Le cimetière inconnu

Cimetière allemand de Champigny-la-Futelaye, Eure Cimetière allemand de Champigny-la Futelaye, Normandie, Eure.

On célèbre un peu partout le souvenir de la Libération ces jours-ci. A Vernon, c’était hier. Les drapeaux sur les monuments, les plaques pavoisées et fleuries des hommes tombés dans les rues, accessoirement le bouchon consécutif au rassemblement des anciens combattants et des officiels devant le mémorial à l’entrée du pont sur la Seine, tout cela rappelait à chacun la date historique.
Saisis au milieu de leurs occupations, en train d’aller quelque part, les citoyens que nous sommes ont eu ainsi l’occasion de penser pendant quelques instants à ceux dont la vie s’est arrêtée trop tôt, pour que nous puissions vivre libres et en paix.
Le souvenir de la Libération est encore très vif en Normandie, et ce d’autant plus que l’on se rapproche des plages du Débarquement. C’est plus qu’une page d’histoire, c’est devenu une part de la culture normande. Partout, des stèles, des musées, des chars. Et des cimetières.
Le cimetière américain de Colleville-sur-Mer est le plus connu, et certainement l’un des endroits les plus visités de Normandie. Émouvant et grandiose comme un Requiem, il est installé sur les lieux mêmes du combat, Omaha-la-sanglante… Plus de 9000 croix blanches s’alignent dans cet immense jardin du souvenir, admirablement entretenu par les Américains.
J’ai déjà eu l’occasion de parler de l’excellent centre d’interprétation, et du symbolisme omniprésent dans le cimetière. L’hommage vibre partout, dans une sorte de glorification post mortem des soldats morts au champ d’honneur.
C’était étrange, avec ces souvenirs de Colleville en tête, de visiter aujourd’hui le cimetière allemand de Champigny-la Futelaye, où reposent 19709 soldats de la Wehrmacht.
Peut-être connaissez-vous celui de la Cambe, dans le Calvados, le plus grand de France avec ses 21 000 tombes allemandes, qui reçoit 800 000 visiteurs par an. Champigny-la-Futelaye est presque aussi grand, mais infiniment moins connu.
Je viens de découvrir avec stupéfaction son existence dans le département de l’Eure, à une petite heure de route de Giverny. Il se trouve en rase campagne à cinq kilomètres de Saint-André-de-l’Eure.
Tout paraît sobre ici. Du recueillement sans mise en scène. Une pierre tombale, croix de pierre basse, pour quatre hommes. Pas de mausolée gigantesque, juste une salle de prière dépouillée, minérale, et des stèles portant le nom des communes où ont eu lieu les affrontements les plus meurtriers.
Le parking est entièrement vide. Je suis seule avec les vingt mille morts.
Je lis leurs prénoms, si souvent les mêmes, Whilhelm, Otto, Werner, Kurt, Karl, Fritz, Georg, Heinz, Heinrich, Berthold, Horst, Ernst, Anton, Friedrich… Ils sont presque tous nés dans les années vingt.
Beaucoup sont tombés en août 44, une véritable hécatombe. Je calcule leur âge. Celui-ci était à quatre jours de son anniversaire, il aurait eu 19 ans.
De temps en temps, une tombe marquée « ein deutscher Soldat », un soldat allemand, non identifié.
Il règne ici, me semble-t-il, une impression d’accablement. Est-ce celui du sacrifice inutile, la mort dans la défaite ?
L’association qui entretient le cimetière le fait pour oeuvrer pour la paix. Elle atteint son but : peu de lieux de mémoire font haïr la guerre aussi bien que celui-ci.
Je suis repartie indignée par la désinformation qui règne autour de ce cimetière allemand. Comment se fait-il qu’il soit si mal connu ? Dans mon édition, le guide Gallimard de l’Eure, par exemple, n’en souffle mot.
Il ne fait pas bon être à l’écart des circuits touristiques.
Il ne fait pas bon être l’ennemi d’hier.
Même si, pour les familles en deuil, la douleur est toujours la même.

La lutte contre les taches

Le bassin de Monet sous la pluieIl a fait un temps superbe aujourd’hui à Giverny, et comme d’habitude les visiteurs étaient nombreux à se photographier sur le pont du bassin aux nymphéas.
Au milieu d’eux, accoudé au parapet, j’ai été surprise d’apercevoir l’un des jardiniers de la Fondation Monet. S’était-il subitement métamorphosé en touriste ? Les apparences étaient trompeuses : en réalité, il était en plein boulot.
De cette position en surplomb, le jardinier évaluait la disposition des îlots de nénuphars à la surface de l’étang. Ce n’est pas simple d’obtenir une impression de naturel, tout en contrôlant la prolifération des plantes.
Les jardiniers du bassin se préoccupent constamment de la taille de ce qu’ils nomment « les taches » de nymphéas.
Il faut retirer des feuilles presque tous les jours pour éviter l’envahissement.
C’est mieux si les radeaux restent détachés, bien formés, ne se mélangent pas.
Et puis, il faut respecter l’alignement.
Là, j’ai ouvert de grands yeux. Un alignement ? Où donc ? J’avais en mémoire une photo des débuts du jardin, où les nymphéas étaient rangés comme à la bataille, et je trouve cela tellement plus joli qu’il n’y en ait pas, d’alignement…
Eh bien si, voyez-vous ! Il est en diagonale ! Un rangement tout en rondeur, comme le reste du jardin d’eau…
« Ça a l’air naturel, mais rien n’est laissé au hasard ! » a souri le jardinier avant de retourner à son bateau, les défauts qu’il est le seul à voir enregistrés dans sa tête.

Hydrangéas de collection

Hydrangea de la collection ShamrockJe viens de voir les plus beaux hydrangéas de ma vie. Ces petites merveilles s’épanouissent dans « le jardin des Hortensias », à Varengeville-sur-Mer, en Seine-Maritime, à quelques kilomètres de Dieppe.
Corinne Mallet, spécialiste du genre, y a planté sa collection de quelque 1200 hydrangéas différents. C’est, dit-elle, la plus grande collection au monde, distinguée en France par le titre de collection nationale.
Je n’ai pas eu la présence d’esprit de lui demander pourquoi elle a nommé sa collection « Shamrock », comme le trèfle irlandais. Pour se porter chance ? En tout cas l’endroit, à la terre curieusement acide en plein plateau calcaire du pays de Caux, plaît aux hydrangéas.
Ils prospèrent à l’ombre des paulownias, offrant leur diversité étourdissante aux promeneurs. Inflorescences rondes, plates, en cornets, pétales plats ou frangés, en forme d’étoiles, empilés les uns sur les autres comme les brochettes de l’apéro, étamines contrastantes, duveteuses, branches gracieusement ployées, lianes parties à l’assaut des arbres, bouquets denses…
Il y a un ordre derrière ce foisonnement. A l’entrée, Corinne Mallet explique comment elle a classé chaque hydrangéa : par continent, selon qu’il s’agit d’une espèce trouvée dans la nature ou d’un hybride obtenu par la main de l’homme, par date d’introduction, etc.
Plan du jardin à la main, on déambule, fasciné par les curieuses feuilles en forme de chêne américain de variétés d’outre-Atlantique, par l’exotisme des fleurs japonaises que Corinne Mallet va chercher sur place, par l’inventivité de la nature.
Comme on aimerait, en partant, pouvoir emporter un hydrangéa à planter dans son jardin en souvenir de la visite !

D’autres photos de Shamrock dans le blog d’Aifelle

Un goût d’été

Arrosage à GivernyTiens ! C’est encore l’été ! On avait failli l’oublier, à force que la saison galope avec toujours ses trois semaines d’avance depuis le printemps, faisant déjà s’épanouir les fleurs de septembre, à force surtout de temps gris et frais qui n’avait rien d’estival.
Et voilà que soudain la canicule s’est abattue sur Giverny cet après-midi. On sursaute, mais oui, au fait, c’est le mois d’août !
Les robes légères ont refait leur apparition dans les allées du jardin, où les visiteurs ne stationnent qu’à l’ombre.
Les fleurs ont droit, aux petites heures du matin, à l’arrosage automatique, minuscules filets d’eau à leurs pieds, amples jets d’eau dans les airs.
Mais déjà, ce soir, l’arrosage automatique du ciel a pris le relais.

Monet dans les collections suisses et à Marmottan

Claude Monet, Poirier en fleurs, 1885, huile sur toile 65 x 81 cm, collection particulière Peut-être que j’arriverai encore à aller voir l’exposition Monet qui se déroule en ce moment et jusqu’au 20 novembre à Martigny, dans le Valais suisse. Pour vous situer l’endroit, imaginez le lac Léman, en forme de quartier d’orange, avec Genève à la pointe ouest. Martigny se trouve à l’opposée, dans la vallée qui prolonge la pointe est.
L’endroit est grandiose. La ville de Martigny s’étend au fond d’une vallée glacière toute plate, entourée de hautes montagnes. On est près du Mont-Blanc, à deux pas des pistes.
La fondation Pierre Gianadda a rassemblé 70 toiles connues et moins connues de Claude Monet. 26 ont été prêtées par le musée Marmottan. Les autres, celles qui intéresseront davantage les habitués du musée parisien, proviennent de collections publiques et privées suisses.
La Suisse n’est pas seulement le pays des banques, c’est aussi celui des musées. Monet y est largement représenté, et c’était une riche idée de réunir les oeuvres dispersées dans les différentes collections de la confédération helvétique.
A Martigny, c’est certain, l’exposition Monet réserve la double émotion de voir en vrai des tableaux très connus, et d’en découvrir d’autres qui ont moins fait parler d’eux.
Ce gâteau est agrémenté de 45 cerises : la fondation Claude Monet a prêté une partie des estampes japonaises collectionnées par le peintre, qui ne trouvent pas place sur les murs de sa maison à Giverny. Comme d’habitude, un régal de finesse.
Si vous voulez un avant-goût de l’exposition, Tania en parle très bien ici, et vous suggère même une autre expo à voir pour faire d’une pierre deux coups.

Claude Monet, Poirier en fleurs, 1885, huile sur toile 65 x 81 cm, collection particulière

Jardin des plantes de Rouen

Jardin des plantes de RouenL’année dernière, à l’occasion du festival Normandie impressionniste, un pont de bois à la Monet a été construit dans le Jardin des Plantes de Rouen. Pas plus japonais que celui de Giverny, il est peint en bleu clair. Les visiteurs ne peuvent pas y monter.
Le Jardin des Plantes est un bel endroit pour rendre hommage au chef de file de l’impressionnisme : Monet y avait ses entrées.
Le deuxième séjour de Claude Monet à Rouen pour peindre la cathédrale a lieu en 1893. C’est l’année où commence, en même temps, la création du jardin d’eau de Giverny.
Monet a beau être entièrement absorbé par son travail, il ne peut s’empêcher de penser de temps en temps à son cher jardin. Aux démarches à faire, aux travaux de terrassement qu’il surveille de loin, et, le plus agréable, au fleurissement futur.
Le 16 février, à peine arrivé, Monet écrit à son épouse à Giverny :

J’ai pu ce matin, après avoir travaillé, faire ma visite à M. Varenne au Jardin des Plantes. Très aimable, M. Varenne, et je pense avoir pas mal de choses de lui ; il m’a offert un pied de ce beau bégonia grimpant que j’apporterai dimanche. Nous avons visité toutes les serres, c’est superbe, quelles orchidées ! c’est épatant ! Quand aux plantes pour les jeunes botanistes, à ma prochaine visite il me présentera au jardinier-chef qui ne doit donner des plantes que sur l’ordre de M. Varenne, mais il me dit qu’il serait bon que les enfants me donnent une sorte de liste des genres et des familles qu’ils désirent ; ils pourraient faire cette liste avec le curé. Il m’a donné pas mal de bons conseils sur bien des choses. Enfin ce sera une bonne connaissance. Il m’a dit d’aller partout comme chez moi. Voilà.

Les jeunes botanistes dont parle Monet, ce sont les deux plus jeunes des enfants, son propre fils Michel Monet et celui d’Alice, Jean-Pierre Hoschedé. Inséparables, ils sont âgés d’une quinzaine d’années et se sont mis avec enthousiasme à la botanique, avec la complicité de l’abbé Toussaint, le curé de Giverny. Monet se réjouit évidemment de cette passion qu’il encourage.
Un mois plus tard, le 15 mars, Monet a refait une visite au Jardin des Plantes et fait moisson de spécimens rares. Il annonce à Alice :

J’ai expédié ce matin les plantes du Jardin des Plantes. Qu’on les mette en jauge en ayant bien soin des étiquettes que Blanche sera bien gentille de refaire. Je n’ai rien pu joindre pour les petits, j’ai trouvé ces plantes toutes préparées et n’ai eu que le temps de courir chez un jardinier les faire emballer.

Mais Monet ne peut distraire que bien peu de temps de son travail. Dix jours plus tard, il ajoute tout en bas de sa lettre quotidienne à sa femme, après la signature :

Je n’ai pas eu de loisirs pour voir les jardins ni le Jardin des Plantes.

C’est sa dernière allusion au jardin botanique de Rouen.

Bauta

Bauta, jardin des plantes de RouenCette pierre dressée dans le jardin des plantes de Rouen, qui fait vaguement penser aux menhirs d’Obelix, est un bauta : autrement dit une pierre commémorative runique en norvégien. En 1911, elle a été offerte à la ville de Rouen au nom du peuple norvégien par le « Normands Forbundet » de Christiania.
Il y a cent ans, Norvégiens et Rouennais commémoraient le millénaire de la Normandie, dont on célèbre cette année, sans doute avec moins de faste, le mille centième anniversaire.
La pierre, qui fait bien cinq ou six mètres de haut, présente des bas-reliefs figurant boucliers, épées, éclairs, c’est-à-dire selon l’artiste de l’époque, les difficultés des Vikings « menacés par les périls du ciel et de la mer ». Là, le lecteur français sursaute, étranger à cette admiration et cette mansuétude à l’égard d’envahisseurs qui ont tout de même semé la désolation sur leur passage.
Mais tout cela est bien loin, mille ans après. On peut bien passer l’éponge. D’autant qu’une autre surprise attend le lecteur de la plaque commémorative insérée dans le bauta : la date d’inauguration.
Par une coïncidence qui touche à la prescience, la pierre symbolisant le débarquement des Vikings en Normandie a été dévoilée officiellement un 6 juin. Le 6 juin 1911, 33 ans jour pour jour avant le D-Day.

Giverny sous la pluie

GivernyJe vais vous faire une confidence, à vous qui êtes des esthètes : c’est sous la pluie que le jardin de Monet est le plus beau.
Ce n’est pas seulement parce que les ondées font fuir les visiteurs, et que le jardin, soudain, s’offre à vous presque seul. Avantage appréciable, certes, mais rien au regard de la métamorphose du lieu.
Alors, voilà. Il ne pleut pas très fort en général à Giverny. Au moment des premières gouttes, vous êtes allé vous asseoir sous le grand saule au bout de l’étang.
Les branches qui s’agitaient tout à l’heure ont fini de se balancer. La pluie chante doucement autour de vous en piquetant les frondaisons.
L’intensité lumineuse a baissé. Les yeux se reposent sous l’écran des nuages, dans la lumière argentée qu’ils diffusent.
Devant vous, sur l’étang, des cercles d’abord épars, puis de plus en plus nombreux se dessinent, et leur rondeur répond à celle des feuilles de nymphéas. Animé de cette géométrie sans cesse renouvelée, le bassin est plus hypnotique que jamais.
Il fait doux.
Sous la pluie, chaque feuille se met à briller, lustrée d’argent.
Les fleurs font des points lumineux encore plus intenses que d’habitude.
Tandis que l’humidité envahit l’atmosphère, l’ambiance se met à changer.
Vous sentez le végétal se détendre autour de vous.
En tendant l’oreille, on entendrait les plantes soupirer d’aise.
Vous respirez la bruine fraîche aux odeurs de terre et d’herbe froissée.
Un oiseau passe, rapide.
Vous êtes bien, occupé seulement à être là, parcelle de la nature autour.
Pelotonné dans la tiédeur, sous le saule, vous regardez tomber la pluie sur le jardin de Monet.

De l’usage des fleurs sauvages

Massif d'été à GivernyC’est un fait établi, Monet aimait inviter les fleurs sauvages dans son jardin.
Au printemps, on pourrait croire qu’elles sont là par accident, les primevères jaunes, les violettes des bois, les pâquerettes les plus communes, épargnées lors du désherbage par la main compatissante du jardinier.
Plus tard viennent les centaurées, ces gros bouquets de fleurs bleues assez spectaculaires pour qu’on les tolère, et les coquelicots, respectés comme l’une des fleurs fétiches de Monet.
Mais quand arrive l’été, et qu’au milieu des lis et des dahlias les plus extraordinaires émergent des molènes, ce bouillon blanc de nos grands-mères, des reines des prés, des tanaisies, des achillées, des verges d’or, on est amené à se poser des questions. Ce n’est plus le fruit du hasard, c’est un système.
Pour le fin connaisseur de Giverny Derek Fell (The Magic of Monet’s Garden, Ed. Frances Lincoln), il ne fait pas de doute que Monet herborisait dans la nature pour semer dans ses massifs les graines recueillies sur les talus et dans les prés.
Le but n’était pas de se procurer à bon compte de quoi remplir le jardin : on sait que Monet se montrait prodigue dès qu’il s’agissait de fleurs. L’idée était plutôt d’amener la nature chez soi, cette nature que Monet aimait par-dessus tout. D’éviter le côté artificiel des jardins trop bien arrangés.
Précurseur des jardins d’aujourd’hui, qui font la part belle aux fleurs spontanées, Monet aimait que son jardin n’ait pas l’air apprêté, mais qu’au contraire il permette de s’immerger jusqu’au vertige dans la verdure et les fleurs.
A l’image des connexions que le peintre a imaginées entre les deux jardins, le clos normand est un lien entre la maison, qui protège l’homme, et l’immensité de la nature sauvage.

Photographier les nymphéas

Nymphéa rose à GivernyLes nymphéas qui flottent sur le bassin de Giverny sont passionnants à photographier !
Monet avait raison, leurs possibilités sont infiniment variées.
Mais on arrive aussi très bien à rater ses photos, (j’en sais quelque chose !) avec des nénuphars plantés au milieu d’une masse de salade verdâtre.
Un truc si vous débutez : ne pas chercher à tout prix à avoir une vue dégagée sur le nymphéa.
Un premier plan flou peut avoir son charme, que ce soit des feuilles d’iris, des tiges qui apporteront leur graphisme, ou des fleurs.
Les fleurs à pétales légers, à travers lesquelles on peut voir, sont les plus intéressantes.
Sur cette photo, il s’agit d’un cléome, dont la forme disparaît et devient cette ombre rose vaporeuse.
Les fleurs plus denses, qui ressemblent à des marguerites, font des taches moins floues.
Mettre soigneusement au point sur le nymphéa. Si c’est le premier plan qui est net et le nymphéa flou, il est rare que le résultat soit satisfaisant.
Bonne séance photo ! Et surtout, attention où vous mettez les pieds. Cadrer les nymphéas dans l’objectif n’est pas une raison pour écraser les bordures de fleurs, comme je le vois faire tous les jours à mon grand désespoir !

Les trous de la mémoire

Jeux de lumière, fondation Claude MonetÊtes-vous satisfait de votre mémoire ? Je parierais bien que non. Tout le monde aimerait que cette fonction de notre cerveau en fasse un peu plus.
Cesse, par exemple, de faire sa maniaque en fichant à la poubelle beaucoup trop vite ce que nous nous sommes donné tant de mal à apprendre.
Tienne à jour le trombinoscope de nos relations pour nous ressortir la fiche adéquate instantanément en cas de besoin.
Accepte d’accueillir des données nouvelles. Oui, oui, ça va faire des cartons supplémentaires à stocker, mais quand même, on a la place !
Notre mémoire, elle nous fait l’effet d’être aussi vaste que celle d’un ordi tout neuf, mais elle se comporte comme celle d’un ordi qui a déjà bien servi : elle s’imagine toujours qu’elle est sur le point d’exploser et qu’il faut faire du vide.
Tous les métiers font appel à la mémoire – je veux dire à la fonction de restitution de choses apprises – mais certains plus que d’autres. En ce qui me concerne, et sans doute pour beaucoup de jardiniers aussi, l’apprentissage des noms de fleurs est un bras de fer permanent.
Pourquoi est-ce si difficile ? Certains noms rentrent tout seuls, presque par jeu, comme asclépia ou crocosmia. D’autres reviennent au bout de quelques jours quand la plante réapparaît, comme lysimaque. Mais certains se rebellent.
J’avais oublié le nom de l’agastache, cette belle vivace à fleurs bleues. Par chance, j’en ai une dans mon jardin, avec l’étiquette de la jardinerie ; j’ai pu me rafraîchir la mémoire, me taper le front et comprendre l’origine du problème.
Quand on lui dit agastache, notre inconscient entend agace tache. Comme nous sommes des gens bien élevés, nous avons appris que nous devons avoir une tenue correcte et absolument exempte de tache. Si on s’en fait une, c’est agaçant. Il va falloir se changer ou supporter un malaise.
Quand la mémoire flanche, il y a souvent du malaise pas loin. Dans le discours professionnel, où nous contrôlons notre langage, nous nous efforçons d’éviter les familiarités et pire, les grossièretés. En proférer une par inadvertance nous mettrait très mal à l’aise.
Notre surmoi en alerte a tendance à en faire un peu trop. C’est lui qui fait trébucher les présentateurs télé sur les mots en ouille, aussi innocents soient-ils.
Le nom de fleur qui a le malheur de présenter la moindre analogie avec des vocables appartenant à la sphère génito-anale est impitoyablement éliminé. A la trappe, l’osteospermum !
Alors, il y a des ruses. Pour éviter que les mots ne passent dans le vide-ordure, chacun a ses astuces. Les listes de vocabulaire. Les sachets de graines qui traînent dans la voiture, et dont on va relire le nom trois fois par jour. La décomposition en calembour.
Tous les moyens sont bons, surtout quand il faut apprendre le nom des fleurs en trois voire quatre langues. Parce que, pour les guides à Giverny, il est préférable de ne pas sécher trop souvent. Ça créerait un malaise.
La preuve ? Aujourd’hui, c’est un comble, j’avais oublié comment on disait mémoire en allemand. (Gedächtnis, merci, mon interlocuteur me l’a soufflé.)

Plan large

Allée des crocosmias, Giverny Qu’est-ce qu’une bonne photo de jardin ? Depuis que je photographie Giverny, je me pose la question.
Faut-il cadrer serré ou large ? J’essaie dix cadrages. Je tourne autour du motif, je cherche d’autres angles. Que se passe-t-il si je rajoute cette fleur au premier plan ? Si j’inclus le ciel ? Si je l’enlève ?
« Mon mari prend toutes les fleurs en photo, mais il ne photographie pas le jardin ! » ronchonnait aujourd’hui une visiteuse de Giverny. Comme on les comprend, lui de faire une galerie de portraits, elle de s’en plaindre ! Que photographier ? Le jardin d’été se dérobe. La végétation prend de l’ampleur, déploie ses masses. Où pointer l’objectif ?
Je cherche. J’expérimente. J’observe de belles photos de jardins. Quel est le secret qui fait qu’elles touchent ?
Petit à petit, ce que je saisis, c’est qu’une bonne photo invite. A assister à un moment privilégié, un effet de lumière exceptionnel. Ou tout simplement à entrer dans le jardin, se promener le long d’une allée, s’asseoir sur un banc.
Pour obtenir cela, il faut prendre un peu de recul, offrir un angle assez proche du champ visuel humain. Et si possible, au milieu des fleurs, l’oeil dénichera un élément qui rappelle la présence humaine : siège de jardin, statue, fontaine, arrosoir…
Je ne parle pas ici de photo artistique savamment travaillée, qui prend ses distances avec le motif pour en induire un autre monde merveilleux et onirique. Non, juste une restitution aussi belle que possible du lieu comme il est.

L’année dernière, l’éditeur allemand DuMont Kalender m’a demandé des photos du jardin de Monet pour en tirer un calendrier. C’était un honneur : DuMont fait des calendriers d’une qualité inégalée. Une splendeur.
Je devais sélectionner une cinquantaine de photos. Sur quels critères ? La réponse était toute bête : quelle photo aurais-je plaisir à voir pendant un mois sur mon mur ? C’est une phrase magique qui aide à en écarter beaucoup. Et puis, il fallait qu’on reconnaisse Giverny.
Le calendrier du jardin de Monet 2012 est paru. Vous pouvez le feuilleter en ligne en cliquant sur le lien. Il est livré avec une sélection de graines à planter dans son jardin, pour un petit air de Giverny chez soi.
Déjà, je travaille au calendrier de 2013…

Les toits de la Reconstruction

VernonC’est d’en haut qu’on le voit le mieux. Les toits des quartiers du centre ville de Vernon n’ont pas la même couleur.
Voyez-vous l’église, presque au milieu de la photo ? A sa droite, un enchevêtrement de toitures aux teintes brunes et rouges, édifiées au fil des siècles et couvertes de tuiles.
A gauche de la collégiale, des rangées bien alignées de couvertures d’ardoises qui s’étirent jusqu’à l’avenue matérialisée par ses tilleuls taillés. C’est le Vernon reconstruit dans l’après-guerre, tout ce quartier ayant été détruit par les bombardements et l’incendie de juin 1940.
Les architectes de la Reconstruction ont bien opté pour la petite tuile brune de temps en temps, mais on le remarque à peine tant l’ardoise domine.
Après avoir été chic et noble jusqu’au 20e siècle, elle est devenue brusquement populaire. Les immeubles contemporains en sont presque toujours couverts.
L’ardoise présente sûrement des avantages techniques et budgétaires pour évincer sa concurrente. Mais elle est moins locale, il faut la faire venir d’assez loin.
Difficile de résister à la banlieusardisation des villes de la grande couronne parisienne.
L’uniformisation des goûts et des pratiques paraît inéluctable.

Francine

Francine ClaryQui fête-t-on le 14 juillet ? Les France ou les Francine peut-être, puisque c’est la fête nationale.
Une nouvelle expo vient d’ouvrir à Giverny, une pure série de chefs-d’oeuvres impressionnistes en provenance du Clark Art Institute de Williamstown. Ce musée du Massachusetts qui prête ses trésors au Musée des Impressionnismes Giverny a été fondé par un couple de collectionneurs franco-américain : Francine et Sterling Clark.
J’ai eu un peu de mal à me mettre le prénom de Monsieur Clark dans la tête : Sterling m’évoque davantage une unité monétaire qu’un prénom masculin. Au demeurant, c’est le deuxième prénom de Clark, celui que les Américains aiment bien abréger, comme le W. du président Bush.
Pourquoi Clark l’a-t-il choisi comme prénom usuel, et non pas son premier prénom, le banal et passe-partout Robert ? Cela m’intrigue, mais je ne suis pas sûre de découvrir un jour la réponse.
Donc, Sterling Clark. Il épouse en 1919 une ravissante comédienne rencontrée à Paris, Francine Clary.
Cette jeune femme, révèle le catalogue de l’exposition du musée des Impressionnismes, « née Francine Juliette Modzelewska le 28 avril 1876, était la fille d’un tailleur parisien. » Clary était son nom de scène.
Pourquoi s’est-elle choisi ce pseudo de Clary ? Parce qu’il sonne clair, par rapport à son nom patronymique plutôt compliqué pour des Français ? Ou bien y a t-il un lien quelconque avec les Clary apparentés aux Bonaparte ?
Là encore, le mystère risque fort de rester entier. Mais je m’explique bien, en revanche, que ses parents lui aient donné le prénom de Francine. J’imagine des émigrés polonais heureux de célébrer par ce biais leur nouvelle patrie.
Sterling et Francine, Clark et Clary, les prénoms et les noms des deux tourtereaux sonnent bien ensemble, dans une allitération qui paraît relever de la prédestination.
Francine est belle, Sterling est riche. Non pas en livres mais en dollars, puisqu’il est américain. S’il s’appelait Singer, tout le monde saurait d’où il tire sa fortune. Il est l’un des héritiers des célèbres machines à coudre.
Le grand-père de Sterling, l’avocat Edward Clark, était l’associé d’Isaac Merritt Singer, l’inventeur de nombreuses améliorations aux machines à coudre de l’époque. Son nom est caché dans le « et compagnie » de la I. M. Singer & Co.
Comment vit-on le fait d’être l’héritier ? Est-ce qu’on arrive à affirmer sa propre valeur, quand vos ancêtres vous écrasent de toute une fortune ?
Sterling prend ses distances avec sa famille. Il s’installe à Paris, finit par se brouiller avec son frère, au point de ne plus communiquer avec lui que par avocat interposé.
Après une jeunesse tumultueuse d’explorateur, il s’est assagi. La collection va donner un nouveau sens à sa vie.
Avec un goût sûr, il accumule les chefs-d’oeuvre, aidé dans ses choix par sa femme. Des milliers et des milliers d’objets d’art, des porcelaines, de l’argenterie, des tableaux, dessins, gravures, sculptures, livres, photos, ont formé au fil des décennies un ensemble éclectique et unique.
Quand Clark prête des oeuvres pour des expositions, « il refuse que son nom soit associé aux prêts » en raison de son « désir de rester inconnu du public ».
On commence à le surnommer Mr. Anonyme… Ce nom dont il ne veut pas faire la promotion, Clark ne le transmettra pas. Il mourra sans descendant.
Au cours des dix dernières années de leur vie, les Clark se sont employés à fonder l’institut qui porte leur nom. Ses extraordinaires collections et son centre de recherches renommé en ont fait un musée de tout premier plan.
En donnant à voir au public leur collection, en la faisant voyager à travers le monde, les Clark ont enfin trouvé un nouveau sens à leur héritage. Quand nous contemplons leurs Renoir, leurs Manet et leurs Degas, nous devenons tous, nous aussi, pendant quelques instants, les héritiers de l’empire Singer.

Francine Clary vers 1900 en costume sur une scène parisienne, catalogue de l’exposition « Chefs d’oeuvre de la peinture française du Sterling et Francine Clark Art Institute ».

Poltron minet

Chat au banc à Giverny, pastel de Veronika Stark Chat au banc à Giverny, pastel de Veronika Stark
Si vous souhaitez acheter ce pastel, merci de laisser un commentaire, il ne sera pas publié.

C’est une histoire que vous aimez bien raconter.
Au fil du temps, vous en avez peaufiné les effets, suspense, surprise, comique, vous savourez à l’avance ce partage.
Tout en parlant dans le micro, vous déambulez dans le site historique, le groupe derrière vous en haleine, suspendu aux oreillettes.
Soudain, un brouhaha se fait entendre dans votre dos. Que se passe-t-il ?
Ah ! Elles ont vu un CHAT.
Inutile de faire comme si de rien n’était. Face à un chat, vous n’êtes pas de taille à lutter.
L’expérience vous l’a appris : dans la hiérarchie des choses intéressantes, le chat occupe l’une des toutes premières places. Vos histoires captivantes viennent nettement après.
Vous vous interrompez donc. Vous dites, Oh ! un chat ! en essayant de mettre un intérêt poli dans votre ton.
Elles font bloc autour de l’animal. Elles, car c’est toujours la gent féminine, tous âges confondus, qui s’arrête devant les bêtes à fourrure.
Minou minou minou ! Le félin lève un regard incertain.
Vous patientez, impassible et mutique.
Minou minou !
Penchées vers le matou, elles frottent le bout de leurs doigts.
Combien de temps l’intermède va-t-il durer ?
Le chat s’est mis à miauler. L’une de ces dames l’imite, puis une deuxième. Miaou ! Miaou ! Elles miaulent à qui mieux mieux.
« Ecoutez-la qui parle au chat ! » pouffe un mari.
Par chance, le chat ne l’entend pas de cette oreille : il n’a pas l’air d’apprécier les miaulements humains. Après une certaine hésitation, le voici qui se retire.
Les dames déçues se redressent.
Patientez encore un peu, elles vont bientôt se rappeler que vous existez.
Allez, vous pouvez bien l’avouer ! Vous avez eu la tentation de ne pas raconter la fin de l’histoire, par esprit de basse vengeance. Mais le professionnalisme reprend le dessus pour vous faire enchaîner, imperturbable.
Nous disions donc…

Face au CHAT, c’est quand même toujours vous qui gagnez.

Chapiteau roman

Chapiteau roman, collégiale de VernonCe magnifique chapiteau roman se trouve dans la collégiale de Vernon. Il représente des lions accolés, complétés par un décor de palmettes.
On peut le dater de la première tranche de travaux de la collégiale, aux alentours de 1052.
Les bêtes au museau proéminent se succèdent en paraissant s’entrelacer, dans un rythme d’une grande élégance.
C’est toujours fascinant d’admirer le bestiaire roman, ce mélange de naïveté, de force, d’humour, de monstruosité et de grâce.
Souvent, comme ici, les chapiteaux sont à hauteur des yeux ou presque. L’architecture romane ne perche pas encore ses voûtes à des altitudes vertigineuses.
Et pourtant, on peut passer à côté des centaines de fois sans voir ces lions.
Je savais qu’ils existaient, mais ils avaient pour moi quelque chose de mythique : ils sont en permanence plongés dans l’obscurité, placés comme ils le sont à l’entrée du déambulatoire, plein Nord.
Et puis, vendredi, au cours d’une visite, parce que ce sont les jours les plus longs de l’année, ceux où le soleil avance hardiment vers le Nord-Est, j’ai découvert les lions, médusée, dans la lumière dorée d’un vitrail. On la devine tout à gauche sur la photo prise deux jours plus tard entre deux messes.
Tout comme le faisceau lumineux du soleil, la photo publiée met en lumière un détail. Nous sommes habitués à ne voir qu’une partie et à en extrapoler le tout. A partir de la photo d’un parasol, nous imaginons toute la plage.
Synecdoque qui peut être trompeuse. Car si vous alliez conclure de cette photo de chapiteau que la collégiale de Vernon est une magnifique église romane, vous risqueriez d’être déçu en découvrant l’édifice, principalement construit en style gothique.
Il faut bien chercher dans les coins sombres pour y trouver quelque chose de roman. Mais la recherche en vaut la peine.

Libres !

Affiche des otages Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière taguée libres !, mairie de VernonA l’écriture hésitante du tag placé n’importe comment sur les visages trop familiers de Stéphane Taponier et d’Hervé Ghesquière, on imagine que quelqu’un s’est penché depuis le balcon de l’hôtel de ville de Vernon pour bomber à l’envers le mot grisant : LIBRES !
En fait ce sont des enfants qui ont tagué l’affiche, au sol, avant qu’elle soit remise en place.
J’avais hâte, après l’annonce de la bonne nouvelle hier, de voir le changement s’opérer sur cette affiche trop vue. Ici, chez nous, dans notre petite ville de province.
A la libération d’Ingrid Bétancourt, la ville de Vernon s’était montrée très réactive. Cela n’a pas manqué cette fois-ci non plus. Le geste tenait de l’urgence : marquer la fin d’un calvaire.
Depuis dix-huit mois, comme mes collègues ailleurs en France, j’ai expliqué tant de fois le sens de cette affiche qui intrigue les visiteurs étrangers. Toujours, quelqu’ait été leur nationalité, les touristes se sont montrés désolés et compatissants. Ce matin enfin, sous un soleil radieux, est venu le moment de raconter le happy end. De lire ensemble le joli mot tremblé.
Les deux journalistes de France télévision avaient fini par faire partie de notre quotidien. A cause d’eux, partis pour nous informer, nous étions tous un peu otages. Un peu culpabilisés d’être libres, à chaque fin de journal télévisuel, à chaque passage devant la mairie. Grâce à leur libération, nous voilà libres aussi. La joie explose !
Si j’ai un voeu à faire, c’est que plus jamais une telle affiche ne vienne fleurir sur les mairies de France.
Non pas que j’imagine l’avènement soudain d’un monde où les prises d’otages n’existeraient plus. Comment ce moyen si commode de lever des fonds en faveur de mouvements de guerilla, procédé vieux comme le monde, pourrait-il disparaître ?
Ce n’est pas davantage de l’indifférence. En tant qu’ancienne journaliste – à ma modeste échelle -, en tant que femme, ou pour avoir vécu en Colombie, la détention d’Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, de Florence Aubenas, d’Ingrid Bétancourt m’est insupportable.
C’est plutôt qu’il y a des questions qui dérangent.
« A quoi ça sert, cette affiche ? » me demandent les étrangers. Je ne sais que répondre. Les intéressés ne la voient pas. Les ravisseurs non plus. Il est peu probable qu’elle ait une action quelconque pour faire avancer la libération des otages.
Ou alors, pas forcément dans le bon sens :
« La médiatisation fait monter les enchères dans les négociations », avancent les touristes. J’ai bien peur qu’ils aient raison.
Le débat s’amorce. Les façades de nos monuments doivent-elles vraiment servir de panneau d’affichage ? Les causes à défendre sont légion. Y en aurait-il de meilleures que d’autres, qui auraient droit au devant de la scène ? Politiquement correctes ?
Le débat, pour moi, c’est celui-ci : jusqu’à quel point peut-on nous imposer l’irruption de l’horreur du monde dans notre quotidien ? Avons-nous le droit à l’oubli ? Avons-nous le choix de préférer célébrer la beauté et l’harmonie, et de croire que c’est une façon qui en vaut une autre de faire avancer le monde ?
Si nous n’avons pas ce choix d’éteindre la télé, de refuser le spectacle de l’horreur, c’est nous qui devenons, à notre tour, prisonniers. Otages des otages.

Les pinsons de Giverny

Pinson femelleUne des premières impressions que le visiteur perçoit en entrant dans les jardins de Monet à Giverny, c’est le chant des oiseaux. Les pinsons, très nombreux, n’y sont pas pour rien.
J’ai déjà eu l’occasion de vous présenter les mâles, peu farouches, et très faciles à reconnaître grâce à leur ventre rose et leur cagoule grise.
Voici me semble-t-il une femelle pinson, aux couleurs plus ternes.
Telle que vous la voyez, la pinsonne est prête à passer à table. Elle guette sa prochaine proie.
Voilà déjà plusieurs fois qu’elle s’est envolée pour attraper avec habileté une chenille qui rampait sur cette grande sauge, invisible de tous sauf d’elle.
Quand la pinsonne réussit sa capture, elle n’avale pas immédiatement la larve. Elle se pose d’abord, et paraît réfléchir un instant, tandis que la chenille dépasse de chaque côté de son bec en lui dessinant des moustaches.
Est-ce gracieux ? Est-ce horrible ? Tout à côté des visiteurs qui tournent autour du bassin et ne lui prêtent aucune attention, la pinsonne dessine son propre cercle beaucoup plus court, d’une branche à l’autre de la plante.
A chaque passage, une vie s’achève pour que la sienne se poursuive. A chaque coup de bec, elle soulage la plante, et tue un futur papillon.
Tout cela se passe en silence.
Il y a, sur cette scène du jardin de Monet, dans les branches, les buissons, entre les brins d’herbe, dans les profondeurs de l’étang, une rage des uns et des autres à se nourrir, dont la violence dépasse l’imagination.
Les gueules et les becs se referment dans des claquements imperceptibles, tandis que les pinsons sifflent gaiement. A tue-tête.

Le mot le plus important de la langue française

Sortie Les mots essentiels d’une langue étrangère, ceux qui peuvent vous sauver la vie, ne sont pas ceux que l’on apprend en premier.
J’ai guidé cette semaine un groupe de Slovènes tout juste débarqués à Roissy. Au détour d’une allée de Giverny, j’ai eu la surprise de les entendre dire les quelques mots de français qu’ils avaient mémorisés : « écoutez et répétez ! » Ils les prononçaient sans aucun accent tellement la formule leur était familière.
L’étude d’une langue étrangère fait appel à une sorte de métalangue scolaire. Les premiers mots que l’on apprend font référence à la situation d’apprentissage : leçon, exercice, livre, page… et ce fameux écoutez et répétez ! Rien de bien utile une fois qu’on a atterri à l’étranger.
En matière de contenu, toutes les méthodes commencent invariablement par les salutations et les présentations. Bonjour, je m’appelle Pierre… Hello, my name is Peter. Ça vous rappelle de vieux souvenirs ?
C’est précieux de savoir se nommer. Mais le mot le plus important à connaître, celui que je me suis hâtée d’enseigner à mes visiteurs Slovènes, c’est le mot SORTIE.
C’est un mot qui ne se devine pas. D’autres mots sont transparents dans toutes les langues, on reconnaît facilement, par exemple, les noms de nationalité comme Américains, ou les mots de formation savante comme stéréotype. Et une fois de plus, en écoutant l’interprète slovène, j’étais fascinée d’entendre mon commentaire sur les jardins de Monet se transformer en une langue incompréhensible et mélodieuse, ou flottaient par-ci par-là quelques mots repérables qui me permettaient de suivre le fil de la traduction.
Curieusement, sortie n’a rien d’un mot international. Pas l’ombre d’une syllabe commune avec Ausgang en allemand, salida en espagnol, ou le latin exit utilisé dans les pays anglophones qui le préfèrent, on se demande pourquoi, à leur plus idiomatique way out. Sans parler du slovène où sortie se dit dovoz, paraît-il.
Reste à savoir lire le mot, à l’associer à la graphie. Quand on lit comme on respire, depuis de longues années, on a oublié ce que c’est de ne pas savoir lire. C’est tellement évident.
Cette semaine encore, j’ai guidé un groupe de Japonais. L’accompagnatrice venait pour la première fois, et je la regardais prendre des notes sur le plan de Giverny qu’elle avait dessiné.
A côté du grand atelier, celui où se trouve la boutique de la fondation Monet, elle a écrit « sortie » en idéogrammes japonais. Ça aussi, c’était fascinant.

Dédicace

Vernon, Saint-Marcel & Giverny, Ariane Cauderlier, éditions givernales Déjà un mois que mon livre « Vernon, Saint-Marcel & Giverny » est en librairie, dans les trois villes concernées.
Si je n’en ai pas encore parlé ici, c’est que j’attendais d’avoir avancé le site internet du livre, et trouvé le bon conditionnement pour l’expédier à ceux qui voudraient le commander. Cela est loin d’être terminé, car la saison givernoise bat son plein et me prend tout mon temps.
Mais samedi, je vais faire une pause : une journée à dédicacer l’album, d’abord à la Compagnie des Livres de Vernon de 11h à 13h, (vous trouverez sur le blog de la librairie une présentation du livre par la libraire) puis à l’Espace Culture du centre commercial Leclerc de 14h à 17h.
Je me fais une fête de vous y rencontrer, vous les lecteurs vernonnais de givernews, et j’affûte d’avance mon stylo pour vous écrire plein de petits mots gentils sur la première page…

Les Nymphéas de Latour-Marliac

Nymphéa, GivernyChaque année au printemps, les nénuphars font leur retour. Ce sont des plantes à rhizomes, un peu comme ceux des iris, m'ont expliqué les jardiniers de Giverny.
C'est tout au fond de l'eau, dans la vase où est installé ce rhizome, que se concentre la vie de la plante. La partie visible, en surface, pousse, fleurit puis meurt à l'automne. En bas, la vie continue.
Depuis plus de trente ans, les nymphéas du bassin de Monet n'ont pas eu besoin d'être renouvelés. Ce sont toujours les mêmes que ceux rachetés à la pépinière Latour-Marliac au Temple-sur-Lot au moment de la restauration des jardins, à la fin des années '70, quatre-vingts ans après Monet.
De temps en temps, les jardiniers divisent les rhizomes, comme on le fait pour les iris. La plante, ragaillardie, repart de plus belle.
Tout irait pour le mieux, sans le concours des rats musqués. Ces champions du jardinage aléatoire s'obstinent à venir mettre leur grain de sel dans la vie tranquille de l'étang. Et que je te grignote une tige, et que je te déterre un nénuphar.
Les jardiniers sont obligés de replanter les rhizomes au petit bonheur. Si bien qu'on a un peu perdu la trace de leur nom, on ne sait plus vraiment quelle variété pousse où. On pourrait les retrouver, certes, en cherchant, en comparant les floraisons avec les catalogues. Mais pour quoi faire ? Le bassin de Monet est un vase clos. Pas de nouveau venu, toujours les mêmes bonnes vieilles variétés depuis toujours, plus authentique tu meurs.

Les amoureux des nymphéas Latour-Marliac seront heureux d'apprendre qu'on peut désormais se les procurer à Giverny même. Une petite pépinière, la Capucine, les propose dans sa boutique stratégiquement située entre la fondation Monet et le musée des impressionnismes. On y trouve aussi de grands pots pour les cultiver sans bassin, et des conseils de pros.

Sous l’érable du Japon

Erable du JaponC’est une expérience rare que de regarder le feuillage d’un érable du Japon par en-dessous. Le plus souvent, quand nous croisons un acer palmatum, il est en pot à la jardinerie, et si nous le plantons au jardin, il mettra un temps infini à pousser, comme si on avait l’éternité devant soi.
Savourons donc le privilège, à Giverny, de rencontrer un érable vénérable, en provenance directe du pays du soleil levant, qui a si bien l’art de fabriquer des centenaires. Et c’est au soleil levant, ou levé mais pas encore trop haut, qu’il faut le voir, quand les rayons lumineux encore doux font jouer les couleurs de son feuillage dentelé.
C’est fin, c’est délicat, d’un raffinement tout asiatique.
Dès le printemps, au milieu des jeunes feuilles, on voit déjà les samares, toutes petites, d’un rose tendre, des miniatures de graines ailées qui promettent l’automne.
Les visiteurs s’arrêtent invariablement. L’un après l’autre ils se prennent en photo sous l’arbre, la main posée sur le tronc de l’érable, aussi patiné par ce contact répété que les mains d’Aristide Briand.

Sauterelle

Sauterelle sur fleur de pavotVert sur rouge : si cette sauterelle se croit bien dissimulée sur sa fleur de pavot, c’est qu’elle n’a visiblement pas la même vision des couleurs que nous. Les sauterelles seraient-elles daltoniennes ? Ou feraient-elles davantage confiance à leurs antennes qu’à leurs yeux ?
Des antennes longues comme des cannes à pêche, qu’elles brandissent loin au-devant d’elles, des appendices fragiles susceptibles de se casser.
Être sauterelle, c’est aussi avoir une armure pour protéger tout ce qui est tendre à l’intérieur. Et des cuisses puissantes, capables de vous propulser très loin, dans la direction la plus inattendue. Ça ne vous donnerait pas envie d’essayer, d’être une sauterelle pour un jour ou deux ?

Le printemps des nymphéas

Nympheas, GivernyEffet de la précocité du printemps cette année, les nymphéas sont déjà en fleurs à Giverny. Le plan d’eau de Monet présente son aspect de l’été, avec ses radeaux piquetés de nénuphars colorés.
La glycine au-dessus du pont, en revanche, est fanée depuis deux bonnes semaines. Les visiteurs venus d’outre-Atlantique s’étonnent. Quand fleurira-t-elle ? demandent-ils. Ils sont surpris qu’il soit déjà trop tard pour la voir cette année.
L’hiver a été long et froid aux États-Unis, racontent-ils. Ceux qui viennent des Etats du Nord ont l’impression depuis leur arrivée de se promener dans une région d’une douceur exceptionnelle, une sorte de Riviera normande.
« On va rentrer et il y aura encore de la neige, on en a eu 12 mètres cette année », grognent-ils, tandis que nous clignons des yeux sous le soleil éblouissant et que nous cherchons l’ombre.
Voilà des visiteurs qui vont emporter une idée très spéciale de la Normandie !

Forêt de Bizy

La forêt de Bizy à VernonA tous ceux qui aiment :

la solitude dans la nature,
marcher où bon leur semble,
déjeuner sur l’herbe,
apprendre le nom des plantes,
courir ou laisser les enfants le faire,
pouvoir emmener le chien,
se garer sans se casser la tête,

bref, un vrai moment de liberté et de détente au vert, à dix minutes de Giverny, la forêt de Bizy offre tout cela.
Vous me direz, il y a moins de fleurs, c’est vrai, mais observez qu’il y a beaucoup plus d’arbres !
La ville de Vernon vient d’inaugurer un sentier de découverte sensorielle qui invite à toucher les feuilles et jouer du xylophone, qui explique comment dessiner la forêt, et présente les différentes essences d’arbres qui la composent.
Après le bain de foule de Giverny, une petite balade en forêt, ça ressource…

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

Catégories