Le champ aux coquelicots de l’Art Institute of Chicago est de retour sur les lieux où Monet l’a peint. Jusqu’au 1er juillet 2007, on peut le voir au Musée d’Art Américain de Giverny dans le cadre de la grande rétrospective des quinze ans du MAAG.
Monet s’est installé dans un pré de la plaine des Essarts, dans la vallée de la Seine. La vue est prise vers le nord, là où la colline de Giverny rejoint celle de Vernonnet.
Monet a peint une série de quatre toiles avec le même cadrage. Elles se trouvent aux Etats-Unis, à Northampton, Boston et Chicago, la quatrième en collection particulière.
C’est l’été de 1890, l’été qui précède les Meules, la révélation au public du principe de la série, l’engouement des collectionneurs et le succès critique. Georges Clemenceau vient voir Monet le 27 juillet, première visite de l’homme d’Etat au peintre dont on ait la trace. Médusé, Clemenceau – qui est aussi journaliste et critique d’art – assiste à une séance de travail sur les quatre Champs de coquelicots :
« J’ai souvent raconté comment, un jour, j’avais trouvé Monet devant un champ de coquelicots, avec quatre chevalets sur lesquels, tour à tour, il donnait vivement de la brosse à mesure que changeait l’éclairage avec la marche du soleil. (…) J’eus le sentiment d’une étude d’autant plus précise de la lumière que le sujet immuable accusait plus fortement la mobilité lumineuse. C’était une évolution qui s’affirmait, une manière nouvelle de regarder, de sentir, d’exprimer, une révolution. »
Clemenceau a l’intuition de l’importance de ces oeuvres, recherche de ne saisir rien d’autre que les variations de la lumière. L’expérience des quatre chevalets paraît toutefois avoir été sans lendemain, Monet se contentant par la suite de transporter plusieurs toiles mais un seul chevalet.
Variations de la lumière : difficile d’en juger sans voir les oeuvres côte à côte. Dans le tableau venu de Chicago, les contrastes semblent atténués, la lumière un peu sourde, alors qu’en reproduction cette toile paraît la plus lumineuse des quatre.
Le sujet retenu n’est qu’un prétexte à de grandes claques de couleur, des couleurs heurtées qui ne s’harmonisent pas en dégradés ou en complémentaires mais s’opposent avec violence. Pas de motif « pittoresque » : rien de bien remarquable dans cette prairie bordée de quelques arbres, si ce n’est cette mer de coquelicots vermillon courbés par le vent qui s’étire sous un ciel d’un azur intense.
Le tableau donne à voir très peu de choses, et surtout rien d’humain, ni figure, ni maison, ni chemin. Rien que les impressions colorées que donne un bout de paysage, ces rouges, ces verts et ce bleu saturés, et les silhouettes plus sombres des arbres en ombres chinoises. Un tel vide confère aux arbres quelque chose d’une présence, comme si l’oeil cherchait à tout prix à y trouver une forme humaine.
J’étais arrêtée devant la toile quand une dame s’est approchée.
– Oh ! Un Monet ! s’est-elle exclamée, surprise de découvrir enfin un nom connu d’elle parmi des dizaines de peintres américains. Et sans reprendre son souffle, elle a ajouté, « mais pas des meilleurs ! »
J’ai caché mon sourire. J’adore ces personnes à l’expertise instantanée, capables d’évaluer une oeuvre sans l’avoir regardée. Tout de même, ce que laisse entendre cette remarque sévère est de l’ordre de la déception de ne pas retrouver dans ce Monet le frisson éprouvé devant d’autres.
Claude Monet moqué puis adulé par ses contemporains reste encore difficile à comprendre aujourd’hui. Mystère d’un peintre qui ne cherche pas à plaire mais à faire, qui suit sa route en n’écoutant que sa voix intérieure, de révélation en crise, de découragement en éblouissement. Monet qui se moque des critiques acerbes ou louangeuses présentes ou futures, et qui a une idée personnelle, parfois non consensuelle, de ce qui mérite d’être peint.
Excellent billet, comme toujours.
Bonne continuation.
Je viens d’aller voir le dernier dessin animé de Miazaki où il est justement question d’une colline et de coquelicots.
A un moment du film, il y a un tableau accroché au mur, il ressemble de très prés à un Monet de cette série.
C’est certainement un clin d’œil vu que des coquelicots il y en a souvent dans ce film d’animation.
Désolé pour ce commentaire à contre saison, mais il y a peine une semaine, j’ai également vu des coquelicots à Angoulême (un 28 janvier). Deux heures après c’était la grêle, 24 heures plus tard, la neige…
Des coquelicots en fleurs en janvier, à Angoulême ? Etonnant, non ? Ce sont les fleurs qui étaient à contre saison, mais la neige va leur remettre la pendule à l’heure !