Un énorme fourneau trône dans la cuisine de Monet à Giverny. C’est une cuisinière à bois et charbon de marque Briffault, une entreprise qui avait pignon sur rue avenue de l’Opéra à Paris au tournant du siècle dernier. C’est dans le show-room parisien que le peintre aurait repéré cet appareil et l’aurait commandé pour sa cuisine nouvellement réaménagée.
Selon les catalogues que l’on peut voir en ligne, les pianos Briffault se faisaient en différentes tailles et avec des équipements croissants. Celui de Monet présente un dispositif complet car le peintre ne regardait pas à la dépense quand il s’agissait de bien manger. Je m’en suis fait expliquer tous les détails par un cuisinier qui a fait son apprentissage sur l’une de ces cuisinières. Voici donc ses éclaircissements de pro.
Le feu de bois se faisait sous les cercles de fonte (à droite de la plante verte). On chargeait par en haut. Sur le côté de la cuisinière une petite porte avec ouverture en étoile permettait de faire varier l’arrivée d’air pour aviver ou diminuer la flamme. En-dessous, un cendrier récupérait les cendres produites par la combustion du bois. Les cercles situés juste au-dessus du foyer sont étonnament ceux du feu doux ; ils sont faits d’une fonte très épaisse qui diffuse la chaleur. A droite, les autres cercles en fonte fine sont ceux du feu vif.
Un four se trouve juste à côté du foyer. C’est le four destiné à la cuisson des viandes, par exemple. La porte au-dessous est celle de l’étuve à plats, qui permettait de garder les plats de service au chaud. L’étuve était aussi le « four » idéal pour faire des meringues, qui ont besoin de sécher plus que de cuire. Enfournées le soir, elles étaient parfaites le lendemain matin.
On glissait dans l’étuve des briques réfractaires qui maintenaient longtemps la température, et après le service on y mettait les chaussons. En rentrant du dehors en hiver, quel délice de glisser ses pieds dans des chaussons tout chauds !
Sur la partie gauche du fourneau la grande porte ouvre sur l’étuve à assiettes. Au-dessus, les deux carrés correspondent à deux potagers, nommés réchauds sur le catalogue Briffault. Sous leur couvercle de fonte on découvre un logement muni d’une grille où l’on plaçait des braises, c’est-à-dire du charbon de bois façon barbecue. Cette chaleur modérée et régulière permettait de garder les préparations au chaud en attendant de les servir. Elle était idéale pour mijoter sans cuire, par exemple pour les sauces liées à l’oeuf comme dans le cas d’une blanquette de veau.
A droite des ronds de cuisson la partie qui dépasse est la chaudière à eau chaude. Monet (ou Blanche ?) a eu l’idée de faire venir l’eau froide directement au-dessus du réservoir, une disposition assez originale il me semble. On remplissait le réservoir de cuivre d’eau froide, elle se chauffait pendant qu’on faisait à manger, et ensuite elle était à point pour la vaisselle… Les petites fuites au robinet d’eau chaude étaient fréquentes, dans ce cas on accrochait un petit seau de cuivre au robinet du bas pour récupérer l’eau qui gouttait et aurait pu brûler les pieds. A l’intérieur de la chaudière, il était d’usage de placer des coquilles d’huîtres pour attraper le calcaire de l’eau et éviter qu’il ne se dépose sur les parois.
Tout à fait en bas à droite, c’est la trappe à charbon. Ce feu était plus régulier que le feu de bois et plus facile à maîtriser. Le four au-dessus était celui où l’on cuisait la pâtisserie et le pain, qui demandent une température plus constante que les viandes et les légumes.
La barre en laiton devant le fourneau, dite barre de garantie, évitait de se brûler au contact du métal. On y faisait sécher les torchons en quelques minutes, on y accrochait la louche et l’écumoire. Comme il y avait souvent une marmite en train de crachouiller, une serpillère était à portée de pied sous la main courante. Le gros tuyau permettait d’évacuer les fumées. Les carreaux devant la cuisinière de Monet gardent la trace du tisonnier. Ils sont marqués de petits trous faits par la barre de métal rougie par le feu.
Et vous, avez-vous des souvenirs personnels concernant ce type de cuisinière ? Je me rappelle que ma grand-mère y brûlait tout, sauf ce qu’elle mettait au compost. Avant l’ère du plastique, à la campagne les éboueurs passaient une fois par mois ramasser des poubelles qui ne contenaient que des boîtes de conserves.
Quand j’étais encore si petite que mes yeux arrivaient à la hauteur de la main courante, j’étais fascinée par les gouttes échappées de la lessiveuse. La fonte du fourneau était si chaude que les gouttes ne s’étalaient pas. Elles rebondissaient en crépitant avant de s’évanouir en vapeur. J’ai encore dans l’oreille le petit bruit que cela faisait, tout comme le claquement de la porte du foyer qu’on referme. Ma grand-mère entretenait sa cuisinière au tampon Jex et frottait ensuite au papier journal. Il y a emmagasinés dans ma mémoire une foule de souvenirs et de détails pleins de vie, et c’est doux et douloureux à la fois d’y penser devant ce fourneau à jamais éteint, tout comme ceux qui s’en sont servis et qui ne sont plus.
Je retrouve les mêmes souvenirs que toi…
Je me rappelle que ma grand-mère mettait une petite grille sur le dessus et disposait de grandes tartines sur lesquelles elle faisait fondre des carrés de chocolat pour mon petit déjeuner,je n'ai jamais retrouvé ce goût…
La sienne était beaucoup moins longue et couleur "bleu canard"
Celle de Monet est magnifique ,j'imagine tous les bons plats!
Belle semaine à toi Ariane
Quel magnifique billet, empli de nostalgie et de tendresse. Vous faites ressurgir des souvenirs heureux.
Belle soirée à vous .
Bonjour Marie-Claude et Nadezda, quelle chaleur dans ces souvenirs d'autrefois ! Et dire qu'un jour ce sera notre façon de vivre actuelle qui sera un souvenir rétro pour les toutes jeunes générations…
Dans la description de ce fourneau adossé, il y a plusieurs erreurs et confusions à rectifier :
Cet équipement comporte, de gauche à droite, un chauffe-plats surmonté effectivement de deux réchauds à charbon de bois. Ensuite, vient la partie du foyer à -charbon- et non à bois puisqu’il n’y a pas de porte de chargement en façade) Charbon spécifique, nommé flambant, dégageant une très haute température dès l’allumage avec un peu de petit-bois. Tous les cuisinières modernes de cette époque, grandes ou petites fonctionnaient avec ce combustible-là. A l’endroit du foyer se trouve la plaque de fonte moulée du constructeur (Ici Briffault) sous-laquelle se trouve le tiroir du cendrier-trieur à tamis où l’on récupérait les petits morceaux de flambant non consumés,puis, en dessous le cendrier lui-même. Le papillon d’aération ou tourniquet sur un des deux tiroirs cendriers.
Le foyer est recouvert ici d’une plaque coup-de-feu à deux trous et rondelles. Les rondelles au-dessus du foyer pour le feu très vif (et non l’inverse) puis le gradian thermique diminuant en s’éloignant vers la droite du foyer. Ce qui est la logique même.
Accolé au foyer, le four à rôtir avec en-dessous une étuve à faible température. Puis vient la chaudière à panache, où s’encastrait une grille sur laquelle des casseroles hautes plongeaient pour cuire ou maintenir les sauces et mets au chaud, au bain-marie.
Ensuite, le four à pâtisserie avec un foyer à bois (et non une trappe à charbon))) comme partout à l’époque . Et le tuyau de départ des fumées. A noter que l’âtre à droite du fourneau servait de rôtissoire et de grillade ; Un équipement indispensable dans une maison bien montée.
De l’autre côté du mur se trouve la cheminée de la salle à manger.
Bonne continuation.
Merci Alex pour ces précisions !
A noter que le peintre Monet a choisi un assortiment de faïences murales en vogue à l’époque mais qu’il ne mettait jamais les pieds dans cette cuisine qui était semblable à toutes celles de son temps.
Quant à l’idée (?) de faire une arrivée d’eau au-dessus de la chaudière, elle ne vient ni du peintre ni de sa fille Blanche, toutes les cuisines correctement équipées en étaient pourvues.
Ce pot de fleurs sur le fourneau est pour le moins incongru. J’ai eu la chance de connaître cette maison avant la restauration et l’ouverture au public. Les couleurs d’origine choisies par Monet et appliquées dans toute la maison par les peintres en bâtiment, du village, étaient moins criardes.
Merci à Ariane d’avoir fait partager sa vision.
Ariane,
Vous avez bien reçu mes commentaires précédents, j’ajoute que la célèbre maison parisienne BRIFFAULT avait son siège et son magasin de vente et d’exposition , non pas avenue de l’Opéra mais au 72-74 avenue Parmentier dans le 11e arrondissement comme tout ce qui était de la chaudronnerie et des métalliers en tous genres à Paris.
Je doute fort qu’un cuisinier pro ait pu vous induire en erreur à ce point : Le grand chef Joël Robuchon a lui-même (comme Bocuse et bien d’autres de cette génération) fait son apprentissage sur ce genre de grands fourneaux à charbon, il s’en est expliqué.
J’ai une connaissance exhaustive des cuisines anciennes et de tous leur équipement, j’utilise toujours, en privé, un fourneau de même genre, encore plus grand, comme il en existait partout, en ville, à la campagne. Cette cuisine de Giverny a surtout le mérite de ne pas avoir été détruite comme des tas d’autres. Son originalité, voulue par Claude Monet, réside surtout dans le mélange des faïences de la maison Ponchon, toujours fabriquées.
https://collections.alpesazurpatrimoine.fr/index.php/Detail/objects/8328
https://www.faience-ponchon.com/
Cordialement
Alex
Bonjour Alex, j’ai à la maison un fourneau Briffault, de taille plus modeste (1,50m). Je le fais fonctionner avec de l’anthracite ou du bois, mais le four n’a jamais atteint une température suffisante pour faire cuire de la viande, même doucement. Avez-vous des conseils à me donner ?
Gil
Gil, je n’étais pas venu ici depuis longtemps.
Des conseils ? Mais oui, une abondance en matière de fourneaux et de cuisine.
Votre fourneau comporte-t-il une porte en façade pour charger le bois ? S’il n’y en a pas c’est un fourneau à charbon, donc avec petit foyer ne permettant pas l’usage du bois.
Selon votre réponse je vous guiderai avec certitude.
Alex