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Les marronniers centenaires

Malgré leur haute taille, ces deux marronniers font partie des végétaux « discrets » des jardins de Monet, de ceux que pas grand monde ne remarque. Ils sont situés le long de la ruelle Leroy, où ils ombragent l’entrée des groupes et celle des visiteurs munis de billets.
Selon les notes et souvenirs de Gilbert Vahé, (le chef-jardinier qui a restauré les jardins, je le rappelle), « un ou deux marronniers se sont maintenus sur les six qui se trouvent le long du mur ouest ». (in Le Jardin de Monet à Giverny, histoire d’une renaissance, éditions Claude Monet Giverny, p 124) Lequel ou lesquels a ou ont été planté.s par Claude Monet ? Il faudrait pouvoir mesurer la taille des troncs, dans cette partie inaccessible au public. Et encore…
Imaginons que ce sont ces deux-là ! Il me plaît à penser que le peintre en avait choisi un fleurissant blanc et l’autre rose, quitte à en mettre deux. C’est plausible : vérification faite, la variété rose existe depuis le début du XIXe siècle.
Dans les glycines

La glycine le 4 mai 2023, toujours aussi vigoureuse que lorsque Monet l’a plantée.

... et la glycine le 9 mai 2023. La partie de gauche plus à l’ombre est en fleurs, les deux glycines à inflorescences longues, plus tardives et plus récemment plantées, commencent à s’épanouir.
Victoire ! Voilà plusieurs années que les glycines recouvrant le pont japonais n’avaient été aussi belles, aussi généreusement fleuries. Un gel tardif avait à chaque fois raison des bourgeons naissants au début du mois d’avril, ruinant la floraison. Si bien que les jardiniers de Giverny ont pris des mesures radicales :

L’hiver dernier, un brumisateur a été installé au-dessus du pont. Dès que la température frôle le zéro, le système se déclenche et vaporise de fines gouttelettes d’eau sur la glycine. Elles gèlent et enrobent les bourgeons d’une gangue de glace qui les protège. Cela paraît contre-intuitif, mais ça marche.

Cette fine couche de glace fond aux premiers rayons du soleil. Début avril, j’ai eu à peine le temps d’apercevoir la glycine gelée.

Voici l’aspect beaucoup moins spectaculaire qu’avaient les glycines le 11 mai 2022, avant l’installation du système de brumisation.
Faux pistachier

Staphylea pinnata ou staphylier penné à Giverny
Un petit panneau d’identification a longtemps donné le nom de cet arbuste qui fleurit en ce moment dans les jardins de Monet, tout près de la maison du peintre.
C’est une ancienne variété de Staphylea pinnata, alias faux pistachier. Il ne retient guère l’attention des visiteurs : tout près de là s’étendent les massifs de tulipes roses et de myosotis bleus qui sont le clou du spectacle en haut du clos normand.
Selon Gilbert Vahé, le chef-jardinier qui a restauré les jardins, ce faux pistachier a été planté par Monet. Ce dernier trouvait sans doute sa floraison originale et intrigante, ses feuilles d’un beau vert.

C’est l’arbuste qui se trouve à gauche sur cette photo.
Pommier de père en fils

A la fin des années 1970, un pommier du Japon de bonne taille qu’on présume avoir été planté par Monet était toujours présent devant sa maison de Giverny. Au début du printemps, les boutons roses de ses fleurs étaient coordonnés à la façade, avant de s’ouvrir en nuages nacrés.

Quand il a fallu procéder à son remplacement, Gilbert Vahé, chef-jardinier, a eu l’idée d’en prélever des greffons. Pour assurer le même effet de masse avec de jeunes arbres, il en a planté plusieurs en lieu et place d’un seul. Ils font vivre le souvenir du Malus floribunda d’origine, dont ils sont un peu les descendants.
Laurier du Caucase

Voyez-vous cette masse de feuillage vert sombre à droite des arceaux, sous le saule ? C’est l’un des végétaux survivants du jardin d’eau de Giverny tel qu’il était avant sa restauration : un laurier du Caucase. J’ai eu du mal à trouver une photo où il figure, tant cette zone opaque et obscure n’attire pas l’objectif.
Selon le bilan arboré dressé dans les années 1970 par Gilbert Vahé, le chef-jardinier à qui l’on doit la restauration des jardins de Claude Monet, ce laurier du Caucase a été conservé. « Toujours vigoureux, il doit être périodiquement rabattu pour ne pas obstruer la vue sur l’étang. »

Est-ce Monet qui l’a planté ? A en juger par l’aspect qu’il avait en 1961, j’ai des doutes. Et en même temps, on croit l’apercevoir sur le tableau des Arceaux de roses peint par Monet en 1913. C’est lui, ou c’est autre chose d’un peu sombre.
Quand il a été planté, que ce soit par Monet ou par son fils, ce laurier n’avait sans doute rien d’imposant. C’était un contrepoint dans l’harmonie des verts telle qu’elle éclate dès le début du printemps. Mais avec le temps, le laurier a poussé, grandi, et il a fini par se marcotter. Des branches basses touchant le sol ont pris racine tout autour du tronc initial, formant une petite cabane.
Seuls les jardiniers qui s’occupent de prolonger la vie de ce laurier historique en le taillant de manière réfléchie ont le droit de se faufiler sous ses rameaux. Mais j’avoue que plus d’une fois, en passant à côté, j’ai été tentée de me glisser à l’intérieur et de retrouver ces sensations enfantines de cabane dans la verdure.

Cela fait partie des choses qu’on ne fait pas dans un jardin comme celui-ci, avec l’envie de cueillir des fleurs, de s’asseoir sur la pelouse, de canoter sur l’eau ou de pique-niquer. L’usage que nous pouvons avoir d’un jardin ouvert au public obéit à des codes qui varient selon les lieux. Ici, en raison du nombre extraordinaire de visiteurs et de la délicatesse des plantations, la contrainte est maximale. Les promeneurs peuvent flâner dans les allées maçonnées, prendre des photos, sentir les fleurs et s’asseoir sur les bancs. Ce n’est pas beaucoup, peut-être, et c’est énorme. Ce privilège de savourer un jardin ouvert au public nous est apparu dès les premiers jours du premier confinement, quand cette possibilité nous a été retirée.
Les tilleuls de Monet


Le peintre et sa famille adoraient ce coin ombragé proche de la maison. Ils installaient les meubles en rotin sur ce qui est maintenant un bout de pelouse, à l’époque une allée sablée. Plusieurs photos les montre à cet endroit en compagnie d’invités, notamment le marchand Paul Durand-Ruel.

Le rosier survivant

Parmi les survivants toujours présents, on compte des arbres, des arbustes, une glycine, et aussi un rosier : le rosier Mermaid qui pousse juste sous la fenêtre de la chambre de Monet. Remontant, il produit des fleurs simples jaune pâle de juin à novembre.
Le rosier Mermaid a inspiré un tableau à Blanche Hoschedé-Monet, que l’on peut voir en ce moment au musée de Vernon dans le cadre de l’exposition Saga familiale :

Blanche a posé son chevalet devant le premier atelier, dont on aperçoit la fenêtre en haut du tableau. Et il me semble reconnaître dans la partie supérieure à droite la porte ouverte de l’atelier, lampes allumées peut-être, émettant une lumière orangée. Difficile de dater cette toile, quelque part entre 1927 et 1947, entre la mort de Monet et celle de Blanche. La touche vibrante est impressionniste, l’utilisation de l’espace fait penser aux Clématites de Monet, à ses Chrysanthèmes, au Parterre de marguerites de Caillebotte, des vues plongeantes qui couvrent toute la surface du tableau. Ici, Blanche donne de la verticalité à la toile grâce à l’évocation de la fenêtre.
Gilbert Vahé aime bien raconter l’histoire de ce rosier. En tant que chef-jardinier, il a eu maintes fois l’occasion d’accompagner des personnalités dans le jardin ; déambulations ponctuées de brefs commentaires : Gilbert Vahé n’est pas un grand bavard. En 1985, se souvient-il, l’hiver avait été si glacial que le rosier avait gelé. Mais la plante est repartie des racines au printemps suivant !
On sent dans son intonation toute la surprise et la joie éprouvées au début de 1986, quand il s’est aperçu que le rosier Mermaid refaisait de nouvelles pousses, son émerveillement devant la puissance de ce rosier et la résilience de la nature. Des émotions qui venaient remplacer la désolation ressentie après le gel.
J’aime le fait qu’il aime raconter cette histoire. On y entend de la fierté d’avoir préservé un rosier historique, de l’humilité d’avoir failli le perdre. Faire le tour du jardin avec Gilbert Vahé, c’est découvrir les lieux de son point de vue, comprendre un tout petit peu ses responsabilités et son métier, à travers son ressenti.
Le rosier Mermaid symbolise l’histoire du jardin de Monet, qui a failli disparaître, et qui est reparti vigoureusement de ses racines, grâce à tous les jardiniers de Giverny.
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