Tétramorphe

Saint-Luc, portail Saint Lubin, Vernonnet Le taureau que vous apercevez dans l’angle gauche de cet écoinçon n’a rien à voir avec le boeuf de la crèche. C’est l’attribut de Saint-Luc, l’un des quatre évangélistes, dont le nom est gravé en-dessous du personnage. Les trois autres rédacteurs du Nouveau Testament de la Bible ont aussi leur symbole. Matthieu est associé à un homme ou à un ange, Marc à un lion (comme sur la place Saint-Marc de Venise) et Jean à un aigle. Ils tiennent généralement un livre et de quoi écrire. Je crois que l’objet qui ressemble à un sabre entre les cornes du taureau est en fait une plume démesurée, ce qui fait donc de notre Luc un gaucher, détail plaisant.
Pourquoi les évangélistes ont-ils été dotés de ces attributs ? Ils leur ont été conférés d’après une vision de Saint-Jean dans l’Apocalypse :

Saint Jean, portail Saint Lubin, Vernonnet Un trône était dressé dans le ciel, et quelqu’un était assis sur ce trône… Et autour de lui, se tiennent quatre vivants constellés d’yeux…. Le premier vivant est comme un lion ; le deuxième vivant est comme un jeune taureau ; le troisième vivant a comme un visage d’homme ; le quatrième vivant est comme un aigle en plein vol. » (Apocalypse IV, 2, 7).

Cette vision rappelle celle du prophète Ezéchiel dans l’Ancien Testament :

« Au centre je discernai quelque chose qui ressemblait à quatre animaux dont voici l’aspect : ils avaient une forme humaine. Quant à la forme de leurs faces, ils avaient une face d’homme, et tous les quatre avaient une face de lion à droite, et tous les quatre avaient une face de taureau à gauche, et tous les quatre avaient une face d’aigle. » (Ezéchiel I, 5, 10).

Tout ça c’est carré si j’ose dire, noir sur blanc, et tout irait bien si on croyait comprendre quelque chose à cette image ahurissante. Car une fois le premier pourquoi résolu, il s’en profile un deuxième, façon gamin de quatre ans exaspérant : pourquoi ces symboles-ci en particulier ? Comment les interpréter ? Parce qu’on le sent bien, ils ont un sens. Mais lequel ?
Saint-Matthieu, portail Saint Lubin, Vernonnet En vingt siècles de christianisme on a eu le temps de se poser bien des questions, et d’essayer d’y apporter toutes sortes de réponses, parfois convaincantes, parfois non. Le lien entre l’évangéliste et son attribut viendrait des premiers versets de son évangile. Ainsi Matthieu est représenté par l’homme parce que son évangile commence par la généalogie du Christ.
Dans son dernier ouvrage, « Tympans et portails romans », Michel Pastoureau détaille les images présentées aux porches des églises, où le tétramorphe est, dit-il,

un des thèmes les plus récurrents et les plus majestueux de l’iconographie chrétienne.(…) Le Christ est figuré trônant dans toute sa gloire, entouré des quatre vivants, l’ange et l’aigle en haut, le lion et le boeuf en bas. La présence de ces derniers évoque les quatre piliers du trône que sont les évangélistes, (…) et, surtout, les quatre « moments » du temps historique passé par le Christ sur Terre : l’Incarnation, la Passion, la Résurrection et l’Ascension. Les quatre animaux deviennent alors les attributs du Christ lui-même qui fut (…) homme dans sa naissance, boeuf dans sa mort (le boeuf est un animal de sacrifice pour toutes les traditions anciennes), lion dans sa résurrection (selon les bestiaires, le lion ressuscite de son souffle ses petits mort-nés) et aigle dans son ascension vers le ciel.

Saint-Marc, portail Saint Lubin, Vernonnet Cette explication m’a fait l’effet d’une révélation. L’image prend sens d’un coup, et les éléments sont si bien reliés ensemble pour former un tout que l’interprétation a une force d’évidence. Cette interprétation n’est pas nouvelle : c’est celle du pape Grégoire le Grand (6e siècle) reprise par « de nombreux auteurs à sa suite », précise Pastoureau. Lui-même est un passeur remarquable, il a le mérite de la rendre accessible.
Ce n’est pas tous les jours que l’on éprouve cette émotion si particulière de la révélation. Vous rappelez-vous la dernière fois où cela vous est arrivé ? Pour moi c’était le jour où j’ai entendu une collègue expliquer pourquoi les églises étaient « orientées ». Pas orientées vers. L’emploi d’orienter sans complément m’avait toujours intriguée, mais en même temps ce n’est pas le genre de question qui empêche de dormir. Juste une question parmi les millions que l’on se pose tout au long de sa vie, qui restent en suspens, non élucidées, parce que nos savoirs ne sont jamais tout à fait nets et tranchants, mais plutôt bordés de flou. On approche des choses sans jamais que la netteté soit parfaite. Parfois, donc, quelqu’un vous offre une mise au point et soudain l’image est nette. Le coeur bondit de joie d’avoir trouvé une pièce longtemps cherchée du grand puzzle de l’existence.

Portail Saint Lubin, VernonnetJ’étais si heureuse d’avoir lu l’explication de Pastoureau que je me suis mise en quête d’une illustration pour givernews, mais où trouver un tétramorphe ? Je n’en connais pas dans les églises qui me sont familières. L’internet me renvoyait vers des cathédrales lointaines. Et puis je ne sais comment s’est réveillé dans ma mémoire un souvenir couvert par des couches de poussière, celui d’une visite de mon quartier avec un historien local il y a des années. Bingo ! Le monument religieux le plus proche de mon domicile, c’est ce portail renaissant installé au presbytère de Vernonnet, à côté duquel on peut passer cent fois sans y prêter attention. Il est orné des quatre évangélistes accompagnés de leurs attributs. Ce n’est pas à proprement parler un tétramorphe classique avec les animaux entourant le Christ siégeant en majesté dans une mandorle, mais l’idée est là.

De haut en bas : Saint-Luc et son taureau ou boeuf,
Saint-Jean aux longs cheveux et son aigle,
Saint-Matthieu et son ange (un putti ? C’est la Renaissance…),
Saint-Marc et son lion.
En bas, vue d’ensemble du fronton du portail Saint-Lubin, près de l’église Saint-Nicolas dans le quartier de Vernonnet à Vernon. Ce portail est tout ce qui subsiste de l’église ancienne démolie au 19e siècle et reconstruite à quelques centaines de mètres de celle d’origine.

Bonne année 2015 !

A Giverny en janvierL’année a commencé sous un ciel lumineux à Giverny. La nuit dernière, le souffle humide de la Seine s’est déposé en fins cristaux sur les brindilles, ce matin tout brillait de givre. Nous n’étions pas nombreux dans la plaine, mais il flottait dans l’air cette jubilation de l’hiver, quand la nature met ses paillettes, et les quelques inconnus que j’ai croisés avaient le sourire et m’ont souhaité la bonne année.
On voudrait pouvoir emmagasiner un peu de cet éclat pour les jours sombres, comme on voudrait pouvoir mettre de côté un peu de la chaleur de l’été en prévision de l’hiver. Mais comme cela ne se peut, il faut se dépêcher de croquer les instants les plus magiques à mesure qu’ils se présentent et qu’ils passent.
Cette semaine ma dernière visite de l’année était aux Andelys, dans un brouillard épais qui masquait tout. Mais la courte ascension à Château-Gaillard a suffi pour nous offrir le soleil et le ciel bleu au-dessus d’une mer de nuages. C’était merveilleux de retrouver la lumière et la tiédeur, presque incroyable qu’elles soient si près, accessibles en quelques minutes d’effort. Je me suis promis de me souvenir de cette image : le ciel bleu est juste derrière les nuages. Le nuage lui-même se traverse, il n’a pas d’épaisseur.
Chère lectrice, cher lecteur, je vous souhaite une année 2015 lumineuse, je vous souhaite de la parcourir avec confiance, je vous souhaite une année de paix et d’amour.

Les boules

Monet boule de NoëlTrouvées dans la boutique en ligne de l’Art Institute à Chicago, ces boules de Noël viennent de Pologne. Elles sont soufflées à la bouche et décorées main par l’artiste. Vous l’avez reconnu, sous des dehors de Père Noël c’est Monet en personne, vêtu d’une improbable houppelande « Meules ».
Cette petite merveille est à vous pour 180 dollars pièce seulement. C’est une affaire : la boule Pissarro est vendue 245 dollars, preuve que le cours de la déco de sapin n’est pas calqué sur la cote des peintres.
Cela n’a pas empêché Pissarro de trouver preneur, et je ne doute pas que Monet va bientôt s’arracher aussi – avec délicatesse, s’il vous plaît, c’est fragile.
C’est comme un bijou pour le sapin de Noël, et peut-être qu’on peut y voir une métaphore de l’art en général. Les tableaux, des bijoux qu’on accroche aux murs pour qu’ils y scintillent…
Les commentaires enthousiastes qui accompagnent l’article sont trop mignons. Ils émanent de collectionneurs, tous émerveillés et extatiques, persuadés d’avoir fait l’acquisition d’une oeuvre d’art.
Vu de Giverny, le « sanctuaire de Monet », l’effet est un peu différent. Touchant, comme tout ce qui est kitsch, et impressionnant, parce que quand même, il fallait oser…

Star-système

Dahlia étoileQuel sera l’avenir de la profession de guide-conférencier ? A peine réformée il y a deux ans, où le niveau minimum exigé pour obtenir la carte professionnelle est passé à Bac+3 , voici que s’annonce un coup de volant dans l’autre sens. Si les intentions du gouvernement se confirment, les pré-requis seraient revus à la baisse, et en avant, tout le monde pourrait guider, ou presque.
Si vraiment les vannes s’ouvrent, l’afflux de personnes aux qualifications diverses provoquera des remous dans le marché de l’emploi des guides touristiques. C’est un marché complexe, disparate, où l’offre et la demande ne s’équilibrent pas facilement, dans un sens ou dans l’autre. Selon les langues qu’ils pratiquent et l’endroit où ils exercent, les guides peinent à joindre les deux bouts ou bien croulent sous le travail. Dans le val de Seine, la demande est en croissance, mais cela pourrait changer brutalement en cas d’arrivée massive de guides non locaux.
L’augmentation de la concurrence et la baisse des prix consécutive fera l’affaire des tours-opérateurs, on s’en doute. Des guides moins chers, ce seront des voyages moins chers aussi, accessibles à davantage de clients. Mais quelle visite les clients achèteront-ils vraiment ? Celle d’un guide local qui connaît son sujet et son métier sur le bout des doigts ou celle d’un nouveau venu, peut-être excellent, peut-être calamiteux ?
La qualité des visites fera le grand écart, les agences les plus exigeantes chercheront à s’assurer les services des meilleurs. Ceci précipitera l’évolution de la profession vers la distribution d’étoiles.
Tôt ou tard, on y viendra, je ne me fais pas d’illusion là-dessus. Notre société est en train de devenir la société de l’évaluation, où tout le monde note tout le monde. Vous avez commandé par internet et votre colis est bien arrivé ? Vous êtes prié de manifester votre satisfaction en ligne. Vous cherchez dans quel restaurant dîner ? Des dizaines d’avis sont à votre disposition pour faire votre choix. De même si vous envisagez de séjourner à l’hôtel, d’aller voir un film, d’essayer une recette, d’acheter une perceuse ou même de vous rendre à la poste. On peut évaluer son médecin, son taxi et son plombier.
A première vue, cela semble une bonne chose. L’opinion générale n’est-elle pas la meilleure des critiques ? Le lecteur a une impression de transparence. Mais le star-système n’est pas aussi juste qu’il y paraît, en particulier parce que les avis négatifs sont davantage lus que les positifs. Et aussi parce qu’ils restent indéfiniment en ligne.
Certains de mes collègues figurent déjà sur des sites qui présentent des guides et les évaluations de leurs clients. Les commentaires que j’ai pu lire étaient écrits par des gens très satisfaits, et pourtant ces personnes avaient crû bon de nuancer leurs éloges de quelques restrictions. Quand on s’est efforcé de faire de son mieux, c’est difficile à vivre.
Le jour où les évaluations seront en place, les rapports humains vont changer. Actuellement, au moment où nous les rencontrons, nos clients sont exempts de tout a priori. Ils ne savent pas ce qu’on va leur dire. Bientôt, les visiteurs se seront renseignés au préalable. La personnalité du guide, le contenu de la visite seront disséqués en ligne. Si les avis sont médiocres, le guide n’aura plus de clients. S’ils sont dithyrambiques, l’attente des visiteurs sera très élevée. Le jour où le guide sera moins en forme, les clients seront déçus et ils le feront savoir.
Le star-système, sous ses dehors de meilleur des mondes, c’est Big Brother. C’est imposer à chacun de se sentir épié en permanence, parce que la personne en face de vous a le pouvoir de révéler la moindre chose. C’est mettre à mal la complicité qui se noue entre le guide et son auditoire. C’est empêcher le quart d’heure supplémentaire offert, parce qu’il faudra potentiellement l’offrir à tous.
Quand on en sera là, je pense que j’aurai toujours des clients, mais je sais déjà que j’aurai moins de joie à travailler. Et finalement c’est cela qui m’inquiète le plus, que la carte professionnelle soit maintenue ou qu’elle disparaisse aux oubliettes.

Forces vives

Massif jaune et blanc à GivernyDeux périscopes émergent de ce massif d’automne jaune et blanc à Giverny. Bien au-dessus des vagues formées par la verge d’or, les pétales jaunes de l’onagre luisent dans le soleil.
Si le photographe se rapproche, il verra mieux les deux petites pointes qui apparaissent juste derrière la corolle. Ce sont les boutons des fleurs qui prendront le relais dès que celle qui est épanouie sera fanée… ce qui ne tardera pas. Toutes jeunes, elles ont l’esprit farceur, et s’amusent à faire les cornes à leur aînée.
L’onagre n’est pas la seule plante à fabriquer sans fin de nouvelles fleurs qui s’empilent sur les précédentes. Dans ce massif, les cléomes blancs font de même. Au printemps, quand ils sont mis en terre, ils mesurent une taille modeste. Mais les inflorescences qui ne cessent de jaillir de leur cime leurs font gagner des centimètres. A l’automne, ils atteignent un respectable mètre cinquante.
Juste au-dessous de la couronne immaculée, les fleurs d’hier se changent en graines. Des esprits imaginatifs y voient des pattes, ce qui a valu au cléome son surnom de fleur-araignée. Pas très gracieux… Clé-home est tout de même plus invitant.
Ce massif photographié si plein de vie mi-septembre est depuis arrivé au bout de sa course. Avec la fraîcheur et les jours plus courts, les fleurs ralentissent leur croissance, comme prises d’engourdissement. Et puis un matin on dirait que la sève n’arrive plus à monter jusqu’en haut. La plante se flétrit, jaunit, brunit, et meurt. Il n’y a plus qu’à l’arracher.
Sous nos climats, la fin est écrite d’avance. Mais sous abri, combien de temps faudrait-il à un cléome ou un onagre pour comprendre qu’il faut s’arrêter maintenant ? Jusqu’où monterait-il ? Dépasserait-il les cléomes de pleine terre ? Et se croirait-il capable, comme les enfants qui grandissent et pensent que cela durera toujours, d’aller un jour toucher le ciel ?

Manifestation

Les guides-conférenciers vont manifester mercredi après-midi à Paris, place du Palais-Royal. Vêtus de noir en signe de la mort de la profession, et munis de parapluies, symboles de notre métier, sous la protection bienveillante de la Joconde.
Nous protestons contre le projet du gouvernement de légiférer par ordonnances en vue de supprimer la carte professionnelle qui garantit la qualification des guides. Le gouvernement a l’intention de la remplacer par une simple déclaration d’activité, dont on ignore si elle serait assortie de conditions pour l’exercice de la profession.
Dans le pire des scénarios, n’importe qui pourrait du jour au lendemain se déclarer guide. Cela aurait pour conséquence une qualité de guidage aléatoire, une concurrence accrue et une chute des tarifs catastrophique dans un métier où la précarité règne.
Cela n’entraînerait aucun gain pour l’Etat, mais des économies substantielles pour les agences qui emploient les guides et qui pourraient de facto faire appel à du personnel extra-communautaire.
Si vous souhaitez soutenir les guides-conférenciers, vous pouvez signer la pétition de la fédération et du syndicat professionnel des guides-conférenciers en suivant ce lien.
C’est très rapide, il n’y a qu’à indiquer son adresse email.

Autour d’Impression, soleil levant à Marmottan

Claude Monet, Impression, soleil levant, 1872, Paris Musée Marmottan-Monet

Le Musée Marmottan consacre jusqu’au 18 janvier 2015 une exposition à son oeuvre phare, « Impression, soleil levant » de Claude Monet. L’expo se donne pour objectif de répondre à de nombreuses questions autour de cette oeuvre, et je ne voudrais pas vous déflorer les réponses si vous avez l’intention de vous y rendre au cours du mois qui vient. Simplement : on sort de l’expo avec des certitudes apaisantes.
L’analyse approfondie de la toile a permis de répondre de façon définitive à l’interrogation qui porte sur le titre et la date, au jour près. C’est déjà pas mal. Mais l’expo va bien plus loin que cela et permet enfin de comprendre ce que Monet a peint.
Installé dans le meilleur hôtel de la ville, l’hôtel de l’Amirauté, sur le Grand Quai, Monet, qui aura 32 ans le lendemain, tourne son regard vers le sud-est et le chenal qui mène au bassin de l’Eure. L’écluse est ouverte, un transatlantique est en train de passer. A droite, c’est le Quai Courbe en construction, à gauche le Quai au Bois. Les petites barques étaient peut-être celles qui permettaient de traverser le port sans faire tout le tour. De nombreuses photos d’époque permettent de bien se figurer les lieux.
L’article du Charivari écrit par le fameux critique Louis Leroy qui a forgé par dérision le terme d’impressionnisme est présenté, ce qui permet de le lire comme si on était un lecteur de l’époque, avec les autres articles autour, tous plus satiriques les uns que les autres. Rien ne fait rire dans cette page aujourd’hui, alors qu’à l’époque la feuille devait donner du bon temps à ses lecteurs.
L’exposition s’attarde sur les premiers acquéreurs de l’oeuvre, Ernest Hoschedé puis le docteur Georges de Bellio. Le plus étonnant, c’est le quasi oubli dans lequel Impression tombe ensuite. Son aspect iconique est totalement occulté pendant près de trois quarts de siècle. Même sa valeur d’assurance est moitié moindre qu’une autre oeuvre de la collection de Bellio, « Le pont de L’Europe, Gare Saint-Lazare « .
La section que l’exposition consacre au devenir de la toile pendant la Seconde Guerre mondiale est particulièrement émouvante. Les donateurs, c’est-à-dire la fille de Georges de Bellio et son époux, sans descendant, ont quelque peu précipité la donation qu’ils comptaient faire au musée, de peur qu’il arrive malheur à eux-mêmes ou à leurs tableaux. Cinq de leurs toiles dont Impression ont été évacuées à Chambord, où une photo montre les caisses de tableaux entreposées dans la chapelle.
Ce n’est que dans les années cinquante que des historiens de l’art ont redonné à Impression son rôle de déclic dans la perception du mouvement. S’il est vrai que Monet n’est pas le premier à avoir peint des marines et des effets de lumière, personne encore n’avait eu l’audace de présenter comme abouties des oeuvres aussi peu « faites ». C’est surtout cela, la révolution d’Impression.

Marguerite de Bourgogne à Château-Gaillard

Chateau-GaillardSur les bords de la Seine, les ruines du Château-Gaillard sont encore là debout, sur le roc, et semblent se rire, à la face de chaque génération qui naît et qui meurt, des sept siècles qui, en passant, n’ont fait que lui arracher petit à petit quelques pierres qui roulent dans le ravin quand l’ouragan gronde et que la pluie tombe.

Je sais, j’aurais dû mettre des guillemets, mais l’effet n’aurait pas été le même. Cette phrase tordue comme un alambic où cascadent les qui et les que n’est pas de moi. Quelle plume célèbre l’a tracée, d’après vous ?
Vous séchez ? Tenez-vous bien. Ce style léger comme de la crème au beurre, c’est celui de… Gustave Flaubert. C’est le deuxième paragraphe d’une oeuvre courte et justement méconnue, « La dernière scène de la mort de Marguerite de Bourgogne ». Le titre, vous l’aurez remarqué, est parfaitement stupide. La mort se joue-t-elle, et de surcroît en plusieurs scènes ? Je vous ai zappé le premier paragraphe, un bijou dans le genre tarte :

Connaissez-vous la Normandie, ce beau pays si rempli de vieux castels dont chacun éveille le souvenir d’un nom célèbre ? La Normandie, où chaque champ a eu sa bataille, chaque pierre son nom ? La Normandie si remplie de vieilles légendes, de contes fantastiques, de traditions populaires qui tous se rattachent à quelques lambeaux de notre histoire du moyen âge ?
Eh bien… (reprendre au premier paragraphe qui est le deuxième, je vous en prie, essayez un peu de suivre).

La suite, justement, vous pouvez la lire là, et cela ne vous prendra guère plus de cinq minutes. C’est intéressant.
J’ai mis du temps à trouver la date, c’est-à-dire l’âge auquel Flaubert a écrit ce texte. Heureusement, la nouvelle a été traduite en kotava.
J’ai beaucoup d’admiration pour la traductrice de la nouvelle, d’abord parce qu’elle a réussi à apprendre le kotava – il paraît que c’est facile, mais à première vue pas tant que ça – et ensuite parce qu’elle a voulu mettre ce texte unique à la portée de tous les curieux du monde qui voudraient bien eux aussi étudier le kotava. Sûr qu’après, les curieux conquis vont se ruer sur Madame Bovary.

Donc, Flaubert s’est enflammé pour la mort de Marguerite de Bourgogne en 1839, et comme il est né le 12 décembre 1821, il avait 17 ans. Ceci explique cela.
L’imagination de notre ado s’emballe pour cette histoire érotique et morbide. Bon. Mais la mise en scène est ridicule, les dialogues aussi, à en être comiques. On dirait un sketch.
La grandiloquence fait rire aujourd’hui, en littérature comme en peinture. Le style pompier qui plaisait tant n’a plus la cote. Et voilà une page de Flaubert pour laquelle les biographes observent un silence pudique.
Elle ouvre sur de nombreuses questions. Celle, si mystérieuse pour nous autres, du génie. Quand commence-t-il à se manifester ? Est-il présent a priori, ou surgit-il un beau jour ? Quelle est la part du travail dans le génie ? Comment se défaire de ce que l’on a appris ? Et celle de l’étude littéraire. Que vaut-il la peine d’étudier ? Quelle est la place des oeuvres mineures dans la connaissance et la compréhension d’un écrivain ? Elle pose enfin la question de l’esprit critique. Admirons-nous une signature, ou une oeuvre pour ce qu’elle est ? Toutes ces questions ont la même pertinence dans le domaine des arts plastiques.

Enooooorme !!!

Buche de Noël la plus longue du monde
Tant qu’on ne l’a pas vue, on ne se rend pas compte de l’ampleur du travail. Voici la plus longue bûche de Noël du monde, en passe d’entrer au livre Guiness des records.
Des dizaines de bénévoles se sont activés pendant des heures, encadrés par des professionnels, depuis la mise en place des tables en pleine nuit jusqu’à la dernière décoration.
A l’heure qu’il est, c’est fini.
La distribution des parts prévendues a dû commencer.
Je vais aller chercher la mienne :).

La plus longue bûche du monde

Bûche de NoëlSamedi prochain, le 6 décembre, un boulanger-pâtissier de Vernon va tenter de pulvériser le record de la bûche de Noël la plus longue du monde. Le gâteau fera un kilomètre et demi de long. Mille cinq cents mètres de génoise fourrée à la crème au beurre parfum chocolat qui seront vendus au profit du Téléthon, 5 euros la part pour 4 personnes.
La mise en place durera toute la journée de samedi, la vente commencera à 17h30 après l’indispensable constat d’huissier pour faire entrer la bûche de Vernon dans le Guinness.
On aurait rêvé de tables tout en longueur, mais elles seront plutôt en serpentin devant la mairie et dans la rue Carnot, ce qui facilite le travail, la vente et la communication. Car bien sûr la télé sera là. Et comme ce sera la fête, des concerts sont programmés devant l’hôtel de ville.
De nombreux bénévoles apporteront leur concours à la réalisation de l’exploit pâtissier. Pour bien mesurer l’ampleur de la tâche, le journal le Démocrate vernonnais cite quelques chiffres : 50 000 oeufs, 500 kilos de sucre, 2500 plaques de génoise… Un vrai défi.
Espérer vendre 10 000 parts de bûche est aussi un réel pari. Le pâtissier qui a eu l’idée de cette aventure est Julien Véniel. Sa boutique située à deux pas de l’église s’appelle comme il se doit le péché Véniel. Samedi prochain, que le péché soit de gourmandise ou d’orgueil, il sera pardonné d’avance, car c’est pour la bonne cause !

Hagioscope

Hagioscope ou trou aux lépreux, Dives-sur MerLa belle église de Dives-sur-Mer, dans le Calvados, a été fondée à l’époque de Guillaume le Conquérant, au 11e siècle. C’est en effet à Dives que le duc de Normandie a préparé sa flotte pour partir à la conquête de l’Angleterre en 1066. Mais l’essentiel de l’église est plus tardif et de style gothique.
Que retient-on d’une visite ? Le détail le plus marquant, l’explication la plus convaincante. Ce qui nous touche ou nous éclaire. Tout le reste sera bientôt avalé par les sables mouvants de l’oubli.
A Dives-sur-Mer, notre guide nous a montré la liste des compagnons de Guillaume gravée dans la pierre au 19e siècle. Mais la stèle est placée en hauteur, les noms ne sont guère lisibles, et pas tous exacts. Ensuite elle nous a détaillé le vitrail qui relate la légende de la statue du Christ-Sauveur, repêchée deux fois dans la mer. Mais la statue elle-même a été détruite pendant les guerres de Religion. Je ne crois pas que je me souviendrai de tout cela dans dix ans, ni des graffitis marins mêlés aux graffitis contemporains sous le porche.
Mais l’élément qui restera peut-être, ce sera le trou aux lépreux, une disposition étonnante que je voyais là pour la première fois.
Il paraît que de nombreuses églises disposaient autrefois d’un hagioscope. Ils ont été murés lorsque les grandes épidémies de lèpre ont disparu, à partir du 15e siècle.
Le nom seul dit tout. Une ouverture pratiquée dans la muraille permettait aux malades contagieux de suivre la messe avec vue sur l’autel depuis l’extérieur de l’église. A Dives, elle est oblique et va en se rétrécissant. Tout au bout, on aperçoit un christ en croix, autrefois probablement celui envoyé par la mer.
C’est habile, efficace, alors qu’est-ce donc qui m’étreint tandis que je me penche à cet oeilleton ? Ce paternalisme qui ne parvient pas à masquer l’extrême violence d’être exclu, il me révolte. Quelle terrible société qui met les malades dehors, mais leur propose ce pis-aller pour vivre leur foi, sans doute pour se donner bonne conscience… Ces siècles-là agissaient en fonction de leurs valeurs et de leurs connaissances, il n’était sans doute pas possible de faire autrement, mais que cela nous paraît dur aujourd’hui.
Et dans sept cents ans, quel regard porteront les générations futures sur notre société d’aujourd’hui ? Leur paraîtra-t-elle brutale et injuste, ou aura-t-elle le parfum de l’âge d’or, du paradis perdu, juste avant les grandes catastrophes écologiques ?

Peintre en lettres

poussezJ’aurais aimé avoir à vous montrer quelque chose de plus approprié que ce « Poussez » qui fait un peu salle de naissance, mais ce qui était autrefois la norme est devenu l’exception. Il est de plus en plus rare de trouver des enseignes réalisées par un peintre en lettres.
En fait de naissance, c’est un métier qui se meurt, du moins dans sa forme ancienne. S’il faut toujours des enseignes aux boutiques, elles sont aujourd’hui créées par des graphistes, et cette conception assistée par ordinateur enlève à l’écrit son côté artisanal.
Je ne veux pas être nostalgique : j’aime le temps présent, avec et malgré tous ses défauts. Mais si avec un peu d’imagination j’arrive à sentir la personne qui, face à son ordinateur, a choisi la police, la taille, la couleur des lettres pour parvenir au résultat que j’ai sous les yeux, il m’est plus facile de percevoir l’humain dans une enseigne peinte. Chaque coup de pinceau porte encore la trace du geste.
Le peintre en lettres était l’artiste des peintres en bâtiment. Il savait peindre les mots, à main levée, en y mettant tout le style nécessaire, c’est-à-dire ces magnifiques jambages, arabesques, ces ombres bicolores et ces soulignés superflus à la communication et indispensables au charme. Sa peinture n’était pas là pour protéger et colorer, mais pour dire, pour adresser l’un de ces messages muets qui sont le murmure silencieux des villes.
Tout comme la photographie a posé la question du rôle de l’artiste-peintre, les moyens contemporains de graphisme interrogent le rôle du peintre en lettres. Avons-nous encore une place pour lui, avons-nous encore envie de son talent ? Je crois que ceux qui restent ne chôment pas, tout simplement parce que c’est de la belle ouvrage.
C’est évidemment de la responsabilité des commerçants indépendants de décider quel style ils veulent donner à leur devanture. Je me souviens de ma mère et de sa boutique à l’enseigne peinte. J’étais une petite fille quand elle a élaboré le projet de l’ouvrir. Je me rappelle sa gaieté à l’idée de l’arrivée prochaine du peintre en lettres. Celui-ci, par la grâce de son pinceau, allait proclamer à la face du monde la raison sociale. Dire le nom au public allait signer l’acte de naissance du magasin.
Le peintre a officié à mon insu, un jour où j’étais à l’école. J’aurais aimé savoir quelle était la magie de cet homme capable de rendre ma mère si joyeuse. J’aurais aimé, comme elle, m’ébahir de son savoir-faire.
Aux yeux de leurs enfants, les parents ont la triste habitude de faire quantité de choses dans leur dos. Plus tard les enfants se rattrapent en faisant quantité de choses à l’insu de leurs parents.

MOOC impressionniste

MOOC impressionnismeIl reste jusqu’au 14 décembre pour profiter du cours gratuit en ligne sur l’impressionnisme proposé par la Réunion des Musées Nationaux et Orange, en même temps que se déroule l’exposition sur le marchand d’art Paul Durand-Ruel au musée du Luxembourg.
Si comme moi c’est la première fois que vous participez à un MOOC, l’expérience vaut aussi bien pour ce que l’on apprend sur l’histoire de l’art que sur l’utilisation des nouvelles technologies. De quoi s’agit-il ? Un Massive Open Online Course a pour objectif d’enseigner à distance en utilisant les ressources du web. Des vidéos, des textes, des images, des sites permettent d’explorer et d’apprendre depuis chez soi. On échange avec les autres participants, 12 000 à ce jour, comme dans les réseaux sociaux ou les forums. On peut créer des exposés virtuels ou des oeuvres et les montrer aux autres participants.
Le site solerni annonce deux heures par séquence (il y en a huit) et c’est vraiment le minimum pour passer en revue les vidéos proposées. Elles sont toutes intéressantes, et certaines ressources sont de vraies merveilles. Si on souhaite produire quelque chose, ce qui n’est pas obligatoire, ce temps explose. Mais chacun fait comme il veut car il n’y a pas d’autre objectif que le plaisir d’apprendre.
L’inscription au MOOC est gratuite, mais le temps est limité. Le 14 décembre, le site fermera. Vite vite ! Il est encore temps ! Bonne découverte !

A vol d’oiseau

Vue aérienne de Giverny

Vus de la colline, la Fondation Monet et son jardin se détachent par leurs couleurs.
On reconnaît vite le rose de la maison et sa forme si particulière tout en longueur.
Dans le jardin, le jaune du ginkgo biloba rayonne près du troisième atelier.
On repère aussi la touche marron des érables du Japon, et l’orange du cerisier fleurs.
Encore un dernier souffle, et ce sera l’hiver.
Plus loin, derrière les peupliers couverts de gui, se dessine l’éventail du parking de la Prairie, puis la plaine des Ajoux et son captage caché par un rempart d’arbres, enfin, tout au fond, les arbres qui bordent la Seine et l’île aux Orties.

Oeil-de-boeuf

Oeil-de-boeuf

Avez-vous deviné d’où cette photo est prise ?
C’est la vue qu’offre l’oeil-de-boeuf situé sur le fronton de la maison de Monet.
J’aime bien les oeils-de-boeuf, même si ça sonne un peu bizarre. Les yeux-de-boeufs, comme j’ai entendu une archi le dire, est plus joli, mais c’est pas nous qu’on décide.
Chez Monet, la question du pluriel ne se pose pas. Il n’y a qu’un seul oculus sur la façade, en plein centre et tout en haut, comme un point sur un i. Rappelons-le, ce n’est pas le peintre qui avait adopté cette disposition, puisque la partie centrale de la maison est celle qui était déjà bâtie à son installation à Giverny.
Pour approcher de l’oeil-de-boeuf, il faut se glisser dans un réduit bas de plafond. C’est, à cet étage, le seul endroit d’où l’on aperçoit le jardin, et on ne peut s’empêcher d’évoquer les garçons qui logeaient à ce niveau à l’arrivée de la famille à Giverny. Jean-Pierre, Michel, Jean et Jacques ont sûrement eu beaucoup d’imagination pour tirer parti de la disposition des lieux pour le jeu et la rêverie.

Musée du cinéma Jean Delannoy

Musée du cinéma Jean Delannoy à BueilA trente minutes de Giverny par de jolies petites routes, le musée du cinéma a ouvert cette année à Bueil. Pourquoi dans cette bourgade de la vallée d’Eure ? Parce que le réalisateur Jean Delannoy habitait le village voisin de Guainville, où il est mort âgé de 100 ans en 2008. Jean Delannoy a légué ses archives et souvenirs à l’association de ses amis, qui depuis anime le musée. Les récompenses qu’il a reçues sont là, César, Victoires, Bambi, etc, comme des trophées sportifs.
D’autres dons sont venus se greffer autour de celui-ci, avec l’ambition de montrer la variété des métiers du cinéma. Celui de décorateur est illustré par la reconstitution du bureau de Maigret (Delannoy en a tourné deux). La belle porte que vous voyez est tout à fait fausse mais tous les détails y sont, jusqu’aux gonds.
Parmi les pièces rares, une caméra donnée par la Snecma qui servait à filmer les essais des moteurs d’Ariane non pas à 24 images par seconde mais beaucoup plus, pour un maximum de précision ; un projecteur de 1902, dont j’ai actionné la manivelle à la façon d’un orgue de Barbarie ; et puis une dolly qui fait bien rêver, vous savez cette machine mobile où le cameraman peut s’asseoir et faire monter siège et caméra comme dans un manège.
Le musée rouvrira le 2 mai 2015 avec une expo sur les actrices qui ont marqué la carrière de Jean Delannoy. Parmi elles, Michèle Morgan et Gina Lollobrigida. Glamour à souhait…

Comment taire

Coeur de MarieVous êtes plusieurs à me faire remarquer le petit nombre de commentaires sur ce blog, au point que j’en viens à penser que c’est un sujet qui mérite d’être commenté.
D’abord, merci infiniment à toutes celles et ceux qui prennent le temps de m’écrire un petit mot. Je suis touchée et reconnaissante de votre envie d’entrer en contact avec moi et avec les autres lecteurs, de faire signe.
Je sais ce que vous ressentez, car moi-même je ne commente pas beaucoup, même sur les sites où je passe des heures. C’est si confortable l’anonymat… Ai-je envie de sortir de cette discrétion qui me protège ? Et en fait, qu’ai-je à dire à cette personne ? L’intérêt, le plaisir, le bonheur que j’ai pris à la lire, à admirer ce qu’elle fait ? Je me sens un peu gauche de cette déclaration. Ca avance à quoi ? Et puis, que va-t-il se passer ? C’est l’internet, et l’internet, ça a des réactions qu’on ne contrôle pas, et j’ai un peu peur.
Voilà ce que je ressens, oui, même moi qui suis blogueuse, c’est-à-dire qui suis confiante dans ma capacité à m’exprimer, qui ai l’habitude de l’internet et qui sais la joie que l’on ressent à lire les commentaires positifs. Autant dire que je comprends, partage et excuse votre aquoibonisme.
Pour avoir beaucoup de commentaires, il faut soit avoir choisi un thème polémique et grand public comme, disons, les relations hommes-femmes ou parents-enfants, l’actualité… soit laisser beaucoup de commentaires soi-même, ce qui revient à un échange entre blogueurs. Cette seconde méthode est très sympa, on finit par bien se connaître les uns les autres, mais elle prend du temps.
Il reste, malgré tout, un doute qui pèse comme une ombre, c’est l’hypothèse qu’un certain nombre de commentaires soient avalés par le logiciel de blog. Si le vôtre n’apparaît pas au bout de deux jours, merci de me le signaler par courriel. (mon prénom, arobase, mon village préféré, suivi de .org. Le tout en minuscules). Si votre commentaire ne s’affiche pas tout de suite, c’est normal : en plus du code anti-robot, je filtre les messages. Quand on a beaucoup de lecteurs, on n’a pas forcément beaucoup de commentaires, mais on a toujours beaucoup de spam.

Les lavoirs de Giverny

Lavoir des Chennevières, Giverny

Autrefois Giverny, village tout en longueur, disposait de cinq lavoirs sur le Ru. Ces petits bâtiments avaient été construits par la municipalité pour donner un minimum de confort aux femmes qui venaient laver le linge dans le ruisseau, le leur ou celui des autres.
Il reste quatre de ces édicules aujourd’hui, dont trois sont bien visibles depuis la route. Le quatrième est plus retiré, le cinquième a disparu.
Celui-ci, qui se trouve en face du moulin des Chennevières, date de 1903.
On découvre tout sur le financement de la construction des lavoirs, et leur aspect quand ils étaient flambant neufs et en activité, sur le site de cartes postales anciennes Giverny autrefois.
Claude Monet, bienfaiteur de la commune, avait fait un don important pour l’assainissement du marais de Giverny. Les intérêts produits par ce capital ont permis de boucler le budget de la construction de trois des lavoirs.

L’ambre de novembre

Giverny en novembre

L’air sent les feuilles, les champignons et les premiers feux de bois.
Dans les jardins de Monet, une lumière atténuée enveloppe l’étang.
Les saules agitent des rameaux jaunes au dessus de l’eau, le hêtre joue des tons d’ocre et de rouille, les bambous paraissent plus dorés que jamais.
Mais rien ne brille. Pas d’éclat, pas de fanfare aux cuivres rutilants.
Le soleil hésite, pudique, à se départir de son voile.
Novembre, entre l’ombre et l’ambre.

Genévrier

Genévrier

Au-dessus du village de Giverny, le genévrier a profité des terrains rendus disponibles par le recul du pâturage pour s’installer un peu partout sur la colline. Plus que la vue imprenable, son agent immobilier a su lui vendre l’exposition dégagée et plein sud qu’il adore. Un vrai petit solarium où ses baies mûrissent lentement, pour atteindre toutes les nuances de bleu.
En fait de baies, ce sont des galbules, un mot improbable inconnu du Larousse qui désigne ses cônes, puisqu’il fait partie des conifères. Le genévrier les a astucieusement camouflés en fruits si jolis qu’ils ont l’air d’inviter les oiseaux à les manger.
Leur goût, vous le connaissez, pour peu que vous ayez déjà dégusté une choucroute, ils ont une saveur un peu forte et âcre qui donne plutôt envie de les pousser sur le bord de l’assiette. N’en faites rien, c’est pour votre bien.
Les genévriers feront-ils souche à Giverny ? Il faudra pour cela que les brebis continuent de brouter régulièrement sur la colline, tout en grignotant au passage les arbrisseaux qui auraient des velléités de s’implanter. Car si des lotissements entiers de prunelliers surgissent de terre comme des champignons, le genévrier, déçu qu’on lui pique son soleil, ne tarde pas à faire ses bagages vers des cieux plus cléments. Gêné, viré.

Bourdon

Bourdon et sauges

Tant qu’il fait beau et tant qu’il y a des fleurs, les butineurs butinent. Tant qu’il ne gèle pas, les sauges sagement continuent de fleurir.
J’ai de la tendresse pour ces ouvriers de la dernière heure. J’admire cette synergie entre les insectes et les plantes, cette foi des sauges dans la présence des bourdons et des abeilles pour venir les visiter, même si tard en saison, les féconder et poursuivre le cycle de vie.
Dans le tourisme aussi les clients deviennent rares, mais pour les visiteurs de novembre les guides disponibles ne sont pas si faciles à trouver. Cet après-midi j’avais une visite de Vernon, et la pluie nous a accompagnés tout du long. Comme toujours dans ces cas-là je me suis débattue avec le dilemme de vouloir faire court pour ne pas maintenir les personnes sous la pluie, mais en même temps de ne pas faire trop court car c’est mon rôle de raconter, de commenter et d’expliquer.
Quand le temps n’est pas très coopératif, quelle est la dose exacte de discours nécessaire et suffisante, la durée maximale de la visite avant que les clients ne se mettent à détester leur guide ? Eux aussi font face à un dilemme, entre leur envie de rester au chaud et leur engagement dans le voyage. Ils sont venus voir, découvrir, s’émerveiller et peut-être apprendre, au prix d’un trajet long et éprouvant. Quand il pleut, ces attentes sont plus vite satisfaites…
Je me demande si les insectes connaissent les dilemmes. Je pense que non. Quand il pleut, les bourdons ne sortent pas. Je ne crois pas qu’ils se forcent à faire ce qu’ils n’ont pas vraiment envie de faire. Et à mon avis, ils ne craignent pas le regard des autres, leurs sentiments ni leur opinion, ce qui doit rendre leur vie beaucoup plus simple. Ils n’ont pas eu besoin d’inventer le parapluie.
N’empêche, peut-être bien qu’à eux aussi, la pluie leur donne le bourdon.

Don de l’artiste

Oeuvres pour le souterrain de Giverny, Michel DebullyLe cartel ne le précise pas, mais j’en suis presque sûre, les oeuvres qui ornent le souterrain de Giverny sont un don de l’artiste. Pas moins de trois créations numériques de grand format ont été réalisées par Michel Debully, plasticien givernois, à la demande de l’association des Amis de Giverny. La mise en place s’est faite en mars dernier.
Egayer ce passage obscur tout en restant dans l’esprit du village était un vrai challenge, en même temps qu’une nécessité. La réalisation évoque un tryptique contemporain.
Au bout de chaque rampe du souterrain, un tableau de Monet réinterprété par pixellisation est un hommage aux séries peintes par Monet tout près de là. D’un côté des peupliers, La Prairie, de l’autre une meule, Le Clos Morin. L’effet optique rappelle celui produit par les tableaux impressionnistes : on voit mieux l’oeuvre de loin. De près, c’est une juxtaposition de touches colorées.
Dans la partie la plus sombre, Michel Debully a voulu faire sentir Le souffle du printemps grâce à une vaste peinture murale aux tons clairs et frais. Sur 14 mètres de long par 1,25 m de haut, des lignes droites colorées rythment les pas des visiteurs.
A Giverny, d’autres artistes ont fait don d’oeuvres importantes à la communauté. Claude Cambour a offert un spectaculaire tableau du Christ en croix à l’église de Giverny, Daniel Goupil le buste de Monet qui se trouve dans la Prairie, Blanche Hoschedé-Monet une toile présentée au musée des impressionnismes…
C’est une longue tradition, partout, parmi les artistes. Vernon a eu la bonne fortune de recevoir des oeuvres de Claude Monet, des MacMonnies ou plus près de nous, d’Olivier Gerval.
Ce n’est pas dans toutes les professions qu’on pratique si généreusement le don. On peut s’interroger sur la récurrence des dons d’artistes. Ils ont sans doute des motivations variées. Pour ma part, j’y vois celle-ci : quand on a reçu, nul ne sait d’où ni par quel miracle, un talent, un don, on se sent un peu débiteur. On a besoin de donner de son oeuvre pour rétablir l’équilibre.

Pendule

Giverny, jardin d'eau

Depuis que les visiteurs l’ont déserté, le jardin d’eau de Monet poursuit son rêve intime.
La vie continue de battre à l’insu.
Le vent arrache les feuilles une à une, ça bruisse et ça souffle.
Les frondaisons plient et ploient.
Les bambous s’entrechoquent.
Les étoiles rouges des liquidambars, les lanières dorées des saules, les petites flèches des peupliers dégringolent de leurs cimes et finissent leur course, parfois, à la surface du bassin.
Elles hésitent un instant, comme étonnées d’être là, puis le vent s’en saisit à nouveau et les fait glisser, frêles esquifs, au ras de l’eau.
Il arrive qu’elles tournoient dans une chorégraphie inattendue, en artistiques patineuses.
Elles finissent par s’accrocher quelque part, dans des ports insoupçonnés où elles s’entassent par centaines.
A la limite entre l’air et l’eau, là où les nuages viennent se mirer en rose et gris, les rameaux du saule s’entêtent à dessiner des calligraphies secrètes.
Leur stylet griffe la surface qui aussitôt se referme, effaçant le message au fur et à mesure.
Tel un pendule, la pointe du saule passe et repasse.
Le regard se laisse happer par cette correspondance mystérieuse, questionner par l’indéchiffrable.
Devant cette cible mouvante, on oublie le temps.
Le pendule a gommé la pendule.

Philippe Auguste de Bruno Galland

Philippe Auguste, le bâtisseur du royaume, par Bruno GallandA Vernon, le centre culturel s’appelle l’Espace Philippe Auguste. Il est bâti dans l’enceinte du château de Philippe Auguste, dont il reste de beaux vestiges. C’est là que Bruno Galland est venu, non sans une pointe d’émotion, présenter son ouvrage consacré au fameux monarque.
La salle était archi-comble, et vraiment cela valait la peine d’assister à cette conférence : Bruno Galland parle avec flamme de son sujet. Son livre, lui aussi, est facile à suivre, écrit dans une langue agréable et claire.

Dans la nébuleuse que constitue pour beaucoup de nos contemporains la succession des rois de France au Moyen Âge, si la figure de saint Louis émerge en premier, celle de Philippe Auguste n’est pas encore complètement oubliée.

C’est par cette phrase (où j’entends une pointe d’autodérision, mais y est-elle vraiment ?) que commence l’ouvrage. Bruno Galland est archiviste-paléographe, ce qui lui permet de travailler directement sur les sources.

Le corpus documentaire dont dispose l’historien qui s’intéresse à Philippe Auguste est exceptionnel. Son règne est le premier pour lequel nous disposions vraiment d’archives centrales : registres de la chancellerie, layettes du Trésor des chartes et même quelques fragments de comptes. S’y ajoute un nombre élevé de chroniques de provenance diverse – les oeuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, bien sûr, mais aussi les chroniques anglaises de Benoît de Peterborough, Roger de Hoveden, Gervais de Canterbury et Roger de Wendover, la chronique flamande de Gilbert de Mons et l’Histoire des ducs de Normandie commandée par Robert de Béthune, et les chroniques bourguignonnes de Robert d’Auxerre et d’Albéric de Trois-Fontaines…

Grâce à toutes ces informations de première main, le portrait du roi de France que dessine le médiéviste diffère sensiblement de celui que j’ai pu lire ailleurs.
Au physique, Philippe Auguste était, selon les chroniqueurs, « très beau » et non point le petit rabougri qu’on oppose volontiers à l’athlétique Richard Coeur de Lion. Au moral, loin d’être le roi avisé dont se souvient la mémoire collective, Philippe Auguste était impulsif, coléreux, excessif et souvent très dur, en particulier pendant la première moitié de son règne. L’âge l’a rendu plus posé, sans toutefois lui faire perdre complètement son tempérament. Mieux conseillé dès lors qu’il s’appuie sur des sages et non plus des nobles, et servi parfois par les circonstances, Philippe Auguste fait montre d’une volonté obsessionnelle d’agrandir son domaine. Et il y parvient, affirmant toujours davantage sa puissance.
Malgré toutes les sources, il reste tout de même des zones très mystérieuses dans l’histoire de Philippe. Les chroniqueurs sont un peu embarrassés pour raconter le sort fait à Ingeburge, la deuxième épouse du roi. (Galland prononce à la française, « ainjeburje ». C’est un prénom danois.) Le roi épouse la jeune fille, et dès le lendemain la répudie. Il n’a jamais voulu dire pourquoi. Il va garder la malheureuse reine captive pendant 19 ans, en dépit des pressions du pape qui place le domaine royal sous interdit. Philippe Auguste était sujet à des effrois extraordinaires, comme lorsque, tombé malade à Saint Jean d’Acre, il a interrompu brutalement sa croisade. Il est bien difficile d’expliquer la cause de ces revirements désavoués par tous.

Choir, puis gésir

Feuilles mortes

L’automne, comme la guerre, conjugue les verbes défectifs. Les feuilles choient. Les feuilles gisent. Elles cherront encore demain, mais il n’y a pas d’avenir à gésir. Quand on gît, c’est pour longtemps. Le temps s’efface. Gésir, c’est mourir un peu.
De même que l’automne escamote les feuilles, la conjugaison escamote une partie des possibles. Des pans entiers des variations du verbe font défaut.
Il manque des personnes, il manque des temps. Est-ce le temps qui va nous manquer cet hiver ? Ou seront-ce les personnes ?
Quand la nuit tombe, quand les températures chutent, la vie se rétracte et rentre sous terre.
Le coeur se serre un peu face à la sourde mélancolie des feuilles mortes.
Il est temps d’allumer la lumière.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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