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Le cadastre de Giverny
Les archives de l’Eure ont mis en ligne une foule de documents accessibles en quelques clics, notamment le cadastre napoléonien. A Giverny, cette cartographie systématique du territoire national a été opérée bien après la chute de l’Empire, puisque le plan de la commune parcelle par parcelle date de 1836.
C’est un demi-siècle plus tôt que la période qui nous intéresse, celle de Monet et de la colonie impressionniste. Le cadastre napoléonien offre donc un compte-rendu très détaillé du village avant les constructions résidentielles de la fin du siècle, qui ont accéléré sa transformation.

Voici une vue du quartier du Pressoir où Claude Monet et sa famille s’installeront en 1883. Sa propriété s’étend actuellement de la ruelle Leroy à la ruelle de l’Amsicourt, les deux petites voies plus ou moins verticales sur le dessin. Autour d’une grande parcelle blanche, on aperçoit plusieurs parcelles saumon et, le long de la rue principale et de la ruelle de l’Amsicourt, des formes grises et roses. Selon les légendes des couleurs du cadastre, les rectangles gris sont des maisons d’habitation, les bâtiments roses sont plutôt d’usage agricole. La couleur saumon indique un jardin. Le blanc pourrait être un champ ou une prairie.
Les bâtiments présents sur la future propriété de Monet vont faire l’objet de bouleversements. Plusieurs seront rasés pour reconstruire du neuf. Monet, au départ, ne possède pas toutes les parcelles, il en fera l’acquisition à mesure que l’occasion s’en présentera.
Un autre élément frappant de ce cadastre, c’est le tracé de la rue principale du village, dénommée ici rue de Haut. Elle bifurque à la hauteur de la ruelle Leroy pour partir à l’ascension de la colline, vers la ferme de la Côte. Plusieurs bâtiments seront rasés pour permettre la continuation de la voie tout droit, à travers le clos Morin. Je n’ai pas encore trouvé la date exacte de ces travaux, au début du 20e siècle. Quoi qu’il en soit, quand Monet peint ses Meules dans le clos Morin, il faut qu’il passe par le haut ou par le bas.
Calligraphie

C’est parfois un challenge de décrypter les actes anciens manuscrits, qu’ils concernent l’état-civil, les jugements, les minutes notariales, l’urbanisme ou tout autre sujet. Confronté à une écriture désuète et presque illisible, le lecteur du XXIe siècle en est réduit aux comparaisons entre les mots, aux devinettes et aux conjectures.
Mais rien de tel à Giverny. A l’époque du décès de Monet, le maire du village, Alexandre Gens (ou est-ce le secrétaire de mairie qui rédige ? Dans ce cas la tâche serait probablement dévolue à l’instituteur ? La signature ne me paraît pas de la même main), bref l’officier d’état-civil a une écriture soignée, très lisible et même plaisante à lire. Les lignes sont bien écartées, prétracées sur le papier qu’on ne cherche pas à économiser, bien qu’il soit timbré. Une page et demi pour un décès !

Transcription :
Le cinq décembre mil neuf cent vingt-six à treize heures, Oscar Claude Monet né à Paris le 14 novembre 1840, artiste peintre domicilié à Giverny, fils de feu Adolphe Monet et de feue Louise Augustine Aubrée, veuf en premières noces de Camille Léonie Doncieux décédée à Vétheuil (Seine et Oise) le cinq septembre mil huit cent soixante dix-neuf et veuf en deuxièmes noces de Angélique Emélie Alice Raingo décédée à Giverny (Eure) le dix-neuf mai mil neuf cent onze, est décédé en son domicile, quartier du Pressoir, à Giverny. – Dressé le six décembre mil neuf cent vingt-six, dix-huit heures, sur la déclaration de Théodore Earl Butler, artiste peintre, beau-gendre du défunt, domicilié rue du Colombier, à Giverny, témoin majeur, qui, lecture faite a signé avec Nous, Alexandre Gens, maire de Giverny.
Les actes anciens, même ceux dont on connaît déjà la nature comme celui-ci, ont le don de susciter des questions. Pourquoi est-ce Théodore Butler qui est allé déclarer le décès de Claude Monet, et non son fils Michel Monet, ou son beau-fils Jean-Pierre Hoschedé ? Butler a-t-il aimablement proposé ses services ? Lui a-t-on confié cette mission parce qu’il était un peu moins accablé que les autres ?

Des questions comme celles-ci, il ne cesse d’en jaillir dès qu’on se penche sur les actes anciens. La plupart n’auront sans doute jamais de réponse.
C’est sans importance. La magie de l’écriture manuscrite est de nous rendre le scripteur plus proche. On suit le fil de la main comme celui de la pensée. On croit être là, présent avec lui et le déclarant, pendant la rédaction de l’acte.
Si c’était vrai, si Butler était en face de nous avec son chagrin, nous aurions fait preuve de retenue, respectant sa tristesse. Ce genre de questions oiseuses, nous ne les aurions pas posées.
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