Vous reprendrez bien un peu de culture globale ?
Ce n’est pas route de l’abbaye, mais sur le chemin du château, au Petit Andely, que l’on peut remarquer ce panneau, parce que décidément les quatre garçons dans le vent traversent les décennies.
Notre oeil a souvent pour habitude d’ignorer la signalisation ou le mobilier urbain ; il recherche les éléments plus intéressants et pittoresques, comme la flèche de l’église Saint-Sauveur au loin ou la tour Paugé à côté. Il faut l’inattendu du décor surajouté, l’humour du détournement pour que les passants qui empruntent cette impasse prennent conscience du panneau.
Ce même sens interdit portait naguère un panneau additionnel « sauf riverains », et j’ai expliqué le sens de ces mots de nombreuses fois à mes clients anglophones en redescendant de Château-Gaillard. Le panneau a perdu sa mention dérogatoire, tandis qu’il a gagné sa customisation rock. L’avantage, pour la ou le guide qui vient de parler presque non-stop pendant 90 minutes tout en gravissant puis redescendant le raidillon, c’est qu’il n’y a plus rien à expliquer.
Il suffit de dire : « Vous avez vu le panneau ? » Sourires assurés.
La culture globale
Un merle s’est posé dans le jardin de Monet et lance son chant mélodieux.
– Quel est cet oiseau ? me demande en anglais ma cliente, qui vit aux Etats-Unis.
C’est une question facile, je réponds sans hésiter :
– A blackbird.
Et en disant cela, une petite mélodie se met à chantonner dans ma tête. Dans la vôtre aussi peut-être, maintenant ? C’est un peu flou dans ma mémoire, mais je sais que c’est très connu, et je prends le risque d’ajouter : « Comme dans la chanson ». Et en même temps je prie pour que la dame ne me demande pas quelle chanson, car je ne sais plus trop les paroles, et j’aurais bien du mal à la fredonner.
Mais pas du tout. Ma cliente réfléchit, se tourne vers moi et dit :
– Blackbird Singing in the Dead of Night?
C’est cela même ! Nous nous sommes regardées en souriant, dans un moment d’intense complicité, heureuses de partager les mêmes références.
Je ne me fais pas d’illusions, je sais que chacun vit dans un monde différent, dans sa propre bulle. Mais parfois, l’art dépasse les frontières, que ce soit la musique ou la peinture, et nous rappelle que nous appartenons à la grande famille humaine à l’échelle de la planète.
En rentrant, j’ai eu envie d’écouter la chanson, de la comprendre et d’explorer son contexte. Et j’ai découvert ce que ma visiteuse américaine savait sûrement, que les paroles sont une métaphore de la lutte des Noirs aux Etats-Unis pour leurs droits civils.
Paul McCartney l’a écrite en 1968, elle figure sur l’album blanc des Beatles. Quelle est votre histoire à vous avec les Beatles, et avec cet album particulier ? Pour moi qui ai connu l’ère du vinyle, cette époque lointaine où la musique n’était pas à disposition à volonté sur internet, c’était l’album de mon frère, si bien que ses chansons me sont moins familières que celles des albums rouge et bleu qui étaient à moi.
J’ai eu très souvent l’occasion d’entendre les visiteurs de Giverny me parler de leur histoire personnelle avec Monet. Quoi que nous fassions nous restons marqués à jamais par notre univers, façonnés par notre apprentissage, notre regard sur le monde. Mais quel bonheur, dans notre individualité singulière, d’avoir parfois la fulgurante intuition d’être tous en lien.
Beauté de la pluie
En ces temps de canicule, je vous propose quelques images des jardins de Monet baignés d’humidité pour nous rafraîchir. Voilà déjà plusieurs années que les métamorphoses apportées par la pluie ou la rosée me fascinent.
Et vous, aimez-vous la douce lumière argentée diffusée par les nuages, la géométrie des ronds dans l’eau qui se percutent, le relief créé par le choc des gouttes sur la surface du bassin ?
Monet à Poissy
On ne connaît que quatre tableaux de Monet peints à Poissy, maigre production pour une ville où le peintre a habité pendant un an et demi. Et encore l’un d’entre eux représente-t-il la forêt voisine de Saint-Germain. Le peintre l’a conservé pendant quinze ans avant de l’offrir à W. H. Fuller, critique d’art new-yorkais qui lui consacre dès 1899 une monographie de 52 pages intitulée Claude Monet and his paintings. Le tableau porte au dos l’inscription : « Sous-bois, forêt de Saint-Germain. A mon ami M. W.H. Fuller, Claude Monet, 9 juillet 97 ».
Sans exclure l’hypothèse que certaines toiles ont pu se perdre ou être détruites, le nombre de celles qui nous sont parvenues est si restreint qu’il interroge. Pourquoi, alors que Monet s’est montré si productif à Vétheuil, alors que la ville de Poissy elle-même, sur les berges de la Seine, ne manque ni de charme ni de motifs à peindre, pourquoi donc le peintre produit-il si peu ?
Fait curieux, les trois tableaux qui représentent Poissy ont été brossés par Monet depuis la fenêtre de la maison où il s’est installé avec sa famille en quittant Vétheuil, la villa Saint-Louis. L’un dépeint les tilleuls plantés sur le cours du 14-Juillet, mais vus d’en haut. Les deux autres figurent des pêcheurs dans leur barque, en contrebas de la maison.
On dirait que Monet n’ose pas mettre le nez dehors, lui toujours si prompt à aller peindre en plein air. Et il n’aura de cesse dans ses courriers de se plaindre de « cet horrible Poissy », sans jamais expliquer vraiment pourquoi il ne s’y plaît pas.
Nous en sommes réduits aux conjectures. S’il est probable qu’il n’y a pas une cause unique mais un ensemble de facteurs à l’origine du malaise de Monet à Poissy, l’une de ces raisons pourrait bien être la présence dans la ville d’un peintre adulé par ses contemporains : Ernest Meissonier.
De 25 ans son aîné, le Pisciacais est tout ce que Monet n’est pas. Il s’est fait connaître en peignant d’aimables scènes de genre historiques, mousquetaires attablés dans des tavernes, hommes du XVIIIe siècle jouant aux cartes… Meissonier a un ahurissant sens du détail. Il peint avec une minutie extraordinaire. Le spectateur qui regarderait ses tableaux à la loupe pourrait distinguer les moindres particularités du costume représentées avec fidélité, car le peintre se livre à des recherches infinies pour s’assurer de la justesse historique des accessoires. Tout est longuement mûri dans l’atelier, posé, d’une virtuosité inouïe et dénué de toute spontanéité.
Comme si cette opposition stylistique ne suffisait pas, Meissonier a la critique à ses pieds, il est couvert d’honneurs, il vend à des prix astronomiques, et, comble du comble, il va plus d’une fois siéger au jury du Salon qui rejettera Monet.
On peut comprendre que ce dernier ne tienne pas à le croiser dans la rue. Je crois même que cela va plus loin et que l’on peut avancer cette hypothèse : si Monet ne peint pas en plein air à Poissy, c’est qu’il veut s’épargner les remarques désobligeantes des passants Pisciacais. Le public local est plus qu’un autre piqué de peinture, pro-Meissonier à cent pour cent, et fermé aux recherches novatrices de Monet. Planter son chevalet dans la ville, c’est être assuré d’essuyer des quolibets. On a beau se moquer des moqueries, tout de même, ça déconcentre.
La théière de Monet
En 1872, Claude Monet est de retour en France après son séjour à Londres en 1870-1871. Grâce aux achats de Durand-Ruel s’ouvre pour lui une période relativement faste où il mène une vie bourgeoise à Argenteuil, en compagnie de sa femme Camille et de leur fils Jean. Cette délicate nature morte, Le Service à thé, nous en offre un aperçu.
Porcelaine fine de style japonisant, plateau en laque rouge, cuillère argentée, nappe en coton damassé qui accroche la lumière… Rien ne manque pour signifier l’aisance, le raffinement de ce moment d’oisiveté de l’heure du thé. Le peintre a soigneusement placé les objets pour composer son tableau en jouant des obliques et des horizontales, des zones claires et sombres, des couleurs complémentaires et des reflets dans le plateau ou sur la cuillère. Rien n’est là par hasard, surtout pas la cuillère dont on se demande bien ce qu’elle fait là, posée sur la nappe, alors qu’aucun sucrier ne se trouve sur le plateau. Personne ne va la tremper dans la seule tasse pleine. Elle ne sert qu’à équilibrer les masses, à proposer une texture de plus dans ce jeu de virtuosité à rendre tissu, porcelaine, laque, feuilles, à montrer tout ce qui brille par contraste avec le fond mat.
Gazania
Parmi toutes les plantes cultivées dans les jardins de Monet, les gazanias ont une place à part. Car ces fleurs réclament le plein soleil pour s’ouvrir et boudent si le ciel est voilé, pétales frileusement resserrés autour du coeur. Tout comme le maître de l’impressionnisme, elles se montrent très sensibles à la lumière.
En Normandie, il faut un certain culot pour en planter, tant elles risquent de cacher le plus souvent ce qu’elles ont de plus joli, même si les variétés les plus récentes jouent un peu moins à cache-cache. Mais c’est justement ce côté baromètre qui est amusant. Que le soleil surgisse, et le gazania répondra à l’astre du jour.
Et quelle splendeur de couleurs ! Des soleils en miniature, magnifiquement mordorés, jaunes, orange, ornés d’une petite couronne contrastante à la base : les gazanias sont irrésistibles de chaleur, ambassadeurs des pays chauds et désertiques dont ils sont originaires.
Côté culture, le gazania a la sobriété d’un chameau et la frugalité d’une top modèle : il adore les sols pauvres et les oublis d’arrosage. Cette vie d’ascète arrange nombre de jardiniers, mais paradoxalement elle est une gageure à Giverny, où les massifs regorgent de bon compost et où le goutte à goutte étanche la soif des plantes par anticipation.
Cette déconcertante audace
Voici un détail d’un tableau de Monet qu’on pouvait voir l’hiver dernier à la Fondation Vuitton, dans le cadre de l’exposition de la collection Morozov. Reconnaissez-vous ce qui est représenté ici ? Contrairement aux apparences, dans l’esprit du peintre, cette partie de sa toile n’est pas abstraite mais bien figurative. La touche est menue, légère, marquée de glissendos ici et là comme pour faire sentir le souffle du vent. Cette explosion de couleurs : orange, vermillon, violet, contrastant avec des verts teintés de jaune ou de bleu, évoque des fleurs des champs qui s’épanouissent un peu partout en ce moment. Vous avez trouvé ?
L’instant capté par Monet est d’une fugacité totale. Le soleil vient de glisser derrière un nuage, délinéant sa masse grise d’une frange lumineuse. L’ombre du nuage se projette au sol sur le peintre et sur le spectateur. Monet la rend par des touches mauves et violettes, tandis que la ligne au loin qui est au soleil est peinte d’un vert chaud.
Dans un instant, le soleil émergera du petit cumulus de beau temps, et l’éclairage sera différent. Monet se tournera alors vers un autre tableau en cours placé sur un chevalet voisin, selon le témoignage de Clemenceau, pour capturer le nouvel effet par de petites touches vives.
Si vous cliquez dans le bandeau du blog sur Giverny News, vous ferez défiler les images. L’une d’elles est une photo d’un champ de coquelicots qui rappelle le tableau de Monet. C’était en 2009, je ne l’ai pas revu depuis.
Giverny en Normandie
Pourquoi Monet a-t-il décidé de s’installer à Giverny et pas ailleurs ? Ses biographes ne manquent pas de trouver de nombreuses raisons à son choix : le désir de vivre au bord de la Seine, la nécessité d’être près d’une gare, la beauté intacte du paysage, source de motifs, l’immobilier bon marché si loin de Paris, la proximité de la ville de Vernon pour l’éducation des enfants, la chance d’avoir trouvé une maison à louer avec un grand jardin… Mais au fond, on a l’impression que cela aurait pu être ailleurs. Les bords de Seine abondent en jolies localités où Monet aurait pu jeter l’ancre tout aussi bien.
Pour ma part, je pense que le choix de Giverny n’a rien d’un hasard, et que tout autre endroit aurait un peu moins bien convenu à Monet. Figurons-nous la scène : la décision est prise de quitter Poissy, mais pour aller où ? Le peintre fait sa liste des conditions à remplir pour le nouveau logement, où l’on retrouve celles énoncées plus haut. Mais je suis persuadée qu’il en ajoute une autre : il a envie de s’établir en Normandie.
Même s’il est né à Paris, Monet a grandi au Havre. La Normandie est sa région, il lui est profondément attaché. Cette Seine qu’il ne quitte pas des yeux, c’est elle qui le relie à sa jeunesse. L’eau qui passe devant lui finira par se jeter dans la Manche au Havre. Dans son enfance, il a peut-être imaginé les paysages qu’avaient traversés les flots du fleuve qui s’écoulaient devant lui. Maintenant, il visualise très bien le trajet de l’eau vers Rouen puis à travers le pays de Caux jusqu’à son embouchure.
Monet est partagé entre un désir de Normandie et une crainte de s’éloigner trop de Paris, où vit le marché de l’art. Rien d’étonnant alors à ce qu’il jette son dévolu sur le village qui se trouve juste derrière la frontière régionale, matérialisée par l’Epte. Rive nord, pour être orienté plein sud. Là et nulle part ailleurs.
Ce qui me conforte dans cette intuition, ce sont ses doutes au début. Il est enchanté du cadre (« Giverny est un pays splendide pour moi ») mais il a une crainte : d’avoir fait la folie de trop s’éloigner de Paris. En venant de Poissy, rien ne le contraignait à explorer un secteur aussi loin que celui de Vernon. Rien, sinon l’envie de redevenir Normand.
Iris de Sibérie
Dans le jardin d’eau de Claude Monet, des iris de toutes sortes s’épanouissent durant le mois de mai. A côté des iris jaunes, ou iris des marais, très courants à Giverny, fleurissent des espèces plus rares, telles celle-ci, que je crois être un iris de Sibérie. Les classifications valent ce qu’elles valent, car les fleurs sont généralement des hybrides obtenus à partir de souches différentes. Il me semble que l’iris siberica a des marbrures comme celui-ci, et l’intérieur dressé au-dessus de sépales arrondis. Si vous êtes plus calé que moi, vos précisions en commentaire sont les bienvenues !
A côté de l’opulence froufroutante des iris germanica, ou iris barbus, plantés en masse dans le jardin de fleurs de Monet, et dont la taille gigantesque impressionne les visiteurs, les iris de Sibérie affichent des mensurations plus modestes et une certaine retenue. Ils ont une présence discrète qui orne sans s’imposer, et demandent presque un effort de l’attention pour les remarquer, plantés comme ils le sont en contrebas du chemin.
Les deux Alice
A en croire la biographie consacrée à Claude Monet par Daniel Wildenstein, Alice Hoschedé était d’une jalousie farouche à l’égard de son compagnon. Le biographe la dépeint comme une femme exclusive, qui aurait obligé Monet à détruire tout souvenir de sa première épouse Camille, et qui ne manquait pas une occasion de lui faire une scène par lettre interposée chaque fois qu’il rencontrait une jolie femme au cours d’une campagne de peinture.
C’est ainsi qu’un évènement qui survient lors du séjour de Claude à Belle-Île-en-Mer en 1886 la met en transe : le grand ami de Monet Octave Mirbeau et sa compagne rendent visite au peintre à Kervilahouen.
Monet a pourtant pris les devants pour rassurer sa chérie, il a pris soin de lui décrire Alice Regnault comme quelqu’un « de très gentil et très bien ». Peine perdue, car Alice Hoschedé le sait, la compagne de Mirbeau est une cocotte, une courtisane, une femme qui s’est enrichie par ses charmes, investissant la fortune amassée dans l’immobilier. Alice H a donc des raisons objectives de s’inquiéter de la présence d’Alice R à Kervilahouen.
C’est à nouveau une visite des Mirbeau qui l’inquiète quand Monet séjourne au cap d’Antibes. D’autant que Monet, qui est « célibataire », ne lui doit rien sur le plan légal. Il pourrait courtiser qui il voudrait. Alice R et Mirbeau ne sont pas encore mariés non plus.
Alors, jalouse, Alice ? Plutôt un peu dépressive et portée à imaginer le pire. Elle a un sentiment d’abandon car Monet tarde trop à rentrer. Comment ne pas se dire qu’il lui cache quelque chose, que ce n’est pas la seule peinture qui le tient éloigné de son foyer ?
Alice est accablée de soucis de la vie quotidienne et seule pour les gérer. Santé des huit enfants et sa propre santé, départ de domestiques à remplacer, factures diverses qu’elle a du mal à payer, soucis familiaux et juridiques à régler à Paris, relation avec Ernest, souris qu’elle doit éradiquer dans l’atelier… C’est trop. Qui, à sa place, ne se ferait pas des films ? Monet ne cesse de l’exhorter au courage, mais repousse toujours la date de son retour. Il attend d’elle une force qui dépasse ce qu’elle se sent capable de donner.
Alors jalouse, oui, mais derrière le prétexte des jolies femmes, c’est une autre jalousie qui se profile, un sentiment qui n’a pas droit de cité, qu’elle renierait peut-être elle-même si elle se l’avouait, tant il s’oppose à l’admiration qu’elle porte au talent de son compagnon : Alice est sans doute jalouse de la seule maîtresse de Monet, la peinture.
Sur Alice Regnault, voir Pierre Michel, spécialiste de Mirbeau, dans Mirbeau et l’affaire Gyp.
J’espère que le Paradis ressemblera à ça
De plus en plus de visiteurs entrent désormais dans le jardin par le bas, munis de leurs billets coupe-file. Leur première impression est beaucoup plus forte qu’en pénétrant dans le clos normand par le haut, où se trouve la caisse pour les individuels. « Estoy impactado », répétait hier mon client, un paysagiste mexicain qui en avait pourtant vu d’autres. Je suis impressionné, je suis sous le choc… Quand on aime les fleurs, on peut être submergé par l’émotion à la vue du printemps de Giverny.
A la fin de mes visites, tandis que je regagne la sortie, je me fonds au milieu des visiteurs et je capte des bribes de conversation. J’ai adoré entendre une jeune femme exprimer sa joie par ces mots : « J’espère que le Paradis ressemblera à ça. »
Dès l’époque de Monet, les visiteurs employaient les mots d’éden et de paradis pour décrire son jardin. Inverser le propos, voilà qui renouvelle cette comparaison entendue si souvent, et lui redonne toute sa force.
Résilience
Enfin le premier nymphéa. Il s’est ouvert hier matin ; année après année il s’agit toujours du même nénuphar blanc à petite fleur non loin de l’embarcadère. Les nymphéas ont une semaine de retard suite au coup de froid de début avril qui les a ralenti dans leur élan, mais ils récupèrent. Selon Emmanuel Porc, le jardinier en charge du jardin d’eau, ils fleuriront simplement un peu plus tard, sans aucun dommage.
Les plantes font souvent preuve de résilience. Elles s’adaptent aux conditions climatiques, elles ont des ressources étonnantes. Cette fois, c’est la glycine qui m’a épatée. La toute vieille, celle plantée par Claude Monet lui-même au 19e siècle, qui fleurit mauve au-dessus du pont japonais, et un peu au-dessous.
C’est la plus précoce des glycines qui se succèdent sur la passerelle emblématique du jardin de Giverny. En mars, une météo très douce avait accéléré le développement de ses boutons tandis que les autres glycines, plus tardives, attendaient avec prudence. Hélas, la douceur a fait place à un temps glacé dans les premiers jours d’avril, brûlant de froid les fragiles boutons. Le pont est resté nu pendant plusieurs semaines. Enfin, début mai, les glycines tardives se sont ouvertes, ornant la passerelle de leurs longues inflorescences bleues ou blanches.
Et voilà qu’à l’instant où elles fanent, la vieille glycine prend le relais ! Elle a compris que ses premiers boutons avaient grillé et elle s’est dépêchée d’en fabriquer d’autres, pendant qu’on est encore à la saison des glycines. La première se retrouve la dernière, mais quelle joie, après la désolation de ne pas la voir fleurir, de recevoir le cadeau de cette floraison de la dernière chance !
Giverny sous le soleil
Les jardins de Monet ce matin : les dernières tulipes jouent leur symphonie en rose devant la maison…
…tandis que les premiers iris s’ouvrent dans les bordures imaginées par Claude Monet.
Les glycines rescapées du gel d’avril ornent gracieusement le pont japonais…
Claude, Blanche, Theodore et Jim
La nouvelle exposition du musée de Vernon Saga familiale est consacrée à Claude Monet et plusieurs autres peintres de sa famille : sa belle-fille Blanche Hoschedé-Monet (épouse de son fils Jean Monet), son beau-gendre Theodore Butler (mari de Suzanne puis de Marthe Hoschedé, deux autres belles-filles de Monet) et le fils de Theodore et Suzanne, Jim Butler.
Philippe Piguet, descendant des Hoschedé et commissaire de l’exposition, a fait appel à ses frères et soeurs pour nombre de prêts. Blanche avait déjà fait l’objet d’une exposition monographique à Vernon en 2017, mais les Butler n’avaient pas encore eu droit à ce coup de projecteur.
L’exposition est organisée par thèmes : en famille, fleurs et jardins, paysages de terre et paysages d’eau, reflets. Si elle ne présente que 3 tableaux de Claude Monet – dont un adorable pastel, Portrait de Germaine Hoschedé (la 4e belle-fille) daté de 1880 en collection particulière – elle regorge en revanche d’oeuvres de Blanche et de son beau-frère Theodore Butler.
Nés tous deux dans les années 1860, lui en 1861, elle en 1865, et tous deux proches de Monet, ils en ont subi l’influence aussi bien dans le choix des motifs que dans leur traitement pictural. Mais le style de Butler semble avoir puisé aussi à d’autres sources et offre davantage de variété, de la douceur à la stridence.
Son fils James, dit Jim ou Jimmy, regarde du côté du fauvisme et de l’expressionnisme, et montre un goût pour les paysages qui dérangent, peut-être en réaction à la douceur des lumières impressionnistes. Né à Giverny en 1893, il grandit dans un milieu artistique, son père étant en lien avec la colonie de peintres du village. Il a 20 ans quand Theodore et Marthe l’emmènent avec eux aux Etats-Unis. James fera des aller-retour entre les deux pays, avant de se tourner vers l’illustration et le batik et de s’installer définitivement aux Etats-Unis en 1940.
L’air du large
C’est une émotion très particulière de se trouver pile à l’endroit d’où a été peint un tableau célèbre. Même si les conditions météorologiques ne sont pas les mêmes, la confrontation de l’oeuvre et de son paysage, surtout quand ce dernier a très peu changé, apporte une satisfaction unique. Nous avons tout à coup les yeux du peintre, nous sommes à sa place, littéralement.
Les instances touristiques ne manquent pas de mettre en valeur les lieux les plus emblématiques représentés par les impressionnistes en Normandie. A Fécamp, Claude Monet est à l’honneur avec cette toile qui fait partie des collections du musée Malraux du Havre. C’est du circuit court : l’original est à quelques encablures sur cette même côte, et peut-être que certains estivants de Fécamp seront tentés d’aller le voir en vrai.
La mer était plus agitée et le ciel plus lourd quand Monet les a peints en 1881 ; à cette époque sa vie personnelle est bien agitée elle aussi. Alice n’est pas sûre qu’elle va rester avec lui, et Monet en est bouleversé.
Orchidée sauvage
Oups ! J’ai failli marcher dessus. Cette petite chose mesure 10 centimètres environ et elle se distingue à peine au milieu des hautes herbes. Mais vu l’endroit – le coteau calcaire au-dessus de Giverny – je regarde où je pose les pieds, car je sais que la prairie est truffée d’orchidées sauvages.
Celle-ci est la première que je vois cette année, mais elle a énormément de soeurs dans ce pré exposé au sud-est. D’autres espèces, moins discrètes, suivront. Elles préparent déjà leurs boutons. Toutes sont protégées.
Je crois qu’il s’agit d’une ophrys araignée, une fleur qui n’a pas eu de chance au moment de son baptême, car elle n’a pas grand chose à voir avec les arachnides. Elle aurait plutôt dû s’appeler l’ophrys andrène, cet insecte qui ressemble à une abeille et vit dans le sol. Dans son très beau blog, le naturaliste Gilles Carcassès explique tout de la stratégie de reproduction de l’ophrys aranifera, des faux phéromones à la fourrure d’imitation, et tant d’habileté dans la duperie laisse sans voix. Comme beaucoup d’autres orchidées sauvages, l’ophrys araignée est une faussaire, bien décidée à se faire passer pour ce qu’elle n’est pas. Et les andrènes foncent dans le panneau !
La dernière heure
Le jardin de fleurs et le jardin aquatique créés par Claude Monet à Giverny offrent un contraste très fort. Après la visite du Clos normand débordant de fleurs et de couleurs, exposé au soleil de l’après-midi, l’entrée dans le jardin d’eau apporte une bouffée d’air frais et une détente immédiate. « Je sens ma pression sanguine baisser », me confie spontanément ma cliente.
Malgré l’affluence, les visiteurs goûtent le charme des lieux. Nous flânons le long de la pièce d’eau et nous arrêtons sous le vieux saule. Comme du temps de Monet, c’est toujours l’endroit le plus hypnotique. Les yeux perdus sur l’étendue du bassin, la dame ajoute, avec un sens de la formule qui me touche :
– Si c’était la fin du monde dans une heure et que je devais choisir où passer cette dernière heure, c’est ici que je voudrais revenir.
Jardin privé
Des massifs colorés juste ce qu’il faut au pied des arbres fruitiers, une pelouse parcourue de pas japonais… c’est un rêve de petit jardin privé, où l’on reconnaît tout le talent des jardiniers du musée.
La mairie de Giverny
A l’heure qu’il est, les bulletins sont comptés, les résultats transmis, le suspense national a pris fin. Le soleil a plongé à l’ouest après avoir éclairé tous les murs de la mairie. La lumière s’est éteinte dans le bureau de vote, la nuit tombe sur Giverny.
Camouflage
Sans le son, elle n’est pas facile à repérer.
Ca y est, vous avez trouvé la grenouille ?
Nous sommes le long du Ru, dans le jardin de Claude Monet. Les fascines qui retiennent les berges sont accueillantes pour la biodiversité.
Nature morte au melon
29 juin 2022 / 2 commentaires sur Nature morte au melon
Claude Monet, Nature morte au melon, 1872, musée Calouste Gulbenkian, Lisbonne
Voici une composition de Monet qui est presque de saison : on trouve déjà pêches et melons sur les étals, mais la présence de raisin laisse supposer que l’artiste a peint ces fruits un peu plus tard, à la fin de l’été. Monet joue avec les couleurs complémentaires orange et bleues pour faire chanter les tons des fruits et de l’assiette au décor japonisant.
Comme souvent dans les natures mortes, celle-ci est l’occasion d’un exercice de virtuosité pour rendre la lumière et les textures : le velouté des pêches, l’aspect boursouflé de la peau du melon (en existe-t-il encore de pareils ?), les grains luisants du raisin encore couverts de pruine, le brillant de la faïence…
C’est la période d’Argenteuil, tout comme la nature morte au service à thé, et l’on retrouve le même désir de coller au goût de l’époque pour le japonisme.