Giverny secret

C’est un secret un peu trop bien gardé : les jardins de Monet sont magnifiques en octobre. Eh oui ! Si tard en saison, ils débordent toujours de fleurs ! Ils fermeront au soir du 1er novembre, mais en attendant, pendant les jours qui viennent, c’est toujours un moment bien choisi pour les visiter. Vous ferez le plein de couleurs et vous vous promènerez dans des allées presque vides.

J’ai tellement entendu les visiteurs regretter l’affluence qui régnait ces dernières années que je tiens à le souligner : les jardins de Giverny ont retrouvé en 2020 une apparence de jardin secret. Vous rêviez de les voir sans public ? Foncez ! Qui sait, l’an prochain, les touristes pourraient être de retour…

Double amour

Les bancs de jardin peuvent être bien plus que des sièges. Ils atteignent parfois à la grâce de l’instant suspendu, de la poésie pure.
L’artiste givernoise chez qui j’ai vu celui-ci a le sens de la mise en scène. Cette magnifique pièce de ferronnerie est merveilleusement mise en valeur par les feuillages de la clématite et des hostas qui l’encadrent. Juste ce qu’il faut de verdure pour répondre aux entrelacs de végétation figurés sur le banc, pour offrir un refuge à celui qui viendrait s’asseoir. Un toit, une petite cabane, rien d’oppressant. Dans le gravier, des fraisiers sauvages viennent parfaire le tableau.

Les beaux objets qui nous entourent sont le fruit d’un double amour, celui de la personne qui les a conçus, et le nôtre qui nous les a fait choisir.
Le choix de ce banc ne peut être qu’un coup de coeur, qui s’explique si bien de la part d’une artiste qui créait des meubles en métal. Quelle finesse d’exécution ! Quelle richesse graphique !

En voyant l’installation de ce banc, en examinant ses détails, j’ai ressenti puissamment ce double amour. J’ai imaginé le crayon inspiré du ferronnier qui a inventé cet oiseau en train de béqueter des fruits, la fluidité avec laquelle il a laissé courir le trait pour former les volutes…

et son besoin de rajouter ces petits personnages aux accoudoirs pour donner de l’esprit à ce banc de jardin. Des compagnons, ou bien des gardiens. Et j’ai senti en même temps combien mon amie aime son banc, comme il lui correspond profondément et quelle joie elle a à le regarder et à s’en servir.

Les beaux objets qui nous entourent et que nous aimons rayonnent de l’amour que nous leur portons. Ils s’en chargent comme des piles et nous le retournent, même si nous ne prêtons pas toujours attention à cette énergie dont ils sont porteurs.

Toute l’émotion que j’ai eue en découvrant l’harmonie installée entre un objet et un être, entre mon amie et son banc, m’est revenue intacte plusieurs mois plus tard à la vue des photos. C’est l’émotion poétique d’un vers qui touche, d’un mot juste, d’un chant d’oiseau…

Cousu main

Au premier étage de la maison de Claude Monet, sur le palier entre la chambre d’Alice et celle de Blanche, on aperçoit un réduit derrière une porte vitrée. Grand comme un mouchoir de poche, c’est l’atelier couture de Mesdames Monet.
Des draps brodés anciens sont disposés sur la machine à coudre, qui trône toujours en bonne place. La marque Hurtu signe une fabrication 100% française réalisée à Montluçon à la fin du 19e siècle ou au début du 20e.
C’est le genre d’objet qui évoque une foule de souvenirs à nombre de visiteurs. Il y a cinquante ans, les machines à pédales étaient encore d’usage courant, à une époque où la plupart des femmes savaient coudre.
Selon la tradition familiale des Hoschedé-Monet, c’était le cas d’Alice. Etre experte en travaux d’aiguilles était un must pour les jeunes filles.

Au-dessus a été accrochée une toile de Lilla Cabot Perry, qui fut la voisine de Monet pendant plusieurs années, et devint son amie. Il s’agirait de la fille de l’artiste, elle aussi prénommée Alice.

De l’autre côté, le mobilier est complété par une petite chaise, une estampe japonaise, et c’est tout.

Calligraphie

C’est parfois un challenge de décrypter les actes anciens manuscrits, qu’ils concernent l’état-civil, les jugements, les minutes notariales, l’urbanisme ou tout autre sujet. Confronté à une écriture désuète et presque illisible, le lecteur du XXIe siècle en est réduit aux comparaisons entre les mots, aux devinettes et aux conjectures.

Mais rien de tel à Giverny. A l’époque du décès de Monet, le maire du village, Alexandre Gens (ou est-ce le secrétaire de mairie qui rédige ? Dans ce cas la tâche serait probablement dévolue à l’instituteur ? La signature ne me paraît pas de la même main), bref l’officier d’état-civil a une écriture soignée, très lisible et même plaisante à lire. Les lignes sont bien écartées, prétracées sur le papier qu’on ne cherche pas à économiser, bien qu’il soit timbré. Une page et demi pour un décès !

Transcription :

Le cinq décembre mil neuf cent vingt-six à treize heures, Oscar Claude Monet né à Paris le 14 novembre 1840, artiste peintre domicilié à Giverny, fils de feu Adolphe Monet et de feue Louise Augustine Aubrée, veuf en premières noces de Camille Léonie Doncieux décédée à Vétheuil (Seine et Oise) le cinq septembre mil huit cent soixante dix-neuf et veuf en deuxièmes noces de Angélique Emélie Alice Raingo décédée à Giverny (Eure) le dix-neuf mai mil neuf cent onze, est décédé en son domicile, quartier du Pressoir, à Giverny. – Dressé le six décembre mil neuf cent vingt-six, dix-huit heures, sur la déclaration de Théodore Earl Butler, artiste peintre, beau-gendre du défunt, domicilié rue du Colombier, à Giverny, témoin majeur, qui, lecture faite a signé avec Nous, Alexandre Gens, maire de Giverny.

Les actes anciens, même ceux dont on connaît déjà la nature comme celui-ci, ont le don de susciter des questions. Pourquoi est-ce Théodore Butler qui est allé déclarer le décès de Claude Monet, et non son fils Michel Monet, ou son beau-fils Jean-Pierre Hoschedé ? Butler a-t-il aimablement proposé ses services ? Lui a-t-on confié cette mission parce qu’il était un peu moins accablé que les autres ?

Des questions comme celles-ci, il ne cesse d’en jaillir dès qu’on se penche sur les actes anciens. La plupart n’auront sans doute jamais de réponse.

C’est sans importance. La magie de l’écriture manuscrite est de nous rendre le scripteur plus proche. On suit le fil de la main comme celui de la pensée. On croit être là, présent avec lui et le déclarant, pendant la rédaction de l’acte.
Si c’était vrai, si Butler était en face de nous avec son chagrin, nous aurions fait preuve de retenue, respectant sa tristesse. Ce genre de questions oiseuses, nous ne les aurions pas posées.

Un air d’arrière-saison

Les teintes rouges des sauges et des amarantes font chanter les verts. Le soleil assure, encore 26 degrés cet après-midi. Quelques visiteurs sont venus profiter de la puissance des couleurs, de la douceur des températures. Ambiance de fin septembre. A Giverny, c’est l’arrière-saison. Il reste moins de six semaines avant la fermeture, le 1er novembre.

Le jardin de fleurs explose de touches de couleurs, plus impressionniste que jamais.

Du blanc au presque noir, les teintes affichent leur progression dans la « boîte de peinture » du jardin de Monet.

Dans la lumière crue de l’après-midi, les nymphéas brillent comme des écus qui auraient roulé de la bourse d’un géant.

Leurs rosettes couronnent le bassin de Monet roi des plans d’eau.

L’un d’eux s’est égaré dans le bleu du ciel.

De l’aube au crépuscule

Claude Monet, La plage à Pourville, soleil couchant, 1882, Musée Marmottan-Monet, Paris

Les impressionnistes affectionnaient les effets de lumière. Ils ont aimé représenter les plus spectaculaires, ceux du début et de la fin du jour. L’exposition proposée par le musée de Louviers dans le cadre du Festival Normandie impressionniste rassemble quelques beaux instants crépusculaires capturés par Monet et les peintres de son temps.

Mais l’expo ne s’arrête pas aux paysages. En prime, une section intimiste nous fait entrer dans les intérieurs bourgeois du 19e siècle, au fil de la vie, de l’aube au crépuscule.

Roger-Joseph Jourdain, Le nuage, 1885 Musée de Louviers

Ce tableau-ci, par exemple, m’a scotchée par sa théâtralité. Nul doute que c’est l’intention de ces rideaux ouverts, de cette femme qui nous fait face. On se croit face à la scène d’un théâtre.

L’oeuvre est signée d’un peintre né à Louviers, Roger-Joseph Jourdain, bien connu des milieux artistiques parisiens de l’époque. Ainsi, Jourdain participe à la souscription pour acheter l’Olympia de Manet à sa veuve et faire entrer le tableau dans les collections de l’Etat. C’est Monet qui se charge de rassembler les fonds.

Jourdain retranscrit une scène du quotidien et fait de nous ses spectateurs indiscrets : les deux protagonistes sont en train de se faire une scène, justement. Pas de doute là-dessus. Le nuage dont il est question dans le titre ombrage leur relation, et non cette lumineuse journée d’été.

Que se sont-ils dit ? Elle s’appuie sur la table, comme si sa tête était devenue trop lourde des mots qu’elle vient d’entendre. Il s’est éloigné pour regarder par la fenêtre, comme s’il préférerait être ailleurs. Il croise les jambes, prêt à faire demi-tour quand une réplique bien sentie lui traversera l’esprit.
Le spectateur cherche des indices. Que faut-il déduire de ce haut-de-forme et de cette paire de gants posé sur le tabouret, de cette table mise pour le thé ? Petit morceau de virtuosité que cette nature morte, où la théière d’argent reflète les tasses de porcelaine et même l’éclat de lumière sur le plateau.

Comme lorsqu’on entre dans l’appartement de quelqu’un d’autre, l’oeil parcourt les détails, les petits bouquets disposés partout, les pages négligemment coincées entre les livres sur l’étagère, les bibelots sur la cheminée, le reflet du jour sur le tapis, la fenêtre qui se dessine sur la cheminée, sans trouver la clé. Peut-être Monsieur a-t-il suggéré une sortie à Madame, et celle-ci aura décliné pour cause de mal de tête ? Il boude à la fenêtre. Il n’a pas touché à son thé.

Mais l’oeil revient encore et encore vers un détail du premier plan un peu agaçant. Le tapis fait une bosse, comme le faisaient les tapis de laine d’autrefois. Il est tout prêt pour qu’on se prenne les pieds dedans.
Pourquoi le peintre a-t-il pris grand soin de décrire ce détail ? Veut-il accentuer le réalisme de la scène ? Rien n’est apprêté. Le couple n’est pas en train de recevoir. Ils sont juste tous les deux, dans leur petit fourbi, tandis que passe leur nuage.
C’est à se demander s’il y a quelque chose de caché. Un non-dit dissimulé sous le tapis.

Si c’est Geffroy qui le dit…

Claude Monet, la Seine à Vétheuil, 1879, musée d’Orsay – Paris

« Quand un homme possède le don de voir, de comprendre, de reproduire en résumés magiques ce passage de la lumière sur le monde, il peut vivre seul, car il n’est pas seul : il est entouré de toutes les fées des sources, des rivières, des champs, des bois, de la mer, des saisons ; il est en dialogue perpétuel avec elles, il écoute leurs voix, qui sont ses voix. C’est ainsi que s’est affirmé de plus en plus le goût de la solitude de Monet, sa sauvagerie, sa vie retirée parmi ses fleurs, au bord de l’eau, dans les prairies, partout où l’on entend les rumeurs de l’espace. »

Gustave Geffroy a été un ami intime de Monet et certainement l’une des personnes qui l’ont le mieux compris. La biographie qu’il a consacrée au peintre est l’une des sources les plus précieuses dont disposent les historiens de l’art. GG, dans ses écrits, est du genre sérieux. Allez, j’ose : il est même peut-être parfois un tout petit peu plombant à lire.

Je me faisais cette idée de lui, un homme sincère, entier, passionné et éventuellement un peu ennuyeux, quand je suis tombée sur le passage ci-dessus à la fin de la biographie. Interloquée, je reste des minutes à lire et relire ces lignes sans pouvoir trancher : est-ce une simple image poétique, ou le pense-t-il vraiment, que les fées existent ?

Quel historien de l’art oserait aujourd’hui écrire cela ? On lui rirait au nez. Des FEES ??? Cela ferait pouffer. Notre époque ne permet plus à des amis de se dire qu’ils s’aiment, elle a aussi coupé tout lien avec le monde des esprits de la nature. Autrefois, beaucoup de personnes les voyaient. De nos jours, s’il en reste, elles se cachent. Je parle des personnes sensibles à leur présence, car je pense qu’ils continuent de vivre leur vie, indifférents à notre cécité.

Tout compte fait, je crois que Geffroy ne plaisante pas. Il a pesé ses mots, toujours aussi sérieux. Il y croit dur comme fer, comme quelqu’un qui en a vu. Perçu. Et qui comprend qu’on se retire dans un coin de nature pour mieux « entendre les rumeurs de l’espace ». Dans mes bras, Geffroy.

Par la fenêtre


On reconnaît instantanément l’écriture manuscrite de Ben, tant l’artiste a su se faire connaître des plus jeunes en investissant leurs trousses et leurs cahiers de textes.
Benjamin Vautier a exposé au musée de Louviers en 2011-2012. Il en reste ce « graffiti » sur une fenêtre du premier étage, où se déroule en ce moment une belle exposition impressionniste sur les aubes et les crépuscules.
J’ai obéi. Et, magie de l’expression artistique ? regardez ce qui s’est passé : la scène n’a pas l’air d’être vraie, vous ne trouvez pas ? La place Thorel nouvellement refaite a l’air de sortir d’une plaquette publicitaire.

Les vignes de Vernon

Le jardin des Arts, dans le centre-ville de Vernon, vient d’être refait. Clin d’oeil au passé viticole du val de Seine, des pieds de vignes ont été plantés. Et comme on est en ville, le raisin voisine avec les roses et les coréopsis.

Anémomorphose

Deux arbres déformés par le vent sur le littoral de la Manche

La déformation des arbres par le vent porte un nom : c’est l’anémomorphose, un mot où l’on repère deux racines grecques, le vent anémos et la forme morphos. Quand on se promène le long des côtes de la Manche par une belle journée d’été, il est difficile d’imaginer les conditions extrêmes que doivent y affronter les plantes à d’autres périodes de l’année. Les végétaux torturés par les éléments, comme figés dans la douleur de leur lutte, viennent nous rappeler que le temps n’est pas toujours aussi clément. Quand la tempête fait rage, cela se passe à notre insu. Nous restons à l’abri dans nos maisons, mais les arbres n’ont pas d’autre choix que de subir.

Les deux mêmes chênes face au vent du large au val d’Ailly, Seine-Maritime

Cependant, la déformation des arbres et arbustes pourrait résulter de conditions beaucoup moins difficiles qu’on ne l’imagine à priori. Une étude menée par trois scientifiques, Olivier Cantat, Edwige Savouret et Laurent Brunet constate que les vents venant de la mer ne sont pas les plus fréquents sur le littoral de la Manche. Les vents dominants soufflent du sud-ouest. Alors pourquoi les arbres penchent-ils dans l’autre sens ?

Claude Monet, Sur la côte à Trouville, 1881, Museum of Fine Arts, Boston.

Selon ces scientifiques, c’est parce qu’en avril, à la période où s’ouvrent les bourgeons et où la croissance des ligneux s’accélère, les brises du nord-est deviennent majoritaires. Tout particulièrement en début d’après-midi, aux heures de fort ensoleillement : pile au moment où la croissance des plantes est la plus forte. Les arbres attendent des conditions favorables pour déclencher l’apparition des jeunes pousses. Ils aiment qu’il fasse beau et que le vent ne soit pas trop fort. Ces conditions anticycloniques correspondent à celle d’apparition des brises de mer.

Ces vents marins chargés de sel n’ont pas besoin d’être violents pour dessécher les bourgeons et les jeunes pousses. L’arbre est empêché de se développer du côté de la mer. Seule la partie « sous le vent » parvient à faire grandir les rameaux, donnant à l’arbre sa forme caractéristique.

Lyons-la-Forêt

C’est l’un des bijoux du département de l’Eure, serti dans l’écrin émeraude de sa forêt : Lyons (on prononce Lyonsse pour ne pas confondre) est l’un des Plus Beaux Villages de France. Du charme à la puissance 10.

On est dans le même département que Giverny, à 45 kilomètres tout de même, mais on croirait avoir changé de région. Ici les maisons sont en bois (forêt oblige) ou en briques, et non en pierres. Si à Giverny on cherche un centre, à Lyons la place Bensérade, espace en triangle sur lequel se dresse la grande halle, est le coeur battant du village. La tête de la comète, dont la queue serait la rue du Bout-de-Bas, qui s’étire jusqu’à l’église Saint-Denis.

La municipalité a fait le choix d’un fleurissement extraordinaire, récompensé au concours des villages fleuris par quatre fleurs et la rare Fleur d’or. Maurice Ravel, qui a séjourné longuement dans la maison ci-dessus, celle de sa marraine de guerre, a contribué au renom du village.

Tout est si charmant, si joli qu’on a envie de photographier chaque détail, comme les paons qui décorent ces rideaux ou la forme élégante des pans de bois, et le gris doux des persiennes et des volets.

Le vieux lavoir sur la Lieure donne envie de s’approcher de l’eau.

En cette saison, le ruisseau fait à peine vingt centimètres de profondeur et coule une eau limpide sur un fond de gravier. Sa fraîcheur est délicieuse par cette météo caniculaire.

Benjamin Rabier au musée

La scène pourrait se passer à Giverny : un ruisseau de rien du tout, un saule têtard, la barrière d’un pont, un petit village au fond. Les deux protagonistes se font face dans un tête à tête immortalisé par Jean de La Fontaine, comme nous le rappelle le titre de cette planche : le Loup et l’Agneau.

Mais au lieu de la morale attendue sur la raison du plus fort, au lieu de toutes les répliques que nous connaissons par coeur, le dialogue prend un tour différent :

– Laissez-moi retourner chez mon maître…
– Imbécile… si je ne te mange pas, c’est lui qui te mangera !

Il y a quelque chose de savoureux dans cet échange, et c’est peut-être cette apparence de logique du loup qui sous-entend « alors autant en finir tout de suite », ou « alors il vaut mieux que tu me nourrisses moi qui suis un animal plutôt que de finir dans le ventre d’un humain ». Une espèce de marchandage fait sur un ton prosaïque, avec des mots de tous les jours soigneusement pesés. Façon punch line.

Ou peut-être que c’est le comique de voir l’agneau déniaisé, et cela par un loup clochard… Car il n’a pas la superbe de celui du poète, qui s’écrie « Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? » Celui-ci se balade en charentaises, des pièces aux genoux et courbé sur sa canne. On se demanderait presque s’il lui reste des dents, si Rabier n’avait pas anticipé la question en lui faisant une gueule effrayante.

C’est le musée de Vernon qui présente ce livre dans sa section d’art animalier, où une belle place est faite aux oeuvres du célèbre illustrateur Benjamin Rabier (1864-1939), quasi contemporain de Monet (1840-1926). Je ne crois pas que sa fameuse Vache qui Rit figure dans les collections, mais on peut voir d’autres dessins avec ce même côté désuet qui nous touche encore.

Depuis quelques années, la muséographie de cette section a été simplifiée, selon les tendances du moment. La sélection des oeuvres présentées est donc d’autant plus drastique. Je me suis penchée sur la vitrine pour découvrir ce Loup et cet Agneau, j’ai souri, et j’ai pensé à la personne qui avait eu l’ouvrage en mains, l’avait feuilleté, s’était peut-être amusée à d’autres pages, puis avait finalement décidé d’ouvrir l’album à celle-ci pour nous en faire savourer à notre tour l’humour… comment dire ? Mordant.

Les voyages qu’on ne fera pas

Devant la maison de Monet, de grosses potées bleues montent la gardent. Les lobélias qui cascadent gracieusement par-dessus bord répondent aux tons du décor d’inspiration asiatique qui les orne. Un rêve bleu.

Je ne suis pas assez calée pour savoir si ce décor est japonais ou chinois, fait là-bas ou plus près d’ici. Mais peu importe au fond. Car Monet n’a jamais quitté l’Europe, sauf lors de son séjour sous les drapeaux en Algérie.

Il connaissait plusieurs régions de France : la Normandie en long et en large bien sûr, la Bretagne par son séjour à Belle-Île-en-Mer et Noirmoutier, le Sud-Ouest, la côte d’Azur, la Creuse… Il a fait de fréquents voyages à Londres. Il a visité la Suisse et l’Espagne. Il a peint longuement en Italie à Venise, à Bordighera, en Hollande. Tous les pays proches de la France, en somme, sauf l’Allemagne, où pourtant on appréciait sa peinture. Mais jamais il n’a songé à s’embarquer pour le Japon. Trop loin. Trop long.

Cela n’a pas empêché Monet de rêver du Japon toute sa vie, en fervent collectionneur d’estampes. Il s’est entouré de ces images exotiques, y puisant inspiration et délassement. De nombreux objets et meubles, dans sa maison, attestent de son goût pour le japonisme.

Nous revoilà dans la situation de Monet, cette année. Les pays aux antipodes sont redevenus des destinations lointaines, dont on ne fait que rêver. Nous en regardons des images sur nos écrans, tout en restant à la maison. Les raisons ne sont plus les mêmes que celles de Monet, mais le résultat est le même.

C’est une année à cultiver des lobélias.

Visite « Nymphéas noirs »

Vous avez aimé Nymphéas noirs, le roman de Michel Bussi qui se passe à Giverny ? Les 18 juillet, 22 août, 23 août et 12 septembre 2020 à 15h, je vous propose une visite guidée sur les lieux mêmes de l’histoire.

Michel Bussi est géographe, il aime décrire avec précision les sites où se déroule son histoire. Mais il prend aussi quelques libertés pour les besoins du récit. Entre réalité et fiction, nous découvrirons le Giverny de Nymphéas noirs.

RV parking le Verger devant l’office de tourisme. 15 euros.

Réservation en suivant ce lien :

https://guidesdenormandie.fr/evenement/le-giverny-de-nympheas-noirs-4/

Les iris du Japon

Les derniers iris du Japon sont encore en fleur à Giverny, bien après que leurs cousins germains les iris barbus ont achevé leur floraison. Ce décalage dans le temps est peut-être un peu causé par la différence de température entre leurs terrains préférés respectifs. L’iris germanica adore le plein soleil du clos normand, l’iris ensata préfère la mi-ombre du jardin d’eau. Il aime être planté sur la berge en terrain frais.

L’iris du Japon se reconnaît à ses gros sépales ronds qui retombent avec un délicieux abandon. Au milieu, les pétales dressés sont petits et discrets. En raison de ses goûts pour les sols humides, il n’est pas de culture courante, et a de ce fait le charme de la rareté.

Dans le jardin de Monet, les iris ensata renforcent l’aspect japonisant du bassin. Le peintre adorait les iris. Il en possédait une collection si large qu’elle a attiré l’attention de Georges Truffaut. A sa demande, le jardinier chef de Monet a rédigé un article dédié aux iris pour la revue Jardinage dont Truffaut était le créateur : “Les Iris aux bords des eaux.” Il est paru en octobre 1913.

Le parcours à sens unique

L’entrée aux jardins de Monet se fait par la ruelle Leroy, où a lieu le contrôle des billets électroniques, celui du port du masque et des sacs et la désinfection des mains. Les guichets sont fermés, il n’y a pas de vente de billets sur place.
La visite commence par le jardin d’eau. La portion entre le pont japonais et le petit pont à droite sur la photo n’est pas accessible, ni dans un sens ni dans l’autre. C’est le seul regret dans un parcours qui est vraiment très bien conçu.
On aperçoit le chemin le long du Ru, et on tourne à gauche sous l’arceau aux roses.
Au hêtre pourpre, on prend tout droit. Les bancs de pierre et le plan sont en place.
On peut monter sur le pont, mais pas le franchir. A l’autre bout, un gardien attend les visiteurs qui achèvent leur tour de bassin pour leur faire traverser la route vers le clos. Ainsi on ne se croise pas dans le souterrain.
Sens obligatoire pour faire le tour du bassin. L’avantage de toutes ces contraintes est qu’il y a très peu de monde. Pour l’instant, seulement 30 personnes maxi toutes les 20 minutes, je crois.
Au bout du bassin, l’allée vers le petit pont sur le Ru est barrée elle aussi. Ce n’est jamais très fréquenté par là…
Côté jardin de fleurs, la visite commence au pied de la grande allée, et de là on part à gauche.
On remonte vers la maison par l’ouest, du côté de la serre.
L’accès à la maison se fait par le premier atelier. Pschitt obligatoire sur les mains. Accéder par le salon-atelier est très sympa et évite de monter des marches pour les redescendre ensuite, ainsi que la bousculade dans l’escalier. Si cela pouvait se pérenniser…
Après l’atelier, on monte vers les chambres avec un coup d’oeil sur le salon bleu. Le reste est inchangé.
A la sortie, les deux allées à l’est du jardin sont facultatives. On commence par descendre dans la « boîte de peinture, » sous les supports métalliques.
On remonte vers la boutique et la sortie par l’allée du rond des dames. Tous les bancs de bois ont été supprimés. Malgré ces contraintes, la visite donne une très bonne impression d’avoir tout vu et de profiter réellement du jardin, surtout grâce à la faible affluence. Ces photos ont été prises lundi 8 juin, jour de l’ouverture un peu maussade. Comme toujours, les floraisons sont un enchantement, faut-il le dire ?

Une pluie de roses pour Monet

Un immense rosier pleureur dégringole en cascade au-dessus de la tombe de Claude Monet et sa famille. Il y a quelques années, le pignon était encore dénudé et minéral. Depuis que le jardinier qui se charge de l’entretien de la tombe a eu l’idée de planter ce rosier, il a bien grandi, pour atteindre cette taille très spectaculaire. C’est joli pour les visiteurs qui viennent se recueillir, et surtout, c’est tellement Monet. A croire que c’est lui qui a soufflé l’idée.

Réouverture le 8 juin

C’est officiel : la Fondation Monet rouvrira ses portes le lundi 8 juin à 9h30. La vente des billets électroniques sera possible dès demain 29 mai. Il faudra avoir acheté son ticket d’avance pour entrer, il n’y aura pas de vente sur place.

L’accès se fera par la ruelle Leroy, anciennement « l’entrée des groupes ». Le sens de visite sera imposé. On devine qu’il faudra commencer par le jardin d’eau, puis revenir vers le clos, la maison et finir par la boutique.

Il faudra venir avec son masque et le porter pendant toute la visite. Des contraintes légères face à la joie de retrouver les jardins de Monet ! A bientôt à Giverny !

On déconfine à Giverny

La roseraie de l’hôtel Baudy

Cela a quelque chose du supplice de Tantale. A Giverny, les jardins sont dans tout leur éclat, derrière des grilles fermées. Les visiteurs venus des alentours, les fameux 100 kilomètres à vol d’oiseau, se pressent dans les rues, à la faveur d’un week-end de l’Ascension radieux. Leurs voitures ont rempli le parking à demi : ils sont plusieurs centaines.

Ils sont nombreux à porter un masque. Ils déambulent en couple ou en famille, heureux de sortir de chez eux, de retrouver la joie d’une escapade. Mais celle-ci tourne court. Rien à visiter, pas même l’église. Pas moyen de s’asseoir pour prendre un verre ou manger un morceau, guère de vente à emporter. Marcher au grand air ailleurs qu’autour de chez soi, c’est déjà ça.

Dans la rue Claude Monet, on n’entend que du français, et c’est un peu bizarre. Contrairement à d’habitude, les promeneurs parcourent la voie principale de Giverny de bout en bout plutôt que de rester dans le quartier des musées, puisqu’il n’y a pas grand chose d’autre à faire. Seules les galeries de peinture sont ouvertes, sous réserve d’application de la distanciation et avec recommandation du port du masque.

Je suis entrée, tout à la joie de bavarder un moment avec des gens que je connais. Pendant que nous papotons, c’est un crève-coeur d’entendre des dames demander, avec beaucoup de gentillesse et de politesse, si elles peuvent utiliser les toilettes. Tout est fermé, les commodités les plus proches, c’est… chez elles.

Naturellement, les fourrés ont repris du service. Même situation à la Roche-Guyon ou sur la route des Crêtes, ce belvédère au-dessus de la Seine si prisé pour le pique-nique. Pourquoi est-ce que tout le monde s’agglutine au même endroit ? La campagne est si vaste, dès qu’on s’éloigne un peu.

C’est une situation bancale qui ne saurait durer. Giverny retient son souffle, en attente des nouvelles décisions gouvernementales. L’Eure est en zone verte. On parle d’une possible réouverture en juin pour la Fondation Monet. Les terrasses aussi, espérons-le. Tout le monde pense la même chose, même si c’est encore en partie du domaine du rêve : il est temps que ça se termine. On n’est pas encore sortis du tunnel, mais il y a de la lumière au bout. On déconfine. Et le soleil brille si fort.

Les gestes barrières

Quand on sortira du confinement lundi prochain et qu’on reverra les collègues, il faudra penser à ne pas se faire la bise.
On s’efforcera de ne pas être trop tassés dans les transports en commun,
on mettra tous un masque pour ne pas éternuer à la ronde,
on gardera nos distances à l’entrée des magasins,
mais les salles de spectacles resteront fermées…

L’ancienne voie ferrée

C’est un chemin adorable et méconnu de Giverny : le tracé de l’ancienne voie ferrée parcourt encore le bas de la commune, séparé de la route par un épais rideau d’arbres.
On surplombe les champs comme d’un balcon, et la vue porte au loin.
Le chemin est agréablement ombragé et plein de chants d’oiseaux.
Pour éviter les crues de la Seine, la voie avait été construite sur un talus. Un pont franchit le Ru, le petit cours d’eau qui arrose le jardin de Monet.
A l’Est du village, la gare accueillait les voyageurs du temps des trains à vapeur. C’est maintenant une salle des fêtes.

La nouvelle star

Une très jolie plante à fleurs blanches en étoile a été introduite il y a peu dans les jardins de Monet. La reconnaissez-vous ? C’est de l’ail des ours, qui fleurit abondamment à l’état sauvage dans les vallées de l’Eure, et qu’on utilise de plus en plus en cuisine. (photo 01/05/19)

Sur la colline

Je crois que j’ai réveillé le cheval blanc. Il était allongé sur le flanc, la tête posée dans l’herbe. Le bruit de mes pas l’a tiré de son sommeil. Il s’est levé et s’est éloigné en me lançant cet oeil noir, un peu dépité d’être debout si tôt peut-être ?
Voici l’un des délicieux chemins qui traversent la colline au-dessus de Giverny. A 7h30, confinement ou pas, c’est le grand calme.
Mon sentier préféré est celui qui passe en haut de la vigne. Depuis un an, 6000 pieds de chardonnay s’alignent au-dessus de l’église. La parcelle se nomme « Les vignettes » depuis fort longtemps.
Les arbres fruitiers sont en fleurs, le colza bientôt. Le bâtiment au centre de l’image, c’est le moulin des Chennevières.
Le soleil se lève sur la vallée de l’Epte. La verrière du grand atelier de Monet émerge dans le vert. La mairie de Giverny garde un oeil sur la colline, les drapeaux pointés comme autant de lances.
Des peupliers, des lointains noyés de brume… On est dans le paysage de Claude Monet.

Les pivoines japonaises

Les pivoines arbustives offertes en 2018 à la Fondation Monet par le jardin japonais Yuushien à l’occasion de la célébration des 160 ans de relations diplomatiques entre la France et le Japon sont en fleurs à Giverny.
Elles sont plantées devant la maison, en harmonie avec les tulipes roses.
Tout près de là, en clin d’oeil, des tulipes-pivoines. (photo 2019)
Le côté spectaculaire des pivoines éclipse les floraisons alentour. (photo 2019)

Fleurs des villes

Le square Laniel à Vernon

Vous souvenez-vous avoir tracé un cercle avec un piquet et une ficelle ? C’est un peu ce qui nous arrive depuis que nous avons l’autorisation de nous promener dans la limite d’un kilomètre de notre résidence.

Notre laisse est courte, nous en apprécions davantage les merveilles à notre porte. Privée de mon Giverny quotidien, j’ai été éblouie par ce magnifique parterre imaginé par les jardiniers du service Espaces verts de Vernon. Tulipes rouges, jaunes et chamarrées d’orange, narcisses pour éclairer, et quelques touches bleues de muscaris, c’est merveilleusement frais. Quelques pâquerettes de la pelouse viennent même se mêler aux bulbes printaniers. Merci les jardiniers !

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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