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Le fjord d’Oslo

Ce tableau est l’un des cinq Monet que l’on peut voir jusqu’à la fin du mois au musée des impressionnismes Giverny, dans le cadre de l’exposition tirée de la collection Nahmad. Le séjour de Monet en Norvège, documenté par de nombreuses lettres et même des articles de journaux norvégiens, est peu connu du public français. Il a lieu à l’hiver 1895, en février-mars, et ce qui motive le voyage de l’artiste est autant la présence de son beau-fils Jacques Hoschedé à Christiana que l’espoir d’y trouver de beaux effets de neige.
Après un éreintant voyage de cinq jours en train et bateau, le peintre consacre trois semaines à découvrir ce pays si nouveau pour lui, avant de se décider enfin à peindre. Il sait qu’il ne reviendra pas. Et pourtant il se lance dans une série représentant le mont Kolsaas, il multiplie les motifs. Que peindre ? Il se languit de l’eau, de la mer, car tout est gelé près de la côte. Une excursion lui donne enfin l’occasion de retrouver son élément préféré dans le fjord de Christiana.
Le plus étrange dans ce tableau est la mer aux tons sourds, peinte en gris-violet, vert, avec une virtuosité dans le rendu des vaguelettes due à une longue pratique. Monet va vite. Alors qu’il s’est acharné sur ses Cathédrales, il retrouve en Norvège la spontanéité des années d’Argenteuil.
Que voit-on ? Le cartel du tableau regorge de détails sur ce point. « A trente minutes en traineau de Sandviken » où il réside, Monet peint 4 vues du site depuis la grande île d’Ostoya. On reconnaît « l’île boisée de Krokholmen, précédée d’un îlot », et « à l’arrière-plan, la presqu’île de Nesodttangen. »
Ce n’est pas la Norvège, c’est une impression de Norvège. On sent le froid, la lumière morne, une pesanteur particulière à cette étendue vide et glacée. Ailleurs, à Bjornegaard, Monet peindra de joyeuses maisons rouges.
Claude Monet, touriste en Norvège
Claude Monet, Village de Sandviken sous la neige, 1895, huile sur toile 73x92cm, Art Institute of Chicago
En janvier 1895, Monet entreprend le long périple de Giverny jusqu’en Norvège, pour une campagne de peinture qui ne s’achèvera qu’au printemps. C’est le voyage le plus lointain qu’il fera jamais.
Ce qui l’attire si loin dans le Nord, en plein hiver ? Le peintre est à la poursuite d’effets de neige. Le pater familias va aller voir Jacques Hoschedé, son beau-fils, employé d’un importateur de bois norvégien à Rouen, qui séjourne à Christiania pour y apprendre la langue. L’homme cultivé, qui a assisté à plusieurs représentations des pièces d’Ibsen à Paris, qui lit Björnson, Strindberg, Hamsun et Herman Bang, est attiré par la culture scandinave alors très en vogue.
Comme d’habitude quand il s’éloigne, Monet écrit quotidiennement à son épouse Alice et lui fait le récit détaillé de son séjour. Récit précieux pour suivre au jour le jour ses recherches de motifs, ses hésitations, son travail, sur lequel se sont penché les historiens de l’art. Mais la correspondance livre aussi un aspect inattendu de la personnalité de Monet : son côté touriste.
Dès son arrivée, Monet se laisse emporter par l’émerveillement :
Ce qui est vraiment délicieux, c’est cette vie d’ici ; d’aller en traîneau enveloppé de fourrures, c’est exquis, puis les fameux chiens. C’est de la frénésie, toute la population ne songe qu’à cela, des tout petits gosses comme les grandes personnes, et tous dans des délicieux costumes qui les font ressembler à des Lapons. C’est ma joie de les voir ; on ne voit que cela, des bandes partir avec leurs sacs, ils s’en vont dans la montagne, nuit et jour, la nuit avec des torches.
Bien avant les Jeux olympiques d’hiver, Claude Monet a l’occasion d’assister à un spectacle inédit : des « courses à ski » :
C’est une chose absolument spéciale que je suis bien heureux d’avoir vue. En dehors de tous les traîneaux de Christiania et des environs, toute la population va là et tout le monde est sur des skis, les soldats, la musique, tous sur skis. C’est extraordinaire, cela a lieu sur le plus haut mont derrière Christiania (…) la course est des plus curieuses : sur une pente de plus de cent cinquante mètres ils descendent cela en faisant en l’air des bonds de vingt à vingt-cinq mètres, c’est très extraordinaire.
La nature, qu’il parcourt en traîneau pendant plusieurs jours, l’éblouit :
Que de belles choses vues là, du haut de ces montagnes à pic sur d’immenses lacs entièrement pris et couverts de neige ! Nous en avions dans ces endroits plus d’un mètre, et notre traîneau glissait là-dessus, le cheval en sueur tout couvert de givre et de glace comme nous. J’ai vu aussi d’énormes chutes d’eau de cent mètres, mais entièrement gelées, c’est extraordinaire.
Monet est frappé par la grande hospitalité des Norvégiens. Loin des zones habitées,
…on trouve de temps à autre un chalet, c’est une halte pour les chevaux et les gens. On est tout surpris d’y entrer dans de vrais salons, d’y être reçu par des gens civilisés, aimables et gracieux, heureux de vous offrir l’hospitalité. (…) Les gens sont charmants partout et toujours disposés à vous rendre service.
A la longue, cette gracieuse hospitalité finira même par lui peser, l’empêchant de s’isoler autant qu’il le voudrait pour travailler, se reposer ou écrire à ses proches.
Tout le monde se met en quatre pour lui, y compris le capitaine du port de Christiania qui l’invite sur son bateau à éperon. Monet s’enthousiasme :
Je viens de passer une journée inoubliable (…). Nous avons vu des choses inouïes de beauté et qu’aucun étranger ne peut avoir vues (…). Le capitaine du port s’est mis à ma disposition pour me faire faire cette magnifique promenade sur un bateau de construction nouvelle pour couper la glace dans les fjords.
Et puis, voilà notre Claude Monet qui fait du shopping :
Aujourd’hui j’ai fait des emplettes d’équipement, chaussures, toques, vêtements, etc, et ce sera le diable si j’ai froid, mais l’air ici est d’un vif extraordinaire, et puis ça pince ferme. -20 à -25 en plein jour à midi hier (…) mais je n’en souffre pas, au grand étonnement des gens d’ici qui sont du reste très frileux.
En achetant nos toques, j’ai vu toutes les fourrures possibles et me suis informé du prix du renard bleu ; on peut en avoir la peau extra pour 60 à 80 francs. Le renard argenté me paraît très cher, 300, 500, 600, 800 francs ; c’est effrayant ce qu’on en voit, tout le monde en est couvert. Dis-moi si ces prix diffèrent de Paris, mais il faut songer aux droits d’entrée.
Claude Monet, Sandviken, Norvège, 1895, huile sur toile 50x61cm, collection privée.
Le mont Kolsås
Claude Monet, Le Mont Kolsaas, effet de soleil, 1895, 65×100 cm, collection particulière
Ce tableau de Claude Monet fait partie d’une série de 13 toiles exécutées en 1895 lors du séjour du peintre en Norvège. Il représente un joli site naturel situé à une quinzaine de kilomètres à l’ouest d’Oslo, au dessus de la commune de Sandvika.
Le catalogue raisonné de l’oeuvre de Monet a retenu comme titre du tableau celui donné par Monet, « le mont Kolsaas, effet de soleil ».
Un mont ! Vu de France, il n’en faut pas plus pour s’imaginer un sommet tel que les Scandes en ont le secret, cousin de ceux des Alpes et des Andes.
Les Norvégiens que j’ai guidés cette semaine ont esquissé un sourire en m’entendant parler de la « montagne » peinte par Monet en Norvège.
– Le Kolsås dépasse à peine 300 mètres d’altitude ! Le sås à la fin du nom signifie colline.
Glorieuse colline qui faisait penser Monet au Mont Fuji, bien nommé cette fois puisque le volcan mythique, avec ses 3776 m, est le plus haut sommet du Japon.
Si Monet s’est laissé impressionné par le Kolsaas, c’est sans doute que, pour un Normand plus habitué aux coteaux de la Seine et aux falaises de la Manche, qui ne s’élèvent guère à plus de 80 mètres, la colline norvégienne devait présenter un volume considérable.
Ses pentes, faites d’un étonnant et rare porphyre sombre, sont toujours fort escarpées, et l’ascension demande un certain effort, récompensé par une vue magnifique sur le fjord d’Oslo.
Si près de la capitale, les alentours de Sandvika sont aujourd’hui urbanisés en banlieue résidentielle chic. Le mont lui-même a été aménagé pour l’escalade et pour le ski.
Devant tant d’obligeance à me parler de chez eux, je n’ai pas résisté, j’ai demandé un cours de prononciation aux visiteurs norvégiens de Giverny. On pouvait s’y attendre, il n’y a pas que la taille du Kolsås qui est déformée vue de France. Le nom aussi.
Alors qu’on parle en France du « mont colza », pour les Norvégiens, c’est le « kohl sauce ». Du moins c’est ce qu’il m’a semblé entendre, et cette recette improbable de sauce au chou m’aidera peut-être à mémoriser les deux o fermés. On se demande un peu pourquoi la graphie de l’époque de Monet, en remplacement du å, (qui se dit a rond en chef) doublait un a.
Bouleau
Je peux bien vous le dire puisqu’on est entre nous : j’adore que les clients m’apprennent des trucs. Les Thaïlandais savent tout sur les bambous, les Australiens sur les agapanthes. Hier mes visiteurs venaient de Scandinavie, et cette famille de Suédois m’en a dit long sur une petite boîte en bois qui décore la cuisine de Monet. A sa forme caractéristique et à ses peintures polychromes, ils l’ont immédiatement repérée comme de l’artisanat de leur pays.
Au temps de Monet, Suède et Norvège étaient unies. Ces boîtes se trouvaient couramment dans tout le pays. Elles servaient à transporter non seulement du beurre, comme je l’avais lu à propos de celle de Monet, mais aussi toutes sortes de denrées. Il en existait de toutes tailles, j’imagine que Monet en a rapporté une petite en souvenir de son voyage en Norvège. Il avait dû la trouver curieuse. A moins que ce soit un cadeau de la part de Norvégiens.
Aujourd’hui une autre famille de Suédois m’a fait voyager encore davantage. Arrivés à la porte du grand atelier de Monet, ils se sont exclamés devant un bouleau qui pousse là et dont l’écorce blanche se détache magnifiquement sur la tenture sombre du lierre et du prunus à l’arrière-plan.
Ce n’était pas ce contraste visuel qui les étonnait, mais la présence en elle-même d’un bouleau en notre pays de chênes et de charmes.
Le bouleau est typique des hautes latitudes. Il en existe, m’ont-ils dit, de très nombreuses espèces, la plupart avec des feuilles en forme de coeur. Pour leurs yeux de spécialistes, celui de Monet est une espèce moins courante à feuilles étoilées qui en fait un bel arbre d’ornement.
Mes clients suédois m’ont détaillé tout ce qu’on peut fabriquer en bois de bouleau, un beau bois clair qui convient à la fabrication de meubles et de parquets mais pas à la pâte à papier. L’espace d’un instant je me suis envolée dans les scieries de Suède, ça sentait le bois frais découpé, les grandes lames criaient en fendant les grumes.
Je ne verrai plus jamais ce bouleau de la même façon.
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