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Pots en grès au sel destinés à conserver les oeufs, musée de Betschdorf, Bas-Rhin

Que pouvaient bien contenir les pots bleus en grès au sel que l’on voit sur les tableaux de Monet ? Selon ce que j’ai pu observer au musée de la céramique du Westerwald ou au musée de Betschdorf, en Alsace, certains étaient marqués Anchovis : des anchois. On faisait une grande consommation de poissons salés, anchois ou harengs, avant l’invention du congélateur.
On conservait aussi les oeufs, à l’époque où les poules ne pondaient pas toute l’année, en les couvrant de silicate de soude. Ce liquide d’aspect vitreux, très riche en calcium, empêchait l’air d’entrer dans les oeufs et de les corrompre, à condition qu’ils soient mis à conserver très frais. Le Chasseur français, en 1947, explique de façon détaillée comment faire des conserves d’oeufs. Les pots qui étaient utilisés à cet usage présentent encore d’épaisses traces de calcaire, et parfois même des restes de coquilles.
Les jarres servaient aussi pour les légumes lacto-fermentés dont le plus connu est la choucroute, mais le chou blanc n’était pas le seul à être conservé de la sorte. Ces conserves faites à la maison avec les légumes du jardin offraient une source de vitamines en hiver.
Un modèle plus large que haut était destiné à garder trois livres de beurre ou de saindoux, ce qui dure un certain temps pour une consommation familiale. Ces pots d’assez petite taille devaient être rapportés à la crèmerie pour en acheter des pleins, ou pour recevoir le beurre pesé par le marchand. Le crémier se fournissait en beurre dans des jarres de grande taille qui pouvaient contenir jusqu’à 25 livres de beurre. Pleines, elles devaient peser un joli poids. Celle qui est ornée d’un griffon au premier plan du Jardin de Monet à Vétheuil correspond probablement à cet usage. On connaît sa taille, 43 cm de haut.

Albert Anker, Le petit chaperon rouge, 1883, huile sur toile

Voici un tableau qui vient d’être exposé à la fondation Gianadda de Martigny.

Il suffit de faire le compte de ce que cette fillette porte dans les mains : une galette et un « petit » pot de beurre, de vérifier son couvre-chef pour se convaincre que nous sommes face au Petit Chaperon rouge. Albert Anker, peintre réaliste suisse, (1831 – 1910) a été l’élève de son compatriote Charles Gleyre, tout comme Monet. Il n’est pas impossible qu’Albert et Claude se soient rencontrés, toutefois Anker paraît avoir été déjà un peintre reconnu à l’époque où Monet galérait encore.
Anker nous offre une très belle étude psychologique à travers ce regard d’enfant, grave et doux. Son réalisme nous fait aussi percevoir la condition de l’enfance à la fin du 19e siècle : il faut travailler dès le plus jeune âge, aider les parents. La grand-mère devait être bien contente de voir arriver sa petite-fille lui apportant quelque chose à manger, elle qui était si faible au fond de son lit, dans la forêt.
Mais revenons à nos pots bleus. On voit bien dans ce tableau que la plupart n’avaient pas de couvercle. On les fermait avec un papier sulfurisé entouré d’une ficelle, à la maison on les couvrait d’une assiette retournée. La petite Suissesse porte vraisemblablement un pot venu d’Alsace.

Des fleurs et des couleurs

Les jeux olympiques de Paris attirent un certain nombre de sportifs et de supporters à Giverny, en remplacement, dirait-on, des visiteurs habituels effrayés par les JO qui ont différé leur visite des jardins de Monet. Depuis quelques jours, presque tous mes clients viennent essentiellement pour Paris 2024, et l’éventail des nationalités se révèle encore plus large que d’habitude.

J’étais en train de montrer les massifs violets à une petite famille américaine en soulignant combien Monet adorait les fleurs de cette couleur, quand la dame a remarqué qu’ils n’avaient pas de fleurs violettes dans leur propre jardin.
– Le violet était la « school color du college adversaire à celui de mon mari », m’a-t-elle expliqué. Dans son université, on portait un uniforme bleu vif, dans celle d’à côté, il était violet, et cela a suffi à son époux pour détester à tout jamais le violet et le bannir à vie de son jardin.

Mais l’exclusion peut toucher encore bien plus de couleurs. Hier, j’ai guidé des dames venues de Lituanie. L’une d’elles m’a montré des photos du parc présidentiel à Vilnius, ouvert au public en soirée. « Ce n’est pas très beau, s’est-elle excusée. A l’époque soviétique, il n’y avait qu’une seule couleur possible pour les fleurs, le rouge. » Rien de tel qu’une balade dans le jardin de Monet pour apprécier l’infinie diversité des couleurs des fleurs et s’en inspirer.

Sur la piste des pots bleus-1

La petite ville allemande de Höhr-Grenzhausen et ses voisines sont depuis plusieurs siècles un centre potier très dynamique, grâce à un gisement d’argile de qualité. La région, couverte de forêts, s’appelle le Westerwald, c’est-à-dire la forêt de l’ouest. Höhr-Grenzhausen est située près de Coblence, ville sur le Rhin à son confluent avec la Moselle.

Höhr-Grenzhausen possède un très beau musée de la céramique. Une petite section de ce musée s’intéresse aux représentations picturales des productions locales, comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessus. Van Gogh, par exemple, s’est laissé inspirer par les bouteilles de grès dans lesquelles on transportait de l’eau de source (sur le mur à gauche). Mais c’est surtout Le Jardin de Monet à Vétheuil qui a retenu l’attention de l’équipe du musée. Il était bien tentant de chercher dans les collections quels pots se rapprochaient le plus de ceux figurés sur le tableau.

Les conservateurs ont donc mis en avant une petite sélection de contenants en grès au sel décorés de losanges et surtout de lions stylisés assez effrayants, dont l’un est daté 1860 – le tableau est de 1881, mais Monet avait acquis ses jarres dix ans plus tôt. Sur les pots du Westerwald, le roi des animaux porte la couronne et une épaisse crinière stylisée.

Vernon vu par Seb Toussaint

Les promeneurs et les croisiéristes qui naviguent sur la Seine profitent de cette oeuvre de street art de Seb Toussaint, « Harmonie vernonnaise ».

A l’occasion d’une promenade à pied sur le quai Jacques Chirac à Vernon, j’ai découvert cette belle fresque à l’arrière d’un garage. Elle a été réalisée en 2022 dans le cadre de l’exposition Courant d’Art, mais je ne l’avais pas encore remarquée. Je me suis demandé quelle devait être la taille d’une ville pour continuer à vous offrir de l’étonnement au fil des ans. Vernon a 25 000 habitants. Et j’ai constaté une fois de plus la routine de nos trajets.

Seb Toussaint est un street artiste engagé, et son message sur ce mur, je suis sûre qu’il le pense vraiment. Les deux mains symbolisent le rôle que l’homme doit jouer pour protéger la nature. En bas, la devise de Vernon, Semper viret, toujours vert. On reconnaît les nénuphars chers à Monet. En vert, des saules pleureurs, en jaune, une évocation de la pierre de Vernon avec ses silex. Et encore les flots de la Seine, et les veines du bois. Des matières.

Seb Toussaint a aussi travaillé à Argenteuil sur le thème des impressionnistes en s’inspirant de tableaux de Claude Monet, Alfred Sisley et Gustave Caillebotte. La petite vidéo sans paroles sur sa fresque explique bien l’hommage rendu à leurs oeuvres. On y trouve même les pots bleus des tableaux du jardin de Monet à Argenteuil.

Mais le plus extraordinaire, c’est son projet Share the word (partagez le mot) qui l’a mené de bidonvilles en camps de réfugiés pour peindre sur leurs murs un mot suggéré par les habitants. C’est une façon de donner la parole à ces oubliés de la Terre. Le street artiste séjourne longuement sur place, il se lie avec les gens, et il crée de la beauté sur les maisons en partageant des mots venus du coeur. De l’humanité avec un grand H.

Après avoir vu son travail en Mauritanie, en Colombie, en Palestine, je suis fière de le voir célébrer aussi ma ville. Nous avons beau être des privilégiés comparés aux personnes que Seb Toussaint rencontre, ces mots, ces valeurs, ces couleurs qu’il peint sont universels, et l’urgence climatique nous rappelle que nous ne sommes qu’une même famille, celle des habitants de la Terre.

Les paravents d’Hiramatsu

Hiramatsu Reiji (né en 1941), Concerto de nymphéas et de cerisiers, (détail) 2020
Paravent à six panneaux, pigments et colle sur papier, 200 x 540 cm
Giverny, musée des impressionnismes, MDIG 2022.5.13 © Takemi Art Photos

Le peintre japonais Hiramatsu Reiji est de retour à Giverny, pour le plus grand plaisir des visiteurs du musée des Impressionnismes. Une première exposition en 2013 avait fait découvrir au public français l’art raffiné de ce maître du nihonga, la peinture traditionnelle nippone, appliquée à des paysages inspirés par les jardins de Monet. Le musée s’était porté acquéreur des toiles givernoises, et avait par la suite montré régulièrement quelques-uns de ces tableaux au fil des expositions estivales.

Hiramatsu Reiji, Giverny, forêt de bambous sur l’étang, 2020
Paravent à six panneaux, pigments, feuille métallique et colle sur papier, 200 x 540 cm
Giverny, musée des impressionnismes, MDIG 2022.5.10 © Takemi Art Photos

Cet été, et jusqu’au 3 novembre 2024, Hiramatsu occupe à nouveau toutes les salles du musée avec une étonnante série de 14 paravents, entrés à leur tour dans les collections. Face à ces oeuvres de grandes dimensions, le visiteur s’immerge dans le monde poétique du peintre. C’est un hymne à la beauté des saisons, des pétales de cerisiers aux feuilles d’érables flottant entre les nénuphars, thèmes importants au pays du soleil levant.

On retrouve les motifs géométriques répétitifs, les couleurs saisissantes, les oiseaux ou les grenouilles qui animent les paysages, les nuages qui passent… L’exposition réserve aussi quelques surprises. Hiramatsu a bien observé les nénuphars et les a même représentés noirs, tels qu’on les voit à contre-jour. Et un amusant paravent est composé de vignettes des lieux emblématiques de Giverny, Vernon et la Normandie. Il y a de la tendresse et un profond amour pour notre petit coin du monde dans l’oeuvre d’Hiramatsu Reiji.

La tombe de Renoir à Essoyes

De la maison des Renoir à Essoyes au cimetière où ils reposent, il n’y a que quelques centaines de mètres. La tombe de Renoir est couverte d’une mince dalle, le peintre ayant demandé à son fils de ne pas lui mettre une trop grosse pierre, de façon à pouvoir la soulever pour aller se promener, si l’envie l’en prenait. Il ne devait pas être trop fan des lourds monuments funéraires de ses voisins.

Deux médaillons sont venus s’ajouter sous son buste de bronze par Richard Guino, celui de son fils Pierre, le comédien, et de Jean le cinéaste. Dido Freire était la seconde épouse de Jean Renoir.

Derrière la tombe d’Auguste Renoir, dans une sépulture jumelle mais dont le buste manque depuis 2005, reposent Aline, sa mère Thérèse Maire, son fils Claude dit Coco, et son petit-fils Claude, dit Claude Junior, fils de Pierre Renoir. Aline et Auguste sont morts l’une à Nice, l’autre à Cagnes, et ont d’abord été enterrés à Nice avant d’être transférés à Essoyes.

L’atelier de Renoir à Essoyes

Dans sa résidence d’été d’Essoyes, Auguste Renoir a fait construire un atelier à l’autre bout du jardin, aussi loin que possible de la maison. Officiellement « pour ne pas déranger les enfants dans leurs jeux ». Peut-être pour n’en être pas dérangé lui-même, ou pour peindre des nus commodément, qui sait.
L’atelier compte un rez-de-chaussée et un étage. La pièce d’en bas servait à stocker du matériel de peinture et à arranger des bouquets pour les natures mortes.

L’atelier proprement dit, baigné par la lumière du côté nord, se trouve à l’étage, auquel on accède par un escalier extérieur couvert d’une treille.

Le sol est taché de peinture.

Pour être peintes par Renoir, des personnalités ont fait le trajet jusqu’à Essoyes. L’artiste aimait aussi faire poser les jeunes filles du village. Il chantait volontiers en travaillant et il devait avoir une belle voix, car il avait un temps caressé l’idée de devenir chanteur lyrique. Ses joyeux refrains devaient bien amuser ses modèles. On imagine une atmosphère de gaieté, bien loin des affres et des tourments d’un Monet, qui trouvait souvent que la peinture était une torture.

Une très grande caisse marquée TABLEAUX FRAGILE est posée dans un angle de l’atelier. Ces caisses servaient à expédier les toiles par le train, pratique très courante.

L’étiquette, soigneusement rédigée, précise que la caisse doit voyager par grande vitesse. C’était peut-être le retour d’un grand tableau prêté pour une exposition, ou bien l’envoi d’une toile vierge.

A la fin de sa vie, Renoir s’est essayé à la sculpture. Voici le médaillon de Coco, dont Monet possédait une des premières versions en plâtre.

La maison des Renoir à Essoyes – 8

La chambre d’Auguste Renoir dans sa maison d’Essoyes donne une impression d’espace. Il n’aimait pas s’encombrer de superflu.

Le peintre passait des nuits douloureuses dans ce lit. A partir de 1897, date à laquelle il fait une chute de vélo, il souffre de polyarthrite rhumatoïde et devient peu à peu invalide. Il mange si frugalement qu’il ne pèse que 44 kilos en 1904, 15 ans avant sa mort. Ses proches s’occupent de lui pour lui faciliter les gestes de la vie quotidienne.

Dans le cabinet de toilette attenant, on peut encore voir le tub et le chauffe-eau utilisés par Renoir avec l’aide d’Aline, Gabrielle ou de la grande Louise.

Le meuble de toilette supporte un nécessaire à barbe : contrairement à Monet, Renoir se rasait.

Sur la petite table faisant office de bureau, des fac-similés de lettres, un encrier et des porte-plumes.
Tiens ! Renoir n’écrivait donc pas à la plume d’oie, comme Monet ?

Et voici la jolie vue qu’on a depuis l’étage, sur le jardin. L’autre côté donne sur la rue.

Le visiteur ne découvre cette façade sur la rue Auguste Renoir qu’après avoir quitté la maison, en revenant du cimetière.

La maison des Renoir à Essoyes – 7

La chambre d’Aline Renoir donne sur celle de ses enfants. Une belle pièce où les garçons avaient de la place pour jouer. Malgré leur différence d’âge, ils étaient contents d’être réunis dans la maison d’Essoyes, car ils passaient l’année scolaire au pensionnat. La pièce a été reconstituée avec deux lits ayant appartenu aux Renoir. Je suppose que c’était ceux de Pierre et Jean, puis Jean et Coco. Devenu grand, Pierre logeait au 2e étage.

A nouveau, une multitude de détails captent le regard. Un costume marin est accroché au placard, près d’une coiffeuse d’enfant. Sous le lit est glissé le pot de chambre. Partout, des jouets.

Des toupies, le jeux des quatre souris, le jeu des pénitences très récréatif en société, jeu de puces, des sauterelles, c’est à prendre ou à laisser, jeu du triangle, jeu de la croix… Les décorateurs se sont bien amusés.

Les sciences ne sont pas oubliées : cahier pour faire un herbier, boîte de science amusante autour du magnétisme… Un nounours bourré de paille siège dans un petit fauteuil, à côté d’un plus grand orné de tapisserie, où les fils Renoir pouvaient s’installer pour lire.

Dans le petit lit, un jeu de l’oie, un album sur les animaux de la campagne, et un cahier pour apprendre à dessiner (quand même !) : le moniteur de dessin des tout petits.

A côté de la bassinoire qui a appartenu à la famille, une collection de pierres pour s’initier à la minéralogie.

Enfin (mais on pourrait continuer), sur le grand lit, des livres pour enfants, des fables, et une boite contenant des billes en terre et des calots. Est-ce que vous craquez autant que moi ? C’est, mis en situation, le musée du jouet.

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A l’étage de la maison familiale des Renoir, au-dessus du salon-atelier, de la cuisine et de l’ancienne salle à manger se trouvent trois chambres. On y accède par l’escalier de la tour. Aline et Auguste ne dormaient pas ensemble, comme c’était l’usage dans les familles bourgeoises. Voici le lit d’Aline.

Sur la coiffeuse qui a appartenu à la famille sont disposés quantité de jolis objets, brosses, boites à poudre, flacons…

Le placard et la malle sont pleins de linge, comme si les Renoir venaient d’arriver pour l’été.

Un renfoncement était réservé aux travaux d’aiguilles.

La baignoire en zinc a appartenu aux Renoir. Elle est placée dans la chambre même. Quel luxe de prendre un bain chaud !

La belle cheminée de marbre blanc, la pendule témoignent d’un confort bourgeois qui était une revanche sociale pour Aline : elle a été élevée par sa tante et son oncle, sa mère ayant été obligée de quitter Essoyes pour aller travailler à Paris alors qu’Aline était encore bébé. Elle n’avait que quinze mois quand son père a quitté le domicile conjugal. Après son départ, sa mère n’était plus en mesure de payer son loyer. Posséder une maison était par conséquent l’un des rêves d’Aline.

La maison des Renoir à Essoyes – 5

Après le salon-atelier de la maison des Renoir et l’ancienne salle à manger transformée en espace d’exposition, voici l’immense cuisine d’Essoyes. Aline Renoir aimait faire la cuisine et régaler sa famille et les amis de passage. Elle cultivait elle-même un potager et un verger.

Le grand buffet, à la forme originale, et la table ont appartenu à Auguste et Aline Renoir. Le sol est en pavés de terre cuite rouge, les murs peints en jaune clair donnent une atmosphère chaleureuse à la pièce.

Voici le fourneau, cousin de celui de Giverny, avec les casseroles en cuivre à portée de main, la bouilloire et la cafetière poussées dans le fond, et le moule à gaufres prêt à régaler les enfants.

Devant la fenêtre, disposé comme une nature morte, de quoi parfumer les plats. A droite, sous la jolie cruche, se trouve le garde-manger treillagé.

Dans l’évier, une cuvette et un broc émaillés près du robinet de cuivre qui ne distribue que de l’eau froide, des torchons de lin pour essuyer les verres, une crédence à petits motifs, un savon de Marseille…

Et voici un détail des étagères du buffet. Quel charme dans cette cuisine de campagne de la famille Renoir !

La maison des Renoir à Essoyes – 4

Cet été, les visiteurs de la maison des Renoir à Essoyes ont la chance de pouvoir y admirer quatre tableaux du maître, célébrant son triomphe à l’occasion de son exposition rétrospective chez Durand-Ruel en 1892. Ces oeuvres originales ont été prêtées par le musée d’Orsay et la société Durand-Ruel et Cie et sont présentées à Essoyes jusqu’au 22 septembre 2024 dans l’ancienne salle à manger de la maison de l’artiste.

Pierre-Auguste Renoir, La Maternité, (Madame Renoir et son fils Pierre), 1885, musée d’Orsay, Paris

La très belle Maternité, dite aussi Madame Renoir et son fils Pierre ou encore L’enfant au sein est de retour dans le village où elle a été peinte. Elle représente Aline, la future épouse de Renoir, et leur premier-né Pierre, âgé de quelques mois. Tout est lumineux et adorable dans ce tableau, les couleurs douces, l’expression épanouie d’Aline, le bébé grassouillet qui attrape son pied, la simplicité du décor de campagne tout autour… Les traits, bien dessinés, signalent la période où Renoir s’éloigne de l’impressionnisme et renoue avec la fermeté du dessin, que lui inspire son admiration pour Ingres.

Auguste Renoir, Richard Wagner, 1882, musée d’Orsay, Paris

Le saisissant portrait de Richard Wagner a été exécuté en 35 minutes seulement. Les deux hommes se rencontrent à Palerme, en Sicile, en janvier 1882. Renoir est un admirateur de la musique de Wagner et souhaite le peindre, mais il est éconduit deux fois. A sa troisième tentative, Wagner, qui vient d’achever la composition de Parsifal et se sent fatigué, accepte tout de même de le recevoir. Après un verre ou deux, les deux hommes sympathisent. Wagner accorde une séance de pose à Renoir pour le lendemain. Elle est brève, mais le peintre s’en accommode : c’est assez pour saisir la ressemblance, vêtements et fond ne sont qu’esquissés. Selon Renoir, il eût fallu qu’elle fût plus courte encore : « Si je m’étais arrêté avant, c’était très beau, car mon modèle finissait par perdre un peu de gaité et devenir raide. J’ai trop suivi ces changements. » On connaît même, grâce à cette lettre de Renoir à un ami, la réaction de Wagner : « A la fin Wagner a demandé à voir il a dit Ah ! Ah ! Je ressemble à un prêtre protestant ce qui est vrai. » Wagner devait mourir à Venise l’année suivante.

Auguste Renoir, Marie Durand-Ruel, 1888, collection Durand-Ruel

Ma photo ne rend pas les couleurs lumineuses de ce beau portrait de la fille de Paul Durand-Ruel, commandé à Renoir par le marchand des impressionnistes, qui se faisait à l’occasion mécène. Cette oeuvre est restée dans la famille et n’a jamais été exposée depuis 1892. Marie, dont la taille ultra-fine est certainement prise dans un corset, a une expression pensive. A-t-elle aimé ce portrait d’elle voulu par son père ? Renoir s’est-il montré aussi rapide qu’avec Wagner ?

Auguste Renoir, Vue de La Rochelle, vers 1890, collection Durand-Ruel

A côté de ces oeuvres majeures, la petite Vue de La Rochelle (19 x 26 cm) passe presque inaperçue. Elle aussi, pourtant, fait partie de la collection Durand-Ruel et n’a jamais été exposée depuis la rétrospective Renoir de 1892. Le marchand avait réuni 110 toiles, ne négligeant pas les petites, à la portée de davantage de bourses. Renoir a séjourné à La Rochelle en juin 1890 et a exécuté plusieurs toiles du port. Là encore, ma photo est bien en deçà de la réalité, beaucoup plus jolie.

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La maison des Renoir à Essoyes, en Champagne

Le clou du « parcours Renoir » du village d’Essoyes, c’est bien entendu la visite de la maison familiale. Ce sont les Renoir qui ont fait ajouter la tour, qui sert de cage d’escalier, transformant une bâtisse rurale en demeure bourgeoise. Aline, qui avait du tempérament et la tête sur les épaules, s’est beaucoup occupée du suivi du chantier.

Les principaux meubles sont restés sur place, déposés par les héritiers Renoir, tandis que l’atmosphère de l’époque est rendue par une époustouflante mise en scène réalisée dans l’esprit d’un décor de cinéma. Cette pièce, le salon-atelier, était au départ une grange, bientôt aménagée en atelier, jusqu’à la construction d’un atelier neuf au bout du jardin : des étapes identiques à celles du salon-atelier de Monet à Giverny.

Voici le bureau où rien ne manque, pas même les lunettes. Les cigarettes déjà roulées sont prêtes à être fumées.

Pinceaux et brosses sont rangés près de la fenêtre dans des pots en grès de Betschdorf, tels qu’on en voit un dans le tableau présenté en 1874 à la première exposition impressionniste, Fleurs dans un vase prêté ce printemps à Orsay par le museum of fine arts de Boston :

Pierre-Auguste Renoir, Fleurs dans un vase, vers 1865, museum of fine arts, Boston

Près du chevalet se trouve une palette qui fait penser à celle donnée par Jean Renoir au musée d’Orsay. Elle est moins volumineuse que celle de Monet, qui aimait travailler avec de très grandes palettes aux formes courbes :

La palette de Monet, conservée au musée Marmottan-Monet à Paris

Revenons à la maison de Renoir à Essoyes. Un paravent marque la limite entre l’atelier et le salon. Renoir aimait déguiser ses modèles, les parer d’accessoires.

Entre les fauteuils, une adorable chaise d’enfant. Les jeux en bois sont sortis.

Des châssis, des toiles sans cadre qui ne se prennent pas encore pour des chefs-d’oeuvre, se mêlent aux figurines de plomb et à la cafetière sur son petit plateau.

Le piano porte des partitions de Lieder de Liszt. Le fauteuil roulant est devenu indispensable à Renoir à partir de 1910. Le joli papier peint a été refait d’après celui d’origine.

On n’en finit pas d’observer tous les détails, les dragées dans leur drageoir, les livres sur les étagères… J’ai été conquise par la finesse des rideaux, et cette douce harmonie des roses dans la cruche. Renoir adorait peindre des roses, il y étudiait les tons de ses nus.

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Essoyes, le centre culturel

Le « parcours Renoir » à travers le village d’Essoyes débute au centre culturel, qui fait office de centre d’interprétation. Après avoir vu un petit film d’une vingtaine de minutes, le visiteur peut lire de nombreux panneaux thématiques, pour se familiariser avec la famille Renoir et comprendre son lien avec Essoyes. Quelle riche idée ! C’est tout ce qui manque à Giverny, où les explications font cruellement défaut.

Auguste Renoir, Danse à la campagne, 1883, musée d’Orsay, Paris

Le visiteur apprend ainsi qu’Aline Charigot, originaire du village, a d’abord été le modèle puis l’épouse de Renoir. Son visage nous est familier. Aline incarne par exemple la femme de Danse à la campagne du musée d’Orsay.
C’est Aline qui a convaincu l’artiste de venir séjourner dans son village natal. Renoir adorait « paysanner en Champagne ». A partir de la naissance de leur fils Pierre en 1885, la petite famille passe régulièrement l’été dans le village. En 1896, ils achètent une maison. Jean vient de naître. Le petit dernier, Claude, naît dans la maison familiale à Essoyes en 1901.

A l’étage du centre culturel, 150 ans obligent, la première exposition impressionniste de 1874 est évoquée par des reproductions et quelques objets. Vous prendrez bien un petit verre d’absinthe ?

Le parcours traverse le village, en passant par l’église et la maison de Gabrielle Renard, engagée à 16 ans pour être la nounou de Jean Renoir. Le futur cinéaste se souviendra d’elle avec une grande tendresse. Il l’appelait Bibon. Gabrielle, qui a beaucoup posé pour le peintre, était native d’Essoyes, tout comme Aline Charigot, l’épouse d’Auguste Renoir, dont elle était la cousine.

La maison des Renoir à Essoyes – 1

Essoyes, pont sur l’Ource et quai des artistes

Le petit village d’Essoyes se trouve dans le département de l’Aube, au sud de la Champagne, à la limite de la Bourgogne. Il est traversé par l’Ource, un affluent de la Seine, et compte à peine plus de 700 habitants. Depuis 2017, on peut y visiter la maison d’Auguste Renoir et sa famille.

Le village est labellisé « Petite cité de caractère » et a obtenu 3 fleurs au concours des villes et villages fleuris. Au bord de l’Ource se dresse un important lavoir. Du temps de Renoir néanmoins, à en juger par ses tableaux, certaines laveuses travaillaient directement dans la rivière.

Le village, qui a compté 1800 habitants au début du XIXe siècle, a vu sa population baisser à 650 il y a vingt ans. Elle repart timidement à la hausse.

L’église Saint-Rémi a été reconstruite après un incendie, et consacrée en 1865.

Partout des vélos décorés et des fanions jaunes : le Tour de France est passé par là. L’impression qui domine est néanmoins celle d’un grand calme. On est à 2h30 de Paris, en dehors de la zone d’influence de la capitale. Beaucoup de maisons paraissent inoccupées, plusieurs sont à vendre. Je ne peux m’empêcher de comparer avec le marché immobilier de Giverny, où les biens sont rares et chers.

De nombreux puits subsistent devant les maisons vigneronnes construites en pierres apparentes.

Certaines maisons anciennes possèdent encore la pierre d’évier par où les eaux de la cuisine s’écoulaient dans la rue.

Un parcours aux panneaux bien visibles permet de découvrir tous les lieux du village en lien avec les Renoir.

Itinéraire bis dans les jardins de Monet

Au bout du bassin aux nymphéas de Giverny s’ouvre une petite allée qui contourne elle aussi l’étang, mais d’un peu plus loin. Cet itinéraire bis n’offre pas de vue sur le plan d’eau cher à Monet, il est donc un peu moins fréquenté. C’est par là que le Ru, le petit bras de l’Epte, entre dans la propriété. Un beau gunnera y prospère, avec ses feuilles surdimensionnées. Il aime avoir les pieds humides.

Le cours d’eau serpente entre des massifs d’hémérocalles à fleurs orange et les larges feuilles rondes des pétasites. Les jardiniers se sont amusés à faire un arceau avec une branche de ce jeune saule.

Au sud, face à la prairie où un troupeau de vaches vit sa vie, un magnifique aulne dresse sa fière silhouette. C’est un arbre local qui se plaît au bord de l’eau. Je ne sais pas s’il a été planté. Il a très bien pu s’installer tout seul et trouver la place bonne.

Le chemin passe sous un « vieux » saule pleureur, qui date des années soixante-dix, dont les rameaux viennent chatouiller cette touffe de lis d’un jour. Je crois que c’est le nouveau doyen parmi les saules.

On débouche sur les arceaux de roses où se mêlent trois couleurs de fleurs. Les plus sombres sont des American pillar, robustes, au beau feuillage luisant.

Les voici d’un peu plus près. A droite, la jeune fille est assise sur le banc de Monet. A l’origine, il se trouvait au bord de l’eau, près de l’embarcadère, là où les visiteurs aiment se prendre en photos.

Ne pas perdre la carte

Claude Monet, Le Déjeuner sur l’herbe (partie centrale), 1865-66, Musée d’Orsay, Paris

En 1865, Claude Monet entreprend une oeuvre de grandes dimensions, un Déjeuner sur l’herbe qui figure un groupe de promeneurs s’apprêtant à pique-niquer à l’ombre des arbres de la forêt de Fontainebleau. La toile, qui mesurait à l’origine plus de 4 mètres par 6 mètres, était destinée à impressionner le jury et les visiteurs du Salon officiel. Elle n’a jamais été achevée. Entre 1865 et 1878, elle suit Monet dans ses différents logements, à moins qu’elle ne soit entreposée ici où là, notamment pendant sa fuite à Londres en 1870-71. En 1878, alors qu’il quitte Argenteuil pour Vétheuil, Monet est obligé de la laisser en gage à son propriétaire car il ne parvient pas à payer son loyer. Il est entendu qu’il viendra la récupérer en échange du solde de sa location.

Les années passent. En 1884, le propriétaire, le menuisier Flament, qui a peut-être eu vent d’un certain succès de Monet dans la presse, se rappelle à son bon souvenir. Alice, la compagne de Claude, lui fait suivre la lettre parvenue à Giverny pendant que le peintre séjourne à Bordighera, en Italie, pour peindre.

La lettre que vous m’envoyez est, en effet, de mon propriétaire d’Argenteuil auquel je dois encore plus que je ne pensais ; il a toujours mon tableau à ma disposition, contre paiement s’entend. Il réclame même un tableau que, dit-il, je lui aurais promis lorsque j’ai quitté Argenteuil ; il ne perd pas la carte, le cher homme. C’est égal, je voudrais bien rentrer en possession de mon grand tableau.

Lettre de Claude Monet à Alice Hoschedé, Bordighera, 25 janvier 1884
Claude Monet, Le Déjeuner sur l’herbe, partie gauche, 1865-66, Musée d’Orsay, Paris

On voit que Monet reste attaché à cette oeuvre de jeunesse qui portait tant d’espoirs et lui a donné tant de mal. Son ami Frédéric Bazille, décédé depuis, avait posé pour plusieurs personnages. On sent Claude tout prêt à régler la somme demandée pour récupérer son tableau. Il ne sait pas encore que celui-ci est en bien piteux état. Voilà six ans qu’il est roulé dans une cave humide, et les bords en sont rongés par la moisissure. Quand Monet le déroulera, il sera, on l’imagine, navré du résultat. Il sauvera ce qui peut l’être en découpant les parties les moins abîmées du Déjeuner. Le deux fragments rescapés font partie des collections du musée d’Orsay. Monet les conservera le restant de sa vie.

Cependant, le menuisier d’Argenteuil affirme dans sa lettre avoir aussi à toucher de Monet un nouveau tableau. Cette transaction, non chiffrée, reste fort mystérieuse. Y va-t-il au culot ? Ou le peintre s’est-il vraiment engagé à lui fournir une toile de chevalet, ce qui n’est pas impossible ? Toujours est-il qu’il y a bien peu de chances pour que Monet lui donne satisfaction sur ce point là. « Il ne perd pas la carte, le cher homme », ironise-t-il. Cette expression qui sent bon le XIXe siècle signifie garder la tête froide, réagir rapidement avec à-propos. Monet y ajoute une pointe d’opportunisme, me semble-t-il, à la façon dont nous dirions aujourd’hui : il ne perd pas le nord.

Fleurs d’été dans le clos normand

Cette étrange beauté est une ismène, dite aussi lis araignée. C’est une bulbeuse venue des Andes qui, en plus d’attirer le regard, est parfumée. Ismène sonne comme un prénom, et c’en est un : c’est la soeur d’Antigone.

L’ammi élevé, ou Ammi majus, est une belle ombellifère de la famille du céleri, qui donne un aspect naturel et champêtre à un massif.

Voici les clochettes violettes de la cerinthe, et ses belles feuilles ombrées de violet.

Et pour finir la scaevola, dite fleur éventail, dans sa version blanche et jaune.

Fleurs d’été au jardin d’eau

Planté avec d’autres petites merveilles dans les massifs du jardin de Monet, voici le Salpiglossis, belle fleur au toucher de velours. Il rappelle un peu son cousin le pétunia, mais en plus découpé. Les jardiniers de la fondation Monet ont choisi des variétés marbrées spectaculaires.

Le Tradescantia virginiana, ou éphémère de Virginie, offre un beau contraste de couleurs avec ses pétales d’un violet intense qui tranche sur le vert de son feuillage.
Le millepertuis, ou Hypericum, très courant dans les jardins, est tenu à l’oeil chez Monet car il adore prendre ses aises.
Et voici le poivrier de Chine, à la discrète mais mignonne petite fleur blanche peu élevée. Son nom botanique ? Houttuynia cordata. C’est un couvre-sol des terrains humides et frais, dont les feuilles et les racines se consomment. Goût d’agrume, de coriandre, de poivre, il paraît qu’il fait merveille en cuisine. Je n’ai pas essayé.

Sainte-Adresse et son Pain de Sucre

Claude Monet, Sainte-Adresse, 1867, National Gallery of Art, Washington

L’exposition L’impressionnisme et la mer se termine dimanche à Giverny, au musée des impressionnismes. Encore quelques jours pour admirer les fantastiques couleurs que les artistes, de Boudin à Maufra, ont vues dans les flots de la mer.

Je suis retournée tout à l’heure regarder de près les Monet, avec leur étrange signature où le t final est comme une croix qui penche, un mât de navire. Et faire un gros plan du pain de sucre de Sainte-Adresse, que Monet a fait figurer sur cette toile de 1867, avec la chapelle Notre-Dame-des-Flots juste derrière. Ce sont là deux monuments caractéristiques de Sainte-Adresse, qu’il connaissait parfaitement.

Claude Monet, Sainte-Adresse (détail), 1867, National Gallery of Art, Washington

On distingue très bien le chemin crayeux qui y monte.

Et puis je me suis demandé s’il était possible de voir le pain de Sucre aujourd’hui depuis la plage du Havre. La réponse est oui, si l’on a des yeux perçants, comme Monet.

Voilà un agrandissement de la photo précédente. On s’aperçoit qu’il faut encore marcher vers la droite de la plage avant que le Pain de Sucre n’apparaisse au milieu de la nef. C’est un bon repère pour retrouver l’endroit d’où a été peint le tableau de Washington. On se rend compte aussi que lorsque Monet est à la pointe de la Hève, il a les monuments dans son dos, et qu’il ne peut pas les faire figurer dans ses tableaux du cap.

L’éclat de juin à Giverny

En ce moment, le grand massif du bas du jardin de Monet a un aspect des plus impressionnistes, avec ses nombreuses touches de rouge coquelicot. A y regarder de plus près, on s’aperçoit que c’est une broderie qui compte non seulement les fameux coquelicots, mais aussi des dahlias de formes diverses aux coloris rouges et jaunes, des lis, des rudbeckias, des bidens, des pétunias, des roses d’Inde, etc, etc, etc.

Les delphiniums d’un bleu intense s’élancent près des rosiers en arbres.

Haut de 2 mètres environ, ces rosiers pleureurs au charme fou se parent de centaines de petites roses. Les plus tardives sont encore au début de leur floraison. Monet cultivait de tels rosiers, grâce aux soins experts de son chef-jardinier Félix Breuil.

Partout, les hémérocalles saluent le début de l’été, émergeant enfin en corolles orange au-dessus de leurs belles feuilles en ruban.

Deutzia

Ce joli arbuste bien en vue près de la boutique de la Fondation Monet intrigue les visiteurs. Qu’est-ce que cela peut bien être ? Du jasmin ? Un seringat ? Chacun y va de sa supposition.L’application PlantNet a la réponse : ces petites étoiles blanches sont celles d’un Deutzia gracilis.

Les conseils de plantation des pépinières recommandent de lui donner une exposition ensoleillée. A Giverny, il est à l’ombre du troisième atelier et de grands arbres, mais il fleurit néanmoins ces jours-ci, pour fêter l’arrivée de l’été.

Cauchemar à Bordighera

Claude Monet, Strada Romana à Bordighera, 1884, Musée Barberini, Potsdam

Rien de plus doux que les couleurs utilisées par Monet pour rendre la lumière qui baigne Bordighera, en Italie : des roses pâles, des bleus légers, des verts tendres. Ces teintes font aujourd’hui nos délices, mais quand Monet les pose sur la toile, il s’en effraie. On est si loin des couleurs académiques, « et pourtant c’est ainsi ».

Dans ses lettres, le peintre ne cesse de dire son étonnement des couleurs, en même temps que son émerveillement. A Duret, le 2 février 1884, il écrit :

Je suis installé dans un pays féerique. Je ne sais où donner de la tête, tout est superbe et je voudrais tout faire ; aussi j’use et gâche beaucoup de couleurs, car il y a des essais à faire. C’est toute une étude nouvelle pour moi que ce pays et je commence seulement à m’y reconnaître et à savoir où je vais, ce que je peux faire. C’est terriblement difficile. Il faudrait une palette de diamants et de pierreries. Quant au rose et au bleu, il y en a ici.

Claude Monet, Les Palmiers à Bordighera, 1884, Metropolitan Museum, New York

Le 3 février 1884, il confie à Alice :

Maintenant je sens bien le pays, j’ose mettre tous les tons de rose et bleu ; c’est de la féerie, c’est délicieux, et j’espère que cela vous plaira.

Pourtant, au fond de lui, il doute encore, à en faire des cauchemars, qu’il raconte à Alice le 6 février :

C’est une journée bien différente que j’ai passée aujourd’hui, journée sans travail aucun, mais ce matin, j’ai cru que j’allais être malade ; j’avais du reste passé une très mauvaise nuit ; contrairement à mon habitude, j’ai eu tout le temps des cauchemars, voyant tous mes tableaux faux de ton, puis les apportant à Paris, où tout le monde m’avouait n’y rien comprendre. J’étais désespéré ; Durand n’en voulait pas et je maudissais ce voyage.

Claude Monet, Bordighera, Italie, 1884, collection particulière

Mais sa mauvaise nuit et son mal de tête avaient aussi une autre cause :

Ce soir à dîner, tout le monde m’a dit qu’hier j’avais très mauvaise mine, que je travaillais trop, que j’avais tort de rester trop au soleil, d’autres qu’il ne fallait pas rester dehors, passé une certaine heure, que le climat était traître et pernicieux aux gens bien portants ; bref, un tas de bêtises. J’étais évidemment fatigué, comme je le sentais depuis plusieurs jours, et voilà tout.

Le lendemain, il n’est pas encore remis :

Je me suis remis au travail ce matin, mais j’ai été tout mal à l’aise pendant toute la journée. Ce soir, je me sens mieux ; j’ai eu tout le temps mal à la tête et comme de la fièvre. Aussi ai-je travaillé avec plus de sobriété, car c’est évidemment dû à la surexcitation du travail.

Claude Monet, Vue de Bordighera, 1884, Hammer Museum, Los Angeles

En mars, près de deux mois après son arrivée, Monet finit par assumer pleinement les coloris qu’il emploie. Ainsi, le 10 mars, dans une lettre à Alice, il exulte :

Maintenant je le tiens ce pays féerique et c’est justement ce côté merveilleux que je tiens tant à rendre. Evidemment bien des gens crieront à l’invraisemblance, à la folie, mais tant pis, ils le disent bien quand je peins notre climat. Il fallait en venant ici que j’en rapporte le côté saisissant. Tout ce que je fais est flamme-de-punch ou gorge-de-pigeon et encore ne le fais-je que bien timidement. C’est du reste chaque jour plus beau. Les amandiers et les pêchers mêlés aux palmiers, aux citronniers toujours avec leurs fruits dans des harmonies délicieuses.

Les oliviers

Claude Monet, Bois d’oliviers au jardin Moreno, 1884, collection particulière

Pendant son séjour à Bordighera, Monet a bénéficié d’une introduction pour peindre dans la propriété de M. Moreno, qui possédait non seulement un jardin paradisiaque, mais aussi des hectares d’oliviers ; ils avaient fait sa fortune.

Claude Monet, Les Oliviers à Bordighera, 1884, collection particulière

En 1884, Monet n’a pas encore mis en place le principe de la série. Il cherche à varier les sujets, et, s’il représente beaucoup de palmiers, il se passionne aussi pour les oliviers. Leur feuillage gris-bleu, le contraste avec le sol ocre, le soleil qui perce à travers les branches, les troncs noueux, la vibration lumineuse elle-même qui émane de ces bois d’oliviers ne pouvaient que le fasciner.

Claude Monet, Etude d’oliviers, Bordighera, 1884, collection particulière

Un déplacement de quelques mètres, et tout change, surtout si l’on passe d’un temps ensoleillé à un ciel couvert. « On peut se promener indéfiniment sous les palmiers, les orangers et les citronniers et aussi sous les admirables oliviers, mais quand on cherche les motifs, c’est très difficile, » soupire Monet.

Cependant les couleurs qu’il observe et qu’il retranscrit sur la toile l’étonnent. A Alice, le 7 février 1884 : « Je ne sais quel effet tout cela vous fera, mais c’est bien terrible et le bleu joue un grand rôle dans tout ce que je fais. Aujourd’hui je travaillais à un sous-bois d’oliviers par temps gris : tout est bleu et cependant c’est ainsi. »

Claude Monet, Etude d’olivier, 1884, collection particulière

On connaît la longévité de l’olivier. Celui-ci existe toujours dans une propriété privée de Bordighera, la fondation Pompeo Mariani.

Certaines oliveraies, heureusement, sont accessibles au public. En voici une autre près de Bordighera, par temps pluvieux, avec un sol presque trop vert.

Et voici deux vénérables oliviers dans le jardin de Renoir aux Collettes, à Cagnes-sur-Mer. Ils étaient déjà très âgés du vivant de Renoir.

Le Bordighera de Monet

Claude Monet, Les villas à Bordighera, 1884, musée d’Orsay, Paris

C’est toujours émouvant de retrouver, presque inchangé, un lieu peint par Monet. A Bordighera, la villa construite par Charles Garnier pour le banquier parisien d’origine allemande Bischoffsheim s’élève toujours sur la via romana.

La clôture et l’abondante végétation empêchent de capturer l’angle exact choisi par Monet. Mais l’élégante tour de style mauresque, avec tous ses détails, est encore plus belle que sur le tableau. Quand Monet la représente, en 1884, elle n’a pas dix ans.

Claude Monet, Villas à Bordighera, 1884, musée Barberini, Potsdam

La voici dans l’autre sens, émergeant d’un jardin luxuriant. Au fond, on aperçoit la ville haute (et ancienne) de Bordighera.

Pour qui veut marcher sur les pas de Monet et ne connaît pas la ville, il n’est pas facile de retrouver les endroits peints. Heureusement, un plan affiché dans la vitrine de l’office de tourisme s’avère providentiel.

Claude Monet, Vallée du Sasso, effet de soleil, 1884, musée Marmottan-Monet, Paris

Monet a représenté quatre fois cette étrange tour, dite tour sarrasine, qui date du 16e siècle.

Le Sasso n’est rien de plus qu’un fossé rempli d’eau. Un panneau à l’entrée de cet établissement horticole spécialisé dans les plantes grasses nous confirme que nous sommes au bon endroit : la tour s’appelle maintenant la « tour Monet ». Monet est grimpé sur la colline pour la peindre avec la montagne en arrière plan. Le lieu n’a plus le même charme, et je doute qu’il retiendrait son attention aujourd’hui.

Ailleurs, la magie opère. Le campanile de l’église, figuré par Monet sur de nombreuses toiles, se détache sur la mer. Par devant, une maison toute simple comme celles qu’on peut voir sur plusieurs tableaux.

Claude Monet, Jardin à Bordighera, 1884, Musée de l’Ermitage, Saint-Petersbourg

Cette végétation a d’ailleurs donné bien du mal à Monet :

« Ce pays, comme je vous l’ai dit déjà, est extrêmement difficile à faire, très long, surtout parce que les grand motifs d’ensemble y sont rare. C’est trop touffu, et ce sont toujours des morceaux avec beaucoup de détails, des fouillis terribles à rendre, et moi justement suis l’homme des arbres isolés et des grands espaces. »

(Lettre à Alice, 11 février 1884)
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Ariane.

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