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Mais alors, vous répétez toujours la même chose ?

Lysimaque et rosier lianeLes lysimaques, ces belles vivaces jaunes d’un mètre de haut, sont en fleurs à Giverny. J’avais oublié leur nom appris l’an dernier. A force de passer devant le massif, il m’est revenu tout seul. La vue de la plante a dû solliciter la bonne case dans la mémoire, je suppose. Au bout de quelques jours le nom de lysimaque s’est imposé aussi clairement qu’une étiquette.
Pour les guides, la mémoire est aussi essentielle que la voix. J’explore, en même temps que ce métier, le fonctionnement mystérieux du souvenir.

Parler sans notes devant un public a une façon particulière de solliciter la mémoire. C’est un peu s’élancer sans filet pour un numéro de trapèze volant, le risque physique en moins. On vient d’exécuter une figure, le temps d’une respiration et il faut enchaîner pendant que le public est attentif. Qu’est-ce qui vient après, déjà ? Des groupes de mots ou des images apparaissent, évoquant une anecdote, un point à expliquer. Des enchaînements logiques permettent de poursuivre sans effort. Une idée en appelle une autre. Des formulations heureuses trouvées lors de visites précédentes ressurgissent spontanément.

Quand j’évoque mon métier, une phrase revient souvent chez mes interlocuteurs : « mais alors, vous répétez toujours la même chose ? » Bizarrement, ils ont tous un ton un peu horrifié pour dire cela.
Nous vivons dans un monde qui abuse de la répétition – les mêmes chansons, les mêmes informations, les mêmes publicités, les mêmes sketches, les mêmes conseils inlassablement répétés, nous la subissons sans penser à nous en plaindre, et pourtant redire la même chose deux fois de suite nous fait peur.
C’est étrange à quel point nous sommes programmés pour ne pas nous répéter. Combien cela nous met mal à l’aise de nous apercevoir que nous avons déjà dit cela tout à l’heure, même si c’était à d’autres personnes. J’imagine que cela doit avoir un sens profond vraiment important, évoquer le gâtisme du grand âge et de la proximité de la mort, peut-être, ces vieillards qui radotent à n’en plus finir…
S’il n’y avait ce malaise, je trouverais cela très confortable de répéter toujours la même chose. Peut-être qu’il finira par disparaître. J’imagine que les profs qui ont des classes de même niveau, ou les médecins en cas d’épidémie de grippe, finissent par s’habituer à ce ronron du rabâchage. Pour l’instant je louvoie. Certaines parties bien rôdées, bien ficelées, je n’y touche plus. Mais entre elles il y a une marge d’improvisation, du discours à construire au fur et à mesure. Cela me permet de ruser, de ne pas faire deux fois de suite la même visite. Et de ne pas répéter toujours la même chose.


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Ariane.

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