Claude Monet devant sa maison
Suite de la visite de René Gimpel et Georges Bernheim à Claude Monet, 19 août 1918 :
Une servante a pris nos cartes et nous dit qu’elle va voir. Bernheim est nerveux et me souffle : « Ne sois pas étonné si nous ne sommes pas reçus. » Je lui demande si ce n’est pas Monet, là-bas, qui s’avance.
– Où ? Comment est-il ?
– Là, sous un grand chapeau de paysan pointu et en paille. Il a une grande barbe blanche.
– Mais oui, c’est lui, il vient.Nous nous avançons, Bernheim lui serre la main, me présente, et Monet fait : « Ah ! messieurs, je ne reçois pas quand je travaille, non, je ne reçois pas. Quand je travaille, si je suis interrompu, ça me coupe bras et jambes, je suis perdu. Vous comprenez facilement, je cours après une tranche de couleur. C’est ma faute aussi, je veux faire de l’insaisissable. C’est épouvantable cette lumière qui se sauve emportant la couleur. La couleur, une couleur, ça dure une seconde, parfois trois ou quatre minutes, au plus. Que faire, que peindre en trois ou quatre minutes ? Elles sont passées, et alors il faut s’arrêter. Ah ! que je souffre, ce qu’elle me fait souffrir la peinture ! Elle me torture. Comme elle me fait mal ! »
Monet a fini son monologue. Je devine qu’il va nous serrer la main et retourner à son travail. Je voudrais qu’il restât encore quelques minutes et je lui dis : « Excusez-moi, Monsieur Monet, c’est moi le coupable, c’est moi qui ai voulu venir. Georges Bernheim m’avait prévenu, mais je l’ennuie depuis si longtemps ! Je vends des tableaux anciens mais j’adore les modernes ; j’adore vos oeuvres. Je me fâche avec mes amateurs quand ils me disent que c’est fini, que l’on ne saura plus peindre, que l’on n’égalera plus les anciens. Quels imbéciles ! »
Source : René Gimpel, Journal d’un collectionneur marchand de tableaux, éditions Calman-Lévy, 1963
J’ai quelques billets en retard…
Je peux comprendre les explications de Monet sur la lumière et les couleurs… lui si précis dans ses toiles!
René Gimpel a eu au moins la chance de partager quelques mots avec l’artiste!!
Oui, il va le voir plusieurs fois. Wildenstein dit « il faudrait tout citer », c’est ce qui m’a convaincue de retranscrire les passages du journal de René Gimpel qui se rapportent à Monet. Nous en avons pour quelques billets ! 🙂