolument mauresque ».

Les Monet visitent Tolède

La cathédrale de Tolède

16/18

C’est avec bien du mal que je puis t’écrire, outre tout notre temps prix par la visite des églises, couvents, musées, etc., impossible dans cet hôtel baroque d’avoir du papier. […] Nous partons ce soir pour Madrid, malgré la somptuosité de cet hôtel absolument mauresque, je serai aise de retrouver celui de Madrid où nous sommes mieux installés.

Lettre d’Alice Monet à sa fille Germaine, 19 octobre 1904, Tolède

Que visitent les Monet à Tolède ? Dans quel hôtel séjournent-ils ? En l’absence de précision, place aux spéculations. Face à la cathédrale se trouve l’office de tourisme de la ville. La conseillère en séjour, très aimablement, déplie pour nous le plan de la ville et barre tous les lieux touristiques qui n’existaient pas en 1904. Puis nous essayons de nous mettre à la place des Monet et d’imaginer ce qu’ils ont eu envie de voir, dans le bref laps de temps dont ils disposaient.

La cathédrale, cela ne fait pas de doute. Pas question d’y faire un petit tour d’un quart d’heure comme dans celle de Tours : de nos jours, la visite est payante et audioguidée. Elle dure près de deux heures ! De quoi ressortir saturé d’art religieux. C’est splendide, bien sûr :

Détail d’un plafond dans la cathédrale de Tolède

Alice évoque aussi la visite de couvents. Ils ne manquent pas à Tolède ! Celui qui m’attire le plus est San Juan de los Reyes pour le jardin au centre de son cloître.

Le cloître du Convento San Juan de los Reyes à Tolède

Le sapin bleu surprend, j’y vois l’évocation de l’hiver. Le magnolia à sa droite pourrait figurer le printemps, les quatre parties du jardin seraient les quatre saisons. Vision contemporaine, car le jardin avait certainement un sens profond et mystique. On y voit toujours le puits central pour l’eau, source de vie. Le cloître lui-même est à deux niveaux, l’étage supérieur étant réservé à la circulation royale.

Synagogue Santa Maria la Blanca, Tolède

Changement de décor tout à côté, à la synagogue Santa Maria la Blanca, qui date du XIIIe siècle. Je ne sais pas si les Monet l’ont visitée, et le mot synagogue n’est pas dans la liste d’Alice, mais c’est si beau que je le leur souhaite.

Synagogue Santa Maria la Blanca, Tolède

Le Greco émerveille Monet

El Greco, Les Larmes de Saint Pierre, museo del Greco, Tolède

15/18

Nous avons vu de superbes toiles de Greco dont Monet est bien émerveillé.

Lettre d’Alice Monet à sa fille Germaine, Tolède, 19 octobre 1904

Où peut-on voir à Tolède des oeuvres de Domínikos Theotokópoulos, né en 1541 en Crète et surnommé pour cette raison le Grec, El Greco ? Aujourd’hui, l’office de tourisme tolédan propose un circuit dédié au peintre, avec bien entendu son musée, mais aussi plusieurs édifices religieux qui possèdent des oeuvres de lui.

Le Greco, L’enterrement du Comte d’Orgaz, vers 1586-1588, église Santo Tomé, Tolède

En 1904, la « maison du Greco » n’existait pas. Sans doute Monet a-t-il pu visiter la cathédrale, dont la sacristie présente notamment un Apostolado du maître, c’est à dire des portraits des douze apôtres plus le Christ. Le critique d’art Astruc, qui a visité la ville bien avant Monet, se souvient d’avoir admiré « La Mort d’un chevalier » et « Jésus au milieu des soldats. » Il pourrait s’agir de l’Enterrement du comte d’Orgaz toujours visible à l’église Santo Tomé et du partage de la tunique du Christ, El Expolio, qui se trouve à la cathédrale.

Le Greco, El Expolio ou Le Dépouillement du Christ, cathédrale de Tolède

On redécouvrait alors le Greco, après des siècles d’oubli. Qu’admire Monet chez l’artiste tolédan ? Je me pose la question, incapable d’y répondre de façon formelle en l’absence d’écrits de sa part sur le sujet. L’émotion, l’humanité, la spiritualité qui se dégagent des oeuvres ? Leur audace, leur modernité, leur mouvement, leur coloris ? Tout simplement, leur force ?

Museo Casa del Greco, Tolède

Le musée consacré au peintre a ouvert en 1910. Installé dans une maison proche de celle ou le Greco a réellement habité, il se veut une reconstitution d’une demeure du XVIe siècle et de ses jardins, avec leur atmosphère de l’époque. La visite en est très agréable. S’il lui manque ce qui fait le charme de Giverny, l’authenticité, le musée du Greco possède en revanche ce qui fait défaut à la maison de Monet, une très belle collection de tableaux du maître, et non des copies. Mais à Giverny la disposition des lieux empêcherait d’exposer des oeuvres de valeur tout en assurant leur sécurité. On ne peut pas tout avoir.

A Tolède

Point de vue sur Tolède, février 2023

14/18

Est-ce la rencontre d’Aureliano de Beruete qui leur en a donné l’idée ? Le 17 octobre 1904, depuis Madrid, Alice Monet écrit à sa fille Germaine : « Demain sans doute nous irons à Tolède ». Le 18, Germaine est destinataire d’une carte postale qui confirme l’excursion. Le 19, Alice reprend la plume pour lui donner plus de précisions :

D’abord que je te dise toute notre admiration pour Tolède ! Hier, ma carte n’a pu t’en donner une idée. Jamais je n’ai rien vu de pareil. Monet dit que cela lui rappelle absolument Alger. Hier nous avons fait le tour en voiture. C’était unique, c’est ici qu’on voit des oliviers, figuiers de Barbarie etc., mais avec l’aspect des maisons mauresques et même le chant des femmes, puis les ânes, les mules, tout rappelle l’Afrique.

Lettre d’Alice Monet à sa fille Germaine, 19 octobre 1904, Tolède

Je me figure qu’en 1904, le tour de Tolède proposé se faisait en voiture à cheval. Mais peut-être suivait-il un itinéraire proche de celui du petit train touristique actuel, qui part tout en haut, de l’Alcazar, descend dans la ville basse, franchit le Tage pour arriver à ce point de vue, et termine sa boucle par la gauche. Hélas ! le pittoresque décrit par Alice appartient à l’Histoire. Fini le chant des femmes, les mules, les ânes… C’est à peine si l’on aperçoit encore quelques oliveraies entre Madrid et Tolède, et il faut bien chercher pour dénicher des figuiers de Barbarie.

Figuier de Barbarie dans les environs de Tolède

Reste une architecture qui fait souvent référence à celle du Maghreb, mais est-ce assez pour soutenir la comparaison avec l’Algérie ? Pour Monet qui y a effectué son service militaire, les similitudes abondent. Il se trouve transporté au temps de sa jeunesse, alors qu’il servait dans le 1er régiment de chasseurs d’Afrique, âgé d’à peine 20 ans. On imagine l’émotion pleine de nostalgie qui l’étreint. Mais descendre plus au sud, il n’en est pas question. Même si Michel adorerait assister à un spectacle de flamenco à Séville, ils n’iront pas si loin.

Monet au Prado

Le musée du Prado, Madrid. Au centre, la statue de Velazquez

13/18

« Nous partons au musée avec le père Durand ! » écrit Alice Monet le 14 octobre 1904 à sa fille Germaine. Le point d’exclamation veut tout dire de leur joie et de leur anticipation. Les Monet viennent d’arriver à Madrid et ont rendez-vous avec Paul Durand-Ruel, leur vieil ami le marchand des impressionnistes parisien, pour aller sans tarder admirer enfin les merveilles du musée du Prado, alors baptisé Museo Nacional de Pintura y Escultura. C’est le but de leur voyage, son prétexte, sa raison d’être.

Alice n’est pas bavarde concernant la réaction de Monet face aux oeuvres qu’il souhaite voir depuis si longtemps. Elle parle plutôt de son bonheur à elle :

Comme tu penses, nous ne faisons que des visites aux musées, aux églises, aux Académies. C’est admirable et on est si heureux d’être initié, guidé par Monet devant ces merveilles. […]

Lettre d’Alice Monet à sa fille Germaine, 15 octobre 1904, Madrid
Diego Velazquez, La Reddition de Breda, vers 1635, Museo nacional del Prado – Madrid

Cela devait être quelque chose en effet d’avoir Monet (et Durand-Ruel) pour guides ! A condition toutefois que Monet ne soit pas submergé par l’émotion. On en sait un peu plus sur son ressenti grâce aux confidences faites à Marc Elder et publiées dans A Giverny chez Claude Monet en 1924 :

Dans un seul musée j’ai eu l’impression joyeuse de la peinture fraîche, de la peinture vive, chaude encore de la main créatrice : à Madrid. Le Prado ! Quel musée ! Le plus beau de ceux que je connais. Quand je me suis trouvé dans ces salles, au milieu des Titiens, des Rubens, des Velasquez, des Tintorets qu’on dirait faits d’hier, qui éclatent de force, de lumière, de couleur, l’émotion m’a empoigné au coeur, à la gorge, et j’ai pleuré, pleuré sans pouvoir me contenir… Michel et Blanche n’en revenaient pas et me regardaient avec inquiétude… Que voulez-vous ? c’était plus fort que moi. (…) Je me demande par quels procédés Madrid a conservé sa jeunesse à la peinture.

Vingt ans ont passé, Elder brode parfois, confond Alice et Blanche, mais je ne vois pas comment il pourrait oser inventer les larmes de Monet.

Carte postale adressée à sa fille Blanche par Alice Monet, Madrid 21 octobre 1904. Publiée dans Claude Monet à Giverny, centre culturel du Marais

Le musée du Prado compte des dizaines d’oeuvres de Velazquez, Rubens, Titien ou du Tintoret susceptibles d’avoir ému le peintre. Parmi elles, j’ai tendance à croire que le chef d’oeuvre de Velazquez La Reddition de Breda, dit Les Lances, se détache. Il fait partie des cartes postales sélectionnées par Alice (dans la boutique du musée ?) pour sa correspondance, preuve que la toile lui a fait, à elle aussi, une vive impression.

Premières impressions à Madrid

La gare d’Atocha à Madrid
Intérieur de la gare d’Atocha

12/18

La gare de Madrid-Atocha, où les Monet débarquent le 14 octobre au terme d’un éprouvant voyage, a été reconvertie en jardin tropical. C’est un espace inattendu et agréable qui donne sur la partie la plus récente de la gare, celle d’où partent les trains à grande vitesse.

En découvrant Madrid, je n’ai pas compris la remarque d’Alice qui ne peut être due qu’à la fatigue : « Madrid est laid ! Il pleut « , dit-elle. Mais même sous la pluie, la capitale espagnole reste éblouissante. Quelle ville magnifique ! Y avait-il des travaux partout en 1904 ? Alice n’en parle pas. J’espère qu’elle a revu ce jugement formulé trop vite. L’a-t-elle fondé sur le seul aspect des banlieues traversées en train ? Près de la gare et du musée du Prado, où ils se rendent de suite en compagnie de Paul Durand-Ruel, les immeubles sont splendides.

Je n’ai pas réussi à savoir dans quel hôtel les Monet séjournent. Le Ritz, le Palace, le Mediodia qui pourraient correspondre sont tous postérieurs à 1904. Etait-ce au Gran Hotel Inglès, inauguré en 1886 ? Du moins, Alice en est emballée :

Ici, nous sommes très bien, chambres admirablement situées, c’est absolument la place du Havre, vue de Terminus. La nourriture n’est pas mauvaise et c’est très propre.

Lettre d’Alice Monet à sa fille Germaine, 15 octobre 1904, Madrid

Du 14 octobre à leur départ le 21, ils vont y rester sept jours, moins les deux nuits passées à Tolède.
La comparaison avec l’hôtel Terminus situé gare Saint-Lazare à Paris où les Monet ont leurs habitudes et avec la place du Havre voisine n’a pas suffi à me mettre sur la piste. Si vous allez à Madrid et avez envie de chercher, tenez-moi au courant…

Gare de Miranda, le temps suspendu

Gare ferroviaire de Miranda de Ebro, Espagne

11/18

De Miranda, les lettres d’Alice Monet à sa fille Germaine révèlent peu de choses, sinon que les Monet y sont passés au cours de leur périple vers Madrid, et qu’ils y ont dîné de plats typiques parfumés à l’ail et à l’échalote. On se figure donc les voyageurs de 1904 descendant tous du train pour une pause prolongée. Quand le trajet durait 20 heures, il fallait bien se restaurer.

La gare de Miranda est un noeud ferroviaire. Le bâtiment voyageurs donne d’un côté sur la ligne allant de Hendaye à Madrid, de l’autre sur celle de Castejon à Bilbao, autrefois gérées par deux compagnies différentes. Il suffisait de traverser la salle des pas perdus pour changer de quai et attraper sa correspondance.

Cette ingénieuse disposition est due à l’ingénieur anglais Charles Vignoles qui a conçu la gare. Celle-ci date de 1862 et a miraculeusement préservé son délicieux aspect vintage. Les plans du réseau, un peu obsolètes, dessinés sur des carreaux de faïence, montrent les très nombreuses haltes imposées aux voyageurs. On y voit que Burgos, où l’espoir des Monet d’obtenir des couchettes à été déçu, se trouve peu après Miranda. C’est ensuite que la partie la plus pénible du voyage a commencé.

Les longues marquises, les structures métalliques sentent bon le XIXe siècle. La gare paraît très semblable à celle que les Monet ont connue, à de menus détails près. La signalétique récente côtoie l’antique, comme une illustration de notre voyage. Oui, il reste des lieux qui ont très peu changé depuis tout ce temps, des endroits que les Monet reconnaîtraient. Nous jubilons.

Dominée par les immeubles qui ont poussé comme des champignons, la gare de Miranda résiste dans sa bulle, et semble affirmer son identité, si jolie et bien conçue qu’il n’y a rien à y changer.

Les joies du train

Quai de la gare de Miranda, Espagne

10/18

A partir de Biarritz, le voyage des Monet vers Madrid se poursuit donc en train. A moins que leur chauffeur Silvain ne les ait conduits en auto jusqu’à Irun, en effet la lettre d’Alice à Germaine relatant le voyage ferroviaire n’est pas très claire sur ce point :

[…] Quel pénible voyage et que de regrets de ne plus avoir l’auto. Comme a dû t’en prévenir ma carte de Saint-Sébastien, nous sommes partis de la frontière Irun à 2h. Impossible d’avoir des places dans le Sud-Express, il faut les retenir au moins quatre jours d’avance. Mais comme nous étions dans un wagon-couloir complet, on nous a fait espérer qu’à Burgos nous pourrions trouver un sleeping. Nous étions partis avec cet espoir, mais à Burgos, rien, il a donc fallu passer ces 20 heures au complet, quel supplice ! Tu ne peux pas t’imaginer la lenteur de ces trains espagnols, on se croirait trainés par une brouette c’était mortel et ne pouvoir ni s’étendre, ni dormir pendant ces 20 heures, j’ai bien cru que j’arriverais malade. […]

Lettre d’Alice Monet à sa fille Germaine, Madrid 14 octobre 1904.
Pont sur la Bidassoa à Sunbilla, pays basque espagnol

Le Sud-Express était un train de luxe qui partait de la gare d’Orsay à Paris à destination, entre autres, de Madrid. Les Monet ont dû se rabattre sur un train moins confortable mais non moins complet. Avantage de l’exaspérante lenteur, ils ont le temps d’admirer le paysage, et Alice retrouve ses accents enthousiastes pour décrire la traversée des montagnes :

La route est merveilleuse, quel pays d’abord admirable, ces montagnes splendides, ces torrents, tout cela doré par un soleil éclatant, puis cela devient la grande désolation, pas un être, la nature désolée, rien que d’énormes blocs de pierre, c’est beau, superbe.

Lettre d’Alice Monet à sa fille Germaine, Madrid 14 octobre 1904.
L’église de Sunbilla

Je l’imagine en accord avec Monet dans l’admiration. Mais pour cela il faut qu’il fasse jour, car de nuit le voyage perd tout agrément :

Mais une fois le dîner à Miranda (pas mauvais malgré l’échalote et l’ail), rester sans voir et rouler à reculons, ce que je regrettais l’auto ! Et cependant, nous serions certainement restés en panne dans la traversée des Pyrénées et sans doute en plein désert. […]

Lettre d’Alice Monet à sa fille Germaine, Madrid 14 octobre 1904.

Miranda sera donc notre prochaine étape.

Au pied des Pyrénées

Biarritz, la gare du Midi

9/18

L’étape de Biarritz marque un point d’inflexion dans le voyage vers l’Espagne des Monet. Vont-ils continuer en auto ou en train ? La Panhard-Levassor marchote depuis le départ de Giverny, et il n’est pas sûr qu’elle franchisse l’obstacle des Pyrénées. Le 10 octobre 1904, de Bordeaux, Alice s’en ouvre à sa fille Germaine :

Michel a été très gentil, il a travaillé et mis la main à tout, le pauvre Silvain, plein de bonne volonté, perd complètement la tête, veut tout démonter dans la voiture, enfin n’y est plus et manque complètement de sang-froid. […] Partout, on nous dit de ne pas entreprendre le voyage en auto en Espagne. Pas de routes, rien que des chemins, les meilleures autos se font remorquer par les boeufs ou mules.
Moi, cela me tente ; Michel bougonne, il voudrait déjà être rentré. Nous déciderons donc cela à Biarritz avec plus amples informations. […]  »

« Moi, cela me tente ! » Elle m’épate, Alice. Quel esprit d’aventure ! Mais le lendemain, elle n’a guère d’illusions :

[…] La voiture marche mal et demain consultation à un garage et sans doute (et à mon grand désespoir) départ pour Madrid par le train. […]

Lettre d’Alice Monet à sa fille Germaine, Biarritz 11 octobre 1904

Ils prendront le train, mais ils ne partiront pas de la gare du Midi photographiée ci-dessus. Cette gare, devenue une salle de spectacles, est postérieure au voyage des Monet. Achevée en 1911, elle desservait Biarritz-ville et facilitait l’accès au centre depuis la gare dite de Biarritz-la-Négresse, sur la ligne Bordeaux-Irun, à 3 km de là.

Nous ne sommes pas allés voir la gare principale et nous nous sommes contentés de rêver devant le bel édifice voyageurs de la gare du Midi, dû à l’architecte Dervaux et destiné à plaire à la clientèle élégante du début du siècle.

Troisième étape, Biarritz

8/18

Que c’était beau aujourd’hui, la traversée de ces Landes est superbe à faire ainsi […]

Lettre d’Alice à Germaine, 11 octobre 1904

Incroyable Alice Monet ! On l’a tellement dépeinte comme une neurasthénique, une femme jalouse, toujours à se plaindre et à broyer du noir, que c’est à se demander ce que Claude a bien pu lui trouver… Et voici une petite phrase qui livre un tout autre visage de cette femme.
En parcourant au plus près la route des Monet à travers les pinèdes, j’avais sa remarque enthousiaste en tête et je voulais à tout prix faire une bonne photo de la forêt, pour illustrer toute cette beauté qu’elle y avait vue. Mais je n’ai pas pu faire mieux que celle-ci. Venant comme Alice de Giverny, avec en mémoire les belles forêts de Normandie et d’Ile de France, je ne comprends tout simplement pas ce qu’elle a trouvé aux Landes. Ces alignements interminables d’arbres identiques m’ennuient prodigieusement. Je serais prête à faire un détour pour ne pas avoir à traverser pendant des heures ces futaies monotones. « Que c’était beau aujourd’hui, la traversée de ces Landes est superbe à faire ainsi. » Alice Monet, championne de la pensée positive !

En-tête du papier à lettre utilisé par Alice Monet, illustration publiée dans Claude Monet au temps de Giverny, Centre culturel du Marais

L’étape du jour est Biarritz, sur la côte basque. « Nous partons demain matin à 6h pour Biarritz, 260 km » écrivait Alice la veille à sa fille Germaine. La lettre du 11 octobre lui annonce qu’ils sont arrivés à 5h 1/2.
Le papier à en-tête présente une gravure de l’hôtel d’Angleterre côté entrée et jardin, et souligne le confort de l’établissement, équipé d’un ascenseur et de lumière électrique.

La grille d’entrée

L’hôtel est aujourd’hui une résidence gardée par la splendide grille en fer forgé qui figure sur l’illustration de la lettre d’Alice. Le portail est maintenu fermé, alors qu’il demeurait ouvert du temps de l’hôtel. Le bâtiment donne sur l’océan de l’autre côté.

En-tête du papier à lettre utilisé par Alice Monet, illustration publiée dans Claude Monet au temps de Giverny, Centre culturel du Marais

L’hôtel mettait en avant sa splendide vue sur les flots, le phare et le rocher du Basta.

Il est en effet admirablement situé, surplombant la plage et le rocher.

Impossible de résister à l’envie d’emprunter la passerelle et grimper vers le point de vue. Les Monet se sont-ils laissé tenter par cette promenade ?

J’imagine la joie de Monet de revoir la mer, d’admirer ce superbe motif… Mais pas le temps de sortir les pinceaux, car Madrid est encore loin, et il faudra bien vite reprendre la route.

Une arrivée grotesque à Bordeaux

Bordeaux, ancien hôtel particulier Laubardemont, cours du Chapeau rouge

7/18

Empêchés de profiter des charmes de Barbézieux car il n’y avait plus de place pour eux à l’hôtellerie, les Monet ne s’attardent pas et foncent vers Bordeaux, à près de 90 km de là. Cela représente trois heures supplémentaires et ils auront bien gagné leur nuit de repos, mais l’arrivée est mouvementée :

… Nous ne sommes arrivés ici qu’à minuit. L’arrivée était plutôt grotesque ! Tu te souviens que cet hôtel « Des Princes et de la Paix » annonce un garage. Donc Sylvain s’apprête à y entrer, mais arrêt, il n’y avait même pas de porte cochère et quel aspect ! Pire que le Soleil d’Or. Aussi après avoir vu une chambre, sale, horrible, Monet se met en colère et prétextant le manque de garage, nous reprenons nos baluchons, attrapons un fiacre (Sylvain était parti dans un garage) et arrivons ici, où c’est plus propre. […] Nous venons de faire un déjeuner exquis « Au Chapon Fin » et regrettons bien de n’y être pas descendus, il y a hôtel et garage. Ce déjeuner m’a remise, j’étais éreintée et je mourais de faim. Pas mangé à Poitiers, c’était trop mauvais ! Nous ne nous sommes pas arrêtés pour dîner – bouffant seulement des kilomètres – c’est plutôt creusant ! […]

Lettre d’Alice Monet à sa fille Germaine, 10 octobre 1904, Bordeaux

Je ne sais pas si c’est le mot grotesque qui vous viendrait en premier pour qualifier une telle arrivée. Comme dans les aspects matériels du voyage, le passage du temps se note dans le choix du vocabulaire. Grotesque : ridicule, absurde, risible. Qui prête à rire par son côté invraisemblable, excentrique ou extravagant.
C’est bien ce qu’Alice veut dire, et j’adore qu’elle ait un tel sens de l’humour après une telle épreuve. Quelle femme ! Elle est épuisée, elle n’a pas mangé de la journée, et elle arrive à rire du comique de la situation et même à blaguer – bouffer des kilomètres, c’est plutôt creusant !

Bordeaux, le Grand-Théâtre

Au demeurant, l’hôtel des Princes et de la Paix jouissait d’une solide réputation et passait pour l’un des meilleurs de la ville. Pas de porte cochère ? Et cette chose verte en plein milieu ? Pire que le Soleil d’Or, un hôtel de Vernon… C’est dire ! Il faut tout de même un certain culot pour faire un esclandre à minuit, sans doute pour dénoncer sans frais la réservation.

J’ignore où ils sont descendus, mais l’hôtel Laubardemont, avec ses bossages autour des fenêtres, ne manque pas d’allure. Il date du XVIIe siècle et sa métamorphose par le cuisinier Sansot au XIXe siècle est assez amusante. Il est situé sur le côté du Grand-Théâtre, dans un des quartiers les plus prestigieux de la capitale girondine.

Le 5 rue Montesquieu n’est qu’à quelques pas, et le restaurant gastronomique Le Chapon fin existe toujours, même s’il ne fait plus hôtel. Le décor baroque de rocaille et de palmes a été conservé. Un petit texte affiché à l’extérieur note le passage « d’artistes de grande renommée  » et cite Toulouse-Lautrec et Sarah Bernhardt. L’impression est la même qu’à l’hôtel de Tours, les propriétaires ont-ils connaissance de la venue de Monet en 1904 ?

Le Chapon fin, restaurant à Bordeaux

Objectif Bordeaux

Barbézieux

6/18

Après la nuit à Tours du 8 au 9 octobre 1904, la Panhard des Monet repart dès le lendemain pour le sud :

Hier, cela a été mieux puisque nous avons abattu 320 km – ou 360 – en 14 heures d’auto, ce qui est vraiment dur. Michel voulait que la seconde étape soit Bordeaux et il a fallu y arriver ! Le raid des chevaux nous a beaucoup gênés, car nous aurions peut-être couché à Barbézieux, Monet redoutant le voyage de nuit pour moi, mais tout était pris par les coureurs. Monet m’avait couverte de toutes les couvertures, châles, etc ! je n’étais plus qu’un paquet, mais il faisait froid ! et nous ne sommes arrivés ici qu’à minuit.

Lettre d’Alice Monet à sa fille Germaine, 10 octobre 1904, Bordeaux

14 heures d’auto ! Quelle endurance, et quelle folie ! J’admire le courage et la sobriété d’Alice : « c’est vraiment dur ». Il leur faudra toute une journée de repos à Bordeaux pour s’en remettre. Le compte des kilomètres est incertain, 320 ou 360, le compteur n’est pas encore inventé… sans parler de l’ordinateur de bord qui calcule aujourd’hui moyenne et consommation.

On voit aussi l’importance de Michel dans cette aventure, et son autorité, que je ne soupçonnais pas. Dans l’auto, c’est lui le patron, puisqu’il peut prendre le volant à son tour et s’occuper des réparations avec Silvain Besnard, le chauffeur. C’est lui qui a défini l’itinéraire et les étapes selon la marche espérée de la voiture. Et Monet lui laisse les rênes et devient cet époux tendre qui couvre Alice de lainages.

Cette lettre pose aussi la question de la façon dont les Monet réservent leurs nuitées. On a vu que Monet se fait envoyer la carte routière à son hôtel présumé à Bordeaux. On sait aussi qu’Alice et lui n’hésitent pas à envoyer des dépêches. Ils ont sans doute anticipé la réservation de leurs hébergements par courrier, quitte à les décaler par la suite.

L’hôtel de la Boule d’Or à Barbézieux

Connaissez-vous Barbézieux ? L’idée me vient de réparer les ratés du voyage des Monet en y passant la nuit. Le raid des chevaux n’est qu’un lointain souvenir, la disponibilité ne manque pas. Le bourg est depuis bien longtemps une ville-étape, et l’un de ses hôtels existait déjà en 1904 : la Boule d’or. L’objet est en bonne place sur la façade, en guise d’enseigne.
Plus besoin de se fier au seul guide Joanne, les services de réservation de chambres par internet donnent toutes les informations qu’on peut souhaiter. Que d’infos ! Presque trop.
Au matin, le propriétaire prend le temps de nous montrer des photos anciennes de l’établissement, qui disposait de « garages et remises ». Il nous apprend aussi que son emplacement dans la ville a changé… Ce n’est pas grave puisque de toutes façons les Monet n’y ont pas séjourné !

Le Monet du musée de Tours

Claude Monet, Bras de Seine près de Vétheuil, 1878, Musée des Beaux-Arts de Tours

Ma pauvre photo ne rend hélas pas justice à la très belle oeuvre de Monet que l’on peut admirer au musée des Beaux-Arts de Tours. C’est une symphonie de subtils tons de verts et de roses que le portable n’a pas su capter. Monet l’a conservée toute sa vie, en dépit de deux déménagements, preuve qu’il l’aimait beaucoup.

Le motif est pris tout près de sa maison de Vétheuil. C’est l’été encore, les feuillages sont verts, voilà peu de temps que les familles Monet et Hoschedé se sont installées dans la petite maison jaune au bout du bourg. Monet explore les environs, souvent depuis son bateau atelier. La Seine est alors parsemée d’îles couvertes de végétation dont Monet se plaît à faire des études.

Ce coin de nature qui montre si peu de choses, est-ce vraiment un paysage ? Quelques arbres et leurs reflets, un bout de ciel : ce n’est pas ce que raconte le tableau qui nous épate, mais la touche déliée et comme fluide, la brosse qui virevolte avec rapidité, l’exécution aussi précise qu’enlevée.

Claude Monet, Détail de Bras de Seine près de Vétheuil, 1878, Musée des Beaux-Arts de Tours

Monet a 37 ans et beaucoup de soucis domestiques, mais la peinture coule de source. Il faut travailler vite pour vendre de nombreuses toiles afin de nourrir la famille, car les prix sont bas et le bénéfice faible. Plus tard, quand il se sortira des difficultés matérielles, Monet se mettra à retoucher interminablement ses toiles, avec une insatisfaction croissante et une exigence toujours plus grande.

En 1927, après la mort de Monet, son fils Michel offre la toile à Camille Lefèvre, l’architecte qui a conçu les salles de l’Orangerie pour y accueillir les Grandes Décorations. Il se pourrait que ce soit Clemenceau qui lui ait soufflé l’idée de ce geste. Pourquoi cette vue de Vétheuil et non un Nymphéas, qui semblerait plus approprié ? Mystère. Camille Lefèvre était né à Tours et c’est sa veuve qui a légué l’oeuvre au musée des Beaux-Arts de la ville. Avec un tel parcours, l’authenticité du tableau est établie, même si la signature, si c’en est une, n’est guère visible.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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