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René Gimpel à Giverny – 7

Claude Monet dans son troisième atelier à l’époque des Grandes Décorations, après 1914. Photo Henri Manuel

Suite de la visite de Georges Bernheim et René Gimpel à Claude Monet le 19 août 1908.
Après la découverte du premier atelier, voici celle du troisième. Les toiles décrites ne sont pas encore les Grandes Décorations du musée de l’Orangerie, qui mesurent 2m de haut et seront peintes en atelier. Mais elles en constituent les prémices. René Gimpel nous fait part de ses impressions, en fin connaisseur de l’art et amateur de peinture moderne. C’est l’étrangeté de la sensation qui domine :

Comme Bernheim m’avait parlé d’une immense et mystérieuse décoration à laquelle le peintre travaille et qu’il ne nous montrerait probablement pas, j’attaque la position et je l’emporte, et il nous conduit par les allées de son jardin jusqu’à un atelier nouvellement construit, bâti comme une église de hameau. A l’intérieur, ce n’est qu’une pièce immense avec un plafond vitré et, là, nous nous trouvons placés devant un étrange spectacle artistique : une douzaine de toiles posées par terre, en cercle, les unes à côté des autres, toutes longues d’environ deux mètres et hautes d’un mètre vingt ; un panorama fait de nénuphars, de lumière et de ciel. Dans cet infini, l’eau et le ciel n’ont ni commencement ni fin. Nous semblons assister à une des premières heures de la naissance du monde. C’est mystérieux, poétique, délicieusement irréel ; la sensation est étrange ; c’est un malaise et un plaisir se voir entouré d’eau de tous côtés sans en être touché.

Claude Monet, Nymphéas, 1905, museum of Fine Arts, Boston (détail) 90 x 100 cm

Vient ensuite un intéressant développement sur la méthode de création de ces oeuvres. Derrière le pronom impersonnel on est tenté de voir la personne de Blanche Hoschedé-Monet, mais en 1908 elle est mariée et vit près de Rouen. Est-ce Alice, alors, qui se dévoue pour le rôle d’assistante ? Monet requiert-il les services de l’un.e de ses employé.e.s ? Nous ne le saurons pas.
Selon Gimpel, ce n’est pas l’ensemble de couleurs d’un éclairage nouveau qui entraîne le changement de toile, mais une seule couleur nouvelle. On peut se figurer que Monet observe un endroit particulier et y retrouve soudain le même bleu ou le même rose que la veille. Ce ton précis commanderait alors tout l’accord chromatique du tableau. Il est néanmoins possible que Gimpel ait retranscrit imparfaitement les explications du peintre.

« Toute la journée je travaille sur ces toiles, » nous dit Monet. « On me les apporte les unes après les autres. Dans l’atmosphère, une couleur réapparaît qu’hier j’avais trouvée et esquissée sur une de ces toiles. Vite, on me passe le tableau et je cherche autant que possible à fixer définitivement cette vision, mais en général, elle disparaît aussi rapidement qu’elle a surgi pour faire place à une autre couleur déjà posée depuis plusieurs jours sur une autre étude qu’on met presque instantanément devant moi… et comme cela toute la journée !

– Je comprends, monsieur Monet, pourquoi vous n’aimez pas être interrompu, aussi en vous remerciant nous allons vous quitter.
– Venez encore voir ma salle à manger. » Il nous montre une pièce très rustique mais d’un raffinement oriental, avec juste une couche de couleur, un jaune ton sur ton, un jaune Monet, couleur de son génie le jour où il le composa, et c’est pourquoi on ne le retrouvera jamais.
Quand nous le quittons, la porte presque déjà fermée, il nous crie : « Revenez me voir au début d’octobre, les jours baissent, je prends quinze jours de repos, nous bavarderons. »

Source : René Gimpel, Journal d’un collectionneur marchand de tableaux, éditions Calman-Lévy, 1963

En lisant ces lignes, nous sommes aussi surpris que Gimpel et Bernheim ont dû l’être. Pour quelqu’un qui refuse toute visite, celle-ci paraît trop courte à Monet. Une fois lancé dans son rôle, on ne l’arrête plus. Il paraît se nourrir de l’admiration éclairée de ses visiteurs. Elle le sort de son tête à tête douloureux et exaltant avec la peinture. Il en redemande, au point de les inviter à revenir.

Au moment d’illustrer ce billet, me voilà bien embarrassée. Car j’ai beau chercher dans le catalogue raisonné de Monet, je ne trouve aucune toile de 1908 ou antérieure qui ait les dimensions estimées par René Gimpel. Elles sont toujours plus petites, souvent presque carrées, ou encore au format portrait. J’ai tendance à faire confiance à l’oeil de Gimpel pour mesurer sans mètre : en tant que marchand de tableaux, il devait avoir l’habitude. Wildenstein classe avant la Première Guerre mondiale les séries de Nymphéas, mais aucun panneau décoratif de grande ampleur. Monet aurait-il détruit tous ceux que Gimpel et Bernheim ont vus ? Ou Wildenstein a-t-il arbitrairement classé les panneaux vus par les marchands à une date plus tardive ?


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Ariane.

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