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Terrasse à Sainte-Adresse

Comme son nom l’indique, le tableau de Monet intitulé « Terrasse à Sainte-Adresse » a été peint depuis une terrasse privée qui surplombe la Manche, sur la commune de Sainte-Adresse, près du Havre. Le lieu n’existe plus tel qu’il apparaît sur la toile, mais à vrai dire, la vue n’est guère différente depuis la promenade qui longe le bord de mer, à quelques détails près. A gauche sur la photo, on aperçoit l’entrée du port du Havre. Monet, qui bénéficiait d’un point de vue plus élevé et d’un temps clair, a fait figurer la colline qui marque l’estuaire de la Seine au sud. Selon Géraldine Lefebvre, directrice du Musée André-Malraux du Havre, qui a identifié les lieux avec précision, on reconnaît au second plan « la colline de Beuzeval qui domine l’entrée de la Dive sur la côte bas-normande (..) appelée également falaise des Vaches noires. »

La terrasse bordée de croisillons « appartient à une modeste maison à pans de bois. » Ce chalet destiné à la villégiature en bord de mer était celui d’une famille amie, les Bodson de Noirefontaine.

Depuis leur villa du Coteau, située dans un vallon boisé perpendiculaire à la côte, les Monet-Lecadre ne pouvaient pas observer les régates. Claude Monet, son père Adolphe, sa tante Jeanne Lecadre, sa cousine Marguerite et l’époux de celle-ci, Eugène Lecadre, ont accepté l’invitation de leurs amis, absents du tableau. Peut-être les Bodson de Noirefontaine n’étaient-ils tout simplement pas là, ce « 21 juillet 1867 en fin de matinée ».

Notre-Dame-des-Flots

La chapelle Notre-Dame-des-Flots domine l’estuaire de la Seine et le port du Havre. Elle se dresse dans le haut de Sainte-Adresse, tout près du Pain de Sucre, tournée vers la Manche. Le coucher du soleil baigne sa façade occidentale : comme la plupart des églises, elle est orientée.

Ce n’est pas un édifice très ancien. La chapelle a été bâtie au milieu du 19e siècle, en deux ans, et consacrée en 1859, le 11 septembre. Un an plus tôt, la Vierge apparaissait à Bernadette Soubirous. La levée de fonds a sans doute bénéficié de la ferveur mariale suscitée par les apparitions de Lourdes.

Oscar Claude Monet avait 18 ans. S’est-il glissé dans la foule venue assister à la cérémonie ? Sa famille était-elle présente ? Ils avaient pu voir le sanctuaire se construire quasiment sous leurs yeux, à quelques centaines de mètres de chez eux. Mais les Monet n’étaient pas portés sur la religion, et peut-être ont-ils volontairement snobé l’évènement.

Si toutefois, un jour, le jeune peintre a eu la curiosité d’entrer dans la chapelle, il a pu en apprécier la sobre élégance néo-gothique. Une statue de la Vierge placée au-dessus de l’autel accueille les fidèles. Les nombreux vitraux dans le style du 13e siècle donnent un aspect coloré à l’édifice.

Maquettes de bateaux et tableaux rappellent la vocation du lieu : confier les marins à la protection de la Vierge. Et cela, qu’ils soient vivants ou trépassés.

Les ex-voto, gravés dans le marbre blanc, tapissent les murs. Le jour de l’inauguration, ils devaient être rares. Depuis, ils ont envahi tout l’espace disponible.

Gratitude, espérance, foi se mêlent, rendant les murs vibrants de ces marques de dévotion.

Et voici Notre-Dame-des-Flots telle que Monet la représente à l’arrière-plan de ses tableaux.

Le Pain de Sucre vu de près

Sainte-Adresse, le Pain de Sucre

A Sainte-Adresse, de la maison du Coteau, où Monet résidait avec sa famille pendant l’été, à la placette où s’élève cet intrigant monument, il n’y a que quelques minutes de marche. Autant dire que le jeune peintre connaissait le lieu par coeur.

Le nom de Pain de Sucre est dû à sa forme et à sa couleur. Un panneau indique aux visiteurs curieux qu’il s’agit d’un amer prévenant les marins des dangers. Il a été construit par la veuve du général-comte Charles Lefebvre-Desnouettes en 1852, en mémoire de son mari péri en mer. Elle-même repose depuis 1880 dans le monument, qui est donc aussi un mausolée. Une cérémonie d’hommage en costume a eu lieu en 2023.

Situé sur une hauteur, l’amer offre une belle vue sur le Havre et son port, mais je ne crois pas que Monet ait jamais peint depuis cet endroit. En revanche, le Pain de Sucre est bien visible sur plusieurs de ses tableaux peints depuis la plage.

La villa du Coteau

C’est à Sainte-Adresse que se trouve la villa Le Coteau, construite à l’emplacement d’une maison du même nom où Monet et sa famille séjournaient aux beaux jours. Le domaine, d’une certaine étendue, appartenait à la demi-soeur du père de Claude, Jeanne Lecadre, et son époux.

C’est maintenant une résidence privée, fermée par ce magnifique portail normand. Il laisse deviner un chemin qui monte en épingle et longe un terrain de tennis, signe qu’il existe un endroit plat dans le jardin. Est-ce là que s’étendait autrefois la roseraie peinte par le jeune Monet ?

Sur le côté s’ouvre une porte piétonne. Un panneau explique les liens de Claude Monet avec Sainte-Adresse. Le texte est illustré par le tableau Jeanne-Marguerite Lecadre au jardin, peint dans la propriété.

Les quais du Havre

Entrée du port du Havre, 5 mars 2025

A l’heure où d’autres rues, d’autres villes fourmillent d’activité, un grand calme règne en début de matinée à l’entrée historique du port du Havre. De rares promeneurs sortent leur chien ou joggent sur la jetée. Le ciel recouvre de son azur la mer tranquille.

Musée André Malraux, Le Havre

C’est là, devant ce paysage maritime ouvert sur le monde, que se trouve le musée Malraux et ses riches collections impressionnistes.

Le Havre, quai de Southampton

Le musée est implanté dans un quartier entièrement reconstruit après-guerre par Auguste Perret et ses collaborateurs, qui a valu à la ville son classement au patrimoine mondial de l’Unesco. A droite, une installation colorée, la catène de conteneurs, anime l’esplanade gagnée sur le bassin. Au milieu de la photo, un immeuble plus haut, en saillie, se dresse à peu près à l’endroit d’où Monet a peint Impression, soleil levant. L’artiste bénéficiait d’un point de vue plus haut et plus éloigné que celui qu’on a en se trouvant sur le quai.

En s’approchant, on découvre que des personnages ont été intégrés dans les façades de ces immeubles Perret. Celui-ci m’a fait peur : l’espace d’un instant, j’ai crû que quelqu’un s’apprêtait à se jeter dans le vide.

Soleil levant au Havre

Le Havre, photo Ariane Cauderlier 5 mars 2025

L’attente du lever du soleil est toujours un moment fascinant, qui n’a rien perdu de sa magie depuis l’aube des temps. Le spectacle n’a lieu que par temps clair, mais quel spectacle. Il suffit de trouver un endroit dégagé vers l’est, de se lever assez tôt, et d’attendre.
Il fait froid, peut-être humide. Il n’y a rien d’autre à faire que regarder les modifications très douces de la lumière, des couleurs.
Le port du Havre a changé depuis que Monet y a peint Impression, soleil levant en 1872. Le coeur de l’activité s’est déplacé, le plan d’eau de l’avant-port a rétréci, les bassins proches de l’ancien Grand Quai, aujourd’hui le quai de Southampton, sont devenus bien calmes. A cette heure matinale il n’y passe à mes yeux de profane que de rares bateaux de pêche, quelques remorqueurs qui viennent troubler l’eau, créant une vague vite apaisée. Sur le plan graphique, en se modernisant le paysage industriel de l’arrière-plan n’a rien perdu de son intérêt.
L’est devient orange. Le soleil va poindre. Il s’annonce. Ca ne va pas tarder. C’est imminent. Ah ! Enfin, le voilà…

Le Havre, photo Ariane Cauderlier 5 mars 2025

Aussitôt levé, l’astre éblouit. Il s’élève doucement, distribuant généreusement sa lumière, et voici que s’allume sur le plan d’eau la trainée de corail qui avait tant plu à Claude Monet.
Le peintre a dû se dépêcher, ou alors peindre de mémoire, car l’effet ne dure qu’une quinzaine de minutes.

Le port du Havre

Le Havre, grande ville de départ transatlantique il y a un siècle, a été l’objet d’une intense production de cartes postales. Voici le Grand Quai, où s’élevait l’hôtel de l’Amirauté d’où Monet a peint Impression, soleil levant. Derrière les voiles des petits bateaux du premier plan, on devine au fond le panache de fumée d’un vapeur.
J’ai commandé cette jolie carte en ligne, et l’aimable vendeur en a ajouté une autre, que je trouve encore plus belle :

Un trois mâts s’élance vers la haute mer, précédé de plusieurs autres embarcations. Ce spectacle devait paraître banal au Havre à l’époque. Mais il y a dans ces voiles ouvertes, offertes à la poussée du vent, une charge de rêve qui ne se dément pas, à l’heure où l’arrivée du Vendée Globe continue de nous faire vibrer.

Sainte-Adresse et son Pain de Sucre

Claude Monet, Sainte-Adresse, 1867, National Gallery of Art, Washington

L’exposition L’impressionnisme et la mer se termine dimanche à Giverny, au musée des impressionnismes. Encore quelques jours pour admirer les fantastiques couleurs que les artistes, de Boudin à Maufra, ont vues dans les flots de la mer.

Je suis retournée tout à l’heure regarder de près les Monet, avec leur étrange signature où le t final est comme une croix qui penche, un mât de navire. Et faire un gros plan du pain de sucre de Sainte-Adresse, que Monet a fait figurer sur cette toile de 1867, avec la chapelle Notre-Dame-des-Flots juste derrière. Ce sont là deux monuments caractéristiques de Sainte-Adresse, qu’il connaissait parfaitement.

Claude Monet, Sainte-Adresse (détail), 1867, National Gallery of Art, Washington

On distingue très bien le chemin crayeux qui y monte.

Et puis je me suis demandé s’il était possible de voir le pain de Sucre aujourd’hui depuis la plage du Havre. La réponse est oui, si l’on a des yeux perçants, comme Monet.

Voilà un agrandissement de la photo précédente. On s’aperçoit qu’il faut encore marcher vers la droite de la plage avant que le Pain de Sucre n’apparaisse au milieu de la nef. C’est un bon repère pour retrouver l’endroit d’où a été peint le tableau de Washington. On se rend compte aussi que lorsque Monet est à la pointe de la Hève, il a les monuments dans son dos, et qu’il ne peut pas les faire figurer dans ses tableaux du cap.

Le bassin du Commerce

Claude Monet, Le Bassin du Commerce, Le Havre, 1874, Liège, Musée des Beaux-Arts de la Boverie
37 x 45 cm

Claude Monet, qui a grandi dans le port du Havre, avait une fascination pour les bateaux. Au fil de sa vie, il en a peint énormément. Il ne fait pas de doute qu’il s’y connaissait en navires et qu’il s’attachait à les représenter avec exactitude, lui qui admirait ceux de Boudin « si bien gréés ». En 1874, alors qu’il habite Argenteuil avec Camille et le petit Jean, il revient séjourner au Havre. Est-ce pour s’embarquer à destination des Pays-Bas ? Les tableaux qui suivent ceux du port du Havre sont peints à Amsterdam.

Il est probable que l’artiste ne s’est pas attardé dans la cité de son enfance. Seules quatre toiles du Havre exécutées à cette occasion nous sont parvenues, dont trois peintes depuis la fenêtre de son hôtel sur le Grand Quai. Celle-ci fait exception. Le plan d’eau décrit est identifiable par le bâtiment à coupole, l’ancien théâtre : Monet se trouve devant le bassin du Commerce, orienté est-ouest, le théâtre se trouvant à l’extrémité ouest de ce long bassin. Je suppose qu’il a pris place sur le pont de la Bourse.

Quelques décennies plus tard, au tournant du siècle, la nature des bateaux amarrés dans ce bassin a changée, mais le théâtre est encore là.

De nos jours, un pont superbe de légèreté enjambe toujours le bassin du Commerce face à l’ancienne bourse de la Reconstruction. Le quai a gardé ses pierres. Au fond, le centre culturel le Volcan dessiné par l’architecte brésilien Oscar Niemeyer a remplacé le théâtre. Et le bassin est pour ainsi dire vide de bateaux.

La jetée du Havre

Claude Monet, La Jetée du Havre, 1868, collection particulière 147 x 226 cm

En 1868, la jetée du Havre, ou digue nord, était un lieu de promenade très prisé, même par gros temps. Monet a peint cette grande toile en vue du Salon. Malheureusement, elle a été refusée, malgré ses qualités soulignées par Zola :

L’autre tableau de Claude Monet, celui que le jury a refusé et qui représentait la jetée du Havre, est peut-être plus caractéristique. La jetée s’avance ; longue et étroite, dans la mer grondeuse, élevant sur l’horizon blafard les maigres silhouettes noires d’une file de becs de gaz. Quelques promeneurs se trouvent sur la jetée. Le vent souffle du large, âpre, rude, fouettant les jupes, creusant la mer jusqu’à son lit, brisant contre les blocs de béton des vagues boueuses, jaunies par la vase du fond. Ce sont ces vagues sales, ces poussées d’eau terreuse qui ont dû épouvanter le jury habitué aux petits flots bavards et miroitants des marines en sucre candi.

Emile Zola, l’Evénement illustré, 24 mai 1868
Gustave Le Gray, le Phare et la jetée du Havre, 1857

En 1857, le photographe Gustave Le Gray s’était placé presque au même endroit pour prendre cette vue de la jetée du Havre et de la mer, dramatisée par l’arrivée d’un magnifique cumulus.

La digue nord n’est plus la même et elle n’est plus accessible au public, les becs de gaz ont disparu, mais les vagues n’ont pas changé. Même par temps calme, elles se précipitent à intervalles réguliers sur la jetée,

et s’écrasent sur la plage de galets, un peu moins jaunes que Monet ne les a vues.

Le Havre de Monet

Peut-on marcher sur les pas de Monet au Havre, reste-t-il, dans cette ville meurtrie par la Seconde Guerre mondiale, quelque chose de la cité portuaire que l’artiste a connue ? C’est presque une question saugrenue, tant l’architecture de la Reconstruction est présente et célébrée, surtout depuis l’inscription des quartiers rebâtis par Auguste Perret au Patrimoine mondial de l’Unesco. Mais à côté des très remarquables hectares de ville voués au béton, il n’est pas nécessaire d’aller très loin pour retrouver des immeubles plus anciens, en briques et en pierres.

Il arrive qu’une signature corrobore une supposition. En 1881, Monet avait la quarantaine, et plus beaucoup de raisons de venir au Havre, mais il aurait pu connaître cet immeuble.

Je n’ai malheureusement pas trouvé de date sur cet ancien bureau de postes et télégraphes, mais son décor de coquillages et de vagues est splendide, et on est avant l’ajout du téléphone.

Certaines rues semblent n’avoir guère changé. Même le tramway est de retour. Tiens ! Un atelier d’artiste !

Oh ! Une porte Art nouveau !
En me voyant faire des photos dans la rue, une dame m’invite aimablement à visiter son appartement.

L’escalier est magnifique et rappelle celui de Giverny ou d’Argenteuil. Fin XIXe ?

A l’intérieur, le double salon à moulures et à parquet de chêne des appartements haussmanniens, et un joli balcon.
Finalement, les immeubles centenaires abondent. Mais pour trouver des bâtiments qui existaient déjà à l’époque de la jeunesse de Monet, au milieu du XIXe siècle, il faut chercher un peu plus.

Voici l’hôtel Dubocage de Bléville, autrefois propriété d’un navigateur et négociant, corsaire de sa majesté, aujourd’hui espace d’exposition.

Juste à côté, l’église Saint-François est toujours debout, au centre d’une place reconstruite.

Mais l’exemple le plus frappant, c’est celui de la merveilleuse « maison de l’armateur », sur l’ancien Grand Quai. Elle date du XVIIIe siècle, et Monet est passé devant un million de fois. Mais peut-être n’a-t-il pas eu, lui, la chance de pouvoir la visiter, alors qu’elle est maintenant ouverte au public.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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