Monet était « fleur bleue »

Le goût de Monet pour les fleurs bleues est attesté, car il a surpris plus d’un de ses contemporains. Le peintre avait ainsi une passion pour les immenses delphiniums, devenus difficiles à trouver.

A Giverny, les jardiniers prennent soin de cultiver le plus possible de fleurs bleues, comme ici les sauges et les campanules de Canterbury. Le violet et le mauve sont également très présents et participent à l’impression bleue. Et vous, aimez-vous aussi voir les jardins en bleu ?

Jardinage en bateau

La pluie ne décourage pas les jardiniers de Giverny, qui continuent de planter les fleurs d’été. Certains massifs ne peuvent être atteints qu’en barque, et il faut une bonne dose d’équilibre pour travailler depuis un esquif mouvant.
J’ai pris cette photo mercredi dernier en pleine après-midi, dans le grand calme de ce printemps 2021… Seuls les week-ends sont animés.

Giverny à la télé

Vous avez peut-être vu ce midi le documentaire consacré à Giverny dans l’émission de Laurent Delahousse « 13h15 le dimanche » sur France 2. C’est un très joli reportage que vous pouvez voir en replay pendant quelques jours encore.

Marie-Pierre Farkas et Fred Poussin, le cadreur ci-dessus, ont tourné entre novembre et mai. Là, nous sommes le 2 avril, à la fin d’une matinée entière de prises de vue. Je devais lui montrer mes endroits préférés à Giverny et répondre à ses questions. Je sais maintenant comment on filme pour ce genre d’émission. En revanche le montage, truffé de documents d’archives habilement mis en scène était une surprise et m’a bluffée. C’est du très beau travail.

Femmes au jardin

Quel plaisir de rencontrer aujourd’hui ces deux charmantes jeunes femmes habillées de robes sorties tout droit du tableau de Monet Femmes au jardin ! Annaëlle, à gauche, prépare un mémoire sur Monet et portera cette élégante tenue pour sa soutenance le mois prochain. C’est sa maman, Caroline Mussen, à droite, qui a réalisé les deux robes. Caroline soutiendra elle aussi un mémoire pour décrocher son diplôme de costumière ! Elle a décidé de se reconvertir dans la confection de costumes, sa grande passion.

A quelques semaines de leur oral, ces deux dames belges sont venues étrenner leurs robes à Giverny. Selon Caroline, qui n’est pas intimidée par l’idée de fabriquer une robe de A à Z sur une base aussi mince qu’un tableau, le plus difficile a été de trouver le tissu. Celui de la robe de sa fille est un crêpe à pois très raffiné. Le sien, un coton à rayures. Ne trouvant pas de vert, elle a dû se résoudre au bleu, fort seyant aussi.

Quelle joie Monet devait éprouver à peindre d’aussi jolis modèles !

Quand Monet a exécuté cette grande toile aujourd’hui au musée d’Orsay, il n’avait que 25 ans. C’est sa compagne Camille Doncieux qui a posé pour les trois femmes brunes de gauche. On ne sait pas qui est le modèle de droite en robe à pois.

Réouverture

C’est comme si les fleurs avaient attendu les visiteurs autant qu’elles le pouvaient : les ultimes tulipes et les myosotis étaient au rendez-vous de la réouverture des jardins de Monet ce matin. En général, les tulipes sont passées avant la Pentecôte, et remplacées par les pélargoniums. Mais le temps frais des dernières semaines a mis la nature au frigo. Ce décalage arrange bien les jardiniers : ils ne sont pas pressés d’installer les pélargoniums tant qu’il fait aussi humide, car les variétés anciennes roses sont sensibles à la pluie.

Sous les ifs, les tulipes sorbet sont les plus fraîches. Année après année on ne se lasse pas de leurs coloris pimpants de glace à l’italienne.

Devant la fenêtre de l’atelier, un massif époustouflant combine une multitude de petites fleurs, dominées par les sphères mauves des alliums.
C’est le début de la floraison des iris, un des plus beaux moments de l’année.

Au jardin d’eau, une nouveauté : le tapis de mousse qui s’étend sous le grand hêtre pourpre. Le chef-jardinier, Jean-Marie Avisard, espère qu’elle se plaira à cet endroit très ombragé où la pousse de la pelouse est toujours un peu problématique. L’effet, incontestablement japonais, est bienvenu à proximité immédiate de la bambouseraie.

Il faudra encore attendre avant de voir s’ouvrir les premiers nymphéas. L’aspect du bassin est plutôt celui d’un mois d’avril. La surface est piquetée de feuilles de nénuphars encore petites et pourpres.
Les azalées les plus tardives et les rhodos sont en pleine floraison. Quel bonheur de humer l’opulent parfum de cette azalea lutea !

Au dessus du pont japonais, les glycines s’ouvrent à peine. Elles ont miraculeusement échappé au gel.

Jusqu’au 9 juin, sur ordre de la préfecture, les visiteurs ne doivent pas se croiser dans le souterrain. Le retour vers le jardin de fleurs se fait par la route. Le parcours à sens unique est identique à l’an dernier.

Le paulownia remplacé fleurit, encore modestement. Très bonne nouvelle pour les visiteurs, tous les bancs sont de retour !
Les pivoines japonaises resplendissent, bien à l’abri sous leurs toits de paille.
Est-ce la pluie, la fraîcheur, les enfants qui sont à l’école ? La rue Claude-Monet était déserte aujourd’hui vers midi. Le week-end de la Pentecôte s’annonce beaucoup plus animé. Si vous pensez venir, prenez bien votre billet à l’avance car une jauge est en place.

Quand Aragon revisitait Giverny

Louis Aragon connaissait bien Giverny où il s’était retiré en 1923, suite à une déception amoureuse, pour écrire La Défense de l’Infini. Lors de ce séjour, il avait rendu visite à Monet, âgé de 82 ans.
C’est donc assez naturellement que l’écrivain a situé une partie de son roman Aurélien à Giverny. Dans ce livre rédigé pendant la Seconde Guerre mondiale et publié en 1944, Il fait une description du jardin de Monet, description qui est depuis devenue une référence littéraire :

« Quand elle fut devant le beau jardin que partageait le chemin, elle s’arrêta et regarda à gauche le pont, l’eau, les arbres légers, la tendresse des bourgeons, les plantes aquatiques. Puis se tourna du côté de la maison qu’habitait ce grand vieillard qu’elle avait souvent vu de loin, et dont tout le pays parlait. Celui qui ne pouvait voir les fleurs fanées. Elle vit les fleurs bleues. À leur pied, la terre fraîchement remuée. Des fleurs bleues partout. La petite allée vers la maison. Le gazon clair et d’autres fleurs bleues. […]

La lumière était si belle sur les fleurs… Qu’est-ce que c’était ces fleurs ? On dit qu’il n’y a pas de vraies fleurs bleues. Pourtant… Qui sait s’il les voyait bleues, le grand vieillard, là-dedans. On disait que ses yeux étaient malades. Il pouvait devenir aveugle. Terrible à penser. Un homme dont toute la vie était dans les yeux. Il avait quatre-vingts ans passés. S’il devenait aveugle… On pouvait l’imaginer exigeant encore qu’on arrachât les fleurs avant qu’elles fussent fanées, ces fleurs que de toute façon il ne verrait plus… Les fleurs bleues feraient place à des roses. Puis il y en aurait de blanches. Chaque fois, d’un coup, c’était comme si on repeignait le jardin.  »

(LXIII, p. 408)

Selon Céline Cachat dans son essai Aurélien : le kaléidoscope et le mentir-vrai , « l’évocation du jardin de Monet à la fin du chapitre LXIII constitue une retranscription fidèle de l’œuvre du peintre selon le procédé de l’ekphrasis, et en particulier de la série des nymphéas et des ponts japonais ». L’ekphrasis désigne la « narration descriptive d’une oeuvre d’art », un concept qui nous est plus familier que son nom.

« La description évoque quelques détails divers qui disparaissent presque sous la quantité de fleurs que comporte le jardin, analyse Céline Cachat. L’incertitude sur les couleurs de ces fleurs est ici attribuée à la vision défectueuse du peintre, mais en réalité elle reproduit exactement les effets de ses tableaux, où les couleurs sont tellement entremêlées qu’il devient presque impossible de les distinguer. Aragon rend ainsi hommage à Monet, et inscrit son texte dans une tradition instaurée par Proust, qui avait déjà rendu un hommage implicite au peintre dans sa description des jardins de nymphéas sur les bords de la Vivonne :
L’épisode de Giverny est donc loin de la romance bucolique. Son intensité dramatique et sa portée symbolique dans le roman en font un épisode clef qui, tout en renvoyant à un passé réellement vécu par Aragon, rend aussi hommage au grand peintre que fut Monet et à son œuvre qui, dès la fin du XIXe siècle, a annoncé la modernité en peinture. »

Louis Aragon a eu l’occasion de revenir à Giverny en 1976 avec le réalisateur Michel Favart, qui voulait adapter le roman pour la télévision. Mais il n’a pas été possible de tourner les scènes givernoises dans le village de Monet : celui-ci avait trop changé.

Dans le numéro 8/9 de Silex consacré à Aurélien et la télévision, Favart raconte cette visite juste avant la restauration des jardins :

Je sui allé en repérage avec Aragon à Giverny. Je l’ai suivi pendant deux journées à la recherche de ses souvenirs, et il ne reconnaissait plus rien, ou si peu de choses… Aujourd’hui, le chemin creux qui partageait la propriété de Claude Monet s’est élargi en route goudronnée ; là où le jardin du peintre était touffu, sauvage aux dires d’Aragon, il est maintenant bien ordonné et assez pauvre en fleurs… La fameuse grille est d’un vert affreux et il n’était pas question d’avoir l’autorisation de la repeindre… Aragon eut beaucoup de mal à reconnaître dans une grande résidence secondaire le moulin où il avait séjourné et où il a fait vivre Paul Denis et Bérénice : il a fallu le témoignage du fils du propriétaire de l’époque (Vanhoot dans le roman), Monsieur Toulgouat, pour qu’Aragon retrouve les lieux et nous les décrivent tels qu’ils étaient en 1922… Quant à l’île où il s’était baigné comme Paul Denis à l’embouchure de l’Epte, nous l’avons cherchée toute une après-midi, courant à travers champs, pour finalement apprendre qu’elle avait été dynamitée il y a une dizaine d’années pour faciliter le passage des péniches sur la Seine.

J’imagine que l’expérience a dû être un peu douloureuse pour Aragon. Mais je dois dire que je ne suis pas surprise de sa mésaventure. Car le Giverny qu’il décrit de mémoire dans les années quarante, vingt ans après y avoir séjourné, ne ressemble guère, lui non plus, au Giverny réel. Sa mémoire avait sans doute passablement transposé les lieux.

Les décors du film ont été reconstitués sur un bras de la Charente, le long d’un chemin creux. Pour l’anecdote, c’est le tout jeune et très beau Bernard Henri-Lévy qui avait été choisi pour le rôle du poète romantique Paul Denis. Il avait même accepté de tourner nu, ce qui suscita une certaine émotion lors de la diffusion du film à la télévision.

Réouverture le 19 mai 2021

Entre la Fondation Monet et le musée des impressionnismes, la rue principale de Giverny est encore déserte, mais plus pour très longtemps : les jardins de Claude Monet rouvrent le mercredi 19 mai prochain.

L’épidémie

Une pièce de théâtre en un acte d’Octave Mirbeau prend un relief particulier en ces temps de pandémie : il s’agit de lEpidémie (à lire sur Gallica). On est en 1898, et pourtant l’ironie de Mirbeau est d’une actualité étonnante. Elle porte sur la gestion de la crise.

J’ai retrouvé dans mon grenier, comme déjà La 628-E8, un volume passablement explosé des Farces et Moralités parues en 1904 chez Fasquelle, envoyé par l’auteur au directeur de l’Excelsior.

Un petit texte tapé à la machine est contenu dans le livre. On dirait un article prêt à être envoyé à la composition, à moins que ce ne soit le prière d’insérer, mais ils sont habituellement imprimés plutôt que dactylographiés. Une seule phrase, mais elle cogne bien.

Toutes les pages du livre ont été découpées, preuve qu’il a été lu. C’est l’Epidémie qui ouvre le recueil.

Mirbeau a placé l’action dans la salle des délibérations du Conseil municipal, dans une grande ville maritime. Le maire a convoqué une séance secrète et extraordinaire du conseil car il vient d’apprendre qu' »une épidémie de fièvre typhoïde vient de fondre sur la ville ». Le foyer en est la caserne de l’arsenal.

– Combien de décès ?
– Hier, douze soldats sont morts… ce matin, seize.
– Ah !… Combien de malades ?
– A l’heure actuelle, on compte cent-trente-cinq malades.

Le décompte, déjà…

Les conseillers ne se sentent pas concernés par ces soldats qui meurent. Ils bottent en touche :

Nous n’avons pas à prévoir des choses qui ne sont pas encore arrivées… Si contrairement aux avis de la science, une pareille éventualité se produisait… si des symptômes alarmants et que nous n’avons pas le droit de préjuger, se manifestaient… eh bien, nous aurions toujours le temps de prendre les mesures nécessaires… Dans l’état actuel, nous ne devons pas intervenir…

Au préfet maritime qui réclame de l’eau de source et des casernes salubres, ils répliquent :

– Il est inouï, le préfet… Il est inouï…
– Si les soldats n’ont pas d’eau, qu’ils boivent de la bière…
– Si les casernes sont malsaines, eh bien, qu’ils campent…

Bref, pas de crédits. Mais un huissier apporte l’annonce de la mort d’un bourgeois, emporté par l’épidémie. C’est alors le docteur Triceps, conseiller municipal et comité scientifique à lui tout seul, qui prend les choses en main d’un ton martial :

– Nous devons lutter ! Aux circonstances douloureuses, opposons les résolutions viriles… Aux périls qui nous menacent, l’énergie qui en triomphe… Etes-vous prêts à tous les sacrifices ?
– A tous… à tous…
– Il nous faut de l’argent…
– Nous en trouverons.
– Nous en inventerons… nous en forgerons…
– Les emprunts !
– Les octrois !
– Les expropriations !
– Il faudra démolir les vieux quartiers de la ville, ces foyers d’infection…
– Nous les démolirons…
– et les reconstruire…
– nous les reconstruirons…

Suivent des mesures délirantes, et enfin :

– Nous établirons des conseils d’hygiène en permanence… des commissions de salubrité… des syndicats de prophylaxie… Des congrès médicaux. Des instituts Pastoriens…
– Votons… Guerre aux microbes ! Guerre à la mort ! Vive la science !…
– Oui, Messieurs, nous allons voter… des choses inouïes… des mesures exceptionnelles…révolutionnaires même… des sommes formidables…
– Je demande dix millions.
– Que voulez-vous faire avec dix millions ?… Non, vingt millions!
– Cinquante millions !
– Eh bien 75 millions !
– Non… Cent millions !… (Hourrah formidable)

Un très vieux conseiller émet des doutes :

– Mais où trouverons-nous tous ces millions ?

Je vous laisse découvrir la réponse du maire et des autres conseillers à cette question saugrenue.

Sur le quai de la gare

La gare de Vernon a été rebaptisée récemment Vernon-Giverny. Si vous prenez le train en direction de Paris, il faut vous placer sur ce quai. Pour aller vers Rouen et Le Havre, c’est en face. Cette partie de la ville n’a pas beaucoup changé depuis l’époque où Monet circulait à bord d’un train tiré par une locomotive à vapeur.

A l’époque, il existait une correspondance à Vernon, comme l’indique le panneau « Embranchement de Gisors à Pacy ». On pouvait prendre le petit train qui desservait la vallée de l’Epte, et dont l’une des premières haltes était Giverny. A condition de ne pas être trop pressé. Quand on possédait une belle bicyclette comme le voyageur de gauche, c’était plus vite fait à vélo.

« Giverny en photos » est paru !

Je viens de recevoir mes exemplaires auteur… Tada !

Tout juste sorti de presse, voici Giverny en photos, publié par les éditions Orep.

C’est un livre de 288 pages constitué de photos et rien que de photos ! Ou presque : quelques paragraphes d’explication au début, de temps en temps une citation en français et en anglais, et c’est tout pour le texte.

J’ai pris grand soin à sélectionner ces vues de Giverny de façon à ce qu’elles racontent quelque chose, même sans mots. La beauté des jardins de Monet à travers les heures et les saisons, leurs lumières changeantes, la coquette maison du peintre et de sa famille… Une cinquantaine de clichés sont consacrés au village lui-même.

Cela n’a pas été une mince affaire de fouiller parmi les quelque 120 000 photos que j’ai faites à Giverny au cours des dix dernières années. Ce sont mes préférées, les plus fidèles à l’esprit des lieux. Elles ont été superbement mises en page par la graphiste Sophie Youf. J’adore le résultat.

Et je suis fière que mon cher Giverny s’inscrive dans la collection de recueils de photos des éditions Orep, qui compte déjà des ouvrages tous plus beaux les uns que les autres : le Mont Saint-Michel, les châteaux de la Loire, la Seine-Maritime, l’Orne, le Cotentin, les îles Chausey… tous à 15 euros.

Giverny en photos est déjà disponible chez votre libraire préféré, vous savez, celui qui est prêt à vous commander tous les livres de la terre, celui qui vous donne l’occasion de sortir de chez vous et d’échanger quelques mots avec quelqu’un d’adorable… En plein confinement, que c’est bon…

La maison de Monet vue de dehors

Le printemps est là, même si les sites culturels doivent rester fermés… Les arbres sont de plus en plus nombreux à fleurir en ville et dans les jardins. Bonnes promenades à vous en ce week-end pascal !

La Seine à vélo à Vernon

Envie de prendre l’air ? Quelques tours de pédales le long de la Seine, cela vous tente ?

L’itinéraire de la Seine à vélo, qui relie Paris à la mer, n’est pas encore aménagé pour les cyclistes sur tout son parcours. Il se compose de sections aménagées et d’autres où les vélos doivent s’insérer dans la circulation. A Vernon, une très jolie portion a été réalisée le long du fleuve. Si elle n’est pas très longue, elle offre un confort optimal et des vues superbes.

Le parcours très bucolique traverse les prés de Vernonnet. Voici leur aspect au mois de juin.

Côté Seine, le panorama est celui des motifs de Monet.

Au milieu de toute cette nature, la technologie fait son apparition. Voici l’e-Tree :

Grâce à ses feuilles en panneaux photo-voltaïques, cet arbre du futur est autonome en énergie. Il la restitue sous forme de borne à clés USB :

Ce n’est pas toujours facile pour les cyclistes de recharger leur portable ! Ici ils peuvent faire une petite pause et se désaltérer :

Des tables à pique-nique plus conventionnelles ont été prévues, où l’on peut s’abriter de la pluie comme du soleil.

L’aménagement est en cours sur la commune de Giverny. Il emprunte assez largement le tracé de l’ancienne ligne de chemin de fer : autant dire que c’est tout plat !

L’allée centrale en photos

L’allée centrale du jardin de Claude Monet était l’un des éléments les plus photographiés de sa résidence de Giverny du vivant du peintre, déjà. La comparaison des photos anciennes permet de suivre l’évolution de cette grande allée.

Sur la première, qui appartient au fond d’archives du musée Marmottan-Monet, les épicéas donnent un aspect forestier au chemin. Les floraisons s’étirent en bandes parallèles sur trois hauteurs. Les capucines rampantes dessinent des vagues sur le gravier.

La deuxième et la troisième photo dévoilent l’installation d’arceaux métalliques. Un arbre sur deux a été abattu.

Sur la quatrième photo, on voit que Monet a décidé d’étêter les arbres restants. Les troncs servent de support à des rosiers grimpants. C’est une vue printanière, les capucines dépassent à peine des bordures. De grosses touffes de pivoines marquent les pieds des arceaux.

La dernière photo est à nouveau une vue de fin d’été. Les troncs ont été éliminés et remplacés par des arceaux, donnant à l’allée l’aspect qu’on lui connaît encore aujourd’hui.

L’église de Vernon

Claude Monet – L’église de Vernon – 1883 – huile sur toile 65 x 81,4 cm
Collection particulière

Cette toile de Claude Monet a été vendue par Christie’s en octobre 2020, ce qui nous vaut le bonheur de la mise en ligne d’une image numérique de grande qualité et de commentaires en anglais de l’expert.

En juin 1883, Monet vient d’arriver à Giverny avec sa famille. Il explore les environs à la recherche de paysages à peindre, et tout porte à croire qu’il arrive à hauteur de l’église de Vernon, motif à 45 minutes à pied de chez lui, en bateau-atelier, parce que c’est plus pratique avec tout son matériel, et parce que la berge est absente de la toile.

Si vous utilisez la fonction de superzoom proposée en dessous de l’image, vous pourrez vous approcher de l’oeuvre comme si vous aviez le nez dessus. A en juger par la faible épaisseur de peinture et par la toile encore visible par endroit, le tableau semble avoir été achevé en une seule séance.

C’est ce qui lui confère sa fraîcheur et sa puissance, avec ses tons de bleus et de verts si flatteurs. Monet transcrit avec spontanéité le paysage qui s’offre à lui.

Onze ans plus tard, en 1894, il reviendra faire six toiles de la collégiale Notre-Dame de Vernon en appliquant le principe des séries.

Quand est-ce qu’on ouvre ?

La fondation Claude Monet rouvrira-t-elle à la date prévue, le 1er avril ? Bien malin qui saurait répondre à cette question. Les jardins et la maison du peintre ont dû fermer le 30 octobre 2020 comme tous les sites culturels en France. Pour Giverny, les conséquences de la décision gouvernementale étaient limitées : on était à trois jours de la fin de la saison, traditionnellement fixée au 1er novembre.

Depuis, quatre mois ont passé. Mais aucune annonce officielle ne laisse encore espérer la fin de la vie sans musées.

A nouveau, les jardiniers de Giverny s’activent pour être prêts à l’heure, sans savoir si les visiteurs seront au rendez-vous. Le grand show qu’ils préparent depuis des mois aura-t-il des spectateurs ?

Edit du 25 mars : l’Eure faisant partie des départements confinés pour 4 semaines, une nouvelle date d’ouverture vient d’être fixée au 19 avril, sous condition d’autorisation administrative.

Accès libre

Theodore Robinson (American, 1852 – 1896), The Valley of the Seine, from the Hills of Giverny, 1892 National Gallery of Art, Washington, D. C.

Après le froid glacial de la semaine dernière, la douceur s’est installée ce week-end, pour la première fois depuis l’année dernière. Les promeneurs étaient nombreux dans la campagne, et plusieurs ont même été tentés par l’ascension de la colline qui domine la vallée de la Seine, d’où ils pouvaient contempler un panorama proche de celui représenté par Robinson.

En 130 ans, la ville de Vernon s’est étendue, mais le paysage est sensiblement le même. On repère toujours la collégiale dont le large toit d’ardoise coiffe la vieille ville, et le pont sur le fleuve, qui n’est plus fait d’arches de pierres. A droite, je crois apercevoir sur le tableau une évocation du château des Tourelles.

Theodore Robinson adorait prendre de la hauteur. Il a peint de nombreuses vues depuis les collines au-dessus de Giverny, en direction de Vernon, du village lui-même ou du val d’Aconville de l’autre côté de la Seine.

Robinson est l’un des peintres les plus importants de la colonie de Giverny, où il a séjourné longuement. Quelque années avant de s’installer dans le village, il avait étudié à l’école des Beaux-Arts de Paris ; pour y être admis, il avait dû réussir le redoutable examen de langue française. Cette maîtrise linguistique a facilité ses contacts avec Claude Monet, dont il est devenu l’ami.

Le tableau ci-dessus fait partie des collections de la National Gallery of Art de Washington et il est librement téléchargeable en haute résolution, selon la politique d’Open Access du musée pour les oeuvres élevées au domaine public. L’agrandissement permet de détailler chaque coup de brosse comme si on avait le tableau sous les yeux.

Le tableau préféré

De très nombreux musées sont fermés de par le monde, et leurs équipes font de gros efforts pour garder le lien avec le public privé du contact direct avec l’art. Cela passe par de petites vidéos ou des commentaires qui deviennent un peu plus personnels que d’habitude.

Ceux qu’on ne voit jamais, les employés des musées aux diverses responsabilités sont invités à présenter leur oeuvre favorite parmi les collections. Il n’est pas rare que ce soit un Monet.

Ils nous parlent avec leur coeur. Ces personnes qui ont choisi de consacrer leur vie professionnelle à l’art l’ont fait parce que l’art les touche, plus encore que d’autres. Les circonstances présentes leurs donnent l’occasion de sortir de la pure analyse stylistique, jusqu’ici la seule acceptable, pour aller vers l’émotion. Et pour éclairante que soit la première, c’est la seconde qui fait de nous des humains. Par delà les frontières et les confinements, nous voilà réunis dans notre ressenti face à la peinture de Monet.

Jusqu’où peut-on se livrer ? Qu’est-il convenable de dire ? C’est la personnalité de chacun qui le détermine. Sensibilité, empathie, humour, gratitude, fierté, on trouve tout cela dans leurs messages.

A Cleveland, Heather Lemonedes Brown, directrice-adjointe du musée et conservatrice en chef, en télétravail, a choisi le grand Monet ci-dessus dénommé Agapanthes, peint pendant la Première Guerre mondiale, parce qu’il est pour elle un exemple de chef d’oeuvre exécuté pendant une période d’isolement et de difficulté et qu’il continue d’offrir, quelque cent ans plus tard, le réconfort de l’art et de la nature à qui le contemple.

A Stuttgart, le très beau Monet peint à Giverny Prés au printemps est le tableau préféré de Nathalie Frensch, conservatrice de l’art des 19e et 20e siècle. « Ce tableau me fait toujours penser à ma grand-tante, confie-t-elle. En 2006, elle a vu pour la première fois chez nous à la Staatsgalerie « Prés au printemps ». Dans la boutique du musée, elle a acheté tous les objets avec ce motif. Depuis, elle s’est constitué presque une petite collection personnelle, de l’assiette au parapluie en passant par le linge de lit, elle a tout. »

J’adore cette petite anecdote racontée avec tendresse. Je suis cette dame subjuguée par ce Monet magnétique au point d’avoir envie de s’immerger dedans, je suis cette petite nièce heureuse d’être témoin de l’emballement de son aïeule. Au passage, voici les objets dérivés réhabilités, eux que les conservateurs considèrent souvent comme un mal nécessaire.

La directrice du musée de Stuttgart n’a pas choisi un autre tableau. Christiane Lange souligne que les Prés au printemps de Monet ont été, il y a cent ans tout juste, le premier achat des Amis du musée. « Un détail de ce chef-d’oeuvre de l’impressionnisme brillait l’été dernier sur nos supports publicitaires dans le centre ville de Stuttgart et célébrait nos fidèles Amis, à qui nous devons de nombreux achats d’oeuvres importantes depuis cette première acquisition. »

Inondations

Claude Monet, Inondation à Giverny, 1896, 73x 92 cm, (w1438)
Ny Carlberg Glyptotek (Copenhague)

Claude Monet avait l’art de tirer parti des caprices de la nature. L’intérêt artistique des inondations ne lui a pas échappé : il a repris ce motif à plusieurs reprises.

La lumière crépusculaire est celle du soir. Monet peint trois toiles du même endroit, dans des dominantes bleutées, mauves puis roses.

Il n’a pas eu à aller bien loin. Selon le catalogue raisonné établi par Daniel Wildenstein, cette rangée de saules parallèle à la route se trouve dans la Prairie, près du jardin d’eau. Je pense que l’un des arbres au moins a survécu, le long du ru du côté du buste de Monet.

Monet se serait donc installé plus ou moins sur le talus du chemin de fer, surélevé, où il était au sec. Devant lui, le plan d’eau immobile tend un miroir aux arbres et offre de beaux reflets.

L’équipe de Wildenstein est allée compulser les archives météorologiques :

« Des pluies considérables au cours de l’automne 1896 (20 jours en septembre, 21 jours en octobre, 12 jours en novembre, avec un total de plus de 300 mm) ont provoqué des inondations. L’Epte en crue envahit la Prairie où se trouve le rideau de saules situé à proximité de la propriété de Monet. »

On est donc probablement en décembre 1896.

Comme la Prairie de Giverny présente le même aspect de grand lac en ce moment, je suis allée chercher dans les archives de la météo les cumuls de précipitations. En 2021, les 300 millimètres de pluie ont été atteints en deux mois seulement. Après un mois de novembre assez sec (24 mm), il est tombé 166 mm d’eau en décembre 2020 et 137 mm janvier 2021. Et le début février a été bien arrosé aussi. Mêmes causes, mêmes effets.

Les registres matricules des fils Monet

Les dossiers militaires des fils de Claude Monet, Jean et Michel, ainsi que ceux de ses beaux-fils Jacques et Jean-Pierre Hoschedé, sont consultables en ligne. Ils se trouvent non pas aux archives départementales de l’Eure comme on pourrait s’y attendre, mais à celles de la Seine-Maritime. Jusqu’en 1928, l’arrondissement des Andelys, dont fait partie Giverny, ressortissait du bureau de recrutement de Rouen sud.

La recherche est très simple puisqu’il suffit de taper Monet ou Hoschedé dans le moteur du site pour voir apparaître les dossiers de la famille.
Le registre matricule donne une série de renseignements sur la personne, son éducation, ses différents domiciles et bien entendu ses états de service.
Depuis 1872, le service militaire est universel et le tirage au sort permet d’en déterminer la durée.

Jean Monet décède le 9 février 1914, il ne fera donc pas la guerre. Son dossier nous apprend qu’il a fait 3 ans de service militaire. Il séjourne à Mulhouse et Bâle en 1892, puis à Déville et Rouen, et enfin Giverny. Son passage par Beaumont le Roger n’a pas été enregistré.
Les trois autres jeunes gens de la famille ont tous fait leur service, puis participé à la guerre de 1914-18, et cela sans blessure enregistrée dans leur dossier. Il faut dire que la conduite automobile, une compétence rare à l’époque, leur a valu d’être incorporés au train des équipages motorisés, service automobile. C’est le cas de Michel et de Jean-Pierre. Jacques, qui travaille à la société d’aluminium française, n’entre dans la coloniale qu’en 1917. Son dernier domicile enregistré est à Saint-Servan, près de Saint-Malo.

La fiche de Michel Monet nous livre des détails sur sa santé. D’abord ajourné pour raison de santé (faiblesse ! ) il est finalement incorporé en 1900 et passe deux ans sous les drapeaux. Le 5 février 1904 il est réformé temporairement pour fracture du fémur droit et hydarthrose du genou droit. Un an plus tard, le genou n’est pas remis. Enfin, il est réformé en raison d’un raccourcissement de sa jambe droite suite à la fracture de la cuisse.

Cela ne l’empêche pas d’être mobilisé, jugé apte, et incorporé, on l’a vu, pour conduire les véhicules motorisés, à partir de mars 1915.

Reflets impressionnistes

Reflet de saule pleureur dans l’étang de Monet à Giverny (4 décembre)
Reflets dans le Ru, jardin de Monet à Giverny (8 octobre)
Reflets de bambous dans le Ru, Giverny (28 août)
Reflets de nymphéas et saules, Giverny (30 octobre)

Lumière

Les romans biographiques offrent parfois des fulgurances que les biographies classiques ne permettent pas. C’est le cas de Lumière par Eva Figes, ou plus près de nous, de Deux remords de Claude Monet par Michel Bernard.

Lumière est paru en 1983 en Grande-Bretagne et a été soigneusement traduit par Gilles Barbedette. Le texte, assez court (115 pages), a quelque chose d’expérimental qui déroute. De fines descriptions de la luminosité rythment chaque heure d’une journée dans la vie des Hoschedé-Monet, peu après le décès de Suzanne en 1899. On passe de la perception de l’un à celle de l’autre, en essayant de deviner de qui il est question. On cherche désespérément une histoire, alors qu’il n’y en a pas, et c’est peut-être cela qui dérange le plus : le livre ne raconte pas, il décrit.

Et cela, Eva Figes le fait avec brio. La lente progression de la lumière du jour puis son déclin, heure par heure, influence tous les protagonistes. Mais derrière ce parti très impressionniste – admirable mais un peu ennuyeux selon certains lecteurs – se profile une analyse minutieuse des relations entre les personnes, de leurs émotions, ressentis et solitudes. Figes s’y entend pour nous faire comprendre le côté patriarcal de la famille, la place des femmes, des enfants, des employés, et bien entendu de Claude Monet.

Il en impose. Il écrase tout le monde. Mais lui-même est tout entier à sa peinture et à sa famille, avec le poids de la responsabilité. Et chacun vit dans sa bulle, son monde, avec ses espoirs et ses attentes. Figes nous fait entrer dans leurs pensées les plus secrètes.

Elle a tout compris de Marthe, par exemple, l’aînée des enfants Hoschedé. Si Theodore Butler se remarie avec elle, ce n’est pas (seulement) parce qu’elle est la plus âgée et celle qu’il convient de caser in extremis. C’est parce qu’elle s’est, en tant qu’aînée, toujours occupée des plus jeunes, et que c’est donc avec naturel qu’elle a pris en charge les enfants de sa soeur décédée. Elle sait s’y prendre avec les petits, mieux sans doute que Blanche ou Germaine. Et Butler lui est reconnaissant de s’occuper de ses enfants.

Aujourd’hui, les veufs n’ont plus pour habitude de chercher une remplaçante à leur épouse parmi ses soeurs, mais c’était banal il y a 120 ans. C’est le mérite d’Eva Figes de nous plonger dans la mentalité de l’époque et d’avoir fait de son petit livre bien plus qu’une étude impressionniste de la lumière.

Le cadastre de Giverny

Les archives de l’Eure ont mis en ligne une foule de documents accessibles en quelques clics, notamment le cadastre napoléonien. A Giverny, cette cartographie systématique du territoire national a été opérée bien après la chute de l’Empire, puisque le plan de la commune parcelle par parcelle date de 1836.

C’est un demi-siècle plus tôt que la période qui nous intéresse, celle de Monet et de la colonie impressionniste. Le cadastre napoléonien offre donc un compte-rendu très détaillé du village avant les constructions résidentielles de la fin du siècle, qui ont accéléré sa transformation.

Détail du plan cadastral ancien de Giverny, Archives départementales de l’Eure

Voici une vue du quartier du Pressoir où Claude Monet et sa famille s’installeront en 1883. Sa propriété s’étend actuellement de la ruelle Leroy à la ruelle de l’Amsicourt, les deux petites voies plus ou moins verticales sur le dessin. Autour d’une grande parcelle blanche, on aperçoit plusieurs parcelles saumon et, le long de la rue principale et de la ruelle de l’Amsicourt, des formes grises et roses. Selon les légendes des couleurs du cadastre, les rectangles gris sont des maisons d’habitation, les bâtiments roses sont plutôt d’usage agricole. La couleur saumon indique un jardin. Le blanc pourrait être un champ ou une prairie.

Les bâtiments présents sur la future propriété de Monet vont faire l’objet de bouleversements. Plusieurs seront rasés pour reconstruire du neuf. Monet, au départ, ne possède pas toutes les parcelles, il en fera l’acquisition à mesure que l’occasion s’en présentera.

Un autre élément frappant de ce cadastre, c’est le tracé de la rue principale du village, dénommée ici rue de Haut. Elle bifurque à la hauteur de la ruelle Leroy pour partir à l’ascension de la colline, vers la ferme de la Côte. Plusieurs bâtiments seront rasés pour permettre la continuation de la voie tout droit, à travers le clos Morin. Je n’ai pas encore trouvé la date exacte de ces travaux, au début du 20e siècle. Quoi qu’il en soit, quand Monet peint ses Meules dans le clos Morin, il faut qu’il passe par le haut ou par le bas.

Immersion

Claude Monet, Nymphéas avec rameaux de saule, 1916-1919 – Lycée Claude Monet de Paris, en dépôt au musée des impressionnismes Giverny

Claude Monet n’a pas cessé d’innover tout au long de sa vie, à mesure que sa perception du monde et sa conception de la peinture évoluaient. Vers 1916-1919, date supposée d’exécution de ses Nymphéas avec rameaux de saule, il peint son bassin de Giverny depuis 20 ans déjà, et il continuera d’expérimenter avec ce motif unique jusqu’à sa mort en 1926.

La toile

La toile est de taille imposante : 1,80 m de large, 1,60 m de haut. Accrochée à quelques dizaines de centimètres du sol, le bord supérieur dépasse la tête du spectateur qui la contemple, tandis que les côtés sortent de son champ de vision. C’est le principe de l’immersion : une oeuvre tellement grande que vous plongez dans la peinture en oubliant le reste du monde.

Que montre cette toile ? Des feuilles étroites attachées à des tiges pendantes, où un oeil habitué à la promenade le long de plans d’eau paysagés reconnaît tout de suite des rameaux de saule pleureur.

Ce n’est pas l’idée de Monet de nous donner à voir un saule pleureur. Ce qui l’intéresse n’est pas l’arbre, mais l’expérience de voir à travers ses rameaux. Ils strient le paysage, arrêtent le regard sur eux en même temps qu’ils laissent deviner l’arrière-plan. On les voit et on voit à travers.

Monet s’est placé devant le saule, au bord de son bassin. Le tronc n’est pas figuré car il est derrière le peintre, dans son dos. Ce parti renforce l’effet d’immersion : nous aussi, nous voilà si près des branches que nous ne voyons pas d’où elles partent.

Les rameaux sombres contrastent avec un fond bleu ciel magnifique qui les met en valeur. L’harmonie de tons froids, la forme souple des feuilles de saule font tout le charme du tableau. Il en émane un grand calme.

Les branches de saule sont si présentes sur la toile qu’il faut un instant avant de remarquer un autre motif confiné au bas et aux côtés de la composition : des formes arrondies et vertes.

Le titre

Je me demande si, sans le titre Nymphéas avec rameaux de saule probablement donné après la mort de Monet, un spectateur non averti comprendrait. Le peintre n’a fait qu’esquisser la forme des feuilles de ses chers nymphéas. Pas une fleur. Titre d’ailleurs trompeur, puisqu’il aurait été plus exact de dire « Rameaux de saule avec nymphéas ». Les nénuphars sont clairement à l’arrière-plan. Faire passer les nymphéas en premier, c’est inscrire la toile dans la production artistique de Monet, évoquer implicitement les célèbres séries, souligner la présence du motif fétiche de l’artiste.

Les Nymphéas

Pour ses contemporains, pas de problème de compréhension : la Belle Epoque semait des nénuphars partout. C’était l’une des fleurs à la mode, à l’égal de la glycine ou de l’iris. Elles ont été largement exploitées comme motif décoratif de l’Art nouveau, qui faisait la part belle au végétal. L’amateur d’il y a un siècle n’a pas d’hésitation, ces formes rondes sont des feuilles de nénuphars.

Une fois que son regard a capté les nymphéas, le spectateur reboote. La présence des feuilles de nénuphar lui impose une nouvelle analyse de ce qu’il voit. Les nymphéas sont des fleur aquatiques. Leurs feuilles flottent à la surface de l’eau. L’arrière-plan bleu n’est donc pas le ciel comme il le croyait mais son reflet. La petite zone blanche sur la gauche devient un reflet de nuage. Tout en bas, les lignes plus ou moins verticales figurent le reflet des rameaux de saule eux-mêmes.

Monet rompt avec les règles traditionnelles de la peinture de paysage. Il n’a pas représenté les bords du bassin, ni l’horizon, ni le ciel. Immersion, encore : nous sommes si près que nous ne les voyons pas. Notre oeil boit le contraste des couleurs et des formes jusqu’à ce que nous nous sentions fondus dans cette nature que le peintre aimait tant. Pour mieux nous faire plonger dans l’eau du bassin, Monet en a redressé le plan à la manière des estampes japonaises. Pas de perspective, la surface de l’eau semble parallèle au plan des feuilles de saule.

La signature

Claude Monet n’a jamais signé Nymphéas avec rameaux de saule. Il avait l’habitude de poser son paraphe sur les tableaux qui quittaient son atelier pour cause de vente ou d’exposition, et qu’il considérait comme terminés. Ceux qui étaient encore chez lui n’avaient pas besoin d’être identifiés. Ce n’est qu’après sa mort que son fils Michel Monet a fait fabriquer un tampon d’atelier rappelant la signature de Claude Monet et qu’il l’a apposé sur toutes les oeuvres non signées dont il a hérité. Sur ce vaste tableau, le cachet paraît d’une petitesse disproportionnée.

Le cadre

Claude Monet considérait-il sa toile comme finie ? Voulait-il y travailler encore ? Impossible de trancher. Il n’a pas jugé bon de fignoler les contours du tableau, qui laissent apparaître la toile par endroit, discrètement encadrée d’une large baguette aux tons ivoire. Ce cadre n’entre pas en concurrence avec l’oeuvre et ne lui impose pas de limitation brutale.

Tout porte à croire que l’encadrement date de l’époque où le tableau a quitté Giverny pour être accroché à un endroit assez inattendu : aux murs d’un lycée parisien.

L’histoire du tableau

En 1954, Michel Monet, le fils du peintre, fait don de cette toile à l’établissement auquel on veut donner le nom de lycée Claude Monet, qui doit être inauguré l’année suivante. Il est situé dans le 13e arrondissement, près de la place d’Italie.

Michel Monet a 76 ans. Il possède encore beaucoup de tableaux de son père, surtout des grands panneaux décoratifs de Nymphéas qui peinent à trouver acquéreur. Les oeuvres de Claude Monet, en particulier les plus tardives, n’ont pas la cote qu’elles atteignent aujourd’hui. Elles ont connu une longue désaffection du public et des collectionneurs dès la mort de l’artiste. En 1954, le rebond s’amorce tout juste, les Suisses en particulier manifestent un nouvel intérêt pour Monet. Ce n’est qu’en 1955 que l’acquisition par le Museum of Modern Art de New York d’immenses panneaux du bassin aux nymphéas marquera un retour en grâce du maître de Giverny, considéré désormais comme précurseur de l’art abstrait.

Donc, au moment du don des Nymphéas avec rameaux de saule, le cadeau n’est pas démesuré. C’est un contre-don adapté à l’honneur de voir le nom de son père porté par un établissement scolaire, pour la première fois sans doute (mais pas la dernière !).

Depuis, la situation a quelque peu changé. Les Monet ont pris des valeurs stratosphériques et on imagine bien que la présence d’une telle oeuvre dans le bureau du proviseur pose un problème d’assurance et de sécurité. Nymphéas avec rameaux de saule est depuis plusieurs années en dépôt au musée des impressionnismes Giverny, pour le plus grand plaisir du public qui peut désormais l’admirer.

Les élèves de la cité scolaire Claude Monet ne sont pas privés d’art pour autant. Leur établissement possède une collection impressionnante d’oeuvres dues à de respectables artistes tels que le prix de Rome Jean Dupas, l’académicien Jean Bouchaud, une extraordinaire tapisserie d’Aubusson de René Perrot, (elle m’a scotchée, allez voir) et une série de quatre vasques monumentales au pied des escaliers.

Avoir la chance de côtoyer des oeuvres d’art au quotidien pendant ses années de scolarité, c’est aussi cela, l’immersion…

Côté jardin, de Monet à Bonnard

Le musée des impressionnismes Giverny annonce déjà sa prochaine expo, qui devrait ouvrir le 1er avril. Elle concernera les jardins impressionnistes ! Je m’en réjouis car j’adore et le thème et la période, et c’est la promesse d’un très agréable moment dans les galeries du musée givernois. Mais tout de même, comment les commissaires, Cyrille Sciama, le directeur du musée, et Mathias Chivot, spécialiste des Nabis, vont-ils s’y prendre pour éviter un air de déjà vu ?

Selon le site du musée, ils proposeront un éclairage inédit sur la « sensibilité face au jardin, entre émotion personnelle et réclusion. » Les sections auront pour thèmes « l’espace, les silences, les jeux, le jardin luxuriant, le jardin clos et le retour à l’impressionnisme. » Alléchant, n’est-ce pas ?

C’est la belle toile de Claude Monet prêtée par le lycée Monet de Paris, souvent vue à Giverny, « Nymphéas avec rameaux de saule » qui sert d’affiche à l’exposition. Au moins un autre Monet sera là aussi, venu de Montpellier, « Jardin en fleurs à Sainte Adresse ». En ces temps incertains, et après l’expérience cruelle de l’expo sur le plein air de l’an dernier, le musée n’en dévoile pas plus sur les oeuvres qu’on peut espérer voir. Attendons.

Quelques flocons sur Giverny

La carte de Météo France avait un aspect original ce matin : elle annonçait de la neige ( 2 à 4 centimètres, ne nous emballons pas ) pile sur notre petit coin de France. Juste là et pas ailleurs : ni sur les Alpes, ni sur les Pyrénées, le Massif central, les Vosges ou le Jura, bref partout où il est normal qu’il neige en ce moment.

Les prévisionnistes avaient bien calculé. A l’heure du déjeuner, de gros flocons se sont mis à tomber, de ceux qui couvrent le paysage de blanc et vous collent le nez à la fenêtre d’excitation.

Le temps d’enfiler un manteau, c’était déjà fini. La température est redevenue positive et la neige s’est immédiatement mise à fondre. Ce soir, il ne reste plus un flocon sur les prés.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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