La roseraie de Monet

Roseraie à GivernyC’est un des coins du jardin de Monet les plus agréables en ce moment : la petite roseraie située à gauche de la maison du peintre est en pleine floraison, en même temps que les rhododendrons et les seringats. Des cascades de fleurs blanches ou roses dégringolent des arbustes et des buissons, mêlant leurs fragrances printanières.
Au bout de la roseraie, le premier atelier de Monet ouvre sa verrière sur ce spectacle, qui s’offrait à l’identique à la mi-juin l’année dernière.
Peu de visiteurs viennent faire un tour dans cette petite allée à l’écart, où un banc amical permet d’admirer à loisir les fleurs et les arbres en espaliers.
Le clos normand s’entoure ici d’un mur très haut, car le jardin de Monet est en contrebas de la rue en raison de la pente de la colline.
Bien protégés des vents, exposés plein sud, les rosiers trouvent ici des conditions idéales pour s’épanouir.

Un peu too much

Printemps à Giverny« C’est presque un peu trop ». La personne qui fait ce commentaire à côté de moi ne parle pas des allées noires de monde, mais des massifs du jardin de Monet. Ils débordent d’iris, de juliennes des jardins, de pivoines, de roses.
Trop de fleurs ? Voilà un ressenti qui mérite qu’on s’y arrête. Un sentiment d’excès, tempéré par ce presque, et cet un peu. Comme s’il y avait une limite à ne pas franchir dans l’abondance des fleurs, et que le jardin de Giverny en ce moment s’en rapprochait, ayant dépassé le juste bien, mais pas encore atteint la démesure totale.
C’est presque un peu trop, cela appelle l’idée d’un équilibre. L’oeil doit trouver à se reposer entre les massifs. Et non pas s’affoler, sans repère, dans l’exubérance végétale du printemps.
Le regard supporte sans fatigue ce qu’il analyse sans effort. Les grandes zones unies de pelouse ou d’eau, les masses vertes de feuillages, la répétition d’une même fleur façon champ de tulipe ou de colza. Mais la vue se perd dans les zones où la couleur est morcelée en fragments. Notre petit logiciel interne d’analyse d’image boucle, patine, et se montre tout à coup moins performant.
Le regard, instinctivement, cherche un motif plus académique, plus lisse. Le jardin impressionniste de Monet, où chaque fleur est un coup de pinceau et où les massifs chatoient de touches colorées juxtaposées, se heurte à la même incompréhension qu’à ses débuts sa peinture.

Les pieds sur terre

Nymphéas
Voilà une semaine que les premiers nymphéas sont ouverts, des nymphéas blancs du côté sud-est du bassin : depuis le 7 mai, record de précocité de ces dernières années.
Qu’ils aient des fleurs ou non, on ne se lasse pas de photographier les nymphéas. Il suffit de mettre ses pas dans ceux de Monet pour être d’accord avec lui. Les vues générales du bassin, « c’est bien beau », mais quand le regard s’abaisse et qu’il rencontre les nénuphars, le jeu graphique et coloré devient infini.
A suivre les compositions géométriques qu’ils dessinent, on flotte entre le réel de leurs feuilles et le virtuel des reflets, l’infini du ciel et la proximité du plan d’eau.
L’esprit s’évade, la tête dans les nuages, tandis que le concret des feuilles qui flottent permet de garder, à l’image des nymphéas attachés au fond de l’eau, les pieds sur terre.

Lever de soleil sous la glycine

Le pont de Monet à GivernySept heures du matin.
Entre l’aube et l’aurore, le bassin de Monet souffle son haleine fraîche et humide en exhalaisons de brumes.
Leurs lentes évolutions donnent vie à la surface.
Des volutes vaporeux s’élèvent.
Leurs formes évanescentes vacillent, vont et viennent au gré d’un souffle de vent.

A sept heures vingt, le soleil surgit derrière la colline, lance ses rayons roses, s’empare des brumes, les empoigne, les fait danser.
Leur valse s’accélère, l’or du ciel les embrase, tout flamboie dans le grand chaudron du bassin de Giverny.

Isatis tinctoria

Isatis tinctoria, pastel des teinturiersCette plante mousseuse couleur fleur de moutarde qui donne du volume aux massifs jaunes de Giverny a un sérieux passif : c’est l’isatis tinctoria, le pastel des teinturiers.
Le pastel, c’est bleu pâle, tendrement délavé, de la couleur du ciel normand en été quand il y met du sien. Une fleur jaune qui donne du bleu ? Voilà un paradoxe que Monet n’aurait pas dénié.
C’est des feuilles de l’isatis que l’on extrait, si l’on y met de la persévérance et du savoir-faire, la teinture qui a fait la fortune de plusieurs régions de France au Moyen Âge, en particulier le Lauragais, dans le Midi toulousain. C’était alors la seule façon d’obtenir du bleu.
Comment nos ancêtres ont-ils fait cette découverte ? Elle force l’admiration, car elle ne peut être fortuite tant la méthode de fabrication est complexe. J’imagine que les plus inventifs de nos aïeux ont multiplié les expériences avec toutes sortes de produits trouvés dans la nature, à la recherche de celui qui allait permettre de teindre les étoffes. Un jour, les efforts de l’un d’eux ont payé, il a découvert une méthode pour extraire l’indigotine du pastel.
Porter des vêtements colorés, vivre dans un monde où les objets ont de multiples teintes, tout cela nous paraît si normal que nous n’y pensons même pas. Il nous faut forcer notre imaginaire à se figurer un monde où seule la nature déploie des couleurs, tandis que les objets de l’activité humaine présentent des teintes monotones. On comprend alors cette fièvre du bleu qui a conditionné l’activité de toute une région, et bâti des fortunes encore visibles dans les beaux hôtels particuliers renaissants de Toulouse.

Le petit pont de bois

Petit pont cintré, jardin de Monet
A l’extrémité du bassin de Claude Monet, un petit pont arqué fait écho à la passerelle qui enjambe l’étang à l’autre bout. Ici, pas de pergola ni de glycines. Le petit pont se remarque à peine, si peu cintré, si discret au milieu du vert.
Son reflet dessine un oeil ouvert, ou encore une bouche en train de happer tout ce qui flotte à la surface, à la façon d’une carpe.
C’est l’endroit idéal pour admirer la nappe d’eau piquetée de feuilles de nénuphars.
Le pont, situé en milieu humide et emprunté par des millions de visiteurs, a eu besoin de réparations cet hiver. Le tablier a été refait en belles planches toutes neuves.
Les visiteurs attentifs en font parfois la remarque. Le bois pas encore patiné leur rappelle qu’on est ici tout à la fois dans l’authentique et dans la réplique. Giverny ne cesse de se recréer, encore et encore.
Mais ce qui préoccupe encore davantage les visiteurs, c’est de savoir quel est le pont que Monet a réellement peint. Deux ponts à la japonaise, c’en est un de trop. Lequel est « le bon » ? Il ne se passe pas de jour sans que quelqu’un pose la question.

Les carpes du parc

CarpeLes carpes sont à l’étang de Monet ce que les baleines sont à l’océan. Elles ont des cétacés la couleur grise et l’ondulation à la fois souple et lourde. On les guette, à défaut du souffle jaillissant de leurs évents, les visiteurs repèrent leurs bulles. Les carpes créent l’évènement dès qu’elles s’approchent du bord.
Peu leur chaut : il en faut beaucoup pour émouvoir une carpe. Elles laissent les enfants s’écrier, les adultes montrer du doigt. Elles poursuivent leur objectif. Est-ce une pensée intérieure, même fruste, qui les guide dans leurs évolutions aquatiques ? Ou est-ce le seul hasard qui prévaut à leurs déplacements ?
Elles s’agitaient ce matin, en train de frayer sans doute, bondissant avec une énergie inhabituelle hors de l’eau où elles ondoyaient deux par deux.
Parfois on les surprend, avec leur tête étrange, profilée comme le cockpit d’un avion, les yeux renfoncés, la lippe boudeuse. Elles se glissent entre les nénuphars, en gros sous-marin qui peine à être furtif. Elles sont ici chez elles, comme leurs cousines de papier sur les estampes d’Hiroshige que Monet aimait, et qui on pris leurs quartiers sur les murs bleus de sa maison.
Les carpes voient notre monde par en-dessous. Nous sommes de l’autre côté de la surface, inaccessibles et lointains. Bruyants.
Elles, elles ont fait voeu de silence, tandis qu’elles tournent autour des tiges de Nymphéas.
Certains jours, où j’ai dû parler plus que de raison, je dois avouer que je les envie.

Complémentaires

Tulipes rouges au jardin d'eau de MonetLes dernières tulipes sont en fleurs à Giverny.
Du côté du jardin d’eau, quelques-unes percent les pelouses qui bordent le bassin.
Au milieu de l’harmonie de tons de verts qui règne autour de l’étang, leur rouge éclate, plus radiant que jamais.
C’est l’effet des couleurs complémentaires, qui se font vibrer réciproquement jusqu’à la stridence.
On pense à Camille Corot, qui disait qu’il faut toujours un accent rouge dans un tableau.
Les petites tulipes aux pieds des grands arbres verts jouent ce rôle de réveiller les tons apaisants des feuillages.

Sous presse

Vernon en cours d'impressionC’est une expérience qu’on ne vit pas tous les jours : hier, j’ai passé la journée chez l’imprimeur pour assister à l’impression d’un livre qui sera publié début mai. Comme vous le voyez, il s’intitule Vernon. Et peut-être cette vue de la Seine et de la collégiale au soleil couchant vous dit-elle quelque chose ?
Vous avez deviné ? Comme les auteurs-compositeurs interprètes, me voilà devenue tout à la fois auteur, photographe, et éditeur d’un livre. C’est un peu effrayant de s’initier à tant de métiers à la fois. J’ai pris mon temps. Voilà cinq ans que je planche sur le sujet.
Arriver au bout de ce projet est une grande joie. Toutefois, je n’étais pas tout à fait seule à le porter. Comme tout ce que l’on réalise dans la vie, il est toujours question de la confiance que l’on a en soi, et de celle que vous insufflent les autres. Tout au long du parcours, les encouragements m’ont aidée à continuer, précieux soutien des proches, soutien inattendu de personnes que je ne connais pas encore. Je voudrais particulièrement remercier les lecteurs de Givernews qui ont eu la gentillesse de me faire part de leurs appréciations. Sans qu’ils s’en doutent, tous ces petits mots à propos du blog ont été des moteurs pour poursuivre ailleurs le travail et aller de l’avant.
D’autres personnes m’ont aussi apporté leur aide directement, surtout en relisant avec attention le manuscrit, qui s’est beaucoup amélioré grâce à leurs remarques.
Enfin, le talent de la graphiste Natalie Bessard a fait des merveilles, elle a su faire cohabiter les textes et les photos en harmonie. Je suis vraiment contente du résultat.
Comme son nom l’indique, le livre porte sur la ville de Vernon, ainsi que sur ses deux petites voisines, Saint-Marcel et Giverny. Il compte près de trois cents photos qui tentent de restituer l’âme de Vernon, paysages du bord de Seine, monuments, maisons, forêt…
J’aime beaucoup ma ville, comme vous la vôtre sans doute. Les lecteurs du blog retrouveront mon enthousiasme habituel, dans des textes que j’ai essayé de rendre aussi légers et faciles à lire que possible. En fait de textes, ce sont surtout des légendes de photos. Le livre se parcourt rapidement, mais n’en est pas moins précis et bien documenté. En cinq ans, j’ai eu le temps de lire à peu près tout ce qui a été publié sur Vernon.
Dans quinze jours, l’ouvrage sera relié d’une couverture cartonnée, et livré. Si vous souhaitez le commander et n’habitez pas Vernon, vous pouvez m’écrire un commentaire que je ne publierai pas, ou encore m’adresser un courrier à mon adresse postale qui figure tout en bas de ce blog. Le prix de vente est de 27 euros. Et comme il se doit dans les faire-part de naissance, voici les mensurations du nouveau-né : 128 pages couleur, 25×28 cm. Le poids ? 1080 grammes, un beau bébé !

Pointillisme de printemps

CornouillerVoici ce que l’on découvre le matin en débouchant dans le jardin d’eau de Monet.
Tout fait touche de peinture dans la lumière matinale : les feuilles vert tendre, les pensées aux couleurs de porcelaine, les tulipes mauves, et les fleurs des cornouillers. On aperçoit à peine, tout au fond près du pont japonais, le cornouiller rose, mais devant, le blanc, un cornus kousa milky way, étale ses branches presque jusqu’au sol.
Milky way, la voie lactée : son nom lui va bien, lui qui se couvre de milliers de fleurs blanches au printemps. Je suis sûre que le soir, il doit luire doucement dans l’obscurité.

Bonnard en Normandie au Musée des Impressionnismes

Exposition Bonnard en Normandie au Musée des ImpressionnismesPierre Bonnard émerveille ou déconcerte. On peut à nouveau en faire l’expérience en visitant la belle exposition que lui consacre le Musée des Impressionnismes de Giverny jusqu’au 3 juillet 2011.
La sélection de 80 oeuvres présentée, accompagnée de photos et d’archives, se concentre sur une partie du travail de Bonnard qui n’est pas la plus étudiée : celle réalisée en Normandie, principalement à Vernon, de 1910 à 1938.
Le rayonnement de Monet à Giverny est tel qu’il éclipse celui de Bonnard, qui résida à cinq kilomètres. C’est dans un hameau de la rive droite de la Seine que le peintre discret a élu domicile. Le lieu s’appelle Ma Campagne, du nom de l’auberge voisine. La maison de Bonnard, baptisée La Roulotte par son propriétaire précédent, peintre lui-aussi, s’accroche au coteau et domine la Seine.
Outre le voisinage de son ami Monet, c’est la situation de la maison, certainement, qui a séduit Bonnard. Lui qui aimait séjourner dans plusieurs maisons différentes, au point que ses amis l’appellaient Cadet Roussel, choisissait toujours des lieux à l’écart des choses. Bonnard ne descendait pas à Deauville mais à Trouville, il préférait le Cannet à Cannes, il a évité l’agitation de la colonie picturale de Giverny pour s’installer à Vernonnet. Et toujours, ses maisons dominaient le paysage, offrant une vue magnifique.
Peintre nomade, Bonnard dessinait ou peignait dans des chambres, sans atelier. Pour travailler, il punaisait la toile sans cadre au mur. Au bout de quelques semaines, quand il pliait bagages pour aller séjourner ailleurs, les toiles en cours étaient roulées et accrochées au toit de la voiture, pour les poursuivre ailleurs, interminablement.
Car Bonnard n’est pas, dans sa période normande, un impressionniste, peignant sur le motif l’effet fugitif de la lumière. Au contraire, Bonnard absorbe le motif, le mâchouille dans son imaginaire, l’élabore, et le restitue magnifié, transfiguré de son art minutieux et savant.
Ainsi, les impressions lumineuses ressenties sur la Côte d’Azur se déposent sur le paysage de la vallée de la Seine, lui donnant des bleus intenses inattendus, des vibrations de violet et d’orange qui évoquent le soleil du Midi.
Enchanté ou dérouté, le spectateur scrute la toile. La peinture de Bonnard demande qu’on prenne le temps, elle ne se livre pas au premier coup d’oeil. Au bout d’un moment, la vie d’abord dissimulée sourd du tableau. Tiens ! Un petit chien était caché derrière la table ! Oh ! Un personnage apparaît sur le balcon ! Pierre Bonnard mettait beaucoup de temps à peindre ses toiles. On peut bien en prendre un peu à les regarder.

Les plus beaux villages de l’Eure

Le village du Bec-HellouinLes moines ont toujours su admirablement choisir les endroits où ils construisaient leurs monastères. La belle abbaye du Bec-Hellouin est nichée dans une petite vallée verdoyante, celle du Bec, et elle est accompagnée d’un petit bijou de village normand.
Le département de l’Eure possède deux villages labellisés « plus beaux villages de France » : Lyons-la-Forêt et le Bec-Hellouin.
Deux villages, ce n’est pas énorme, mais la vocation touristique de l’Eure n’est pas aussi prononcée que celle des départements qui concentrent le plus de villages labellisés, comme, disons, la Dordogne, où ils sont les uns à côté des autres.
Tout près de Giverny, dans le Val d’Oise, la Roche-Guyon est le seul village labellisé de toute l’Ile-de-France, une région pas vraiment en pointe pour le tourisme rural.
Ce n’est pas une distinction qui tombe du ciel, mais le fruit d’une démarche de la municipalité. Pour entrer dans le club assez fermé des Plus Beaux Villages, qui ne compte actuellement que 155 membres en France, il faut d’abord le demander. Et satisfaire à une série de critères, dont certains éliminatoires. Il est ainsi impératif de rester sous la barre des 2000 habitants, et d’avoir au moins deux monuments classés.
27 autres critères sont examinés par le jury avant l’attribution du label. Si le résultat est concluant, le gain en terme d’image sera très important. Le coût lui aussi n’est pas négligeable, puisque le village doit payer une cotisation annuelle de plusieurs euros par habitant.

Fraîcheur printanière

GivernyC’est officiel : de l’avis des jardiniers de Giverny, le printemps a trois semaines d’avance. L’an dernier, il était à l’heure, et il nous avait livré ses floraisons en temps voulu. Cette année, le revoici qui s’emballe.
La faute à la neige et au froid qui sont arrivés tôt, eux aussi. Noël enfoui sous un manteau blanc, c’est un spectacle rare sur les bords de l’Epte. Les plantes ont pris leurs quartiers d’hiver de bonne heure.
Mais l’hiver a remballé ses affaires presque aussitôt. Janvier et février n’ont pas été glaciaux, et un mois de mars bien doux a sonné l’heure du renouveau. Les plantes avaient leur compte d’hiver. Elles se sont ruées dans le printemps sans hésiter.
Les premières fleurs de la saison se sont montrées en mars, dans des jardins de Monet fermés, et les jolies journées de cette semaine ont vu monter en puissance les fleurs qu’on attendrait fin avril, tulipes, fritillaires, myosotis et azalées.
C’est le moment de venir à Giverny, pendant que le printemps y déverse tous ses charmes. La lumière éclatante sur la végétation toute fraîche est irrésistible.
Les matins sont merveilleux. Les après-midis, presque trop chauds. Oserons-nous nous en plaindre ?
On a des envies de pique-nique au bord de l’eau, dans les prairies toutes jaunes de pissenlits. Les arbres en fleurs sèment des pétales partout, en jolie neige d’avril. Ce matin, j’ai vu les premières hirondelles.

Ficaires et pensées

Ficaires et pensées bleues à GivernyCe petit massif du jardin d’eau est un vrai concentré de l’esprit de Claude Monet comme jardinier. Des pensées de différents bleus ont été plantées au milieu de ficaires qui ont dû arriver là spontanément.
La ficaire est presque aussi envahissante que le bouton d’or avec qui elle cousine, mais on lui pardonne ses manières de conquistador à cause de ses jolies feuilles vertes qui tapissent bien les sols frais, et surtout par tendresse pour ses petits soleils qui s’ouvrent dès qu’il y en a (du soleil ; quand il fait gris, elle boude, et elle n’est pas la seule).
Monet aimait accueillir des fleurs sauvages dans son jardin, et on y voit en ce moment, outre les ficaires, des primevères dodues d’un jaune doux. Le peintre appréciait aussi l’accord du bleu et du jaune, tel qu’il éclate dans sa salle-à-manger.

Le jardin de Monet est drôlement fleuri pour un 1er avril, avec au moins quinze jours d’avance sur l’année dernière. Les prunus et les cerisiers du Japon sont déjà passés, par exemple, tandis que les pelouses débordent de narcisses et de tulipes.
Et naturellement, on peut compter sur les pensées. Il y en a partout, en tapis colorés aux teintes changeantes, une vraie exposition de tous les tons qu’elles peuvent prendre. Les jardiniers en ont planté des milliers et des milliers, dans tous les recoins imaginables.

C’était la rentrée aujourd’hui à Giverny, avec tous les sentiments mêlés qu’on éprouve d’habitude en septembre, regrets que les vacances soient finies, joie de revoir les copains ou les collègues, difficultés à se remettre en route, plaisir de retrouver son travail, curiosité autour des nouveautés…
Différents tons de bleu, et différents tons de jaune.

Chapelle Saint-Martin

Chapelle Saint-Martin de Château sur EptePeut-être cette photo vous dit-elle vaguement quelque chose. J’avais été intriguée, il y a plus d’un an, par cette chapelle tronquée, et vous avais fait part de mes conjectures.
Samedi dernier, j’ai découvert le fin mot de l’histoire de cette église, à l’occasion d’une journée de formation en compagnie d’un archéologue. Une histoire encore plus étonnante que ce que j’avais pu imaginer.
Cette chapelle s’élève à Château-sur-Epte et se nomme chapelle Saint-Martin. Une dédicace à Saint-Martin indique en général un édifice très ancien. C’est le cas ici.
Remontons à la fin du 11e siècle, vers 1096. Guillaume le Roux, fils de Guillaume le Conquérant et duc de Normandie, a décidé de construire un château-fort pour défendre la frontière de son domaine avec le royaume de France. Au sommet du coteau qui domine l’Epte, à 1,5km de la voie romaine, il fait élever une motte castrale surmontée d’une tour. La forteresse prend le nom de Château-sur-Epte. Elle se dresse à huit cents mètres d’un village regroupé autour d’une église paroissiale, notre chapelle Saint-Martin, une église complète plus grande qu’aujourd’hui.
Le duc est tué dans un accident de chasse, et c’est son frère Henri Ier Beauclerc qui lui succède. Le nouveau duc décide que la forteresse de Château sur Epte doit être entourée d’un village, lui-même fortifié. Comment remplir ce bourg castral ? C’est simple : d’une main ferme qui manie la carotte autant que le bâton, le duc va obliger les habitants de la paroisse Saint-Martin à déménager.
Voilà donc tout le village de Château-sur-Epte qui se translate de huit cents mètres. Le duc est content, il va pouvoir contrôler la production des artisans, les ventes sur les marchés, et percevoir des taxes qui serviront à entretenir le château.
Les habitants, de leur côté, sont peut-être moins enthousiastes. Car leur église n’a pas suivi le mouvement, elle est restée à son ancien emplacement. Et les fidèles de multiplier les aller-retour entre le bourg et la chapelle, maintenant perdue au milieu des champs.
Les navettes ont duré aussi longtemps que la chapelle est restée église paroissiale, jusqu’au 19e siècle. Puis elle a été abandonnée et elle est devenue une carrière de pierres. Il n’en reste plus que l’abside et une partie du choeur, tout le reste a été démoli.
Pour étayer son hypothèse concernant le déplacement du village, notre archéologue nous a raconté qu’autour de la chapelle on trouve fréquemment, à l’époque des labours, des fragments de céramiques datant du 10e au 12e siècle, et jamais au-delà. C’est le signe de la présence d’un village à cet endroit, puis de sa disparition.

Saint-Clair-sur-Epte

L'Epte à Saint-Clair sur EpteOn va beaucoup entendre parler de Saint-Clair-sur-Epte cette année : on fête en 2011 le 1100e anniversaire du traité fondateur de la Normandie, qui s’est conclu, comme vous l’avez conclu vous-même, à Saint-Clair-sur-Epte en 911.
Onze siècles plus tard, voilà à quoi ressemblent les bords de l’Epte à Saint-Clair. Le site est très paisible, le parfait endroit pour faire la paix.
On ignore la date exacte à laquelle eut lieu l’évènement historique, et par conséquent la saison. Peu importe. Ce jour de 911, donc, Rollon le Marcheur, chef d’une bande de Vikings, arrive par la grande route, la voie romaine, et franchit le gué à Saint-Clair-sur-Epte.
On a pu retrouver par l’archéologie l’emplacement exact de la voie et du gué, à peu près où se trouvent les pêcheurs sur la photo. Les lieux n’ont pas été bouleversés au cours des siècles.
Je l’imagine pataugeant gaillardement dans l’Epte, Rollon, tandis que ses troupes sont restées sur la berge ouest, futur côté normand.
Le voilà sur l’autre rive, qui demeurera territoire du roi de France. Devant lui, la voie romaine se poursuit tout droit jusqu’à l’église. Et entre les deux, se dresse le château carolingien.
Il ne reste rien du premier château de Saint-Clair-sur-Epte. Les ruines subsistantes, qui se trouvent dans une propriété privée, sont ultérieures. Mais la photo aérienne a révélé l’emprise d’un fortin dont les murailles s’étendaient sur 200 mètres.
Selon toute vraisemblance, c’est dans ce château qu’a dû se conclure le fameux traité. Le roi de France Charles III le Simple, (c’est-à-dire sincère, honnête, et non pas stupide comme on est tenté de le penser), avait certainement choisi d’accueillir Rollon dans un endroit symbole de son pouvoir.
Rollon, par cet accord verbal passé avec le roi de France, reçoit le pays autour de Rouen, à charge pour lui de le défendre des raids vikings.
Le traité de Saint-Clair-sur-Epte est un accord habile, qui a garanti longtemps la paix. Pendant tout le 10e siècle, une parfaite entente règne entre Normands et Français, et de nombreuses alliances matrimoniales sont scellées. Les tensions commenceront au 11e siècle avec Guillaume le Conquérant, et aboutiront à la fortification de la frontière de l’Epte grâce à l’édification d’une dizaine de châteaux.

Réplique

Salon-atelier de Monet, GivernyLes catastrophes qui frappent le Japon ont pour conséquence linguistique l’emploi réitéré d’un mot aux significations multiples : réplique.
Dans l’actualité, réplique prend son sens de secousse secondaire après un séisme, un sens précis, technique, peu usité finalement. Le plus courant désigne un acte de parole.
Au théâtre, on se donne la réplique, et c’est un peu comme échanger des balles au tennis. Dans la vie aussi parfois on peut oser la réplique, mais l’échange courtois vire alors à l’ace, avec une envie de river son clou à l’interlocuteur. La réplique est chargée d’animosité.
Le domaine des beaux-arts connaît aussi la réplique. Il s’agit, selon les définitions, d’une copie d’une oeuvre faite par l’artiste lui-même. Ou d’une copie très ressemblante. Dans ce dernier cas, c’est une façon chic de parler d’une copie sans en employer le mot, qui serait chargé pour certains d’un sens péjoratif. Mais toujours bien moins péjoratif que le mot faux, un tableau qui cherche à duper l’acheteur en se faisant passer pour un vrai.
Pour que les copies ne soient pas des faux, elles doivent être identifiées clairement comme des copies par une mention sur l’oeuvre. Et, dans les musées nationaux, leur taille doit être nettement différente de l’oeuvre originale, un cinquième plus grande ou plus petite au moins.

On va pouvoir se faire une idée précise de ce qu’est une réplique en visitant la Fondation Monet, à partir du 1er avril. Soixante tableaux viennent de prendre place dans le salon-atelier de Monet, au rez-de-jardin de sa maison. Ils ont été réalisés par la galerie Troubetzkoy, à Paris, aux dimensions des originaux, d’après les toiles de Monet qui se trouvaient dans le salon-atelier dans les années 1915-1920.
La Fondation Monet en a profité pour revoir la déco de l’atelier. La méridienne a été refaite à l’identique, le divan retapissé, tous les détails revus pour coller au plus près des photos qui nous sont parvenues de l’atelier.
C’est plus que spectaculaire : bouleversant. A la fois très beau et vivant. Vibrant.
Si vous connaissez déjà Giverny, ça vaut la peine de revenir pour voir cette restitution de l’atelier.
Si vous venez pour la première fois, attendez-vous à un choc. Une petite secousse sismique intérieure.

Réouverture de l’église de Giverny

Église de Giverny, FranceL’église de Giverny rouvre demain. Voilà trois ans qu’elle était fermée pour travaux.
Dès demain, les paroissiens auront la joie de se réunir à nouveau dans leur sanctuaire, plus beau que jamais. On se sent bien entre ces murs nets, sous ces voûtes saines. Il a été remédié à tous les désordres de l’édifice. C’est reparti pour un siècle !
Même si j’aimais bien l’église de Giverny telle qu’elle était avant, avec sa patine du temps, j’admire le travail accompli. Coup de chapeau à la municipalité qui a conduit ce projet préparé dès le mandat précédent, qui a su trouver les financements adéquats, monter les dossiers, se montrer convaincante. L’église Sainte-Radegonde est sauvée.
C’est merveilleux pour Giverny. Hélas, beaucoup d’autres édifices religieux n’ont pas cette chance, et parmi eux, de pures merveilles architecturales qui se dégradent inexorablement. La dernière fois que je suis allée à Louviers revoir l’église, ce joyau de l’art flamboyant, il pleuvait toujours dans la nef, une vision qui serre le coeur.
Ce mois-ci, à la cathédrale de Lisieux, notre guide nous a montré le filet tendu depuis des années à la croisée du transept, sous la tour-lanterne. Réparer cette tour pour éviter les chutes de pierres coûterait moins d’un million d’euros. J’ai été frappée de la similitude avec le budget alloué à l’église de Giverny.
La question m’interpelle. On peut trouver les sommes nécessaires à la restauration de Giverny, mais pas à celle de la cathédrale de Lisieux ? Lisieux, la ville de sainte Thérèse, qui accueille des centaines de milliers de pèlerins par an ! Lisieux, dont la magnifique cathédrale Saint-Pierre est contemporaine de Notre-Dame de Paris ? Est-ce juste une question de volonté politique ? C’est incompréhensible.
Quoi qu’il en soit, on sait bien que tous les travaux à entreprendre pour tous les clochers de France ne pourront pas être engagés. C’est une question d’époque.
La nôtre bâtit des autoroutes, des aéroports, des stades, des bibliothèques, des centres culturels, des hôpitaux, des lignes de TGV, des piscines, des musées, des ponts, des écoles, des universités, des centres commerciaux. Elle construit des satellites et les envoie dans l’espace.
Le 21e siècle est beaucoup plus riche que le Moyen Âge où l’on n’avait rien de superflu et où l’on manquait souvent du nécessaire. Mais l’homme médiéval était tourné vers l’au-delà. Tous ses efforts tendaient à préparer sa vie éternelle. Pauvre, il a pourtant été capable de financer la construction d’édifices dont nous renâclons à assurer le simple entretien.
Chaque époque vit dans son temps présent, et se soucie peu de celles qui l’ont précédée. L’intérêt et le respect pour le patrimoine sont des préoccupations modernes, ils n’ont sans doute jamais été aussi forts qu’aujourd’hui. Pourtant les sommes engagées restent modestes. L’entretien des monuments du passé intervient à la marge.
Et l’eau, partout, continue de s’infiltrer dans les chapelles et les abbayes, et de faire goutte à goutte ses ravages.

Trois saules

Les trois saules de GivernyL’engin n’a pas fait dans le détail. Il a arraché le saule malade, sans trop d’égard pour la berge ni le chemin. Heureusement, il reste encore quelques jours pour remettre le site en état, et replanter un saule à la place du précédent. Car il faut qu’ils soient trois, fidélité à Monet oblige.
C’est la vie des jardins, avec le temps de moins en moins de végétaux datent de l’époque de leur créateur. A l’ouverture de Giverny en 1980, on pouvait voir encore un vénérable pommier du Japon devant la maison, et l’un des trois saules était toujours debout. Il a fallu les remplacer depuis.
Le saule pleureur est un arbre qui pousse vite, mais dont la durée de vie est courte, une règle générale parmi les arbres. Le seul à résister encore est celui du bout du bassin, pour combien de temps ?
Cela rend les arbres d’origine d’autant plus émouvants. Le hêtre pourpre, par exemple, planté par Monet, ou les vieux tilleuls.
Toutefois, Monet a vu ces arbres petits alors que nous les admirons dans leur maturité. Les arbres à croissance lente ont une durée de vie plus longue…
A contrario, Monet a vu et peint ses jeunes saules tels que nous apparaissent aujourd’hui leurs remplaçants.
Entre la fidélité et l’authenticité, on est obligé de choisir, un siècle plus tard. Quand l’authenticité disparaît, on se console par un surcroît de fidélité à l’original. Ce n’est plus aussi vrai, mais c’est plus ressemblant.

Reflet à Majorelle

Bassin aux nymphéas, Jardin Majorelle, MarrakechIl y a même un bassin aux nymphéas ! A la fin de ma visite du jardin Majorelle à Marrakech, découvrir ce plan d’eau de la taille d’une piscine où flottent des feuilles de nénuphars encore dépourvus de fleurs me réjouit. C’est absurde, mais j’ai l’impression que le jardin m’a réservé une surprise pour me faire plaisir, comme si ma grand-mère m’avait préparé mon dessert préféré. Quelque chose de familier, et que j’aime.
Chaque visiteur fait sa propre visite d’un lieu, avec toute son histoire personnelle, ses références, ses connaissances, son vécu. Les lieux changent un peu, les visiteurs plus encore. La perception d’une scène est par essence unique. Les réflexions des visiteurs de Giverny, quand ils m’en font part au cours des visites, me passionnent.
Qu’est-ce qui m’enchante devant le bassin de Majorelle ? Le familier allié au décalé, la variance du connu, essence de la collection, notamment la collection photographique. Je retrouve les reflets d’arbres dans le bassin, mais ce sont des palmiers et non des hêtres ou des saules. L’effet, rapporté au bassin de Monet, est presque humoristique.
Que vient faire ici ce bassin aux nymphéas ? Je ne sais s’il y a une explication officielle. Je présume que Jacques Majorelle, qui tenait à donner une impression de fraîcheur à son jardin souvent caniculaire, a voulu utiliser différentes ressources des jeux d’eau, fontaines, jets, bassins.
Quand il crée son jardin de Marrakech, dans l’entre-deux guerres, celui de Monet est archi connu par le biais de ses tableaux de nymphéas. Impossible de savoir si Jacques Majorelle pense à Giverny en créant son bassin. Monet n’est pas propriétaire du concept, le nénuphar a été une fleur en vogue à la Belle-Epoque, décliné sur tous les supports par l’Art Nouveau. Et Jacques Majorelle, fils d’un des ébénistes les plus talentueux de l’école de Nancy, a engrangé le vocabulaire artistique de l’époque dès son berceau.
C’est peut-être simplement la valeur d’exotisme de la fleur qui a séduit le peintre. Le nénuphar coloré arrive d’ailleurs, et c’est ce qui lui donne sa place dans ce jardin de collectionneur où sont réunies des espèces végétales venues de tous les horizons.

Le jardin Majorelle

Le jardin Majorelle, Marrakech Le bassin de Monet à Giverny n’est pas le seul jardin de peintre qui soit célèbre. A Marrakech, le jardin conçu par le peintre Jacques Majorelle (fils de l’ébéniste art nouveau Louis Majorelle) attire 600 000 visiteurs par an.
C’est plus que Giverny, mais sur douze mois et non sur sept. Bon, c’est idiot de comparer, ce sont deux lieux uniques et magiques, envoûtants. Mais même en disant cela, je suis encore en train de comparer. Impossible de faire autrement : le parallèle entre les deux sites est assez troublant, tout en coïncidences et correspondances.
L’histoire commence presque pareil. Jacques Majorelle, peintre, tombe amoureux d’un lieu, décide de s’y installer, achète un terrain, puis l’agrandit, en fait un jardin par passion, par plaisir et pour l’inspiration, y a son logement et son atelier. A sa mort, le jardin souffre du manque d’entretien, jusqu’à ce que le mécénat le sauve et le rende célèbre.
Le plus intéressant, ce sont les différences, qui donnent une image en creux de l’autre jardin, révélant ce qu’il est et ce qu’il n’est pas. Différences d’abord dans la conception du jardin, et donc des perceptions du visiteur.
Si Giverny est voué au reflet, à Majorelle ce sont les jeux d’ombre et de lumière qui dominent. Profondeur des ombrages, luminosité des parties exposées au soleil : on ne sait jamais s’il faut garder les lunettes teintées ou les ôter, dans ce jardin où l’intensité de la lumière est si contrastée. Ces flashes lumineux suivis d’ombre apaisante sont une autre façon de troubler l’oeil, effet que Monet obtenait dans le jeu infini des reflets de son étang.
La forme, ensuite. A Majorelle, dès l’entrée, le promeneur se sent avalé par les bambous géants, puis il avance dans la fraîcheur d’arbres de toutes sortes, une nécessité dans un pays où la chaleur peut devenir écrasante. Le visiteur est happé vers le haut, son regard glisse le long des troncs lisses des palmiers dont la couronne se détache sur le bleu du ciel.
A Giverny, en revanche, on ne passe pas vraiment sous les arbres. On les longe. L’impression d’enveloppement est fournie par l’effet de clairière autour du bassin, et par les fleurs du clos normand, surtout quand elles deviennent géantes à la fin de l’été.
Si le climat de la Normandie est idéal pour les fleurs, celui de Marrakech, trop chaud, est plus difficile. Elles sont rares à Majorelle, et les taches colorées des bougainvillées n’en sont que plus saisissantes.
Jardin Majorelle, MarrakechCe sont les apports de couleur des éléments peints qui font vibrer les verts. Jacques Majorelle est réputé pour son bleu, dont il a orné sa maison et les pots et maçonneries de son jardin, un magnifique bleu cobalt intense découvert par lui dans les villages de l’Atlas. Il l’a complété d’un jaune vif, une association qui est un régal pour l’oeil.
Et puis, parmi toutes les émotions qui submergent le visiteur de beaux jardins, joie esthétique, surprises, émerveillement, on trouve aussi des peurs. C’est un mot un peu fort, je veux parler de ces craintes vagues et informulées dont on a à peine conscience, qui transforment le cheminement en parcours d’Alice au Pays des Merveilles, délicieux et un peu effrayant.
Pour le visiteur occidental, la luxuriance même du jardin Majorelle est aussi fascinante qu’inquiétante, avec son effet de jungle, ses plantes inconnues, bizarres, qui vivent leur vie tout autour de lui. Cachent-elles un danger ? A peine débouche-t-on « à l’air libre », devant la maison, qu’une collection de cactus assaille les perceptions. Inaccessibles, intouchables, les épines dardées transmettent pourtant, par l’oeil, une impression piquante.
D’autres craintes encore s’immiscent, celle de se perdre au milieu du dédale végétal, inquiétude liée à la profusion du jardin, que l’on n’aurait pas à Versailles, par exemple, un parc infiniment plus grand mais où l’oeil embrasse d’un coup tout l’espace. Et puis, de la désorientation induite par le jardin découle la peur de tomber, à force de regarder partout, crainte de trébucher sur un obstacle, et même de tomber dans l’eau.
Au fil de la déambulation, ces angoisses discrètes s’estompent et se dissolvent. Le visiteur s’approprie l’espace, l’inconnu devient connu, l’impression de danger devient ridicule.
Et en même temps, c’est un peu de la magie du jardin qui disparaît.

Voie gallo-romaine

Vestiges de la voie gallo-romaine de Lisieux, médiathèque municipaleC’est une des curiosités de Lisieux : en plein milieu de la médiathèque, la moquette s’arrête pour laisser place à… une voie romaine. D’énormes blocs de pierre passablement bosselés pavent le sol, irruption du passé dans un lieu dédié au savoir. Il y a deux mille ans, la route de Lutèce à Vieux, près de Caen, passait là et menait, pour ceux qui le souhaitaient, jusqu’à Rome.
Après l’invasion de la Gaule, les Romains ont fait bénéficier le pays conquis de leur maîtrise des travaux publics.
Ce n’est pas le seul endroit de Normandie où l’on a décidé d’intégrer des vestiges gallo-romains dans un bâtiment. Le musée d’Evreux s’adosse au rempart gallo-romain, tandis qu’à Rouen, une fontaine antique est mise en valeur dans la vitrine de l’immeuble EDF.
A Lisieux, la découverte de la voie gallo-romaine a posé quelques problèmes. Elle se trouve un bon mètre en contrebas du sol actuel. Les architectes lyonnais qui ont conçu la médiathèque il y a une quizaine d’années ont donc imaginé un bâtiment de verre où l’on descend vers la salle de lecture.
De la rue, les passants plongent le regard vers les usagers de la bibliothèque et les rangées de livres, alignés sur des étagères vert pâle. Cette couleur a une histoire, c’est le vert choisi pour les huisseries à l’époque de la Reconstruction dans les années 50.
Ce vert qui évoque les destructions de la Seconde Guerre mondiale fait sens face à la voie gallo-romaine. Les terribles bombardements et l’incendie qui ont ravagé Lisieux ont eu ce que l’on pourrait appeler un bénéfice collatéral, ils ont mis au jour les vestiges antiques. La terrible invasion de la Gaule, de même, a débouché sur la construction d’équipements.
Symboles du renouveau après l’épreuve, ces deux éléments rappellent que la vie, toujours, se poursuit après les cataclysmes. Les cartes sont battues et redistribuées, une nouvelle partie commence, quelque chose de neuf surgit dans un monde nouveau.

Avril, mois des tulipes

Tulipes à Giverny A partir de la mi-avril, le jardin de Monet à Giverny se transforme en une palette de couleurs éclatantes. C’est la très spectaculaire floraison des tulipes, accompagnée de celle des pensées, giroflées et autres pâquerettes.
En ce moment, un mois avant l’ouverture du jardin, il gèle encore la nuit, mais les belles sont partout dans les starting blocks, prêtes à fleurir à la folie d’ici six semaines.
Les jacinthes et les jonquilles sont déjà en bouton, à la satisfaction des jardiniers qui guettent leurs progrès comme autant de signes de l’arrivée prochaine du printemps.
Cinq mois après les avoir plantées, on avait presque oublié qu’elles étaient là, blotties sous terre, en train de s’enraciner dans le sol pour mieux se hisser ensuite vers la lumière.
Si vous envisagez une visite à Giverny, avril est une bien jolie période pour admirer un jardin très gai et lumineux, au tracé net. Et les tulipes de plus en plus extravagantes, froufroutantes, enflammées, multiples, énormes ou minuscules, redoublent d’originalité pour mieux nous épater.

Collection photographique

escargotD’où vient donc ce goût de l’espèce humaine pour la collection d’images ? Des collections de joueurs de foot aux héros de dessins animés, les enfants y engloutissent leur argent de poche (j’ai toujours pensé que Pokemon était en fait la contraction de pocket money).
Les adultes les plus fortunés craquent de même, pour des tableaux, comme les enfants ils y mettent tout leur sérieux et se justifient en pensant qu’ils investissent.

Le goût de la collection est présent également du côté des faiseurs d’images. Les peintres ont tendance à décliner des thèmes, encore et encore, approfondissant leur travail à chaque nouvelle toile.
Monet est caractéristique de cette façon de procéder. Plus que dans les séries, c’est dans sa répétition interminable du motif des nymphéas qu’il révèle sa quête.

Les photographes n’échappent pas à la collectionnite. Rien de plus facile avec un appareil photo que de se laisser fasciner par la déclinaison d’un même motif, parfois tout à fait insolite.
J’ai connu une photographe qui s’intéressait aux plantes qui poussent dans des fissures, envers et contre tout. Une autre qui captait les reflets offerts par les miroirs qui aident les automobilistes à sortir de leur garage. Un livre entier qui présentait Paris vu dans des flaques.

Ce qu’on aime dans les collections, c’est que c’est semblable et différent à la fois. Comme les visages humains, peut-être.
C’est qu’on peut y assouvir un désir de classement, qui nous donne l’illusion de contrôler quelque chose.
Et un désir d’accumuler, tout à fait redoutable.

En déambulant dans les jardins de Monet, je me suis mise à photographier les escargots. J’ai retrouvé la sensation joyeuse de ramasser, toute petite, des coquillages sur la plage.
Regardez celui-ci, un vrai travail d’artiste. Les spirales ont manifestement été tracées par quelque main mystérieuse. L’harmonie des couleurs est confondante. A quoi sert tout cela ?
Ce que j’aime chez les escargots, c’est leurs acrobaties sur les feuilles, surtout les très petits. J’essaie d’imaginer leur vision du monde. Ils sont face au même environnement que nous, mais ils l’appréhendent si différemment.
Et puis, j’aime leur absurde lenteur. Comment peut-on être si lent ? Vivre à ce point au ralenti ? Dans notre monde où tout va si vite qu’on ne voit même plus les images qui défilent de chaque côté, leur lenteur m’attire comme la suprême sagesse.
Je vais photographier les escargots pour le plaisir, mais je ne vous embêterai pas trop avec ça. C’était juste pour dire que, pour s’interroger sur le sens de la vie, la beauté du monde, la place de l’homme dans la nature, il n’y a pas que les nymphéas.

Oasis

Rue du Gros-Horloge, RouenA Rouen, le cadran du Gros-Horloge est entouré de quatre petits oeil-de-boeuf. Le regard est tellement happé par la majesté et les dorures de l’énorme pendule qu’il ne remarque pas ces baies discrètes sur les côtés. De l’intérieur, on a l’impression de regarder la rue à l’oeilleton.
C’était un de ces jours de janvier où Rouen se caricature elle-même, s’appliquant à mériter son surnom de pot-de-chambre de la Normandie. Ce n’est pas de la médisance de ma part : les Rouennais eux-mêmes se sont décerné ce titre, à la façon de Cyrano de Bergerac se servant, avec assez de verve, sa tirade des nez.
Le sobriquet se déclinait au début du siècle dernier sur de nombreuses cartes postales réputées humoristiques. D’énormes vases de nuit déversaient des trombes d’eau sur les passants qui se hâtaient sous leurs parapluies.
Les pots-de-chambre ne sont plus, mais la pluie est restée. Bon, et alors ? Les Normands font semblant de râler, mais je crois que dans le fond, ils aiment bien la douceur humide de leur climat.
Ce jour-là, donc, les parapluies fleurissaient au-dessus de la foule qui se presse à toute heure dans la rue du Gros-Horloge, la plus ancienne voie piétonne de France, paraît-il. Mais, vus d’en haut, les parapluies paraissaient tout petits, surpassés par ceux qui abritaient l’éventaire du fleuriste.
Dans la chaude lumière qui dorait les fleurs, l’étal végétal contrastait avec le gris froid et minéral tout autour. Toutes les couleurs du printemps semblaient s’être réfugiées là, et d’en haut, à travers la vitre, on avait l’illusion de sentir le parfum des fleurs, aussi réconfortant que la vue d’une palmeraie au milieu du désert.
C’était comme une oasis, une oasis inscrite dans la lettre O de l’oeilleton.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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