Les Monet du Muma

Claude Monet, Le musée du Havre, 1873, 75 x 100 cm, National Gallery, Londres

Le musée André Malraux du Havre (Muma) possède six oeuvres de Claude Monet, dont la moitié a été fournie par le peintre lui-même. En 1911, Claude Monet a fait preuve de générosité en cédant à la ville du Havre trois tableaux en échange de « ce que la commission voudrait bien [lui] offrir ». La transaction s’est montée à 3000 francs, à une époque où chacune de ses toiles se négociait cinq ou dix fois ce prix. Il importait à l’artiste d’être présent dans les collections du musée du Havre qu’il connaissait sans doute très bien, pour avoir passé son enfance et son adolescence dans la cité portuaire. Le bâtiment du musée, ouvert en 1845, l’année où les Monet s’installent au Havre, figure à l’arrière-plan de l’une de ses vues du port, conservée à la National Gallery de Londres.

L’édifice n’existe plus, mais les collections ont été sauvées des bombardements. Voici les oeuvres envoyées par l’artiste, classées dans l’ordre de leur exécution :

Claude Monet, Les Falaises de Varengeville, ou Petit Ailly, Varengeville, plein soleil, 1897, Muma, Le Havre

Pure merveille de touche et de coloris, Les Falaises de Varengeville nous transporte au-dessus de la Manche. L’échelle est donnée par la cabane des douaniers et les bateaux au loin. C’est le titre qui aide à reconstituer la scène, car les falaises sont invisibles : le peintre se trouve à leur sommet.
En 1897, Monet retourne sur la côte normande pour reprendre des motifs qu’il aime et qu’il a déjà peints en leur appliquant le principe de la série. Il va répéter cinq fois le point de vue de ces Falaises. Le ciel y est réduit à une mince bande tout en haut du tableau.

Claude Monet, Le Parlement de Londres, effet de brouillard, 1903, MuMa, Le Havre

Monet aimait Londres pour son brouillard, source de multiples effets de lumière sur la Tamise. Dans cette toile aux tons sourds, la silhouette du Parlement se découpe en bleu à travers un voile teinté de rose. Deux embarcations tout juste esquissées traversent le premier plan, comme une réminiscence des barques d’Impression, soleil levant peintes au Havre. Là encore, Monet choisit une toile faisant partie d’une série, mais cette fois, il s’agit d’un motif extérieur à la Normandie, peut-être pour montrer l’envergure internationale de son oeuvre.

Claude Monet, Les Nymphéas, 1904, MuMa, Le Havre

Enfin, Monet complète le lot avec un tableau de Nymphéas, caractéristique de son travail sériel dans son jardin de Giverny. Les radeaux de nénuphars colorés flottent à la surface du bassin, environnés des reflets des grands arbres qui ombragent la berge. Quelques touches de bleu au premier plan sont la seule allusion au ciel : une petite trouée entre les branches, hors cadre, se reflète à la surface de l’eau. Monet joue avec virtuosité des différents plans pour donner de la profondeur et du volume à son tableau, en laissant deviner ce qui se trouve hors de la scène décrite.

Claude Monet, Soleil d’hiver, Lavacourt, 1879-80, MuMa, Le Havre

Deux autres tableaux ont été légués par des collectionneurs havrais au musée de leur ville. Cette vue de Lavacourt, le village face à Vétheuil, au plus froid de l’hiver a appartenu à Charles-Auguste Marande, négociant en coton. Un pâle soleil s’élève à l’horizon, teintant d’un orange doux le ciel et son reflet dans le ruban de la Seine. La plaine est couverte de givre évoqué par des touches horizontales blanches et gris-bleu. L’herbe transparaît sous le givre en touches vert sombre. L’attention porté à l’éclairage fugace de l’instant, la facture rapide en font une oeuvre typique de l’impressionnisme de Monet, avant les séries.

Claude Monet, La Seine à Vétheuil, 1878, MuMa, Le Havre

La Seine à Vétheuil a fait partie de la collection d’Olivier Senn, autre négociant en coton havrais.
A la fin de l’été 1878, peu après son arrivée dans le bourg des bords de Seine, Monet a utilisé son bateau-atelier pour exécuter ce paysage depuis le milieu du petit bras du fleuve. Les eaux calmes reflètent les arbres des berges comme un miroir. La toile entière ruisselle de lumière, grâce à l’usage de tons clairs et de petites touches mêlant les roses, les bleus et les verts. Un audacieux ciel presque turquoise couronne la scène, tout en s’étirant dans le reflet.

Claude Monet, Fécamp, bord de mer, 1881, MuMa, Le Havre

Enfin, voici une toile acquise par le musée en 1994, avec l’aide du Fonds régional d’acquisition des musées de Haute-Normandie et du Fonds du Patrimoine. A l’hiver 1881, Monet habite encore Vétheuil mais il a pris goût à la peinture de marines après un séjour chez son frère aux Petites-Dalles. Il passe un mois à Fécamp en début d’année et peint ici une mer agitée sous un ciel couvert. Une lueur jaune à l’horizon laisse penser que le soleil va bientôt apparaître sous les nuages. L’artiste a saisi un instantané de cette scène pleine du mouvement des vagues et du vent.

Célestine Monet

La deuxième épouse du père de Claude Monet, donc la belle-mère du peintre, avait pour prénoms Amande Célestine, mais elle signe son acte de mariage très lisiblement C. Vatine : le prénom usuel était le deuxième dans l’ordre de l’état-civil, comme pour son époux Claude Adolphe.

Célestine avait 36 ans de moins qu’Adolphe. Elle était née à Criquetot l’Esneval, un bourg situé non loin d’Etretat, le 4 mars 1836, d’une mère fileuse, Marie Rose Vatine, et d’un père qui n’avait pas voulu la reconnaître. Marie Rose, alors âgée de 23 ans, avait accouché chez sa mère, avec laquelle elle habitait. Celle-ci était assistée d’une collègue fileuse, Rose Bachelay, veuve Hauguel. L’acte de naissance de Célestine précise que Rose Bachelay avait 61 ans et était présente à l’accouchement. C’est elle qui s’est occupée de la déclaration en mairie, mais elle ne signe pas l’acte : elle déclare au maire qu’elle ne sait pas écrire.

De quel milieu social est issue Célestine ? Le recensement de 1841 indique que les Vatine habitaient dans la rue Aréauville, aujourd’hui rue Haréauville. On trouve 8 personnes dans leur foyer : Françoise Avenel veuve Vatine, la grand-mère de Célestine. Elle est fileuse, tout comme sa fille Ursule Vatine. Ce métier revient sans cesse dans le recensement. En pays de Caux, on produit du lin, une activité qui donnait du travail aux hommes et aux femmes. Rose et Marie étaient tisserandes. Les hommes étaient journaliers, c’est-à-dire qu’ils travaillaient aux champs pour le compte d’autres personnes, à la journée : un métier précaire.

Françoise Avenel veuve Vatine est la seule personne qui ne soit pas cochée comme célibataire. L’acte de naissance de sa fille aînée Ursule nous apprend que Françoise a épousé un journalier, Jean Baptiste Félix Vatine, plus âgé qu’elle de sept ans. Le mariage a eu lieu le 24 mai 1810. Huit mois plus tard, la naissance de la petite Ursule est déclarée par son père, qui ne sait pas écrire ni même signer.

Après la ligne consacrée à Françoise suivent Ursule, Rose, Marie, Jean, Pierre, Amanda et Gérard Avenel. Comme ce dernier est noté célibataire, je suppose que c’est le beau-frère de Françoise, ou alors un oncle de feu son mari. Je ne m’explique pas qu’Amanda soit journalière. Si c’est la nôtre, elle n’a que cinq ans. Serait-ce sa tante ? En admettant que toutes les personnes listées soient frères et soeurs, Françoise aurait eu 6 enfants.

Pour tenter de comprendre les liens qui les unissent, reportons-nous au recensement suivant. En 1846, les âges et les relations familiales sont indiqués. Françoise Vatine, la grand-mère de Célestine, a 55 ans. Elle a à sa charge sa fille Ursule, 35 ans, « indigente et impotente » et vit avec sa fille Rose, fileuse, qui a 33 ans. Tiens ! la petiote, âgée de dix ans, ne se fait pas encore appeler Célestine mais Amanda. A moins que ce soit l’agent recenseur qui préfère indiquer le premier prénom. Elles sont donc 4 femmes dans le foyer. Comme Rose a 33 ans, ce doit être le prénom usuel de la mère d’Amanda Célestine, puisqu’elle avait 23 ans à sa naissance.

Cinq ans plus tard, en 1851, elles ne sont plus que trois. Ursule n’est plus là. Amanda a 15 ans et elle ne travaille pas encore. Marie, sa jeune tante ? a regagné le foyer, mais sa mère Rose en est partie. Pour devenir domestique ?
Pour connaître avec certitude les liens familiaux, il faudrait chercher les actes de naissance et de décès de ces personnes.

En 1856, Françoise n’est plus capable de filer, à 65 ou 66 ans. Elle est déclarée indigente secourue par la charité. L’agent recenseur la nomme Marie plutôt que Françoise. Est-ce son premier prénom ? On retrouvera encore la grand-mère Vatine née Avenel dans le recensement dix ans plus tard, mais la mention de son indigence disparaîtra.

Elle vit avec sa fille Marie, qui s’est mariée et a deux enfants, Eugène et Paul. Le papa, M. Villain, ne réside pas avec eux. Rose et Amanda Célestine pas davantage. Sont-elles parties au Havre ? Et ce que j’aimerais savoir : à quel âge Célestine entre-t-elle au service d’Adolphe Monet ?

Le père de Claude Monet se remarie

Voici l’acte de mariage d’Adolphe Monet et de Célestine Vatine, enregistré à la mairie du Havre le 31 octobre 1870.

Transcription :

Du lundi 31 octobre 1870 à 4 heures du soir, acte de mariage du sieur Claude Adolphe Monet, rentier, né à Paris (paroisse Saint-Eustache) en février 1800, demeurant au Havre, 4 rue de l’Alma, fils majeur de feu Pascal Monet, décédé à Sainte-Adresse, de cet arrondissement, le 27 avril 1851, et de feue Catherine Chaumerat, y décédée le 20 septembre 1855, veuf de Louise Justine Aubrée, décédée au Havre le 28 janvier 1857, d’une part.

Et demoiselle Amande Célestine Vatine, sans profession, née à Criquetot l’Esneval, de cet arrondissement, le 4 mars 1836, demeurant au Havre, même rue, fille majeure et non reconnue de Marie Rose Vatine, d’autre part.

Les publications de mariage ont été faites au Havre devant la principale porte d’entrée de notre hôtel de ville, les dimanches 16 et 23 de ce mois, à midi, et affichées au termes des articles 63 et 64 du code Napoléon, sans qu’il ait été signifié d’opposition.

Sur notre interpellation et conformément à la loi, les futurs nous ont déclaré que leur contrat de mariage avait été reçu le 21 de ce mois par Maître Daiwoy (?), notaire au Havre et ils nous ont fait remise du certificat qui le constate.
Ils ont produit et déposé :

  1. Les actes de décès des père et mère du futur
  2. L’acte de naissance de la future
  3. Le futur justifie de sa naissance par son acte de baptême, ne pouvant produire un acte officiel, vu l’investissement de Paris

Le tout en bonne forme. Après lecture faite par nous de ces pièces, ainsi que du chapitre 6 du titre 5 du code Napoléon intitulé Du Mariage, articles 212 et suivants, les dits comparants ont déclaré prendre en mariage l’un : Amande Célestine Vatine
et l’autre Claude Adolphe Monet

et à l’instant les dits époux nous ont déclaré avoir eu avant leur présent mariage un enfant du sexe féminin né au Havre le 3 janvier 1860, où il est inscrit sous les

prénom et nom de Marie Vatine, qu’ils reconnaissent cet enfant pour leur fille légitime, et prétendent la faire jouir de tous les droits et prérogatives que la loi lui accorde en qualité de légitime héritière.

En présence des sieurs Alfred Tourret, âgé de 54 ans, négociant, Anthime Lemaire, propriétaire, âgé de 50 ans, Joseph Arbareri, épicier, âgé de 73 ans, et Alfred Peschet, âge de 31 ans, employé, tous quatre amis des époux, demeurant au Havre.

Ensuite de quoi nous, Jacques Louer, adjoint de M. Le Maire du Havre, remplissant par délégation les fonctions d’officier public de l’état-civil, avons prononcé qu’au nom de la loi les dits époux sont unis en mariage et après lecture faite et en présence de tous, ils ont signé avec nous, ainsi que les témoins le présent acte fait double dans le local ordinaire de la mairie, où le public a été admis.

(Signatures de Louer adjoint, C. Vatine, A. Monet, J. Arbareri, Lemaire, A. Peschet, A. Tourret fils)

Notes : selon le Littré, l’investissement est l’action d’investir une place, une ville, une maison, c’est-à-dire de les entourer et d’en couper toutes les communications. En octobre 1870, Paris est assiégé par les Prussiens, le service du courrier n’est pas assuré.
Il paraît aujourd’hui étonnant de ne pas connaître sa date de naissance, et l’acte de baptême la précise sûrement. Mais l’officier d’état-civil avait sans doute ordre de ne transcrire que les dates issues de documents établis par une mairie.
Je suis frappée par la signature d’Adolphe Monet ; elle est comme hérissée de piquants, et suivie d’un paraphe compliqué. Un homme pas commode, dirait-on.


Marie Monet

La petite demi-soeur de Claude Monet, Marie, est née le 3 janvier 1860 à six heures du soir. Sa mère se nomme Célestine Amande Vatine (on remarquera le lapsus de l’officier d’état-civil ou de la sage-femme déclarante qui orthographie son prénom Amanthe…). Célestine n’est pas rentrée chez sa maman à elle pour accoucher (pour travailler jusqu’au dernier jour ???). Elle a, très modernement, donné naissance à son bébé à la maternité du Havre.

Célestine était enceinte des oeuvres d’Adolphe Monet, père de Claude et Léon Monet. Adolphe était son employeur, elle travaillait chez lui comme domestique. En janvier 1860, Adolphe est veuf depuis quatre ans. Né avec le siècle, il a tout juste 60 ans. Célestine se vieillit dans les informations qu’elle a confiées à la déclarante. Née le 4 mars 1836, elle n’a encore que 23 ans. Avec un tel écart d’âge, difficile de croire à une romance. Pour elle, l’histoire se répète. Fille naturelle elle-même, elle donne naissance à un enfant que son père ne veut d’abord pas reconnaître.

Heureusement pour elle et pour la petite Marie, Célestine va s’en sortir mieux que sa mère Rose. La mention marginale de l’acte de naissance de Marie fait état du mariage de ses parents, qui la légitime. Ce mariage a lieu dix ans plus tard, ce qui laisse deviner une relation au long cours. Adolphe avait fini par s’attacher à la mère et à l’enfant, il faut croire. Et par prendre ses responsabilités. Pas trop tôt.

La venue de l’avenir

Grande ville oblige, La Venue de l’avenir de Cédric Klapisch est toujours à l’affiche au Havre, tandis que le film ne passe plus à Vernon, où le réservoir de spectateurs est beaucoup plus réduit. Une scène se déroule au Havre, au musée d’art moderne André Malraux, une autre est située à Giverny, chez Monet.

Ce sont mes gentilles collègues, toutes plus enthousiastes les unes que les autres, qui m’ont encouragée à voir ce film. Elles ont eu raison, j’ai passé une bonne soirée et je le reverrai avec plaisir. Cela va sans dire, cette fiction n’est pas un documentaire sur la peinture de Monet. C’est un conte. Le contexte impressionniste n’est qu’un décor, un prétexte, et le réalisateur a laissé libre cours à son imagination.

C’est un film sur la famille, qui effleure avec délicatesse les questions sans y apporter de réponses. Qu’est-ce qui fonde la famille ? Est-ce qu’avoir des ancêtres communs nous lie ? Comment pouvons-nous être apparentés tout en étant si différents ? Sommes-nous contraints à une forme d’intimité avec nos lointains cousins, parce que ce sont des cousins ? Est-ce que les histoires se répètent de génération en génération ? Héritons-nous de goûts, de traits de personnalités de nos ancêtres, à notre insu ?

La question de la famille est si vaste qu’il est impossible de la traiter en l’espace d’un film. Klapisch laisse les histoires en suspens, comme s’il envisageait de les reprendre dans un prochain opus. J’ai vu tout de même une espèce de conclusion, sous forme de métaphore : la famille est un trésor inestimable. Qu’allons-nous faire de ce trésor ?

Se découvrir des cousins avec l’aide d’un généalogiste est certainement très touchant. Mais rencontrer ses demi-frères et soeurs à l’âge adulte est autrement bouleversant. Cela peut être une joie et un enrichissement, comme j’en ai fait l’expérience. Ou tout l’inverse. On ne sait pas quand Léon et Claude Monet, pour leur part, ont appris qu’ils avaient une demi-soeur, ni ce qu’ils ont ressenti à ce moment-là. La correspondance entre les frères, si elle existe encore, n’est pas publiée.

Selon Daniel Wildenstein, ils se seraient sans doute bien passés de Marie, leur jeune demi-soeur, qui réduisait leur part d’héritage, puisqu’il fallait partager en trois et non en deux. Le ressentiment justifié de Monet à l’égard de son père était si intense qu’il est probable qu’il n’ait pas cherché à rencontrer sa petite demi-soeur, née 19 ans après lui, le 3 janvier 1860. Je l’imagine plein de mépris, à son tour, envers la « conduite » de son père. Adolphe avait légitimé sa maîtresse le 31 octobre 1870, deux mois et demi avant de mourir. Par la même occasion, la petite Marie Vatine devenait Marie Monet, et se trouvait protégée d’une misère noire grâce à la succession de son père.

Qu’a ressenti Marie face au rejet présumé de ses demi-frères ainés ? En a-t-elle été peinée ? Elle avait onze ans au décès de leur père Adolphe, et elle s’est éteinte onze ans plus tard, le 20 décembre 1881, à quelques jours de son 22e anniversaire.

Acte de décès de Marie Monet, archives de la Seine-Maritime 4E8901 page 422

La tombe du père de Monet

Le cimetière de Sainte-Adresse s’étend tout en haut de la commune, avec vue mer ou vallon quand on s’approche de ses bords. Les tombes récentes se mêlent aux anciennes, à mesure que ces dernières sont délaissées. Ce mélange ne facilite pas la recherche, et je pense que je n’aurais jamais trouvé sans l’aide providentielle d’une dame qui, me voyant cheminer entre les rangées, a pensé que je m’intéressais aux parents du général de Gaulle. Quand je lui ai dit que c’était plutôt la famille de Monet, elle m’a répondu : oh ! la tombe est juste à côté de la mienne.

Le père de Claude Monet se nommait Adolphe Monet. Claude était un prénom de famille, qu’on retrouve sur plusieurs générations chez les Monet, mais qui n’était pas le prénom usuel du papa de l’artiste.
Selon son acte de décès ci-après, Adolphe Monet est décédé à son domicile de Sainte-Adresse le 17 janvier 1871 et a été enterré dans la même commune.

La déclaration de décès est faite par un jardinier, Eugène Mons, et un entrepreneur, Ernest Hérouard. Aucun de ses deux fils n’est présent : c’est la guerre avec la Prusse. Claude est en exil à Londres avec femme et enfant, Léon et sa famille sont installés près de Rouen.

J’ai été frappée par l’aspect de la tombe du père de Claude et Léon Monet : elle est recouverte de petits cailloux gris ; une stèle toute simple porte une plaque qui semble récente. Est-ce bien là la dernière demeure d’un commerçant en vue, l’un des notables de la ville portuaire ? A-t-elle toujours été ainsi, sans pierre tombale ? On sait que Claude était fâché avec son père, qui n’avait jamais accepté ni Camille, ni leur fils Jean, et les avait laissé mourir de faim. Mais Léon ? Partageait-il ce ressentiment, lui dont la conduite et la carrière avaient toutes raisons de donner satisfaction à leur père ?

Je me demande qui s’est occupé des obsèques. Peut-être la jeune femme qu’Adolphe venait d’épouser au Havre, sa domestique Amande Célestine Vatine ? Envisageait-elle de le rejoindre un jour dans cette tombe ? En tout cas Adolphe n’est pas allé rejoindre sa première épouse, Louise Justine Aubrée, la mère de Léon et Claude, qui était inhumée au Havre. (Sa tombe n’existe plus, elle a été détruite par les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale.)

Je m’imagine qu’il s’agit d’une concession à perpétuité. Je n’ai pas pu localiser les tombes des grands-parents Monet, Pascal Monet décédé le 27 avril 1851 et Catherine Chaumerat-Monet qui s’est éteinte le 21 septembre 1855, ni celle de Jacques Lecadre (30 septembre 1858) et de la fameuse tante Jeanne Lecadre née Gaillard, fidèle soutien de Claude, morte en 1870. Peut-être sont-elles tout simplement trop anciennes, à moins que les gravures en soient devenues illisibles.

Le parler du Vexin

Claude Monet, Fin d’après-midi, Vétheuil, 1880

Dans son ouvrage Vétheuil, un village et son église, Pierre Champion livre une foule de détails historiques sur le bourg du Val d’Oise où Monet a séjourné pendant trois ans, de 1878 à 1881. Le plus inattendu d’entre eux est peut-être la façon dont on prononçait le nom de Vétheuil jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale :

F’teu, c’était Vétheuil, aussi invraisemblable que cela paraisse à nos oreilles. C’était sans doute la manière ancestrale de dire. En effet l’accent aigu de Vétheuil n’apparaît qu’à la fin du XVIIIe siècle sur les cartes de la région. On prononçait donc ou Veu-theuil ou Vetheuil, l’e muet étant facilement élidé, d’où V’theuil, devenu F’theuil. On ne mouillait pas la finale d’où F’teu.

Voilà le genre de parler local, « cette espèce de patois pratiqué par la plus grande partie de la population » au XIXe siècle, auquel les oreilles des Monet-Hoschedé ont dû s’habituer. Ce n’est pas à proprement parler une autre langue, mais une façon de prononcer, des tournures qui devaient dérouter cette famille d’un milieu social différent, dont l’élocution se rapprochait probablement du français standard.

Un effet de sept minutes

Claude Monet, Les quatre arbres, 1891, Metropolitan museum of Art, New York

Lilla Cabot Perry a été l’amie de Claude Monet, une amitié qui l’a conduite à passer une dizaine d’étés à Giverny. Le peintre lui rendait volontiers visite après déjeuner, le temps d’une cigarette fumée dans son jardin de la maison du Hameau.
Dans ses souvenirs sur son illustre voisin publiés au lendemain de la mort de Monet, Lilla Cabot Perry donne certains détails qu’elle est la seule à avoir recueillis. C’est ainsi que Monet, alors qu’il travaillait à la série des Peupliers, lui aurait confié qu’un de ses effets ne durait que sept minutes, le temps que le soleil atteigne une certaine feuille d’un arbre.

Claude Monet, Les Peupliers, automne, 1891, collection particulière

Il ne faudrait pas en conclure à tort que la lumière change toutes les sept minutes à Giverny. Certains des effets captés par Monet duraient jusqu’à une demi-heure, selon des précisions confiées à Marc Elder. Mais celui-ci était particulièrement court.

Je regrette que nous n’ayons pas de renseignements sur l’identité de la toile dont il s’agit. On peut toutefois supposer qu’elle n’est pas surchargée de peinture.

Claude Monet, Peupliers sur l’Epte, 1891, National Gallery, Londres

A la réflexion, ce n’est pas tant l’oeil exacerbé de Monet, son perfectionnisme dans la recherche de la pureté de l’effet qui m’impressionnent dans cette anecdote, ni même le fait qu’il ait crû bon de se vanter de la brièveté du moment auprès de sa voisine, peintre elle-même. C’est, très prosaïquement, le fait que Monet était en possession de ce renseignement. Comment savait-il que son effet ne durait que sept minutes ?

J’imagine la scène. Le premier jour où Monet est interpelé par cette luminosité particulière de l’instant, il se hâte de peindre sur une toile neuve, pour s’apercevoir à peine plus tard que c’est déjà fini ; il ne lui reste plus qu’à espérer retrouver cet éclairage-là le lendemain puis les jours suivants pour poursuivre son étude. Bigre ! se dit-il, c’était rudement court ! Peut-être raconte-t-il cela à la table familiale, peut-être lui suggère-t-on de chronométrer l’effet pour avoir une estimation objective de sa durée. Il est aussi possible qu’il ait eu envie de le savoir par lui-même. Toujours est-il qu’il pense, par la suite, à tirer sa montre de sa poche au moment où il constate le début de l’effet, à noter l’heure, puis à vérifier combien de minutes se sont écoulées quand il se voit contraint de poser ses pinceaux.

C’est Monet qui s’observe en train de se confronter à la nature. Il veut quantifier le défi qu’elle lui lance, et le relever.

Détail d’une photo de Claude Monet en 1905 par Jacques-Ernest Bulloz montrant sa chaîne de montre

Ce geste que nous avons perdu aujourd’hui de sortir sa montre de son gousset, Marc Elder en fait l’incipit de son livre A Giverny, chez Claude Monet paru en 1924 :

Le maître tire sa montre :
– Dix heures et demi, dit-il, allons les voir : ils sont ouverts.

Ils, ce sont les nymphéas, visités à l’époque des roses.

Giverny au coeur de l’été

Giverny, le bassin aux nymphéas de Monet, 11 juillet 2025
Certains nénuphars, replantés en hiver puis à nouveau en juin, arborent des couleurs nouvelles, comme ceux-ci au rouge pivoine profond. A côté, les fidèles nymphéas jaunes pâles s’épanouissent.
Voici un nymphéa violet qui n’aurait sans doute pas déplu à Monet.
Quelle joie de s’émerveiller à nouveau devant la beauté des nénuphars, qui ont donné du fil à retordre aux jardiniers cette année.
Les nymphéas blancs, familiers du paysage conçu par Monet, gardent tout leur charme, en compagnie de feuilles bien rondes aux teintes changeantes.

Paul Jouve

Paul Jouve, Panthère dévorant un serpent, (détail) 1932, mosaïque, Musée des Années 30, Boulogne-Billancourt, dépôt de l’académie des Beaux-Arts

C’est de près que l’on apprécie le mieux la beauté de cette mosaïque animalière de Paul Jouve au musée des Années 30 de Boulogne-Billancourt.

De loin, voici la scène imaginée par l’artiste animalier, transcrite en mosaïque par les ateliers Gaudin :

Paul Jouve, Panthère dévorant un serpent, 1932, mosaïque, Musée des Années 30, Boulogne-Billancourt

Ce n’est pas ce qu’il y a de plus doux à contempler. L’oeuvre est pleine de force, de puissance, de violence meurtrière. Le python est en train de chercher à étouffer la panthère, mais celle-ci, la patte antérieure posée sur le serpent, les crocs plantés derrière sa tête, aura le dessus.

Je me demande si une telle scène est plausible. Je m’interroge sur le titre : le félin va-t-il vraiment se nourrir du serpent ? Le titre alternatif Panthère noire combattant un python donné par l’Institut de France me paraît plus exact.

Paul Jouve, Panthère noire dans un arbre, Lithographie rehaussée à la tempera, fusain, gouache, fonds repris à la feuille d’or, musée Blanche-Hoschedé-Monet, Vernon

La panthère noire ! C’est l’animal fétiche de Jouve, lui qui nous l’a fait connaître en étant le premier illustrateur du Livre de la jungle de Kipling. Artiste animalier de premier plan, Jouve a marqué le début du XXe siècle, quand les représentations des animaux envahissaient les Salons et les salons. Le musée de Boulogne-Billancourt et celui de Vernon possèdent chacun plusieurs de ses oeuvres.

Le musée de Vernon, dont l’une des spécialités est l’art animalier, consacre actuellement une exposition aux « Animaux Art déco », à voir jusqu’au 21 septembre 2025. Elle est enrichie de prêts exceptionnels du musée d’Orsay, du centre national des arts plastiques, du musée François Pompon et de l’association Armand Petersen.

Paul Jouve, Lion et python, vers 1930, huile et fusain sur carton, musée Blanche-Hoschedé-Monet, Vernon – Dépôt du Fonds National d’Art Contemporain

En bonne place dans l’expo se trouve un tableau de Jouve habituellement présenté dans les salles animalières du musée. C’est une version plus carrée du combat entre un félin et un serpent, avec un lion en lieu et place de la panthère. Le jeu des lignes, le fonds doré évoquant la mosaïque ne laissent pas de doute sur l’intention décorative de l’oeuvre.

Ma biographie de Monet

Ariane Cauderlier, Claude Monet, des impressions du Havre aux nymphéas de Giverny
éditions Orep, 96 pages, 19,90 euros

Ma biographie de Claude Monet est sortie de presse mardi et vient d’arriver en librairie. Comme vous le voyez sur cette photo prise à la boutique de la maison de Monet, elle est au format d’un magazine et pas trop longue à lire : 96 pages largement illustrées de photos, de tableaux et de dessins.

J’y raconte toute la vie de Monet, de sa naissance à sa mort, en mettant l’accent sur des aspects souvent passés sous silence : des précisions sur son enfance, l’importance de la Normandie dans la construction de sa personnalité et dans son oeuvre, les multiples raisons du choix de Giverny, celles de son attirance pour Alice Hoschedé, l’évolution de ses relations avec les villageois…

Je me suis appuyée sur mes propres recherches pour détailler comment Monet agrandit progressivement son domaine et sa maison, fait construire, crée ses jardins. En plus de donner à voir ses principaux tableaux et des portraits de lui au fil des années, j’ai voulu présenter l’homme qu’il a été.
La biographie se poursuit au-delà de sa mort jusqu’à aujourd’hui avec la restauration de sa propriété de Giverny et l’ouverture de celle-ci au public. Huit pages sont consacrées à l’aspect actuel des lieux.

J’avais des craintes avant de commencer ce projet qui était une demande de l’éditeur et j’ai hésité plusieurs années avant de m’y mettre, mais une fois lancée, l’écriture et le choix des illustrations ont été des moments de pur bonheur. J’ai adoré raconter le chemin de vie de Monet. Sa façon de faire face, d’assumer ses choix, de se battre jusqu’à imposer son talent est exemplaire, tout autant que sa grande tendresse pour les siens. J’espère avoir contribué à donner une image nette de sa personnalité, si inspirante pour de très nombreuses personnes.

Erigeron

Faut-il ou non accepter les fleurs sauvages dans un jardin ? Et surtout : lesquelles bichonner, et lesquelles bannir ?
Il m’a fallu du temps pour comprendre que les petites fleurs blanches ci-dessus, qui ensoleillent les massifs de Giverny dès le mois de juin, n’étaient pas des asters précoces mais des érigerons. Je pense qu’il s’agit ici d’Erigeron annuus. Chez Monet l’érigeron, alias vergerette, est planté pour apporter une touche de couleur claire dans certains massifs. Les jardiniers l’ont à l’oeil afin qu’il n’aille pas se répandre à tort et à travers aux alentours.
En ce moment, les érigerons sont partout le long des routes et des chemins, car ils sont bien décidés à coloniser toutes les terres colonisables. Surtout le redoutable Erigeron canadensis. Juste retour des choses, puisqu’il provient du Canada, une terre que les Européens sont allés coloniser il y a quelques siècles. Il est devenu résistant au glyphosate, un cauchemar pour les agriculteurs, et dans le canton de Fribourg, en Suisse, les citoyens sont invités à faire preuve de civisme en l’arrachant sans pitié.

Si certaines vergerettes se prennent pour des asters, (elles sont de la même famille) d’autres, telles Erigeron karvinskianus, ou vergerette de Karwinski, ressemblent plutôt à des pâquerettes. Je ne sais pas s’il faut s’en méfier autant que de leur cousine canadienne, et il est vrai que quand elles se plaisent, elles ont bien l’air de se répandre généreusement, mais j’avoue que je suis fan de ces gracieuses fleurettes qui se glissent dans les moindres interstices et poétisent les vieilles pierres (ici dans une rue de Bricquebecq, dans la Manche). Plantées dans mon jardin depuis des années, elles vivotent sans se multiplier ni disparaître, si bien qu’elles n’arrivent pas à me faire peur.

La vaguelette de l’espace

La maquette du lanceur Ariane à Vernonnet

C’est le début d’une visite de groupe ; j’ai ouvert mon micro, les clients ont branché leurs écouteurs, trouvé la fréquence. Je me présente par mon prénom, et comme souvent, je parle du lanceur de satellites européen Ariane, dont le moteur est conçu et fabriqué à Vernon. Aujourd’hui notre allure n’aura rien de celle d’une fusée : je suis chargée du groupe le plus lent.
A peine ai-je évoqué l’industrie spatiale qu’un homme âgé s’approche. Je suis depuis longtemps habituée aux goûts vestimentaires des Américains, à leur conception personnelle du confort et de l’élégance, mais sa tenue est si étonnante qu’il est impossible de ne pas la remarquer. Il porte un T-shirt siglé Nasa orné de galaxies colorées et de météorites, un bermuda, et des chaussettes montantes bleu nuit où des étoiles reliées par des lignes figurent les constellations.
-Mon fils travaille à la Nasa, m’explique-t-il, il est chargé des relations avec l’agence spatiale européenne. Il vient souvent en Europe. Il devait être avec nous aujourd’hui, mais l’administration fédérale a supprimé « tous les voyages superflus », il n’a pas pu venir.
Sa voix est chargée d’une colère rentrée tandis qu’il me cite la formulation officielle qui a brisé son rêve de retrouvailles familiales sur le vieux continent. Son visage exprime une déception abyssale.
Si les circonstances étaient différentes, dans le cadre d’une visite privée par exemple, je compatirais, et je me ferais un plaisir de l’éclairer sur ce que les Européens pensent de l’actuel président des Etats-Unis. Mais c’est hors de question. Les consignes, fort sages, sont de ne parler ni de politique, ni de religion. Je réponds donc, d’une voix enjouée mais ferme, qu’aujourd’hui, « we want to have fun », nous avons décidé de nous amuser. J’entends qu’on glousse près de moi. Se pourrait-il que ce papy si remonté contre le gouvernement fédéral et si fier de son fils ait agacé déjà une ou deux personnes du groupe ?
Pour changer de sujet et adoucir ce qu’il risque de prendre pour un rejet, je le complimente pour son T-shirt. « Oh, je ne les paie pas, on me les offre, » dit-il, retrouvant sa fierté à l’évocation du donateur.
Je comprends soudain son choix vestimentaire du jour : c’est le moyen qu’il a trouvé pour que son fils soit, malgré tout, un peu là avec lui.
Il est rare que mon quotidien se trouve affecté par les décisions contestables prises à la Maison blanche, et celle-ci est infiniment moins grave que d’autres, dramatiques pour des milliers de personnes. C’est une vaguelette comparée à un tsunami. Mais cette vaguelette a traversé l’océan et a remonté la Seine, jusqu’à venir mourir à mes pieds ce matin.

La roseraie de George Sand

A Nohant, le domaine de George Sand a retrouvé une très belle roseraie. Restaurée en 2023-24, elle a été recréée à partir de variétés existant au milieu du 19e siècle, aussi ravissantes que parfumées. L’écrivaine adorait les roses, et parlait abondamment de son jardin dans sa correspondance prolifique.

A Giverny, les restaurateurs du jardin de Monet ont pu se pencher sur les tableaux et les photos prises à son époque. Les documents écrits existent, mais ils sont peu nombreux. C’est tout l’inverse à Nohant, où il y en a énormément, en particulier dans l’autobiographie de l’écrivaine, « Histoire de ma vie ». Le jardin y joue un rôle essentiel.

Comme à Giverny, l’éloignement dans le temps n’a permis qu’à de rares plantes de parvenir jusqu’à nous. George Sand s’est éteinte en 1876, cinquante ans avant Monet, ce qui restreint encore le nombre de végétaux survivants. Ceux qui restent sont d’autant plus émouvants. Le site mon carnet George Sand apporte de nombreuses précisions sur les différences entre l’aspect du jardin autrefois et aujourd’hui : celui que l’on visite est globalement très proche de celui connu par l’écrivaine, tout en étant adapté aux contraintes de l’ouverture au public, comme c’est le cas à Giverny.

Le moulin de Limetz

Le village voisin de Giverny se nomme Limetz.
Villez et Limetz font aujourd’hui cause commune et forment la commune de Limetz-Villez. Autrefois en Seine-et-Oise, le redécoupage des départements l’a placée dans les Yvelines, à la limite de l’Eure.
Limetz est traversé par l’Epte, et bordé par la Seine. Du temps de Monet, un moulin à grains fonctionnait sur l’Epte, comme on peut le voir sur cette carte postale ancienne. Juste à côté sur la droite, une dérivation faisait tourner les broches d’une filature de coton. Créée en 1824, la filature Janneton occupait 200 ouvriers en 1833. Après être passée entre plusieurs mains, elle a cessé toute activité en 1872, une dizaine d’années avant l’arrivée de Monet à Giverny.

Claude Monet, Le Moulin de Limetz, 1888, collection particulière

Ce moulin a inspiré à Monet deux toiles extrêmement proches.

Claude Monet, Le Moulin de Limetz, 1888, Musée Barberini, Potsdam

Dans la première, les arbres du premier plan (des aulnes, sans doute) sont au soleil, dans la deuxième, ils baignent dans l’ombre.
Le peintre s’est avancé le long du cours principal de l’Epte, plus large et au courant plus fort que le Ru traversant Giverny. Le pont matérialise la ligne horizontale qui coupe la toile en son milieu, préfigurant les Matinées sur la Seine. Le moulin n’est qu’un prétexte. Monet s’intéresse davantage aux contrastes de lumière et d’ombre, au miroitement de l’eau, au reflet lumineux de la façade ensoleillée.

En plus de lui servir de motif, le moulin de Limetz aura plus tard une autre utilité dans la vie de Monet. Transformé en petite centrale hydro-électrique, il alimentera les abonnés de Giverny. Le peintre et sa famille bénéficient de la lumière électrique à partir de 1910.

Le fjord d’Oslo

Claude Monet, Le Fjord de Christiana (Oslo), 1895, collection Nahmad

Ce tableau est l’un des cinq Monet que l’on peut voir jusqu’à la fin du mois au musée des impressionnismes Giverny, dans le cadre de l’exposition tirée de la collection Nahmad. Le séjour de Monet en Norvège, documenté par de nombreuses lettres et même des articles de journaux norvégiens, est peu connu du public français. Il a lieu à l’hiver 1895, en février-mars, et ce qui motive le voyage de l’artiste est autant la présence de son beau-fils Jacques Hoschedé à Christiana que l’espoir d’y trouver de beaux effets de neige.
Après un éreintant voyage de cinq jours en train et bateau, le peintre consacre trois semaines à découvrir ce pays si nouveau pour lui, avant de se décider enfin à peindre. Il sait qu’il ne reviendra pas. Et pourtant il se lance dans une série représentant le mont Kolsaas, il multiplie les motifs. Que peindre ? Il se languit de l’eau, de la mer, car tout est gelé près de la côte. Une excursion lui donne enfin l’occasion de retrouver son élément préféré dans le fjord de Christiana.

Le plus étrange dans ce tableau est la mer aux tons sourds, peinte en gris-violet, vert, avec une virtuosité dans le rendu des vaguelettes due à une longue pratique. Monet va vite. Alors qu’il s’est acharné sur ses Cathédrales, il retrouve en Norvège la spontanéité des années d’Argenteuil.

Que voit-on ? Le cartel du tableau regorge de détails sur ce point. « A trente minutes en traineau de Sandviken » où il réside, Monet peint 4 vues du site depuis la grande île d’Ostoya. On reconnaît « l’île boisée de Krokholmen, précédée d’un îlot », et « à l’arrière-plan, la presqu’île de Nesodttangen. »

Ce n’est pas la Norvège, c’est une impression de Norvège. On sent le froid, la lumière morne, une pesanteur particulière à cette étendue vide et glacée. Ailleurs, à Bjornegaard, Monet peindra de joyeuses maisons rouges.

Aponogeton

Une nouvelle fleur a fait son apparition à la surface du bassin de Monet : c’est l’aponogeton odorant. Du moins je crois. La plante est si inaccessible qu’elle constitue un défi pour l’identification par Plantnet, et l’appli n’est sûre qu’à 25% de l’avoir reconnue.

Si ce n’est elle, elle lui ressemble beaucoup. L’aponogeton porte aussi le nom de vanille d’eau. Elle fleurit à l’ombre et très tôt en saison, dès le mois d’avril à Giverny. Ce coin de l’étang ne reçoit que peu de lumière, en raison de la bambouseraie qui le borde côté sud. Les nymphéas y fleurissent parcimonieusement, au coeur de l’été.

La colline aux oiseaux

Caen, la colline aux oiseaux

C’est le moment de visiter les roseraies, à Giverny ou ailleurs en Normandie, comme ici à Caen. Depuis 30 ans, les caennais disposent d’un espace vert né de la reconversion d’une décharge ayant fonctionné jusqu’en 1972, enfouie sous des mètres cubes de terre : la colline aux oiseaux, ainsi nommée en souvenir des nombreux oiseaux attirés à l’époque par les déchets ménagers.

Des oiseaux, il y en a toujours dans les parties boisées de la colline, j’y ai même entendu une grive musicienne, pas encore repérée à Giverny. Les roses ont été sélectionnées pour ne pas toutes fleurir en même temps. On peut voir des variétés anciennes tout comme des obtentions récentes aux teintes étonnantes, telle cette Mango de 2019. Le tout est parfaitement étiqueté, aligné, ordonné et peigné… Comme toujours dans les roseraies, on est très loin du style ébouriffé et des associations complexes et subtiles de Giverny.

Les rosiers Marie Pavié (ou Pavic), datés 1888, arborent de petites fleurs blanc-rosé.

Tout en haut, une allée circulaire offre un joli coup d’oeil sur la roseraie, et un délicieux parfum de glycines blanches en fin de floraison.

Les Glaçons

Claude Monet, Les Glaçons, 1880, Musée d’Orsay, Paris, actuellement exposé au musée BHM de Vernon

Dans le cadre de l’opération « Cent oeuvres racontent le climat », le musée d’Orsay a prêté au musée de Vernon la très belle toile de Monet Les Glaçons, à voir jusqu’au 29 juin 2025.

J’ai déjà évoqué les circonstances de création de ce tableau, peint en janvier 1880 par un froid polaire alors que Monet réside à Vétheuil. Nous sommes là en présence de la version qui a été peinte en plein air, devant la Seine où flottent des glaçons. Sur un fond lisse de couleur bleu pâle, presque turquoise, Monet a posé toute une gamme de roses, nous donnant à ressentir son exaltation face à la beauté du spectacle. Dans l’impression captée par l’oeil passe aussi beaucoup d’émotion.

La présentation des Glaçons porte à trois les Monet que l’on peut admirer actuellement à Vernon, en toute tranquillité, avec le tondo de Nymphéas et le Coucher de soleil à Pourville. Elle s’accompagne d’une intéressante frise chronologique sur les épisodes les plus froids enregistrés depuis le XVIe siècle. L’hiver qui nous intéresse, celui de 1879-1880, connaît 75 jours de gel à Paris, et des températures qui descendent à – 25°C. Plus près de nous, sont mentionnés 2012 et 1985. En 2012, j’avais pu faire des photos de neige et de givre dans les jardins de Monet. Malgré le froid saisissant, j’étais restée longtemps, avec la conscience que ce spectacle ne se reproduirait pas de sitôt. Reverrons-nous des températures en dessous de -10°C ?

Une parcelle du monde

Gallimard publie aujourd’hui le dernier ouvrage de Catherine Vigourt, Une Parcelle du monde, consacré à Claude Monet. Comme toujours chez Vigourt, dont j’ai lu tous les livres, c’est un bonheur de lecture tant la langue est belle, « tenue », dit-elle. Voilà Monet qui fait son entrée en littérature chez le célèbre éditeur, dans un ouvrage qui ne ressemble à aucun autre.

Le titre est suivi de la mention « roman », car l’autrice a laissé parler son imagination pour camper le peintre dans son quotidien à différentes dates de sa vie givernoise, de 1893 à 1926. Mais c’est une « fiction documentée », (formule et guillemets sont de l’autrice), où les parties narratives sont suivies de paragraphes dans lesquels Catherine Vigourt s’adresse directement à Monet. Elle a plein de choses à lui dire, elle lui parle de la réception posthume de son oeuvre, elle souligne les changements sociétaux intervenus entre son époque et la nôtre, elle lui raconte la restauration de ses jardins… Cela, toujours avec une finesse de perception et d’expression qui me fascine. C’est la force des écrivains de nous faire sentir ce qui se dérobe à la simple biographie.

On a restitué bien des choses de ta vie à Giverny mais il y a, pour toi comme pour tout le monde, ce qu’on ne peut tout à fait reproduire. Ce qui constituait la maille de tes jours, la toile de fond sous la brosse. Ces humbles éléments du quotidien qui nous rattachent au coeur le plus vivant de nos vies. (…) On ne peut reproduire dans la cuisine le tintement du couvercle de fonte, le grésillement de l’eau bouillante en fuite sur la plaque, le chantonnement de Marguerite qui se suspend quand elle sort le plat du four dans un fumet d’échalotes. (…)
En fermant le catalogue tu as gardé ton pouce en marque-page, tu grattes dans le froissement du papier le durillon que t’a laissé la palette. Tu as faim, un peu sommeil aussi, mais tu te laisses porter par ce corps étendu que devient une maison qu’on aime. Toutes ces sensations se sont épaissies avec les années, les êtres, le lieu, le travail : ce sont elles qui t’arriment aux choses fuyantes que tu saisis sur la toile.

Catherine Vigourt, Une parcelle du monde, éditions Gallimard, 20.50 euros

La benoîte

La benoîte, ou geum, ne fait plus guère parler d’elle, éclipsée par des fleurs plus spectaculaires. Mais elle a eu son heure de gloire, quand ses vertus médicinales étaient célébrées au point qu’on la disait plante bénite, d’où son nom, dérivé de benedicta. Cette vivace fleurit actuellement dans les massifs de Giverny, en orange comme ici ou en rouge vif, et elle peut avoir une ou plusieurs rangées de pétales.

Vivre sans attendre

Ce matin j’ai guidé une famille ukrainienne dans les jardins de Monet. La maman fêtait son cinquantième anniversaire, occasion qui l’avait motivée à organiser ce voyage « très compliqué », selon elle. « Cela fait des dizaines d’années que j’avais envie de venir, mais ce n’était jamais le bon moment, il y a eu les enfants, etc, on se disait toujours qu’on viendrait plus tard… Mais vous savez, quand votre vie est menacée chaque jour, vous commencez à voir les choses différemment. Attendre n’a plus de sens. Il faut faire les choses qui comptent pour nous, tout de suite. »

Devant les arceaux couverts de roses de la grande allée, Nataliia, émue, a senti son coeur battre. Les rosiers commencent tout juste à fleurir, ils seront bientôt suivis par une masse de fleurs, quand tous les boutons s’ouvriront. Nataliia a éprouvé un peu de regret de manquer le spectacle, vite tempéré : « Un jardin, ça vous enseigne à apprécier l’instant présent, ce qui fleurit en ce moment, » dit-elle. Peut-être que la guerre donne tout simplement plus de valeur à la vie, à la beauté de la nature, et à la paix là où elle règne encore.

Le papillon Belle-Dame

Je ne sais pas si ce papillon vous est familier. Les anneaux qui marquent son abdomen sont caractéristiques et m’ont aidée à identifier cette Belle-Dame, posée sur du myosotis dans les jardins de Monet. J’ai été surprise de lire que c’est l’espèce diurne la plus répandue au monde, du fait de son comportement migrateur et de sa très vaste aire de répartition. La Belle-Dame se nomme aussi, en France, la Vanesse des chardons, plante qu’elle affectionne. Parmi les vanesses, on trouve des papillons très communs, le Paon du jour, la Petite Tortue ou le Vulcain.

Ciste

Le début mai voit refleurir les cistes, en anglais comme en latin cistus. Ils arborent à Giverny des pétales blancs chiffonnés marqués d’une étoile pourpre autour d’un coeur d’un lumineux jaune d’or. Ils existent aussi de couleur rose intense, et certaines variétés n’ont pas de macule. C’est un arbrisseau qui se plaît au soleil, où il peut devenir assez imposant. Plante méditerranéenne, le ciste supporte le manque d’eau, mais il y a peu de chance que ceux du jardin de Monet aient l’occasion d’en faire l’expérience.

Banc de jardin

Il n’est pas toujours facile de trouver de jolis bancs pour aménager son jardin. En voici un photographié à Chédigny, qui allie élégance et légèreté pour l’oeil. Il contraste avec ceux de Giverny. Chez Monet, tous les bancs sont en bois, parfois sur une armature métallique.

Celui-ci est manifestement l’oeuvre d’un ferronnier d’art.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

Commentaires récents

Catégories