Lavatère
Ce qu’il y a de bien avec la fleur de lavatère, c’est qu’on peut choisir. Décider de dire le ou la lavatère, par exemple. Le masculin évite la répétition du ‘la’ façon chansonnette, mais le féminin colle mieux à l’aspect très gracieux de la fleur.
On peut choisir aussi de cultiver la lavatère sous forme d’annuelle ou de vivace. Entendez : soit vous semez les graines au printemps, et vous aurez des lavatères annuelles qui pousseront, fleuriront et mourront dans l’année, soit vous plantez un pied de lavatère vivace, et vous le regarderez croître et embellir, faire semblant de disparaître puis refleurir chaque année pendant cinq ou six ans.
On a souvent l’impression de faire une bonne affaire avec les vivaces, parce qu’elles durent et qu’il semble qu’on peut les oublier. Mais en ce qui concerne celle-ci, elle demande quand même qu’on s’occupe d’elle un minimum. Il faut la rabattre en hiver et l’arroser en été.
La lavatère vivace appartient à la famille des mauves, et elle leur ressemble tellement qu’il faut un oeil exercé pour les distinguer. Elle a le même port un peu foufou en buisson, avec des fleurs piquetées le long de tiges couvertes de feuilles rugueuses.
Un truc pour les distinguer : regarder derrière le calice pour voir si le calicule a les folioles soudés ou libres. Chez la mauve le calicule a trois folioles libres, chez la lavatère ils sont soudés. Et si vous en comptez entre six et neuf, c’est qu’il s’agit d’une guimauve.
Dans l’hypothèse où comme moi vous venez de découvrir l’existence de ce mot à l’euphonie douteuse, voici sa définition : en botanique, le calicule désigne l’ensemble de pièces doublant parfois le calice à l’extérieur.
Je sens que ça y est, ça vous démange de filer au jardin regarder ce qui se cache derrière les calices des fleurs pour trier mauves et guimauves. Mais on n’a pas tout ce mal avec la lavatère annuelle, qui se reconnaît au premier coup d’oeil.
Perso, c’est l’annuelle, comme sur cette photo prise à Giverny, que je préfère. Elle évoque la forme de l’hibiscus, avec des pétales d’une délicatesse telle qu’on a l’impression qu’un souffle va les froisser. Et regardez l’élégance de ces rayures, la subtilité de l’harmonie colorée !
Le bateau-atelier
Le Bateau-Atelier, Claude Monet 1875-1876, huile sur toile 54 x 65 cm Musée d’Art et d’Histoire, Neuchâtel (Suisse) W0393
A voir à Rouen jusqu’au 30 septembre 2013
Par les grosses chaleurs de ces derniers jours, on devine bien ce que Monet aurait fait. Il serait allé piquer un plongeon dans la Seine du haut du toit de son bateau-atelier.
Encore une fois c’est Jean-Pierre Hoschedé, irremplaçable chroniqueur de la mémoire familiale, qui raconte :
(Monet) avait, pour être tranquille et être chez lui, acheté un bout de pré à l’embouchure de l’Epte, appelé Ile aux Orties, ainsi que je l’ai déjà dit en un précédent chapitre. Là était en permanence le gros bateau avec cabine qu’il avait fait construire quand il était à Argenteuil sur les conseils de son ami Caillebotte et dont il se servait pour peindre sur la Seine et au milieu d’elle. Lors de nos baignades qui étaient presque journalières – l’eau de la Seine était propre à cette époque – ce bateau était toujours utilisé. Il nous servait, surtout, pour les plongeons effectués du toit de la cabine, Monet tout le premier. Il était aussi bon plongeur que nageur et présidait, par prudence, toutes nos baignades collectives. Mes souvenirs sont restés vifs et pourtant, j’ai beau les solliciter, il m’est impossible de me rappeler quelle fut la fin de ce bateau historique dans la vie de Monet.
Tout laisse à penser qu’elle ne fut pas très glorieuse. Peut-être emporté par une crue ? Ou tout simplement a-t-il fini par pourrir et devenir irréparable ? En 1884, dans une lettre de Bordighera, Monet laisse entendre qu’il est en réparation. En 1891, en tout cas, quand il se lance dans la série des Peupliers, il ne dispose plus de ce bateau et sollicite Caillebotte pour qu’il lui en prête un.
L’exposition actuelle du musée des Beaux-Arts de Rouen, « Eblouissants reflets », présente plusieurs toiles où figure ce fameux bateau-atelier. A la suite de Manet, Léon Peltier, peintre de Vétheuil, l’a minutieusement retranscrit, avec une jeune femme à l’ombrelle assise à son bord.
Tout un chapitre du catalogue lui est également consacré. Monique Nonne y souligne la filiation du bateau-atelier de Monet avec celui de Charles François Daubigny, le fameux Botin.
Dans le cadre du festival Normandie Impressionniste, des élèves charpentiers de marine d’un lycée professionnel du Calvados ont réalisé une maquette au 1/6e du bateau atelier de Monet. C’est un beau projet résumé en vidéo et dont on peut admirer le résultat à Rouen à l’espace des Sciences H2O. Dommage toutefois que la commande n’ait pas porté sur une réplique à l’échelle, qui aurait permis de se rendre compte du volume réel de ce bateau.
Cette réplique à taille réelle a déjà existé. Elle a été effectuée par le chantier naval du Guip, à l’Ile aux Moines, en 1989 à l’occasion des 150 ans de la naissance de Claude Monet. Exposée en Argenteuil, elle a curieusement disparu elle aussi. Dans un article de 2008, le Parisien s’interroge : « Qu’est devenu le bateau-atelier de Monet ? » Il aurait sa place dans un projet de création d’école internationale d’art impressionniste en Argenteuil, poursuit le journal.
C’est à croire qu’un sort escamote les bateaux-ateliers sans qu’ils laissent la moindre trace.
Giverny en juillet
En juillet, le bassin de Giverny ressemble comme deux gouttes d’eau aux tableaux qu’il a inspirés à Monet.
Même nénuphars flottant en radeaux à la surface, même atmosphère lumineuse, mêmes rameaux de saule au premier plan.
C’est le secret du succès de Giverny : tout le monde ou presque, en Occident, a déjà vu une reproduction de l’un ou l’autre des Nymphéas de Monet.
Ce sont les chouchous des salles d’attente médicale, sans doute parce que leur contemplation apaise.
On vient en chercher le motif à Giverny, les voir en vrai.
Même pour les visiteurs qui pensent que Monet n’a peint qu’un seul tableau de l’étang, et ils sont nombreux à ignorer l’obsession répétitive du peintre à cet égard, il y a une émotion particulière à découvrir le site.
C’est la fascination de la peinture elle-même, de cette transmutation du réel par l’oeil du peintre.
On n’en finirait pas d’aller de l’un à l’autre, de l’oeuvre de la nature à sa transcription humaine.
Inversement, pour qui ignore tout de l’oeuvre du peintre, Giverny n’est qu’un jardin, et il n’en manque pas qui soient prêts à rivaliser de beauté avec lui.
Les pavots en photo
Dans les jardins de Giverny, c’est la saison des pavots. Elle coïncide avec celle des roses et des pivoines, et donne une coloration rose au clos normand.
Les pavots font partie des fleurs que j’ai le plus de plaisir à photographier. Ils sont d’une grande richesse esthétique dans les rayons rasants du soleil, quand leurs pétales chiffonnés laissent passer la lumière, et que les bourdons y projettent des ombres chinoises.
Mais surtout, c’est leur petite tête qui est tout à fait craquante. Elle émerge de voiles ondulés, si bien que le petit bonhomme pavot a l’air d’être en plein mouvement, en pleine danse.
Parfois, comme ici, c’est autre chose : ce pavot-là est chez le coiffeur. Enveloppé dans le léger peignoir que lui a passé le figaro des prés, ses cheveux coupés répandus tout autour, il patiente, tandis que se dessine sur son crâne sa future coiffure en forme d’étoile, particulièrement stylée.
En le voyant, j’ai repensé à une plaisanterie racontée par un client : Savez-vous quel est le patron des (mauvais) coiffeurs ? Saint Ignace ! Une blague gentille garantie tout public, à condition de bien faire la liaison.
Porte-bonheur
Leslie Hirst, « Two, Four, Six: Petite Swirl » Trèfles à deux, quatre et six feuilles, émail et résine sur bois, 2005. 20 cm x 20 cm.
Regardez bien : les trèfles ne sont pas peints, ce sont de vrais trèfles à deux, quatre ou six feuilles pressés et séchés qui composent ce tableau de Leslie Hirst.
Tout le charme, le magnétisme des oeuvres de cette artiste américaine tient à cette subtile alchimie entre un fond émaillé plutôt géométrique et son dialogue avec ces éléments naturels pas comme les autres, les trèfles. Parmi tous les végétaux, ce sont sans doute eux qui symbolisent le plus les chiffres.
Depuis longtemps, Leslie a un flair spécial pour découvrir les trèfles qui sortent de l’ordinaire. « C’est comme si je les attirais ! » s’amuse-t-elle. Elle n’a pas de méthode particulière, elle ne se met pas à quatre pattes. Elle regarde attentivement la pelouse et elle les trouve, c’est tout. « Mon record, c’est 333 en une journée ! C’était dans le Wyoming, » se souvient-elle. « Pourquoi y aurait-il particulièrement des trèfles à quatre feuilles dans le Wyoming ? Il n’ y a même pas d’herbe ! C’est un désert ! »
Sa collection de trèfles avait déjà une certaine importance quand on lui a proposé de participer à une exposition sur le thème de l’art et la flore sauvage. Elle accepte, et la voilà en train d’essayer de composer un tableau avec ses trèfles séchés. « J’ai essayé de dessiner avec, c’était ridicule. J’ai fait des lignes avec, c’était ridicule. Et puis j’ai eu l’idée d’en faire des cercles. » Sa première oeuvre compte trois cercles de 1024 trèfles à quatre feuilles chacun. Beaucoup d’autres suivront, en forme de tourbillon, d’éventail, de ruban, et bien sûr de carré.
Si vous agrandissez la photo, vous verrez que les trèfles projettent leur ombre sur le fond. Ils sont inclus dans des couches de résine successives qui leur confèrent cet air de flotter sur l’eau.
La contrepartie de cette merveille de précision et de poésie, c’est un travail long et minutieux. Une fois les trèfles trouvés et séchés, Leslie les dispose sur son support, puis elle les décalque un par un et les numérote. Ensuite elle peint le fond à l’émail, elle le couvre de résine et repositionne les trèfles, par couches successives.
Il y a, dans cette célébration des rythmes de la nature et de l’univers, de l’humble et de l’extraordinaire, quelque chose qui me parle et qui me semble moins loin de Monet qu’il n’y paraît à première vue. Peut-être est-ce pour cela que Leslie était tellement radieuse de venir à Giverny ? Ou est-ce la fréquentation de ces masses de trèfles quadrifoliés qui lui donne cette énergie lumineuse ?
Leslie m’a offert un trèfle à quatre feuilles cueilli ici. Je l’ai glissé dans un livre, à la page du poème d’Emily Dickinson :
« Pour faire une prairie il faut un trèfle et une abeille,
un trèfle et une abeille,
et de la rêverie.
La rêverie seule y suffirait,
si les abeilles manquaient. »
Bonne rêverie à vous…
Photo : La récolte de Leslie en dix minutes.
Musique impressionniste
Si vous avez déjà visionné un diaporama sur Giverny, une vidéo, ou même vu le jardin de Monet au journal télévisé, vous le savez : le fond sonore habituel des images impressionnistes, c’est la musique de Claude Debussy. En particulier « Les reflets dans l’eau », extraits du premier cycle d’Images composé en 1905.
On ne peut pas trouver mieux, en effet. Musique impressionniste par excellence, elle s’attache, selon les dires mêmes de son compositeur, à suggérer des images de bassin et de reflets.
Debussy n’est pas le seul, toutefois, à avoir cherché à rendre des impressions et des images par les notes et les accords. Le musée de Vernon vous propose d’entendre jouer cette musique évocatrice et descriptive d’inspiration impressionniste signée Ravel, Liszt, Fauré, Saint-Saëns, et même Trenet et Strauss, les dimanches 16 juin, 23 juin et 7 juillet à 16h30. Le tarif est celui d’entrée du musée.
Ces concerts de piano et musique de chambre sur le thème de l’eau s’inscrivent dans le cadre du festival Normandie impressionniste 2013.
N’oubliez pas d’arriver largement en avance pour voir la très belle expo du musée, « Vernon et les bords de Seine au temps des impressionnistes ». Un dimanche après-midi d’une totale harmonie.
Photo : Nymphéas et pétales de glycine sur le bassin de Monet à Giverny, 6 juin 2013
Buglosse
A cause de son incroyable bleu faïence, on pardonne tout à la buglosse : la petitesse de ses fleurs, sa floraison limitée au mois de juin, et même son aspect légèrement hirsute.
C’est un peu comme si on croisait un magnifique regard bleu intense dans un visage mal rasé et sous des cheveux en bataille.
C’est vrai, la buglosse a quelque chose d’une vagabonde. Comme le révèle son nom botanique, Anchusa italica, elle arrive des rivages de la Méditerranée, où elle pousse à l’état sauvage.
La vie de sans logis n’étant pas de tout repos, la buglosse a appris à s’accrocher fermement au sol, grâce à une longue racine en pivot. Il vaut mieux y réfléchir à deux fois avant de l’adopter, au risque de ne plus pouvoir s’en débarrasser.
Mais derrière cette force de caractère se cache un vrai chic. En fait de poils, la buglosse s’habille de soies, de pied en cap.
Elle aime prendre de la hauteur en s’élevant à un bon mètre du sol, ce qui a pour effet de produire de loin de belles masses bleues, comme le montre la photo ci-dessous, ce qui n’est pas si courant au jardin.
La concordance du temps
Au milieu des iris de Sibérie jaunes, pointent les boutons de pivoines qui fleuriront plus tard. Le temps que les boutons se gonflent de pétales en devenir, puis s’ouvrent pour les déployer, les iris seront fanés et coupés. A cet emplacement, on ne verra plus que les corolles à froufrous des pivoines.
La gestion des époques de floraison est l’un des casse-tête de tout jardinier. Le premier objectif est d’obtenir un jardin fleuri tout au long de la saison, où les fleurs se succèdent sans temps mort.
En principe, les fleurs ont une période de floraison qu’elles préfèrent. A Giverny, pour les iris, disons que c’est la deuxième quinzaine de mai.
Mais chez les fleurs, le temps qui passe est aussi fonction du temps qu’il fait. Pour peu que la météo soit capricieuse, les règles habituelles sont chamboulées. La chaleur printanière fait tourner les pendules plus vite, le froid les ralentit.
Cette année, le printemps très frais a décalé le démarrage des vagues successives de fleurs, comme si l’officiant en charge de donner le top départ s’était trop attardé au bistrot.
Mais la fraîcheur a aussi prolongé la durée de floraison des tulipes, ce qui a permis d’en profiter plus longtemps. Au lieu de se croire en course pour le tiercé, elles sont parties au petit trot.
Le froid est embêtant car les fleurs tardent à venir, mais c’est surtout la chaleur au printemps qui sème la pagaille. Vite ! se disent les fleurs, ça sent l’été ! Dépêchons-nous avant qu’il ne soit trop tard ! Elles se précipitent, elles se bousculent, et elles fleurissent toutes en même temps. Le jardinier a le sentiment d’avoir grillé toutes ses cartouches en quelques jours.
La question se complique encore quand, comme à Giverny, on veut gérer non seulement la succession des floraisons, mais aussi leur concomitance. Il s’agit de faire fleurir en même temps des fleurs pensées pour aller ensemble, parce qu’elles ont des coloris voisins ou contrastants, des formes qui se répondent. Pour cela il faut bien connaître les habitudes de chacune, leurs possibles réactions face aux aléas du climat. Les pronostics se font sur le papier longtemps à l’avance, et se vérifient sur le terrain l’année suivante.
Qu’elles lambinent ou qu’elles foncent, il y a tout de même une constante : les fleurs ne se doublent pas dans les virages. Eventuellement, les tardives peuvent (presque) rattraper les précoces, mais elles ne leur passent pas devant. Pour savoir dans quel ordre elles vont se présenter sur la ligne d’arrivée, c’est un avantage indéniable du jardinier sur le turfiste.
Bande originale
Le printemps a réveillé tous les sons de la nature. Dans le jardin de Monet, l’air vibre des appels des grenouilles, du chant des pinsons, des cocoricos des coqs. Les coucous se répondent, l’un dans la vallée, l’autre sur la colline, avec la régularité de pendules suisses.
Ces bruits si faciles à identifier quand on vit à la campagne sont des énigmes pour certains visiteurs citadins. Beaucoup n’ont jamais entendu de grenouilles et les prennent pour des canards.
Ils sont surpris par les sons, mais je dois dire que je suis encore plus surprise par leurs questions. « C’est des bruits enregistrés ? Vous avez mis des haut-parleurs ? »
Leur distance avec la nature me peine. Ils ont oublié que ces sons de la campagne peuvent être tout simplement réels.
Cette promptitude à penser que tout vient de l’humain m’interroge, à l’heure où de plus en plus de personnes vivent en ville. Dans un cadre urbain où tout est conçu par la main de l’homme, comment ne pas se sentir tout-puissant ? On en oublierait que nous ne pesons pas grand-chose face aux forces de la nature.
Inversement, dans cette perception déformée de la réalité, je suis étonnée de la quantité de gens, et pas seulement des enfants, qui prennent mon iris artificiel pour un vrai. J’évite de le sortir pendant la saison des iris. Je l’ai troqué pour un nymphéa en tissu, et on me demande, le plus sérieusement du monde, comment j’ai fait pour aller le cueillir au milieu du bassin.
Le premier nymphéa
Ce sont les enfants, avec leurs yeux qui voient tout, qui me l’ont montré : le premier nénuphar de l’année s’est ouvert aujourd’hui sur le bassin de Monet à Giverny.
Un courageux, un impatient qui n’a pas peur du froid et de la grisaille.
Peut-être à la faveur de la belle journée d’hier, qui avait comme un air de printemps, (19 degrés à Giverny !) ce nymphéa là s’est dit qu’il était temps d’y aller.
Le genre à se porter volontaire pour monter à l’assaut en première ligne. Téméraire.
Les visiteurs aussi avaient sorti des vêtements plus légers, mais les impers sont bien vite réapparus aujourd’hui.
Pour les fleurs, pas question de faire machine arrière. Une fois que la corolle est épanouie, tant pis si on grelotte, on ne rentre plus dans le bouton, c’est trop tard !
C’est un nénuphar blanc très semblable à celui ci-contre qui a ouvert le feu cette année encore, du côté du petit pont.
La photo, elle, date de l’année dernière. Mon appareil n’est pas aussi brave que ce nénuphar, il est plutôt du genre timoré quand il pleut.
Un resto dans un bus anglais
Un bus anglais à deux étages transformé en restaurant, c’est la nouvelle attraction de Giverny ! A l’entrée du village, rouge comme un coquelicot, Croq’ en bus ne passe pas inaperçu.
Il propose une restauration rapide inventive, qui puise du côté de l’Italie et du terroir normand.
Selon le temps, on peut s’asseoir en terrasse ou à l’étage du bus, d’où l’on a une belle vue sur la campagne givernoise.
Une fois la commande passée, le chef se met au fourneau. Ancien chanteur d’opéra reconverti en cuistot, Joachim Knitter adore son nouveau métier et régale les clients d’airs célèbres du répertoire lyrique. Je crois qu’il est baryton. L’entendre chanter pendant qu’il vous prépare des pâtes au pesto ou des tartines à la normande a quelque chose de très festif, qui vous met instantanément de bonne humeur.
Joachim aime bien causer, et si l’affluence n’est pas trop pressante il sera heureux de vous raconter l’histoire de la reconversion de ce bus. C’est sympa, les gens qui ont des rêves un peu fous et qui les réalisent…
Camassia
En même temps que les ultimes tulipes, les derniers camassias finissent de fleurir à Giverny.
Leurs petites étoiles bleu tendre s’ouvrent les unes après les autres de bas en haut, jusqu’à atteindre le sommet de la tige.
En fait de star montante, le camassia est l’un de ces bulbes de printemps bourré de talent mais qui peine à se faire un nom.
Pourquoi n’en voit-on pas plein les jardins, alors qu’il est vivace et qu’on peut le laisser en terre tranquillement jusqu’à l’année suivante ? Le manque de notoriété paraît la seule explication.
Planté en grand nombre il est superbe, en petites touches il apporte de la légèreté dans la masse dense des fleurs.
A Giverny, on a pu l’admirer comme ici en association avec des tulipes pour une harmonie très douce, qui rappelle celle des agapanthes et des roses.
Monet et Signac, une amitié de peintres
Claude Monet, pommier en fleurs au bord de l’eau
L’exposition Signac au musée des impressionnistes Giverny est l’occasion de mettre en lumière les liens qui existaient entre Claude Monet et le maître du néo-impressionnisme, d’une génération plus jeune. Des liens amicaux sincères, qui ont duré toute une vie. Marina Ferretti Bocquilllon, commissaire de l’exposition, s’est penchée dans le catalogue sur le Signac impressionniste.
Il y a d’abord, en 1880, cette expo Monet qui va décider de l’orientation professionnelle du jeune Signac. Il est ado (il est né en 1863), encore collégien, quand il se rend à la première exposition personnelle de Claude Monet, dans les locaux du journal la Vie moderne. Devant les vues de la gare Saint-Lazare, de la rue Montorgueil pavoisée, des bords de Seine, c’est le choc. Il sera peintre. Parmi les 18 tableaux accrochés à la Vie moderne figure une oeuvre étonnante, « Pommiers en fleurs au bord de l’eau », faite toute entière de petites touches de couleur claire sur un fond vert sombre, pointilliste avant l’heure. Signac en fera l’acquisition beaucoup plus tard, en 1932.
En 1883, Signac rencontre Monet pour la première fois. Il lui a écrit :
« Depuis deux ans je fais de la peinture n’ayant jamais eu comme modèle que vos oeuvres et suivant la grande voie que vous nous avez ouverte. (…) Je serais heureux de vous pouvoir présenter cinq ou six de mes études d’après lesquelles vous me pourriez juger et me donner quelques-uns de ces conseils dont j’ai tant besoin, car en somme je doute horriblement, ayant toujours travaillé seul, sans maître, sans appui, sans critiques ! »
On ne peut s’empêcher de penser que Signac, qui a perdu son père très jeune, se cherche un père spirituel. Monet se reconnaît-il un peu dans le jeune peintre livré à lui-même ? Des mois plus tard, à l’occasion d’un voyage à Paris, il lui donne rendez-vous « Hôtel de Londres et New York place du Havre ». Signac va écouter religieusement les observations de son aîné, et l’informer de ses progrès tandis qu’il travaille sur les quais de la Seine à Paris. Sa touche est alors résolument impressionniste.
Puis vient le second emballement de Signac, l’adoption dès 1886 de la technique divisionniste prônée par Seurat. Le voilà devenu « néo » impressionniste.
Petit à petit il trouve son propre style, et se permet même de critiquer Monet. Les Cathédrales, dans un premier temps, ne trouvent pas grâce à ses yeux. « Es-ce la peine d’avoir la belle palette de Monet pour produire un tel gâchis », note-t-il dans son journal, avant de revoir son jugement quelque temps plus tard.
Signac ira peindre le motif de Monet à Antibes, en détaillant les effets de lumière, ce qui lui vaut les félicitations de Monet : « Monet est resté une heure, enchanté et complimentant du port de Saint-Tropez. »
Mais à Venise, c’est Signac qui précède son aîné. Et c’est avec une grande émotion qu’l découvre l’exposition des toiles que Monet rapporte de la cité des Doges. Il lui écrit aussitôt :
J’ai éprouvé devant vos Venise, devant l’admirable interprétation de ces motifs que je connais si bien, une émotion aussi complète, aussi forte, que celle ressentie, vers1879, dans la salle d’exposition de la Vie moderne, devant vos Gares, vos Rues pavoisées, vos Arbres en fleurs, et qui a décidé de ma carrière. Toujours un Monet m’a ému. Toujours j’y ai puisé un enseignement, et, aux jours de découragement et de doute, un Monet était pour moi un ami et un guide. Et ces Venise, plus beaux, plus forts encore, où tout concorde à l’expression de votre volonté, où aucun détail ne vient à l’encontre de l’émotion, où vous avez atteint à ce génial sacrifice, que nous recommande toujours Delacroix, je les admire comme la plus haute manifestation de votre art.
Monet avait accroché dans sa chambre à coucher une aquarelle de Paul Signac représentant le grand Canal. Conservée à Marmottan, elle est en ce moment présentée à l’exposition de Giverny. Du Petit-Andely où il séjourne en 1921, Paul Signac écrit à son ami Georges Besson : « J’ai eu la visite de Monet qui a souhaité posséder quelques-unes de mes aquarelles. » Le mois suivant, il déjeune à Giverny. « J’ai vu de bien belles peintures à Giverny, non seulement les grandes décorations, mais plus encore les dernières toiles à quoi Monet travaille dans son jardin. »
En septembre 1926, Signac ressent « une douleur, hier, en voyant dans l’Oeuvre le portrait de Monet ». Ce quotidien vient de publier une photo du patriarche de Giverny avec des lunettes noires qui inquiète son ami. Claude Monet décèdera quelques semaines plus tard.
Giverny
Le jardin de Giverny tel qu’il est en ce moment, éblouissant de couleurs…
Dix mille bulbes de tulipes, de jacinthes des bois, de fritillaires, de camassias, étincellent dans les massifs, au dessus des pensées, des myosotis, des pâquerettes pompons et des giroflées.
C’est lumineux, vif, doux aussi, comme jamais.
En cette époque de l’année où le regard parcourt encore toute l’étendue du jardin de Claude Monet, celui-ci apparaît comme une immense prairie de fleurs éclatantes, gorgées d’eau et de soleil.
La chambre de Claude Monet
Cet hiver, c’est la chambre de Claude Monet qui a bénéficié d’une restauration complète. Sur les murs tendus de draps de lin anciens, des répliques des toiles de Cézanne, Renoir, Morisot, Delacroix, Signac, Caillebotte, Boudin, Jongkind, restituent la collection que Monet s’était constituée. Il s’agit d’une trentaine d’oeuvres de ses amis impressionnistes, de peintres qu’il admirait, d’artistes qui l’ont influencé.
Comme dans le salon-atelier, c’est la galerie Troubetzkoy, à Paris, qui a réalisé les répliques. Celles-ci sont mises en valeur par des cadres d’époque 1900, ce qui leur donne beaucoup de charme.
Sur la belle commode Régence revenue toute pimpante de son tour chez l’ébéniste, on remarque un petit portrait de Monet. C’est un lavis d’encre de Chine exécuté par Manet en 1874 – l’année charnière de la première exposition « impressionniste ».
Le lit et l’armoire ont été repeints de frais, d’un ton plus pâle que précédemment.
L’ensemble est élégant, à la fois chaleureux et plein de fraîcheur, avec un grand souci de coller à la réalité de la pièce telle qu’elle était quand Monet l’occupait.
Un regret : la disparition du très beau tableau de Blanche Hoschédé-Monet qu’on voyait jusqu’à l’an dernier dans la chambre.
Dans le même temps, les estampes japonaises ont été remplacées par des fac-similés dans toute la maison, si bien que la demeure ne contient plus une seule oeuvre authentique, ce qui est sans doute préférable pour des raisons de conservation et de sécurité.
On se consolera avec le mobilier et les objets de décoration, dont la plupart ont appartenu au peintre et à sa famille.
Tulipe sylvestre
Au milieu des tulipes de culture droites comme des piquets, se détachent les lignes gracieuses de la tulipe sylvestre. Sa tige ploie avec souplesse sous le poids de la tête d’un jaune vif délicatement teinté de vert sur le dehors.
La tulipe sylvestre est aujourd’hui cultivée dans les jardins de Monet et autres parcs botaniques. Mais il y a quelques décennies encore, elle poussait en nappes serrées dans la nature. En Alsace, elle avait fait des vignes son terrain de prédilection. Le passage des charrues avait pour effet de séparer les bulbilles et de favoriser sa reproduction.
Malheureusement pour les tulipes, les viticulteurs ont cessé de désherber à la charrue. L’emploi massif d’herbicides a eu raison des jolies fleurettes. Elles sont devenues très rares, même s’il paraît qu’elles reviennent dans les parcelles cultivées en bio.
C’est une joie pour moi de les retrouver aujourd’hui dans les massifs de Giverny. D’un coup, j’ai six ans à nouveau, et je me faufile entre les rangs de vignes pour cueillir de grandes brassées de tulipes sauvages. Leur nombre dégage un parfum douceâtre qui se mêle à celui des feuilles écrasées. Impossible de ne pas marcher dessus : il y en a partout.
A la maison, on trouve un vase, mais les tiges trop molles laissent les corolles pendre piteusement par-dessus bord. Ca m’énerve un peu, et je ne suis pas sûre d’aimer vraiment ces petites tulipes à la couleur à la fois criarde et verdâtre que les adultes paraissent affectionner beaucoup.
Pourquoi les cueillir alors… Parce qu’elles sont là à profusion et qu’elles marquent le printemps, parce que les petites filles aiment cueillir des fleurs, pour faire plaisir à ma maman… Ces fleurs que je n’aimais pas vraiment me sont devenues chères dans le souvenir, et elles ont aujourd’hui ma préférence attendrie, entre toutes les tulipes somptueuses et sans histoire qui s’épanouissent en ce moment à Giverny.
Cible mouvante
Photo : Giverny, reflet des bambous dans le bassin
Le Claude Monet actif, celui qui peint, qui jardine, a été beaucoup étudié et a fait l’objet d’un fleuve d’encre. Mais à hanter son jardin, on se prend à penser à l’autre Monet : celui qui ne fait rien. Rien d’autre que regarder et rêver, plongé dans la contemplation de son bassin.
C’est son beau-fils Jean-Pierre Hoschedé qui nous livre ce détail, quand il évoque la place prépondérante que tenait le jardin d’eau dans la vie de Monet :
Matin, après-midi et soir, on le voyait s’y promener, en faire le tour et souvent s’arrêter un long instant à une place bien définie, où il revenait pour s’immobiliser encore en cet endroit. (…) Toujours il revenait, de préférence, devant la nappe d’eau pour rêver à tout ce qu’elle lui révélait…
Ce Monet perdu dans ses pensées, dans ses rêveries, me fascine. C’est tellement ce que l’on a envie de faire devant son bassin, se laisser hypnotiser par l’aspect changeant de l’eau, la fixer encore et encore, dans un rêve éveillé sans fin.
Quand j’accompagne des visiteurs dans le jardin d’eau, je suis dans l’action, concentrée sur les mots à trouver pour raconter et faire sentir les choses. Et en même temps l’étang est là avec ses jeux de lumière captivants, comme une tentation à se laisser aller à la pure contemplation, en oubliant le faire. Souvent, c’est difficile d’y résister, j’ai la sensation de devoir m’en arracher.
Le psychiatre Christophe André, dans son best-seller « Méditer jour après jour », développe l’idée de cible mouvante à propos de la respiration, ancrage de la méditation :
Comme il faut que l’objet de la pratique n’endorme pas l’attention, il y a un avantage à se concentrer sur une cible mouvante : il est plus facile de fixer son attention, sans la fatiguer à l’excès, sur quelque chose qui reste là mais n’est jamais immobile. C’est pourquoi nous pouvons rester fascinés et éveillés pendant de longs moments devant les vagues de la mer, les flammes du feu ou le passage des nuages : toujours là mais jamais identiques. Il en est de même de notre souffle : toujours présent et mouvant.
Dans cet état d‘autohypnose, les yeux fixés sur une cible mouvante, Claude Monet, intensément présent à ses perceptions, méditait sans doute sans le savoir.
C’est parti pour le printemps !
Cette fois ça y est, les floraisons printanières de Giverny sont belles, et bien là, comme en témoignent ces petits massifs sous les supports de l’allée aux clématites.
Vues d’en haut, les allées disparaissent derrière les fleurs.
Dans l’esprit d’une boîte de peinture, les couleurs s’y succèdent du blanc jusqu’au pourpre.
L’enfilade des structures métalliques invente des perspectives étonnantes, comme un cadre étrange pour segmenter la vision et mettre en valeur ce tableau de fleurs.
Des bouquets dans les pelouses
C’est un coup d’oeil éphémère, ces bouquets de narcisses, de jonquilles et de tulipes dans les pelouses qui s’étendent devant la maison de Monet.
L’effet dure une dizaine de jours au tout début de la saison, à une époque où les fleurs les plus précoces ouvrent le bal.
Ailleurs, c’est encore l’attente et la promesse.
Mais devant les pelouses, on rêve déjà aux ilôts de nymphéas qui s’épanouieront bientôt selon la même disposition sur le bassin de Giverny.
La photo a été prise il y a quelques jours, et déjà le jardin a changé.
Les tulipes s’ouvrent partout, dans un déploiement de couleurs tapageuses ou tendres digne du jardin d’un peintre horticulteur.
Bientôt des toilettes
A l’heure de la floraison des cerisiers fleurs sur le parking du musée, voici l’état d’avancement du chantier des futures toilettes publiques de Giverny.
On en est à la charpente, l’air résonne de coups de marteau.
La livraison devrait intervenir vers le milieu de saison, et après 33 ans d’attente on espère que l’inauguration sera à la hauteur de l’évènement !
Signac, les couleurs de l’eau
Paul Signac, Concarneau, calme du soir, opus 220 Allegro maestoso (détail) 1891, huile sur toile, New York, The Metropolitan Museum of Art
Le musée des impressionnismes Giverny débute sa saison avec une exposition très attendue : « Signac, les couleurs de l’eau » (jusqu’au 2 juillet 2013).
A travers 130 oeuvres, cette expo évènement parcourt toute la production de Paul Signac, de ses années de jeunesse jusqu’à sa mort, sur le thème de l’eau, une thématique qui est aussi celle de l’édition 2013 du Festival Normandie Impressionniste.
Pourquoi aller voir cette exposition ? Parce que c’est une sorte d’expo Signac idéale, signée Marina Ferretti. Depuis qu’elle a été nommée directrice scientifique du Musée des impressionnismes Giverny en 2009, Marina a en tête cette échéance des 150 ans de la naissance de Paul Signac en 2013. Quatre ans pour se donner le temps de rassembler les prêts, afin de réunir des toiles dont certaines n’ont plus été présentées ensemble depuis le 19e siècle.
Marina est une spécialiste de Paul Signac. Elle sait tout de son oeuvre, de sa correspondance, de sa biographie. Elle était l’amie et la collaboratrice de Françoise Cachin, petite-fille de l’artiste. Elle a su convaincre les plus grands musées, de New York à Moscou, de prêter des oeuvres pour cette exposition.
C’est donc l’occasion de redécouvrir toutes les facettes, la singularité et la richesse de ce peintre trop souvent qualifié de pointilliste, un terme qu’il récusait : « Le néo-impressionniste ne pointille pas, mais divise, » rectifiait-il.
A travers ses tableaux élaborés minutieusement et dans un esprit scientifique, ou par ses aquarelles qui saisissent l’instant dans sa fulgurance, Signac livre ses lumineuses variations sur les rivages, comme autant de pièces musicales à la subtile harmonie.
Lâcher de livre
Saviez-vous que des millions de livres se promènent à travers le monde après avoir été laissés dans une gare ou sur un banc par leur propriétaire ? Les Anglo-Saxons appellent cela le bookcrossing, en français le lâcher de livres.
Il ne s’agit pas simplement d’abandonner un livre lu pour en faire profiter quelqu’un d’autre et éviter d’encombrer ses étagères. Les ouvrages sont étiquetés, numérotés, de façon à ce que la personne qui va en trouver un puisse faire connaître, par l’intermédiaire d’un site internet, les aventures du livre. Avec un peu de chance, on peut suivre le voyage du volume lâché, parfois à travers les cinq continents.
La librairie de Vernon « La Compagnie des Livres » fête ses dix ans cette année. A cette occasion, les charmantes libraires qui l’animent ont eu l’idée d’organiser un bookcrossing collectif. C’est un succès : 70 personnes ont été volontaires pour faire couvrir et étiqueter un livre, avant de lui souhaiter bonne chance quelque part dans la ville.
Je n’ai pas pu résister, bien sûr, j’ai confié le titre qui m’est le plus cher à son destin. Juste avant de le lâcher le 29 mars à 8h15 dans la collégiale de Vernon (elle figure sur la couverture, et le plus gros chapitre de mon livre la concerne) je l’ai scanné avec ses étiquettes de voyageur.
Je n’ai pas l’ambition qu’il parte très loin, au contraire. J’espère qu’il va passer entre de nombreuses mains dans la ville dont il parle, et aller à la rencontre des Vernonnais qui ne le connaissent pas encore.
A travers les bambous
Voici l’aspect de la bambouseraie de Monet après le grand nettoyage de cet hiver. Les jardiniers n’ont pas chômé : ils ont éliminé tous les chaumes anciens pour ne garder que les pousses les plus jeunes. Le résultat est étonnant. Au lieu d’une masse compacte, la bambouseraie s’est transformée en une forêt claire qui n’arrête ni la vue ni la lumière.
J’étais sur le point de titrer ce billet « plus de lumière », en allusion aux dernières paroles de Goethe, mais un article déjà ancien du Spiegel m’apprend que tout ça, selon les recherches d’un professeur d’Harvard, c’est du bluff. Du pipeau.
Le grand génie de la littérature allemande ne demandait pas qu’on ouvre les volets, il n’a pas eu de révélation ultime aux frontières de l’au-delà, en fait ses derniers mots, selon son domestique seul témoin de la scène, ont été pour réclamer son pot de chambre, Botschanper dans le texte.
Impensable de léguer ce message à la postérité, bien entendu. Selon le professeur Karl Guthke, l’invention de dernières paroles bien senties est un genre littéraire à part entière, de nature à favoriser le mythe, la légende.
Et Monet dans tout ça ? Nous tenons son dernier mot de Georges Clemenceau lui-même. Accouru au chevet de son ami pour assister à ses derniers instants, Clemenceau raconte qu’il lui a demandé : « Souffrez-vous ? » Et Monet, dans un souffle, lui a répondu « Non ». Et ce fut tout.
On peut regretter de ne pas avoir une belle remarque sur la qualité de la lumière à se mettre sous la dent, mais il faut remercier le Tigre d’avoir livré à la postérité cet échange qui, dans sa simplicité, sa banalité, a l’accent de la vérité.
Fourrure végétale
Gants, écharpe, manteau et bottes fourrées : c’est la tenue qui convient pour venir visiter Giverny en ce drôle de début de printemps qui se prend encore pour l’hiver.
Pour ne pas se laisser surprendre par le petit vent frigorifiant, les plantes aussi s’emmitouflent.
Regardez ce magnolia qui hésite encore à défaire le zip du manteau de fourrure qui protège ses boutons.
Poilus et doux comme une peluche, ils donnent envie de les caresser.
Tout comme les pâquerettes en coussinets, ou les pensées veloutées.
Le printemps est long à venir, et le contact avec la nature nous démange.
Eternels bambous
Les bambous de Monet sont un éternel sujet de conversation parmi les visiteurs et les guides, car ils sont là depuis toujours. Plantés sous la direction du peintre, ils se sont régénérés d’eux-mêmes en produisant de nouvelles pousses chaque année. On peut donc affirmer qu’ils figurent parmi les rares végétaux encore d’origine, en compagnie des glycines et de quelques vieux arbres.
Durant la période où le jardin n’était guère entretenu, les enfants de Giverny en avaient fait leur domaine, et ils se rappellent qu’ils jouaient à Tarzan dans ce qui était pour eux une jungle épatante. Voilà un souvenir qui ne prête pas au doute.
Pourtant le bruit court que les bambous de Monet ont fleuri déjà. Et comme vous ne l’ignorez pas, la floraison, épuisante, signe en général la fin de cette plante.
Alors, bambous d’origine ou bambous replantés ? Les deux paraissent inconciliables, et les avis sont tranchés.
J’ai eu le fin mot de l’histoire aujourd’hui en interrogeant un jardinier qui était déjà en poste au moment de cette fameuse floraison, car elle remonte à plus d’une décennie. Une bonne partie de la bambouseraie avait bien été perdue, se souvient-il, mais pas toute. Certains bambous – sans doute d’une autre génération – n’avaient pas fleuri. On avait pu s’en servir pour recoloniser l’espace vide de la bambouseraie, par division et replantation des rhizomes.
Voilà une réponse qui m’a fait plaisir. Une réponse apaisante, qui donne raison à tout le monde. J’aime que la concorde règne, et que rien ne vienne troubler la sérénité du jardin d’eau de Claude Monet.
Photo de la bambouseraie de Monet en mai 2009
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