Peupliers

Rangée de peupliers, Claude Monet, 1891 huile sur toile 100x65cm, collection particulière Etats-UnisRangée de peupliers, Claude Monet, 1891, huile sur toile 100x65cm, collection particulière Etats-Unis

Un grand S de Superman parcourt la toile depuis le coin supérieur droit. C’est le feuillage d’une rangée de peupliers plantés le long de l’Epte, tel que Monet le voit depuis sa barque immobilisée sur l’eau.
Cadrage surprenant, qui conduit le regard du premier plan vers l’horizon selon un chemin insolite, non pas en se laissant guider par les lignes convergentes de la perspective, mais en dévalant ce circuit aérien.
Quelle trouvaille que cette composition ! Elle reprend la ligne serpentine chère aux maîtres de l’estampe japonaise en la faisant vivre dans un motif typique de Giverny, celui des peupliers au bord des cours d’eau.
Tendues comme les cordes d’une harpe, les lignes verticales parallèles des troncs viennent rythmer la souplesse de la courbe sinueuse, la rattachant au sol en même temps qu’à l’eau. Tout en bas de la toile, la rivière reflète le bas des troncs, reflet tronqué qui semble devoir se poursuivre bien au-dessous de l’endroit où le peintre se situe.
Reflet, anti-reflet : alors que l’oeil se trouve à hauteur de la berge, à la jonction de la terre et de l’eau, le cadrage lui refuse de chercher l’image inversée de la ligne serpentine dans le miroir de la rivière, tandis que la canopée dessine sur le bleu du ciel le parcours de la rivière, comme un reflet aérien de l’invisible.

Monet a découvert cet intéressant alignement d’arbres à deux kilomètres de chez lui, le long du marais communal de Limetz où des peupliers ont été plantés pour assurer la stabilité des berges.
Il s’y rend en bateau, avançant par puissants coups de rame, d’abord dans une barque à fond plat, sa norvégienne, puis dans le bateau plus spacieux que son ami le peintre Gustave Caillebotte accepte de lui prêter.
Il a besoin d’un peu de place, en effet. Après s’être lancé à grande échelle dans le processus de la série l’année précédente avec les Meules, Monet récidive devant les peupliers. Il va en donner vingt-deux versions, certaines prises exactement selon le même angle, d’autres offrant de légères variations.
Du printemps à l’automne 1891, Monet peint avec assiduité, « tour à tour par tranches de quelques minutes seize tableaux, ou plus » confie-t-il à sa voisine Lilla Cabot Perry.
Mais soudain c’est la catastrophe. Un matin, le 2 août, Monet découvre que la mairie de Limetz a décidé de faire abattre les arbres : ils sont marqués d’une croix à leur pied. La vente doit se faire par adjudication, avant la coupe.
Monet doit à tout prix retarder l’échéance pour pouvoir terminer ses tableaux. Mais il sait que s’il manifeste son intérêt pour les peupliers, les enchérisseurs vont s’en donner à coeur joie et les prix s’envoler.
Il est malin, Monet. Il prend contact avec une scierie qui s’est portée acquéreur du lot et lui propose un marché : celui d’enchérir assez pour emporter les peupliers. « Allez plus haut, je paierai la différence, mais laissez-moi le temps qu’il me faudra pour les peindre.« 
peupliers à GivernyAujourd’hui, il n’est pas besoin d’aller bien loin pour peindre des alignements de peupliers : une peupleraie s’étend juste derrière le jardin d’eau de Monet. Ce n’était pas le cas à son époque, où l’arrière-plan de ses embarcadères aux roses apparaît dégagé.
Si d’aventure il vous prenait la fantaisie de peindre ces peupliers-là, vous feriez bien de ne pas tarder à finir votre toile. Les arbres sont arrivés à maturité, ce serait dommage qu’il vous arrive la même mésaventure qu’à Monet…


3 commentaires

  1. Si j’ai bien compris Monet peignit jusqu’à seize toile à la fois?
    À cause du temps de séchage, l’imagine.
    Les embarquait-il toutes sur son bateau?

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