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Yearly Archives: 2007

Regagner ses pénates

fenetreJe suis rentrée au bercail. J’ai regagné mes pénates.
Il y a des mots qu’on n’a pas souvent l’occasion de placer dans la conversation. Dans quelle autre circonstance parler de bercail ou de pénates ? Voilà des noms vieillis qui survivent momifiés dans des expressions immuables, ces façons de parler qui sont le sel de la langue, qui élargissent et imagent le lexique, qui nous offrent des ressources prêtes à l’emploi pour exprimer ici une action bien courante et banale, celle de rentrer chez soi.
Retourner au bercail, la métaphore est mignonne qui fait de nous des brebis rejoignant leur bergerie. Cela sent bon la ruralité d’une France toute vouée naguère à l’élevage et à l’agriculture.
Pour les pénates, la référence est plus lointaine dans le passé. L’expression apparaît au 17ème siècle en pleine vogue de l’antiquité romaine. On se souvient alors que les pénates étaient des dieux domestiques protecteurs du foyer chez les anciens Romains. Par extension, le mot s’est appliqué ensuite au domicile.
Le Robert qualifie les deux expressions de plaisantes. Je ne sais pas si cela vous arrache un quart de sourire intérieur, leur humour d’origine s’est bien émoussé au cours des siècles.
S’il en reste quelque chose dans l’idée de retrouver ses pénates, cela tiendrait plutôt à des assonances dues au hasard. Derrière le mot du langage soutenu pénates s’en profilent deux autres qui font curieusement sens, peinard et savates. Ils résument jusque dans le relâchement du niveau de langue l’idée de détente qu’on associe au fait de rentrer à la maison.
A l’extérieur, nous étions dans un rôle social, nous contrôlions notre langage, nos actions. Nous portions des chaussures adaptées au travail ou à la marche. Après tant de contraintes, de tension, nous voilà heureux de nous laisser aller à l’abri des regards dans un environnement familier, de nous défaire des souliers qui serrent pour enfiler nos chaussons imprésentables mais si confortables.
Peinards, en savates.

Bouquet

FleuristeCette devanture de fleuriste en guise de bouquet virtuel pour vous, chère lectrice, cher lecteur.
Je vais prendre une pause du blog, accaparée par un mariage pas banal.
Dans l’hypothèse où mes petites notes vous manqueraient, n’hésitez pas à taper dans les conserves, les étagères sont bien garnies : 568 billets qui ne demandent qu’à être sortis du placard, il suffit de chercher à droite de l’écran la liste des archives.
Bonnes vacances à vous si vous en prenez, bon courage sinon.
Prochain billet vers la mi-novembre. Ce n’est pas le bouquet final non plus.

Sous le pont

PontBaissez la tête, on va passer sous le pont… Un des agréments du pont japonais que Monet a fait installer dans son jardin, c’est de donner du piment à la promenade en barque.
Malgré sa belle taille pour un bassin artificiel, on fait le tour de l’étang aux Nymphéas en quelques coups de rame. D’où l’intérêt de se glisser sous le pont pour découvrir le petit bras qui se cache derrière et qui conduit au Ru.
Par son aspect décoratif et exotique le pont japonais de Monet est une fabrique. Mais il est plus que cela, dans cet univers de reflets où le ciel, l’eau et le végétal se mêlent.
Il est la passerelle qui relie la terre ferme et l’île.
Il permet de marcher au-dessus de l’eau, au-dessus des reflets, de se trouver physiquement en un point improbable à un mètre de la surface, dans l’air donc, pour mieux brouiller encore les repères.
Sur le pont, il arrive qu’on ressente un vertige simplement en fixant les reflets des arbres et du ciel.

Voyages

Clemenceau C’est une question qui revient souvent : Monet s’est-il rendu au Japon ? Quand on voit son jardin, son impressionnante collection d’estampes japonaises, ses meubles façon bambou, jusqu’à ses assiettes aux motifs de cerisiers en fleurs, on imagine que cette destination devait l’attirer beaucoup.
Eh bien non, Monet n’a jamais visité le pays du soleil levant. Son voyage le plus lointain l’a conduit en Norvège. Là, il lui a semblé retrouver le Mont Fuji de ses estampes dans la silhouette enneigée du mont Kolkaas. « On dirait le Japon », écrit-il à sa famille…
On aurait pu penser que son enfance havraise lui aurait donné le virus du voyage. Mais Monet, qui a beaucoup peint les bateaux, en a rarement pris pour voyager. Il préférait le train.
Il me semble que s’il s’est abstenu d’aller en Extrême-Orient, c’est qu’il ne ressentait pas l’appel du large. Il a fait peu de voyages d’agrément, celui en Espagne en voiture est organisé avant tout pour distraire Alice.
Monet a pourtant passé beaucoup de temps loin de chez lui. Chaque hiver ou presque il partait en campagne de peinture pour plusieurs mois, à la mer, au bord d’une rivière ou en ville, à Rouen ou à Londres.
Son ami Georges Clemenceau a davantage bourlingué, mais sans atteindre le Japon lui non plus. Son voyage en Inde en décembre 1920 est l’occasion d’une lettre à Monet sur son ton enjoué habituel :

Non il ne sera pas dit que je serai venu à Bénarès prendre le plus prodigieux bain de lumière et que je n’aurai pas trouvé un mot à dire à l’homme qui s’appelle Claude Monet.
Imaginez-vous, mon vieux frère, que vous voyiez Bénarès quand vous faisiez le Vétheuil refusé par Faure. Un grand fleuve bien clair avec une grande courbe de palais blancs qui vont s’estompant dans une poudre d’aurore. C’est une splendeur de simplicité claire qui du fleuve au ciel enveloppe toute la vie des choses. Tout de même si j’étais Claude Monet je ne voudrais pas mourir sans avoir vu ça.
Ajoutons qu’une humanité folle de couleur expressive anime tout cela. Je ne veux pas aller en Paradis si je n’y retrouve pas Bénarès, et les fleurs, et le culte insensé et pourtant explicable de ces bonnes vaches sacrées qui venaient ce matin me manger les colliers fleuris dont on m’avait enguirlandé. Et tout. Croyez-moi fichez l’ange bleu dans une malle si elle récalcitre et arrivez-moi tous les deux. Dépêchez-vous. Je pars demain matin. Java est merveilleux, Ceylan est admirable. Mais rien ne tient devant Bénarès.

Quel dynamisme à 79 ans ! Pour ce grand voyage en Asie du Sud Est, Clemenceau s’est embarqué en septembre 1920, il n’est revenu qu’en mars de l’année suivante. Il n’est pas dupe de ce qu’il écrit, Monet et Blanche ne risquent pas d’arriver tous les deux, mais on sent tout son désir de partager avec le peintre les paysages qui l’éblouissent.

Toile d’araignée

Toile d'araignée Un matin de brume automnale dans les jardins de Monet : est-ce l’approche d’Halloween ? Les araignées ont enguirlandé tous les buissons, tous les branchages, à la manière de Christo et Jeanne-Claude.

Les araignées qui ont tissé avec patience toutes ces toiles pensaient jouer un tour aux insectes. Au final ce sont elles qui ont été bien attrapées par le brouillard. Il s’est déposé en milliers de gouttelettes tout au long des fils arachnéens. Les voilà surlignés de perles aux reflets argentés, eux qui avaient l’ambition de passer inaperçus… Les insectes se laisseront-ils encore prendre ?

La masse des gouttelettes a donné une pesanteur nouvelle à la toile d’araignée. Elle pend comme un tissu. Le frêne l’a attrapée du bout des doigts et s’apprête à faire la révérence.

Porte de cave

Porte de caveLa plupart des maisons de Giverny possèdent une cave. Cela vient peut-être du passé viticole du village, même si ce n’est pas le seul usage d’une cave, loin s’en faut.
Les caves sont souvent des constructions en pierres de taille très soignées, voûtées, assez hautes pour qu’on s’y tienne debout. La maison de Monet a la sienne, de même que sa voisine la maison du Hameau.
C’est dans cette demeure fréquentée il y a un siècle par plusieurs peintres de la colonie américaine que se trouve cette curieuse porte de cave.
Le haut de la porte qui s’inscrit dans l’arrondi de la voûte se rabat, ce qui permet selon les besoins d’aérer ou de fermer en cas de gros écarts de température.
Vous aurez remarqué au passage le délicat bleu pâle qui orne toutes les huisseries, et que l’on retrouve dans certaines peintures de Frieseke exécutées dans ce jardin.

Vigne vierge

Vigne viergeA Giverny, la maison de Claude Monet et ses voisines sont couvertes de vigne vierge. En ce moment ce manteau vient de virer au rouge, ce qui leur donne quelque chose du Père Noël.
Il y en a de toutes sortes, des vignes vierges vraies et fausses, à crampons, à vrilles, soigneusement taillées ou un peu envahissantes.
La vigne vierge fait aux maisons le pelage des caniches, avec toilettage obligatoire plusieurs fois par an. Mais quel luxe de leur offrir cette flamboyante parure végétale !

Le palais de la vogue

Palais de la vogueSouvent les noms d’anciens commerces depuis longtemps disparus fleurissent encore aux façades. Personne ne s’est soucié de les effacer. Ils ont perdu leur fonction de communication, ils annoncent dans le vide la présence de la boutique, décalés par rapport à l’époque. C’est précisément ce décalage qui les rend souvent touchants, amusants.
Il y a des modes dans la calligraphie, des types même de commerces qui n’existent plus, des façons de parler et de nommer qui n’ont plus cours… Prenez par exemple ce « palais de la vogue » qui s’étale à Vernon sur un immeuble datant visiblement de la Reconstruction d’après-guerre, vers les années cinquante. Ce n’est pas si vieux, la graphie rigoureuse n’est pas particulièrement vieillotte, et pourtant, quel nom suranné ! Imaginez-le deux secondes sur la devanture d’une boutique qui viendrait d’ouvrir… Effet rétro garanti.

C’est une question de vocabulaire et de figures de styles. Avec palais, on est dans l’hyperbole. L’exagération a pour but de grossir artificiellement la surface de vente, le choix proposé, la qualité de la marchandise.
Tout le monde aime les hyperboles, on en emploie tous les jours, il suffit de se laisser aller à l’enthousiasme ou à l’emportement, c’est hyper trop méga génial pour exprimer les émotions.
Mais à force, ça s’use. Assez vite même. Est-ce pour cela que le mot palais a pris ce côté désuet ? On ne saurait plus l’appliquer à rien aujourd’hui, hormis au sens propre à une demeure princière urbaine. Il fait sourire sur les restaurants chinois.
L’usage de vogue a bien plongé lui aussi, peut-être parce que ce qu’il désigne est par essence bref et fluctuant : c’est ce qui est apprécié momentanément du public.
La vogue, c’était les vêtements en vogue. Au contraire de l’hyperbole, la synecdoque est une figure de style bien discrète. Prendre la partie pour le tout ou inversement passe très facilement inaperçu.
Dans son sens de nouveautés on a remplacé vogue par mode, tendance…
Une petite dernière ? L’alliance des deux mots palais et vogue tient de l’oxymore involontaire, les deux mots s’opposent par le sens. D’un côté le faste empesé d’un palais, de l’autre la futilité des longueurs de jupons…

Fermer les volets

tête de bergèreOn trouve encore chez les quincailliers du bâtiment ces jolies petites demoiselles qui servent à coincer les persiennes pour les empêcher de battre au vent pendant la journée. Le nom exact de ce bitonniau pour fermer les volets est « arrêt tête de bergère ».
La demoiselle porte une sorte de chapeau plat sur l’oreille. C’est toujours la même, comme s’il en était sorti des bataillons du même moule. Malgré sa banalité la belle garde le charme des petits détails discrets qui agrémentent la vie quotidienne. Elle donne une toute petite étincelle de poésie à ces gestes mille fois répétés, ouvrir et fermer les volets.
Soulever la tête de la demoiselle pour la faire plonger dans le vide ou la caler en place ne prend qu’un instant quand on y est habitué, mais l’objet peut déconcerter ceux qui le découvrent pour la première fois.
Il semble que ce type d’arrêt à volet est assez typiquement français. La persienne et le contrevent plein ne sont d’ailleurs pas en usage partout sur la planète et cela fait partie des détails dont les guides de voyages ne parlent jamais et que les étrangers découvrent en arrivant. Cela peut paraître idiot de leur en expliquer le fonctionnement, mais pas inutile pour leur éviter de batailler.
Le voyage se fait aussi à travers les gestes, de la courbette du salut japonais au maniement des baguettes. Et vous, quel geste propre à une autre culture avez-vous ramené de vos vacances ?

Héron

heronLes hérons affectionnent les prés près du confluent de l’Epte et de la Seine, entre Vernon et Giverny. J’en ai compté trois qui arpentaient avec solennité la prairie au milieu des vaches. Ils se souciaient des bovins comme d’une guigne et ceux-ci le leur rendaient bien. Rien de commun entre le régime des hérons, poissons, grenouilles, souris, insectes, et ce qui intéresse une vache, la bonne herbe verte. Le partage des lieux se fait donc sans anicroche. Alors que l’intrusion d’un chevreuil met les bovidés d’ordinaire si placides en émoi, ils piquent des deux pour courser la pauvre bête égarée qui détale sans demander son reste.
Le héron a une élégance naturelle due à sa silhouette fine et sa démarche sophistiquée. L’impression de classe dure tant qu’il n’ouvre pas le bec, car son cri n’a rien d’harmonieux. Pourquoi la nature a-t-elle mis un croassement aussi rauque dans la gorge d’un oiseau aussi racé ? Nul ne saurait être parfait, il faut laisser des charmes au rossignol.

Le Pont d’Argenteuil

Monet, Le Pont d'Argenteuil Claude Monet, Le Pont d’Argenteuil, 1874

Voilà ce tableau de Monet soudainement propulsé dans l’actualité internationale. Un geste de vandalisme lui a fait défrayer la chronique pendant huit jours. Heureusement un clou chasse l’autre, et si l’actualité est une grande dévoreuse d’évènements, elle les oublie presque aussitôt. Cela devient déjà difficile de retrouver dans les moteurs l’info relative à l’intrusion au musée d’Orsay dans la nuit du 6 au 7 octobre dernier.
Pourquoi s’en prendre à un tableau ? Sans doute parce que les oeuvres de Monet sont devenues des icônes, et que leur prix vertigineux les rend follement attractives pour qui veut s’offrir un geste iconoclaste. Des actes de cette nature restent heureusement très rares. Ce n’est pas tellement cela que les chefs-d’oeuvres ont à craindre, mais le contact ordinaire du public, hélas ! qui, totalement inconscient des dommages qu’il cause, met les doigts dessus, leur donne des coups de stylo ou de feutre, les accroche de l’épaule ou du sac…

Monet peint le Pont d’Argenteuil en 1874, l’année qui voit Impression Soleil Levant faire scandale. Il représente le pont routier, pourvu d’arches et de piles oblongues (tandis que le pont de chemin de fer qui figure sur d’autres toiles est fait de piles rondes comme des colonnes et sans arches).
Le pont routier a été détruit pendant la guerre de 1870 et vient d’être refait. La reconstruction du pont est le motif de la première toile de Monet à Argenteuil.
Monet choisit un angle en direction de la promenade, vue depuis la berge du Petit-Genevilliers. Au milieu des arbres apparaît l’ancienne maison du passeur. A l’époque de Monet elle est devenue une guinguette. Argenteuil est une destination prisée le dimanche et aux beaux jours, les Parisiens viennent s’y détendre au bord de l’eau : il leur suffit de faire une demi-heure de train au départ de la gare Saint-Lazare. L’attraction principale, ce sont les régates que se livrent des voiliers semblables à ceux du tableau.
Monet a loué une maison à Argenteuil pour être au plus près de ses motifs, attiré par les jeux de l’eau et de la lumière, et par ces ponts modernes qui structurent le paysage.
Le Pont d’Argenteuil frappe par la lumière dorée qui l’inonde, l’aspect paisible de ce paysage péri-urbain vide de tout personnage, l’équilibre des masses sombres et des masses claires, et le jeu des lignes de fuite diagonales rythmées par les verticales du pont et des mâts.

Hommage à Monet

Cave d'arts Saviez-vous que Monet était un « Serial Painter » ? L’artiste haut-normand Gérard Crépel l’a représenté debout devant la cathédrale de Rouen, un monument que Monet a immortalisé dans une série célèbre. Dans son poing serré, il tient un couteau de peintre qui dégouline de peinture rouge. Sur son ventre bedonnant, un maillot blanc porte l’inscription M THE SERIAL PAINTER. « C’est un maître… raison de plus pour le traiter légèrement », commente l’artiste.
Une exposition d’art contemporain en hommage à Claude Monet se tient jusqu’au 28 octobre à la Cave d’Arts de Louviers (rue du Quai, tout près de l’église) : occasion unique de découvrir quel regard les plasticiens d’aujourd’hui portent sur leur illustre prédécesseur.
Ils ont été 25 à se prêter au jeu à travers leurs dessins, peintures, sculptures, gravures, photos et vidéos.
L’intérêt de l’art contemporain est qu’il ne se résume pas à quelque chose d’agréable à contempler (ce qu’il peut être aussi, évidemment) mais qu’il induit une réflexion. C’est le spectateur qui finit l’oeuvre par le regard qu’il lui consacre.
Chaque artiste a choisi un angle, une approche. Pour l’un c’est le jeu des couleurs, pour l’autre la solitude de l’artiste incompris, pour le troisième c’est son jardin… On navigue d’une toile à l’autre en cherchant le lien avec Monet, la réflexion sur le métier de peintre. Quelquefois il se dérobe au premier abord pour mieux se livrer ensuite.
Quand nous avons changé de monnaie pour passer à l’euro, les billets en francs ont été détruits par la Banque de France. Ils étaient pleins de couleurs, vous rappelez-vous ? Bernadette Delrieu a demandé l’autorisation de récupérer les minuscules fragments qui sont sortis des déchiqueteuses. Elle les a patiemment collés en petits tableaux, les utilisant comme des traits de crayon. La série qui en est résultée évoque les reflets du bassin, les herbes, les saules… Elle interroge sur la valeur de l’art. Les billets démonétisés ont perdu leur valeur pour redevenir du papier coloré. L’artiste leur rend de la valeur en les transformant en oeuvre d’art. Derrière chaque coup de pinceau de Monet se cache aussi une valeur liée à la cote du peintre. Monet, monnaie, money…
Impossible d’évoquer toutes les interprétations, tous les détournements opérés par les 25 artistes. C’est décapant, émouvant, interpellant… Un grand souffle de jeunesse et de nouveauté inspiré par le maître de la lumière.

Maison du Parlement

Maison du Parlement, LouviersComment ça marche, la mémoire collective ? Qu’est-ce qui fait qu’on croit savoir mais que parfois on colporte une erreur ? A Louviers, cette maison de la rue des Grands-Carreaux est dite du Parlement. Mais aux dernières nouvelles le Parlement ne logeait pas là mais à côté, dans la maison du bailli de Louviers rue Tatin.
Pourquoi a-t-on préféré croire que c’était celle-ci qui avait reçu le Parlement de Rouen en exil en 1562 plutôt que l’autre ? Avait-elle plus le look de l’emploi, avec ses décors gothiques ? Allez savoir.
C’est une année bien sombre, 1562 ; celle de la première Guerre de Religion. En mai, la ville de Rouen tombe aux mains des protestants de Montgomery.
Vous avez déjà entendu ce nom là quelque part ? Petit anachronisme, Bernard Montgomery est un général de l’armée britannique qui a participé à la Libération en 1944, en particulier à Vernon. Il serait apparenté au Gabriel de Montgomery qui a pris Rouen quatre siècles plus tôt.
Le Parlement, c’est-à-dire la cour de justice (on l’appelait auparavant l’Echiquier) se réfugie à Louviers, une ville sûre qui appartient à l’archevêque de Rouen. De là le Parlement veut organiser la reconquête. Une seule idée en tête, tout rétablir en l’état antérieur. Comment y arriver ? Le Parlement opte pour la répression la plus dure qui soit.
Ils sont vingt et un conseillers, deux avocats du roi et des greffiers réunis sous l’autorité d’un président. Ils n’y vont pas par quatre chemins, au point de choquer l’ambassadeur d’Espagne qui se trouve là au début octobre. En trois jours celui-ci voit  » trois fois pendre soixante huguenots et un ministre (c’est-à-dire un prêtre) qui avait été maître d’école, en latin, de la plupart des conseillers. » Belle reconnaissance !
Le Parlement va (heureusement ?) bientôt pouvoir regagner Rouen : la ville est reprise le 26 octobre par les troupes royales fortes de 30 000 hommes qui la pillent.
A Louviers, la maison dite du Parlement a peu à peu usurpé la place de celle du bailli. Elle vient d’être rénovée par la ville qui s’est réservé pour un usage associatif le premier étage décoré de boiseries et de poutres peintes.

Minet à Monet

FouinetteLes jardins de Monet sont le domaine d’un chat. Elégante dans sa fourrure noire rehaussée d’une petite tache blanche au col, Fouinette est ici chez elle.
Pourquoi Fouinette ? Parce qu’elle avait la manie d’aller fouiner partout quand elle était plus jeune, le moindre tuyau, la machine à laver, les tiroirs, il fallait qu’elle aille voir dedans. Aujourd’hui elle est moins possédée du démon de la curiosité, elle a dix-neuf ans. Un âge hyper vénérable pour un chat mais Fouinette oublie parfois qu’elle est si vieille, elle continue à vouloir sauter d’une chaise à l’autre, et quelquefois elle rate son coup, aïe !
La plupart du temps toutefois la minette de chez Monet prend la vie du côté chat, à somnoler sur son coussin près du radiateur. Quand elle sort dans les jardins il lui arrive de rester pensive sur le perron à poursuivre son rêve, son regard d’or perdu dans le vague.
Il faut dire que la vieille chatte souffre de la même déficience visuelle que Monet : elle a la cataracte.

Mortemer

Abbaye de MortemerCroyez-vous aux fantômes ? A une quarantaine de kilomètres de Vernon, l’abbaye de Mortemer joue la carte des légendes qui courent sur ses vieilles pierres pour attirer les promeneurs.
Cela ne suffit pas, la sérénité de ce petit vallon du Fouillebroc, la nostalgie des ruines de l’abbatiale dont les quelques ogives et pans de murs encore debout font regretter la splendeur passée, le pigeonnier qui défie le temps, les étangs poissonneux, le chemin botanique sous les grands arbres, les beaux bâtiments classiques encore tout meublés… Il faut du frisson.
On descend dans les caves où une voix off vous conte des histoires de morts tragiques, de revenants, de louves qui n’en sont pas, de moines égorgés au milieu des tonneaux. Est-ce vraiment l’esprit du lieu ?
J’aurais aimé davantage d’explications sur la vie de cette communauté religieuse qui compta à ses plus belles heures deux cents membres. Les histoires de dame blanche m’indiffèrent, mais non la spiritualité qui a rayonné à partir de ce vallon perdu. En fait de frisson, c’est plutôt le tour en petit train, compris dans la visite qui le donne : il ne fait pas chaud le long des étangs quand le soir tombe…

L’allée des clématites

Giverny, allée des clématitesUne allée très structurée du jardin de Monet à Giverny : des supports métalliques servent à conduire des clématites et des roses, dont il ne reste que le feuillage, tandis que des ipomées garnissent le bas des poteaux.
De chaque côté de l’allée s’ouvrent de petits massifs parfumés garnis d’une profusion de plantes fleuries, qui donnent une impression de luxuriance en cette saison.
Le jardin ici ne se limite pas au plan horizontal, on le parcourt en volume.

Douceurs d’automne

GlycineDepuis le pont japonais du jardin de Monet, la grande allée qui s’étend devant sa maison apparaît de l’autre côté de la route, dans l’exacte continuité du pont.
Les fleurs des glycines qui recouvrent la passerelle ont fait place à des gousses de graines. L’une d’entre elles pend comme le battant d’une invisible cloche.
Une visiteuse m’a confié qu’elle aimait bien le toucher duveteux des gousses de glycine. L’automne est prodigue de ces douceurs tactiles, la peau des coings, les épis légers des graminées, l’intérieur des bogues de marrons… La finesse de ces velours étonne le bout des doigts.
Jusqu’à l’air qui se fait ouateux dans la brume matinale, léger et doux dans l’après-midi, pour nous laisser rêver au bord de la saison…

Fleurs

FleursLa nouvelle semble réservée aux initiés, tant la plupart des visiteurs n’en reviennent pas : les jardins de Monet à Giverny regorgent encore de fleurs en cette saison.
C’est beau, c’est somptueux, les allées se font toutes étroites entre les massifs éclatants de couleurs. Asters, rudbéckias, hélianthus, tournesols, dahlias, sauges, cosmos, capucines, phlox, daturas, sedums, et tant d’autres encore, on n’en finirait pas d’énumérer toutes les espèces de fleurs qui déclinent les couleurs de l’arc en ciel dans la douceur de l’arrière saison. L’air plus frais est plein de senteurs. Autour du bassin, les érables du Japon, le liquidambar, le hêtre pourpre, les taxodiums, les peupliers se parent de roux et d’or, faisant naître des reflets inédits entre les derniers nymphéas.
Au petit matin, si l’on est chanceux, la brume enveloppe le paysage d’un voile délicat. En fin de matinée le soleil le lève d’un coup et la gaité de ses rayons succède aux mystères vaporeux.
Encore deux semaines pour venir goûter aux charmes de Giverny…

Giverny

Giverny Quand Monet a exposé ses premiers Nymphéas sans références spatiales, il a été si mal compris que ses tableaux ont été accrochés à l’envers…
Il avait supprimé tout ce qui aide le spectateur à s’orienter dans le tableau, la berge, le ciel, les branches, ou comme ici les herbes qui permettent de savoir où sont le haut et le bas.

Sainte Radegonde de Bilazais

Sainte Radegonde Photo Etienne Sury

Il en va des textes et des images comme des enfants : à peine créés ils vous échappent et vivent leur propre vie.
Je vous racontais avant-hier ce qu’il était advenu d’une des photos publiées sur ce blog. Voici qu’un des textes a été pris lui aussi de la fantaisie de quitter l’écran, d’exister en étant lu à haute voix pour des dizaines d’oreilles.
Ce petit miracle est dû à sainte Radegonde, ni plus ni moins. La sainte à laquelle l’église de Giverny est consacrée dispose d’une centaine de sanctuaires à travers la France. L’un d’entre eux se trouve dans les Deux-Sèvres, à Bilazais.
L’église de Bilazais vient de se doter d’une charmante statue de Sainte Radegonde sculptée par Jean-Marie Robin, qui est venue orner une niche au-dessus de l’autel. Une cérémonie a été organisée pour sa consécration, il fallait rappeler brièvement la biographie de la sainte, et… vous devinez la suite. Ce sont quelques paragraphes de cette histoire de Sainte Radegonde qui ont été choisis.
J’ai été extrêmement émue d’apprendre cela. Profondément honorée.
Le sel de l’anecdote, ce qui me rend l’évènement tellement incroyable ! c’est que… je ne me sens guère de légitimité à parler des saints. Chez moi les saints n’avaient pas cours : mes parents n’étaient pas catholiques. Et voilà cette chose invraisemblable qui arrive comme un encouragement à continuer à raconter ces histoires extraordinaires, exemplaires, tout à la fois humaines et légendaires.
Aux dernières nouvelles le texte sur Sainte Radegonde continue son petit bonhomme de chemin, il va être publié dans le journal paroissial.

Pierre Mendès France

Pierre Mendès France Pierre Mendès France est le plus connu des Lovériens.
Il s’installe comme avocat au tribunal de Louviers en 1930, à 23 ans. Sa carrière politique est fulgurante. A 25 ans, il est élu député, le plus jeune député de France. A 28 ans, il devient maire de Louviers, un siège qu’il conserve jusqu’à la guerre, puis conseiller général de Pont de l’Arche en 37.
Pendant la guerre il s’engage dans l’aviation, il est arrêté par Vichy, il s’évade et rejoint la France Libre.
Après la guerre il est appelé à de hautes fonctions nationales et internationales, il est Ministre de l’Economie et des Finances de Charles de Gaulle à la Libération, mais, critique à l’égard de sa politique budgétaire, il démissionne. Il représente la France au FMI et à l’ONU, il devient Président du Conseil en 54 et met fin à la guerre d’Indochine. Il est battu aux élections législatives de 58 qui connaissent un déferlement gaulliste. Il démissionne de tous ses mandats et quitte Louviers.
Il reste néamoins attaché à la ville, il demandera que ses cendres y soient dispersées à sa mort en 1982.
La ville de Louviers a donné son nom à la rue qui longe la mairie. Des dalles commémoratives évoquant sa biographie sont placées dans le trottoir.

Reflets

Giverny
C’était il y a un an, en octobre 2006. Le bassin aux nénuphars de Monet ressemblait à ceci, avec de belles sauges rouges sur la berge, les buissons et les arbres qui l’entourent touchés par les premières lueurs de l’automne.
C’est amusant comme on se souvient de ses photos, comme on les reconnaît instantanément.
En me promenant sur le site tout neuf de Karin Frobe, j’ai eu la joie de découvrir cette huile.
Reflets, Karin Frobe, huile sur toile, 68x80 cmJe ne me lasse pas d’aller de l’une à l’autre, de regarder comment l’artiste a procédé, comment elle a adouci, réchauffé, féminisé le bassin de Monet.
Et je pense à toute la chaîne humaine qui aboutit à cette toile, la création de Monet, la réalisation des jardiniers, le travail de la peintre, et je suis heureuse de m’insérer, tout modestement, dans cette chaîne.

Silex taillé

Silex tailléJe viens d’apprendre comment on fait pour tailler un silex. La technique n’a pas changé depuis l’âge de pierre.
C’est Monsieur Laroche qui m’a expliqué le procédé : on prend un rognon de silex, on lui retire une calotte de chaque côté, on le pose verticalement, et on le frappe violemment avec un percuteur pour en détacher des lamelles. Des lamelles conchoïdales, précise-t-il, c’est-à-dire en forme de coquillage. L’opération est facilitée si on chauffe ou si on gèle la pierre.
Ensuite, on choisit parmi ces lamelles celles qui ont la forme la plus intéressante, et on en affine le tranchant en appuyant doucement sur le bord avec un autre silex, un coup d’un côté, un coup de l’autre. Cette dernière opération, contrairement à la précédente, ne demande pas de force physique, mais il faut se méfier des éclats qui peuvent vous sauter dans les yeux.
Le couteau ainsi obtenu est aussi tranchant qu’un tesson de bouteille, attention aux doigts !
– Je comprends pourquoi les hommes sont venus s’installer ici, le silex est d’excellente qualité !
L’eau et le gibier étaient certes importants pour les hommes du paléolithique, mais on en trouvait aussi ailleurs. Tandis que le silex était un matériau précieux pour la survie – des flèches pour la chasse, des couteaux pour trancher la viande, des étincelles pour le feu – et moins répandu.
Ce n’est pas tous les jours que l’on croise quelqu’un qui maîtrise la technique de la pierre taillée. Monsieur Laroche est un Français installé en Australie, qui l’a apprise des aborigènes. Il organise des stages de survie dans le bush, où il enseigne comment se débrouiller avec ce que l’on trouve dans la nature.
Ce ne sont pas que des trucs, des savoir-faire. J’imagine qu’on doit revenir transformé de cette expérience, avec une autre vision de sa place dans le monde.
Ce qui me fait supposer cela, c’est son respect, profond, intense, pour les hommes et pour la nature. C’est son bouillonnement face à nos comportements d’Occidentaux. C’est, par exemple, ce qu’il dit à propos des silex.
J’ai déjà parlé de la pierre de Vernon, un beau calcaire tendre dont les bancs sont parfois traversés de rangées de silex, une sorte de sous-produit d’extraction. Le silex est une pierre tellement dure qu’on ne peut pas la tailler. On l’utilise en construction sous forme de moellons obtenus par éclatement, ce qui permet de jouer de son aspect lisse et de sa couleur grise.
A Vernon, on croule sous le silex, il suffit de se baisser pour en ramasser. Autant dire qu’on n’en fait aucun cas.
Monsieur Laroche ne partage pas cette dédaigneuse indifférence. Il utilise un seul rognon de silex pour sa démonstration, parce qu’il ne veut pas gaspiller. « Ils sont trop beaux ! »
Je n’ai pas compris cette parcimonie tout de suite. C’était un peu comme d’être à la plage, de fabriquer du verre avec le sable, et qu’on vous dise doucement ! il ne faut pas gâcher le sable. Et puis j’ai fini par saisir.
L’impression d’abondance est trompeuse. Le silex est un matériau issu de transformations à l’échelle géologique. Il se trouve en quantité finie, comme le pétrole. Il a été par le passé aussi précieux pour l’homme que l’or noir l’est aujourd’hui pour nous. Qu’en feront les générations futures ? Nous l’ignorons, en tout cas ce n’est pas une ressource renouvelable. Le respect pour ceux qui viendront après nous, c’est d’économiser les dons de la nature en ne prélevant que ce dont nous avons besoin.
Une leçon essentielle pour nous autres Occidentaux, encore plus importante que l’art de tailler les silex. Merci Monsieur Laroche.

Entrée

EntréeL’entrée principale de la maison de Monet joue de la symétrie. De chaque côté de la porte à deux battants, deux grands pots chinois présentent des arbustes fleuris où se perdent les appliques identiques. Les rideaux retenus par des embrasses renforcent l’impression théâtrale. Le regard est conduit vers le centre, comme en suivant des lignes de fuite qui se rejoindraient à l’intérieur de la maison, au point exact de son centre de gravité.

Verlaine

giverny L’étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure…

Rêvons, c’est l’heure.

Paul Verlaine

Le saule noir où le vent pleure, ce soir, vous voyez qui c’est ? Allez les Bleus !

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Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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