Cette photo est extraite de l’excellent petit recueil « Giverny en cartes postales anciennes » édité en 1992 par l’association les Amis de Giverny. On y parcourt tout le village à l’époque de Monet : c’est dire l’intérêt de ces documents.
Sur cette photo, donc, on peut observer les paysans de Giverny en train de façonner deux énormes meules dans le clos Morin, là-même où Monet a pris son motif pour la série des Meules quelques années plus tôt. On reconnaît à gauche la mairie de Giverny. Aujourd’hui, quand on se trouve au musée des Impressionnismes ou sur son parking, on est dans l’ancien clos Morin.
Ce qui frappe, c’est la dimension colossale de ces constructions éphémères. L’échelle est donnée par les deux hommes et par le cheval. La meule doit bien faire sept ou huit mètres de haut. Impressionnant, n’est-ce pas ?
L’autre aspect remarquable, c’est la netteté de la meule, sa structure architecturée. Pourquoi les agriculteurs se donnaient-ils tout ce mal ? Parce que c’était là leur trésor annuel, le blé de toute une saison.
Pour parler des toiles de Monet, il convient donc d’employer le terme de meules de blé (grainstacks en anglais) et non pas de meules de foin (haystacks). Je sais, la différence paraît un peu surréaliste aux citadins, si bien que j’avais eu déjà l’occasion de mettre les points sur les épis cet été. Mais la confusion ne date pas d’hier.
Dans « Claude Monet, ce mal connu« , Jean-Pierre Hoschedé s’étonne, à la lecture du catalogue de l’exposition Monet de 1952 à la galerie Wildenstein, de
l’ignorance de l’auteur qui, parlant de la série des Meules, appelle celles-ci « d’humbles tas de foin ». Qu’il sache donc que les meules peintes par Monet sont, non des « tas », mais de véritables constructions rondes ou carrées constituées, non par du foin, mais par des bottes de céréales, pas encore battues et justement mises en meule, encastrées les unes sur les autres, les épis tournés vers le centre, pour que les intempéries ne puissent atteindre le grain. Ces meules construites dès la moisson restent sur les champs ou près de la ferme dans l’attente des battages d’automne ou d’hiver. D’ailleurs, pour permettre cette attente, un véritable toit de chaume, un peu à la manière de celui des vieilles maisons normandes, les recouvre afin d’empêcher l’eau des pluies de pénétrer à l’intérieur de la meule.
Ces constructions deviennent rares, car les modernes moissonneuses-batteuses les rendent de plus en plus inutiles. D’autre part, rien qu’en regardant les Meules de Monet, on voit tout de suite que ce ne sont pas « d’humbles tas de foin », car ceux-ci, de dimensions réduites, toujours ronds, sont laissés simplement sur le pré, dès la fenaison, pour être rentrés le plus vite possible à la grange ou à l’étable. Excusez ce cours à l’usage des citadins ignorants de la campagne. »
Explication limpide ! Jean-Pierre Hoschedé m’est très sympathique dans ce passage, par ses talents de pédagogue, son agacement devant ce qu’il perçoit comme de la condescendance parisienne, son attachement au monde rural et son admiration pour le savoir-faire des cultivants… Il est peut-être né dans un milieu bourgeois, mais il a grandi et vécu toute sa vie à Giverny.
On comprend bien, en le lisant, les raisons qui ont poussé le propriétaire des meules peintes par Monet à vouloir les démonter au cours de l’hiver. Il y a un calendrier à respecter à la campagne, un temps pour faire les choses, et un temps où il faut qu’elles aient été faites.
Ce paysan voulait-il vraiment nuire à Monet, comme on le présente assez systématiquement dans l’histoire de l’art ? Je suis sceptique. Ce n’est pas totalement impossible, mais ce n’est pas certain non plus, pour faire une réponse de Normande.
Et je ne suis pas sûre non plus que Monet ait jugé utile de lui demander la permission de s’installer dans son champ. Tel que je m’imagine Monet, il devait volontiers se comporter en terrain conquis. J’aurais été Givernoise à son époque, je crois que ça m’aurait énervée.
Explication très instructive, merci !
Voilà des précisions sur lesquelles je ne m’étais jamais interrogée, mais qui finalement sont pleines de bon sens…C’est bien du blé qui pousse à foison sur les plateaux céréaliers de ce coin de Normandie.
De même que dans les Pays Basque, ce même genre de meule est constitué de fougères, destinées au bétail. [Et on en voit de moins en moins…]
Passionnant. C’est tellement évident que ça méritait d’être ré-expliqué ! Je vais me mettre en quête de ce livre que vous citez. Bonne fin de semaine.