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Fresque au plafond
La peinture de fresques au plafond de pièces de réception est indubitablement un élément de prestige. A la mairie de Vernon, la salle des mariages de l’hôtel de ville se pare de plusieurs fresques régionalistes contemporaines de l’époque où Monet fréquentait la petite cité.
Assister à un mariage civil donne l’occasion de les observer, mais l’idéal est encore de venir donner son sang les jours de collecte. On dispose alors d’un excellent point de vue, allongé pendant un quart d’heure à ne rien faire.
Cela laisse le temps d’observer ce médaillon où le peintre a représenté une accorte paysanne au milieu des vergers en fleurs. Le plus curieux est sa façon de porter un gros pichet sur l’épaule, le dos un peu cambré, la main gauche retenant le pot avec un lien qui semble être en cuir. Sous d’autres latitudes, on porterait ce fardeau sur la tête, mais la coiffe de dentelle de la Normande l’en empêche.
J’aime bien me demander ce qu’il y a dans son pot, j’imagine du cidre qu’elle emporte quelque part, peut-être pour désaltérer les paysans aux champs ?
Et puis j’aime bien le contraste entre cette scène idéalisée de la vie à la campagne, un genre très goûté à l’époque, et les pâtisseries pompeuses qui l’entourent. Voilà, c’était le top du top du bon goût à la fin du 19e siècle.
[11 mai 2007 : j’ai trouvé les références de cette peinture. Elle s’intitule Le Cidre et fait la paire avec Le Vin de l’autre côté du plafond. Ce n’est pas une fresque mais une huile sur toile marouflée au plafond. Elle a été réalisée en 1908- 1909 par Charles Denet. ]
Le V de la victoire
« La victoire de la Liberté », c’est le nom de cette sculpture de Dali qu’on peut voir au château de Vascoeuil. Cette statue de la Liberté qui lève les deux bras m’a parue parfaite pour illustrer l’élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République, lui qui tourne si volontiers son regard vers les Etats-Unis. Si cela avait été Ségolène Royal, la rose rouge était prête aussi. Il me reste des réflexes de journaliste, l’anticipation et la neutralité.
Je suis frappée par la ferveur des partisans de l’un ou l’autre camp. Au-delà des divergences d’opinion, ils sont semblables, anxieux du résultat, massés avec les mêmes drapeaux, les mêmes ballons, le même slogan « les jeunes avec xxx ». Tout cet affect investi, toutes ces énergies tendues vers le même but, la victoire électorale, et ce mot sacré, le changement.
La France change de Président, le nouveau est du même bord que l’ancien, est-ce vraiment la victoire du changement ? Sommes-nous à l’aube de temps nouveaux ? Ils ont tous l’air de tellement le croire, tous ces jeunes qui jubilent de voir leur candidat élu. Je les envie. J’envie même ceux qui pleurent ce soir, qui pensent que tout aurait été tellement mieux avec Ségolène. De cohabitation en alternance, j’ai perdu leur fraîcheur de sentiment.
Il reste au candidat à entrer dans la fonction. Le virtuel va se confronter au réel, les projets sont appelés à devenir des actions. Les illusions d’un monde meilleur vont se heurter à la difficulté de gouverner la France.
Dans cinq ans on fera le bilan du quinquennat de Nicolas Sarkozy. On saura alors quelles auront été ses victoires et ses échecs, puisqu’il y aura des deux, forcément. On saura si la Liberté avait de bonnes raisons de lever les deux bras, ou si elle aurait mieux fait de les garder baissés.
On saura si sa promesse à propos d’Ingrid Bétancourt, par exemple, aura été suivie d’effet.
Cabane dans les bois
En matière de cabane, à chacun ses ambitions. Il y a ceux qui ne la conçoivent que perchée en haut d’un arbre avec terrasse panoramique et hamac intégré, et ceux pour qui quelques branches de bois mort assemblées en dix minutes suffisent. Si les premières font rêver, les secondes ont le parfum et la fragilité de l’enfance.
Je furetais à la recherche des fleurs de printemps dans la forêt de la Roche-Guyon, à l’ouest de Paris, quand je suis tombée nez à nez avec celle-ci.
Depuis combien de temps est-elle là ? Ses bâtisseurs reviendront-ils la voir et la perfectionner ? La retrouveront-ils intacte ?
Il en va des cabanes comme des châteaux de sable : elles disparaissent inéluctablement, on ne sait pas trop comment. Le temps qu’elles durent, elles concrétisent les instants pleins d’entrain qui leur ont donné naissance.
La présence d’un ou plusieurs enfants est indispensable à la réalisation d’une cabane de branchages. Sans eux, la magie du jeu n’opère pas. Mais s’ils sont là, il suffit de lancer « et si on faisait une cabane ? » pour voir des étoiles s’allumer dans leurs yeux.
On choisit d’abord l’emplacement. Un arbre qu’on va entourer, ou une vieille cépée, ces rejets de bois qui repoussent à partir de la souche d’un arbre coupé. Dans ce cas il ne reste plus qu’à combler les vides entre les troncs.
Les matériaux sont partout, à profusion. Il n’y a qu’à se baisser pour trouver des branches tombées. Vous rappelez-vous ? S’il a plu elles sentent le champignon, elles abritent des bêtes, c’est un peu dégoûtant. On regrette de ne pas avoir de gants mais on ramasse quand même, on tire les plus longues, regardez ce que j’ai trouvé ! Manque de chance, ce sont les plus enquiquinantes à placer, elles dépassent de partout. Les trop petites ne servent à rien, il en faut de la bonne longueur.
Chacun y met beaucoup d’ardeur, et puis tout à coup ça y est, tous les murs sont construits, on peut s’arrêter. L’instant est solennel : on entre dedans.
Il n’y a que les plus petits qui tiennent debout, qui ont une relative impression d’espace. Pour tous les autres, c’est minuscule. On s’accroupit. On savoure.
Tout autour, les branches placées les unes à côté des autres forment une claire-voie. Elles marquent la limite du dedans et du dehors. Il ne faudrait pas qu’il pleuve, ni qu’il gèle, ni qu’une bête sauvage s’approche. La protection est illusoire, tout au plus un camouflage. On s’est fabriqué une cachette au fond des bois. On s’y trouve bien tant que le soleil brille.
Peu à peu l’excitation donnée par le projet s’estompe. L’inconfort d’être assis sur la terre battue l’emporte. On ressort. On rajoute une branche ici ou là, à court d’idée.
On se prend en photo devant, tout fier. C’est fini. Il est temps de rentrer.
Cytise et acacia
On se croirait chez les champignons : cytise et acacia se ressemblent comme deux gouttes d’eau, à la couleur près. Mais l’une est terriblement toxique, et l’autre délicieusement comestible.
C’est celui-ci, la jaune, la cytise, qui n’est que poison dans toutes les parties de la plante. Et pourtant quelle allure, cette floraison d’un jaune acide !
Son cousin de couleur blanche a les mêmes feuilles et les mêmes inflorescences en grappes. Mais lui, on peut manger ses fleurs parfumées, en tirer du miel, ou donner les feuilles en fourrage au bétail.
En France, on l’appelle acacia, mais c’est un robinier. L’arbre est une légumineuse, ce qui lui vaut de porter en guise de fruits des gousses qui rappellent les haricots, et la capacité de fixer l’azote de l’air.
C’est vraiment une histoire incroyable que celle du robinier – ou de l’acacia, comme vous voulez. On en voit partout, n’est-ce-pas ? Il aime s’installer le premier sur des terrains vierges qu’il colonise. Ce trait de caractère, il le tient de ses origines nord américaines. Le robinier est arrivé en Europe il y a quatre siècles seulement. On peut dire que depuis, il a fait des petits.
A Paris, le plus vieil arbre de la ville est un robinier planté en 1604 à Saint-Julien-Le-Pauvre, qui résiste vaillamment à la pollution. Parmi les doyens, le plus visité est sans doute celui du square Viviani, en face de Notre-Dame de l’autre côté de la Seine. Il est le fils du premier robinier introduit en France. Date de naissance : 1620.
Si on voit des acacias partout, c’est que l’arbre a été beaucoup planté. Il possède de nombreuses qualités, dont celle de donner un bois qui ne pourrit pas sans le moindre traitement, et qui s’utilise pour fabriquer des clôtures.
En Alsace, on s’en servait pour en faire des piquets de vigne. On en trouve encore des bois entiers, et les beignets d’acacia font partie des gourmandises printanières traditionnelles de la cuisine régionale.
Chambre de van Gogh
La chambre que Vincent van Gogh a occupée pendant deux mois à l’auberge Ravoux est un des endroits les plus émouvants d’Auvers-sur-Oise. Comme dans d’autres lieux de mémoire, c’est étrange de se tenir là en se disant que la pièce a été habitée par le peintre qu’on admire tant aujourd’hui, qu’il y a travaillé, dormi, rêvé, souffert, et qu’il y est mort.
C’est une chambrette mansardée, éclairée par un simple vasistas. La pièce n’est plus guère meublée. L’imagination n’a, pour s’exercer, que le volume petit et bizarre, la lumière chiche et la couleur des murs.
Rien à voir avec les pièces aux teintes lumineuses, régulièrement repeintes, de la maison de Monet à Giverny. On ne fait pas dans la décoration ici, l’harmonie subtile des bleus et des jaunes, des roses et des verts. On est à l’étage des chambres de bonnes, des galetas, des greniers.
Et dans cette pièce en location, le peintre n’a pas eu l’occasion de faire déborder sur les murs les couleurs qu’il avait dans la tête, comme Monet dans sa maison givernoise.
Les dindons
Sur la droite de la maison de Monet à Giverny, à quelques pas de la cuisine, on peut voir de petites pelouses en terrasse entourées d’un grillage. C’est l’enclos des dindons. J’ai pris cette photo il y a quelques années, aujourd’hui l’enclos est vide. (8 mai 07 : les dindons sont de retour !)
Monet et Alice y élevaient des dindons blancs, en souvenir des dindons du château de Montgeron.
Le musée d’Orsay à Paris présente le grand tableau Les Dindons que Monet a peint dans le parc du château. Les volatiles qui se promènent en liberté sur les pelouses apparaissent en contre-plongée, leur plumage blanc rehaussé d’étonnantes teintes roses. Le château, minuscule, se devine à l’arrière-plan.
Les riches aimaient à cette époque s’entourer de dindons, espèce d’apparat à l’égal des paons. Alice et Ernest Hoschedé en avaient donc dans le parc de leur château.
C’est l’un des motifs retenus par Claude Monet quand il entreprend de grands panneaux décoratifs destinés aux belles pièces du château, une commande d’Ernest Hoschedé, grand amateur de peinture impressionniste. Il y travaille peut-être quand lui et Alice tombent amoureux l’un de l’autre.
Ce « premier temps de leurs amours », ils le chérissent tous les deux. Amours impossibles, puisqu’ils sont mariés chacun de leur côté. Amours blanches, aussi pures que les plumes de leurs oiseaux fétiches. Il faudra des circonstances inattendues pour qu’elles se concrétisent. Mais tout au long des années de vie commune et de mariage, les dindons seront là pour en rappeler discrètement le souvenir.
La grande allée du jardin de Monet
Le meilleur moment pour apprécier les jardins de Monet à Giverny, c’est le matin dès l’ouverture, dans la lumière vaporeuse de la vallée de la Seine, ou comme ici, le soir après une journée de soleil, quand les ombres s’allongent et que les jardins se vident. Le ciel perd alors sa teinte laiteuse pour devenir franchement bleu.
Les toutes premières roses grimpantes sont en fleurs sur les arceaux qui enjambent la grande allée, de même que les premiers iris dans l’allée latérale.
La floraison des tulipes touche à sa fin, mais déjà d’autres fleurs se tiennent en embuscade, deux ou trois semaines plus tôt que prévu. Le muguet est bien au rendez-vous du premier mai, mais le manque d’eau l’a empêché de bien pousser.
Dimanche l’orage a fait des siennes. Il a plu pour la première fois depuis un mois, ce qui est plutôt une bonne nouvelle, mais hélas en plein après-midi, et avec quelques grêlons très désagréables pour les visiteurs.
Aujourd’hui, le soleil est revenu, imperturbable, on se croirait en Provence. Bon d’accord, avec quelques degrés de moins sûrement. Tout de même, quand on arrive dans la fraîcheur du jardin d’eau ombragé de grands arbres, on s’aperçoit qu’il faisait chaud au milieu des massifs du clos normand. Le marchand de glaces à la sortie ne perd pas son temps.
Monet et les caricatures
Caricature d’un homme à la tabatière, par Claude Oscar Monet vers 1858, fusain et craie blanche, Sterling and Francine Clark Institute, Williamstown, Massachusetts
Claude Monet s’est beaucoup vanté d’avoir commencé sa carrière en tant que caricaturiste. Il est vrai que les premiers dessins qu’il ait vendus sont des portraits-charges.
La caricature connaît une véritable vogue au 19e siècle. Les journaux de tous bords sont friands d’illustrations, et certains dessinateurs humoristiques comme Honoré Daumier parviennent à se faire un nom dans ce domaine. Le jeune Monet a certainement vu beaucoup de caricatures dans les journaux qu’on lisait chez lui, le Figaro, le Gaulois et le Journal amusant. Il s’est amusé à en copier certaines.
Qu’il ait eu envie de s’essayer à son tour à ce genre n’a rien d’étonnant. D’autres peintres de sa génération en ont fait autant. Cela est attesté pour plusieurs de ses amis, Courbet et Pissarro notamment.
Selon ses dires, Claude Monet s’ennuyait ferme en classe, il a donc commencé par des dessins peu flatteurs de ses professeurs qui ont eu un succès certain auprès de ses camarades.
« J’enguirlandais la marge de mes livres, je décorais le papier bleu de mes cahiers d’ornements ultra-fantaisistes, et j’y représentais, de la façon la plus irrévérencieuse, en les déformant le plus possible, la face ou le profil de mes maîtres. Je devins vite à ce jeu d’une belle force. A quinze ans, j’étais connu de tout le Havre comme caricaturiste. » Thiébault-Sisson, le Temps, 26.11.1900
De fil en aiguille, il se met à caricaturer des notables du Havre et à vendre ces portraits, d’abord 10 puis 20 francs, une somme qui lui paraît considérable. Sa petite affaire marche si bien qu’il réussit à économiser 2000 francs, ce qui laisse supposer une production conséquente.
Les caricatures de Monet sont en vente, encadrées, dans la boutique du papetier Gravier où elles voisinent avec les huiles d’Eugène Boudin. C’est dans cette boutique que les deux peintres finissent par se rencontrer, une rencontre décisive pour Monet. Car Boudin va l’inciter à peindre, en plein air, des paysages, tels que son oeil les voit.
Les caricatures ont permis à Monet de se constituer un pécule, mais elles lui ont coûté la bourse municipale. La ville du Havre octroyait 1200 francs annuels à un artiste pour aller étudier à Paris. Boudin avait justement profité quelques années plus tôt de cette largesse. Mais quand papa Monet la sollicite pour Claude, il s’attire une réponse mielleuse du conseil municipal :
Monnet (Oscar) (…) présente avec sa demande un tableau de nature morte qui ferait mal juger de son talent s’il n’était pas si complètement révélé par ces spirituelles esquisses que nous connaissons tous. Dans la voie où l’ont entraîné jusqu’ici de remarquables dispositions naturelles, dans la caricature puisqu’il faut l’appeler par son nom, Oscar Monnet a déjà trouvé la popularité si lente à venir aux oeuvres sérieuses. Mais n’y a-t-il pas dans ces précoces succès, dans la direction jusqu’ici donnée à ce crayon si facile, un danger, celui de tenir le jeune artiste en dehors des études plus sérieuses mais plus ingrates qui seules ont droit aux libéralités municipales ? L’avenir nous répondra. » (Archives municipales du Havre).
L’avenir a répondu. En octroyant la bourse au sculpteur Aimable-Edmond Peau et à l’architecte Anthime-Marin Delarocque, les édiles du Havre n’ont pas misé sur le bon cheval.
Pensée du jour
Dans les jardins de Giverny, j’ai copiné avec un petit bonhomme de deux ou trois ans.
En lui montrant une belle tulipe écarlate, je lui demande :
– De quelle couleur est cette fleur ?
– Ouge !
– Bravo ! Et celle-ci ?
– Aune !
Ce petit a l’air très au point sur les couleurs. Je continue en lui montrant une pensée d’un bel orange. Et, tandis que j’attends le nom du fruit :
– Papapillon ! s’écrie-t-il, le doigt tendu vers la jolie pensée.
Tulipes multiples
On n’arrête pas le progrès : voici que les tulipes se mettent à avoir non pas une fleur au bout de la tige, mais trois, quatre, cinq, tout un bouquet.
J’ai photographié celles-ci dans le jardin du Musée d’Art Américain de Giverny. Les jardiniers ont sélectionné des fleurs bicolores de différentes teintes. L’effet obtenu avec ces tulipes multiples est celui d’une masse colorée beaucoup plus dense qu’avec des tulipes traditionnelles.
Elles sont associées ici avec des pensées orange et des giroflées jaunes.
Gisacum
C’est sans doute la ville gallo-romaine la plus étrange qui soit : à 6 km d’Evreux, le site de Gisacum n’a pas fini d’étonner les archéologues. Dans tout le monde romain, il n’a pas son équivalent.
Le plan de l’énorme ville sanctuaire, qui s’étend sur le territoire de cinq communes, est déjà une énigme. Gisacum ne comporte qu’une seule rue de 5 km de long, mais elle prend la forme d’un hexagone ! Toutes les maisons sont tournées vers le centre de la figure, où s’élevait un complexe religieux qui comprenait de très grands temples de 25 mètres de haut, un théâtre de 7500 places, un forum et des thermes. Oui, des thermes sur ce plateau crayeux sans la moindre rivière ! Les Gallo-Romains n’ont pas hésité à construire un aqueduc d’au moins 25 km de long pour acheminer l’eau jusqu’aux bassins de Gisacum. Il semble même que les habitants disposaient quasiment de l’eau courante, une branche de l’aqueduc suit le tracé de la rue.
La sécheresse de 1976 a eu pour effet de jaunir les cultures qui recouvrent les vestiges gallo-romains, révélant à la photographie aérienne l’emplacement des murs antiques.
Des campagnes de fouilles ont été effectuées. Elles ont conduit à la mise en valeur du site. Le Conseil Général de l’Eure en a fait un jardin archéologique assorti d’un centre d’interprétation qui permet de mieux comprendre son originalité. L’entrée est gratuite, on peut librement se promener dans les vestiges des thermes. Des voix enregistrées restituent l’animation qui pouvait y régner. En fermant les yeux, on s’y croirait.
Glycine ancienne
Dans le jardin d’eau de Monet à Giverny, deux glycines ornent le pont japonais qui enjambe la rivière. A l’autre extrémité du bassin, une glycine ancienne leur fait pendant.
Elle revient de loin. Très exactement du fond du bassin.
Le pied de glycine avait fini par tomber dans l’étang, qui s’est peu à peu comblé après la mort du maître des lieux.
Au moment de la restauration du jardin, à la fin des années 1970, on a réussi à sauver la glycine plantée par Monet en la tirant du bassin avec une grue.
Son tronc a disparu, il n’en reste plus que l’écorce. Et pourtant, malgré son grand âge, elle fleurit toujours généreusement à chaque printemps.
Tulipes et myosotis
Un somptueux parterre de tulipes roses et de myosotis bleu ciel est en pleine floraison devant la maison de Monet à Giverny.
Cet effet spectaculaire est à la portée des jardiniers débutants : les myosotis tout comme les tulipes mettent beaucoup de bonne volonté à fleurir. La seule difficulté est d’arriver à ce que les deux floraisons se produisent en même temps. A moins d’une grande habitude, c’est une question de chance, un petit coup de poker au moment où l’on achète les bulbes à l’automne.
Le mousseux du myosotis s’associe bien avec les tiges nettes des tulipes. Il couvre le sol, si bien qu’il n’est pas nécessaire de planter les bulbes de tulipes très serrés. On plante d’abord les pieds de myosotis, puis on intercale les tulipes deci-delà.
Le myosotis existe aussi en blanc et en rose. Cela permet d’imaginer des variations avec d’autres teintes de tulipes ou des narcisses.
Le myosotis – ne m’oubliez pas en langage de fleurs – a la rage de se ressemer tout seul. Si vous l’accueillez une fois dans votre jardin, il se rappellera à votre bon souvenir l’année d’après, quand il repointera son nez un peu plus loin, inventant des scènes pleines de douceur auxquelles on n’aurait pas pensé.
Pommier du Japon
Autrefois, à l’arrivée de Monet à Giverny, le jardin de sa maison était un verger. Monet n’a pas tardé à faire arracher les arbres fruitiers pour les remplacer par des pommiers et des cerisiers du Japon moins communs et plus japonisants.
Au printemps, leur floraison évoque cette lointaine vocation de verger qu’avait le jardin avant qu’il ne devienne jardin de peintre, quand il n’était encore que le jardin d’un cultivateur aisé du village, monsieur Singeot.
En cette fin du 19ème siècle, à la campagne, chaque petit bout de terrain devait produire. Un jardin d’agrément, un parc fleuri, étaient des luxes de bourgeois et de riches bien loin des préoccupations paysannes.
Les premiers peintres américains qui sont venus travailler à Giverny donnent une idée de ces jardins potagers pleins de citrouilles, de ces vergers de pommiers, de cerisiers et de pruniers. Ils peignent une sorte de témoignage sur le monde rural qui n’est pas du tout le propos de Monet.
Violette
Dans les forêts de Normandie, les violettes ont jailli en touffes colorées qui se mêlent aux anémones des bois.
En faire un bouquet demande une bonne dose de patience, mais il en faut bien plus encore si on veut en cueillir pour les croquer. C’est irrésistiblement joli dans une salade verte ou une salade de fruits.
La violette a la saveur douce des bonbons de Toulouse – la ville rose a fait de cette fleur parme son emblème.
Tout est délicat chez la violette, son parfum, sa teinte passée, la courbure de sa tige et même son maquillage raffiné. Regardez bien ! Son coeur est un oeil bordé de longs cils et de fard à paupière.
Il faut s’approcher tout près pour découvrir ces coquetteries, si contradictoires avec l’idée qu’on se fait d’un fleur qui symbolise la modestie…
Violette rime avec Colette. Quand j’étais collégienne en classe de sixième, nous avions eu en dictée ce texte de l’écrivaine :
« Violettes blanches et violettes bleues, et violettes d’un blanc-bleu veiné de nacre rose. Ô violettes de mon enfance ! Vous montez devant moi, toutes, vous treillagez le ciel laiteux d’avril, et la palpitation de vos petits visages innombrables m’enivre. »
Je cite de mémoire, c’est peut-être un peu transformé. Mais la nostalgie émerveillée de Colette fait tellement écho à la mienne ! Merveille du retour du printemps, merveille de l’écriture poétique et de l’observation juste de cette grande dame.
Chaque année quand reviennent les violettes je me récite ces mots avec gourmandise, et le regret d’avoir oublié, si je l’ai jamais su, de quel ouvrage sont tirées ces lignes. Et puis il y a quelques mois, j’ai trouvé dans le grenier une vieille édition des Vrilles de la vigne de Colette. Cachées dans les pages jaunies qui sentaient le vieux papier, elles étaient là, les violettes… Depuis, le livre est retourné dormir dans son carton. Vous me pardonnerez de ne pas aller le réveiller.
Les azalées du jardin d’eau
Tout est si beau en ce moment dans le jardin de Monet que j’ai bien du mal à choisir une photo.
Partout, les couleurs éclatent. Autour du bassin, les azalées sont en pleine floraison, dans un feu d’artifice de roses, d’oranges et de blanc qui tranchent sur les tonalités vertes des premiers feuillages.
Les azalées ont été choisies par Monet pour évoquer le Japon dans le jardin d’eau, en compagnie d’autres plantes exotiques telles que les bambous et les nénuphars, les fameux Nymphéas.
Le vin du val de Seine
Je le dis pour ceux qui n’habitent pas la moitié nord de la France : il fait si chaud en Normandie en ce moment qu’on se croirait en été. Les petits matins sont frais, certes, pas plus de 3 ou 4 degrés au réveil, mais le soleil ne tarde pas à réchauffer l’atmosphère et l’après-midi, on cherche l’ombre, on se promène avec sa bouteille d’eau et même on prend des coups de soleil.
Chez Monet, cela fait presque drôle de voir les fleurs de la fraîcheur printanière s’épanouir sous ces chaleurs. Elles ont l’air de s’excuser d’être des tulipes plutôt que des dahlias, elles fleurissent à toute vitesse, comme pressées de laisser la place aux autres.
Il fait un temps éblouissant, le soleil brille de tous ses feux sur des floraisons qu’on a admirées plus d’une fois en grelottant sous des parapluies. Et c’est comme ça depuis l’ouverture le 1er avril. Trois semaines de temps radieux ! Voilà qui augurerait d’un bon millésime pour le vin de Giverny !
C’est à peine une plaisanterie. Il fut un temps où l’on cultivait de la vigne en Normandie, dans toute la vallée de la Seine.
Dans la région de Vernon et de Giverny, on l’appelait le cailloutin, allusion aux pentes des collines calcaires bourrées de cailloux où poussait la vigne.
Attention ! Je n’ai pas dit que le vin était fameux. Pourquoi s’obstiner à produire du vin quand on a toute les chances, sauf année exceptionnelle, qu’il devienne une piquette ? Probablement parce que c’était culturel depuis les Romains, d’une part, et qu’on avait besoin de vin pour dire la messe, d’autre part.
Jusqu’au début du 20ème siècle, on a donc vu les collines de Vernon, de Giverny et de Saint-Marcel couvertes de ceps. Toutes les vignes ont disparu depuis – après la crise du phylloxéra à la fin du 19ème siècle, on a été découragé d’en replanter – mais il en reste des traces : à la mairie de Vernon, une fresque au plafond de la salle des mariages évoque la viticulture ; dans le quartier de Bizy, on trouve une rue des Vignes, à Giverny, une rue du Pressoir.
D’accord, c’était peut-être un pressoir à pommes. Parce qu’on faisait aussi du cidre dans la région, et lui, il est si bon qu’on continue à en faire, et il récolte des médailles au Salon de l’Agriculture !
Je pensais à ces productions alcoolisées locales en découvrant la nouvelle décoration que la ville de Saint-Marcel a choisie pour ses ronds-points. Broyeur, pressoir et tonnelet, tout cela vous a un petit côté automnal et festif plutôt sympa bien qu’un peu décalé en cette saison… même exceptionnellement douce.
Bleu et jaune
L’association du bleu et du jaune est une des combinaisons de couleurs préférées de Monet.
L’exemple le plus frappant en est sa salle-à-manger entièrement peinte en jaune pour mieux faire ressortir le bleu des estampes japonaises, de la vaisselle et de la cuisine qui s’ouvre juste à côté.
On retrouve l’association du bleu et du jaune dans de nombreux tableaux de Monet, par exemple Le jardin de l’artiste à Vétheuil où il place des tournesols lumineux entre l’azur du ciel et des poteries chinoises bleues.
Rien d’étonnant donc à retrouver souvent ces deux couleurs dans son jardin. Ce sont elles qui créent une unité visuelle d’un côté du clos fleuri à l’autre.
Leur association se fait par mise en parallèle, le bleu et le jaune sont placés dans des parterres voisins mais ne sont en général pas mélangés dans le même.
Les couleurs sont déclinées en tons voisins dans une unité chromatique. C’est l’oeil qui les rapproche avec le recul de la distance.
Clin d’oeil à cette association du bleu et du jaune, certaines pensées unissent les deux couleurs.
Les devinettes de Picasso
Depuis que Citroën en a fait le nom d’un de ses modèles, acheter un Picasso est à la portée de pas mal de monde. Un de mes proches s’est laissé tenter, si bien que ses enfants utilisent le nom du grand peintre à qui mieux mieux, comme un synonyme de voiture. Ils ont l’âge de la maternelle, ce qui leur fait prononcer des phrases un peu bizarres, genre « mes Barbies sont dans le Picasso ».
Je saute sur l’occasion :
– Vous roulez dans un Picasso, mais savez-vous qui c’était ?
Les deux bambins font non de la tête.
Nous nous sommes assis sur les marches de la cuisine, le gros livre de Picasso sur les genoux, et comme d’habitude, la magie de la peinture a opéré.
Pablo Picasso est un des peintres qui plaît le plus aux enfants, même très petits, dès trois ou quatre ans. J’ai passé rapidement les périodes bleues et roses (c’est de quelle couleur ? Il a l’air triste ou content ?) pour arriver à la partie la plus amusante, le cubisme.
– On va jouer aux devinettes !
Le jeu consiste à lire le titre du tableau et à retrouver les éléments annoncés qui s’y cachent. Il faut de bons yeux pour distinguer Verre, bouquet, guitare, et bouteille (1919) ou Les trois musiciens (1921).
La compétition s’installe entre le frère et la soeur. Qui sera le plus rapide ? Ils sont très forts, ils m’épatent. Nous tournons les pages, encore et encore, pendant toute une demi-heure. Ils ne veulent pas arrêter, non non. Ils sont scotchés, par quoi ? Les couleurs vives ? Les corps déstructurés ? Il y a peut-être une connexion secrète entre le génie de Picasso et les expérimentations artistiques de cet âge, entre sa façon de s’affranchir de la ressemblance et le « on dirait que ce serait » ceci ou cela des tout-petits.
C’est toujours une joie de montrer des oeuvres d’art aux enfants. Ils sentent instinctivement que ces livres d’images sont plus beaux que les autres, plus intéressants, plus émouvants. La seule recommandation qu’on puisse faire est de se laisser guider par leur plaisir. Parler les images, un peu (qu’est-ce que c’est ? qu’est-ce qu’il est en train de faire ?..) et laisser beaucoup de place au rêve.
Ensuite, quand on a vu et revu un tableau en livre, quand on le connaît par coeur, c’est une fête d’aller le voir en vrai. Juste celui-ci, en ignorant tous les autres.
L’oeuvre ci-dessus n’est pas un tableau de Picasso (ils ne sont pas libres de droits mais vous les trouverez facilement en ligne), c’est son portrait exécuté par le peintre cubiste Juan Gris (1887-1927).
La mémoire des lieux
La maison de notre enfance a gardé dans ses murs et dans ses meubles le souvenir de l’enfant que nous avons été. Peut-être que vous fréquentez la vôtre au quotidien et que cela ne vous trouble pas de vous retrouver en tête à tête avec ces réminiscences. Mais si, adulte, on s’est éloigné depuis longtemps de la maison parentale, l’émotion des lieux assaille autant que celle des retrouvailles avec la famille.
L’autre jour je suis retournée dans ma chambre enfantine après des années d’absence. C’est toute une mémoire de perceptions qui m’est revenue, sa lumière, son hygrométrie, son volume, la vue de la fenêtre comme un balcon sur le monde…
Je me demande si ces sensations, si fortement engrammées en nous qu’on les retrouve intactes des années après, les autres peuvent en partager quelque chose.
Peut-on, par exemple, être en communion avec le ressenti de Monet en entrant dans sa maison ou en regardant par la fenêtre de sa chambre ?
Je me le demande, dans une interrogation sur mon métier de guide, sur le respect des lieux de mémoire, sur la rencontre qui s’opère entre ces lieux et leurs visiteurs. A quel moment doit-on simplement se taire et laisser les gens sensibles sentir ? Qu’attendent-ils de moi si ce n’est de les aider à approcher l’esprit des lieux ?
Après la coupure de l’hiver, j’ai retrouvé la chambre de Monet. De l’avoir un peu oubliée me l’a fait sentir à nouveau. Mais déjà, dans la répétition, cela s’estompe. Comment rester connectée avec la sensation de sa présence, au bord du bassin aux nymphéas ou devant la grande allée ?
Je suis dans le recueillement chaque fois que j’entre chez Monet. Je l’ai tellement fréquenté depuis douze ans, j’ai tellement plongé dans les détails de sa vie comme dans ceux de sa peinture que cela me le fait ressentir fortement. Il m’accueille, je dirais presque : il m’attend. Je crois qu’il est content, là où il se trouve, que je sois guide chez lui, il connaît ma sincérité et mon respect.
Depuis que je me suis mise à travailler d’autres sujets, d’autres lieux peu à peu s’ouvrent à moi. Les humains qui les ont bâtis et peuplés me deviennent présents. Je sens combien les pierres et le sol se sont chargés de leur passage, lieux tumultueux de batailles, lieux d’élévation spirituelle et de foi, lieux de vie et de labeur des hommes et des femmes qui nous ont précédés…
Quand nous visitons un lieu, il n’y a rien de plus essentiel que cela, que ressentir en tant que vivant le lien qui nous unit au passé et aux morts. C’est plus essentiel encore que de comprendre, de façon rationnelle, les aléas de l’Histoire.
Alors : prenez le temps. A quoi bon courir d’un lieu à un autre si c’est pour manquer l’occasion de s’en laisser toucher ?
A la question mille fois entendue, « quel est le meilleur moment pour voir les jardins de Monet ? » on peut répondre, cela dépend de vous. Si vous cherchez l’éblouissement, le grand spectacle qui émerveille, vous viendrez au moment de la floraison des tulipes, des iris, des roses, des glycines, des nénuphars… Mais si c’est Monet que vous cherchez, vous reviendrez dans la douceur tranquille de l’arrière-saison. Il sera là.
Miroir d’eau
Evreux est baignée par l’Iton. La rivière entre dans la ville par l’ouest puis, en arrivant au pied du rempart gallo-romain, elle fait soudain un coude vers le nord.
Après les bombardements de la dernière guerre en juin 40 et 44, le quart de la ville d’Evreux s’est trouvé détruit, principalement les quartiers du centre ville. Paul Danger, l’urbaniste de la Reconstruction, a peu changé le plan de la ville, mais il a eu un coup de génie en créant le Miroir d’Eau.
A la manière des bassins si prisés dans les jardins classiques pour que les châteaux s’y reflètent, Danger a exploité le coude formé par la rivière pour l’élargir en un plan d’eau qui s’étend devant la cathédrale.
Une terrasse permet de se tenir au bord de la rivière où la surface lisse de l’eau capte toutes les humeurs du ciel. Le rempart gallo-romain, le musée de l’évêché et la cathédrale y déploient leurs images inversées, que les sillages des canards et des cygnes font parfois danser.
Les carnets de croquis du jeune Monet
Des étés entiers passés à dessiner : à l’âge de seize ou dix-sept ans, le jeune Claude Oscar Monet est déjà habité par la passion de l’art. Le moindre bout de papier est aussitôt couvert d’un dessin, rapporte un ami de la famille.
C’est sans doute sa mère, elle-même artiste amateur, qui fournit Monet en carnets de croquis de différentes tailles qu’il emporte avec lui pour aller dessiner sur le motif.
Tout n’a pas été perdu de ces premiers carnets où le talent précoce de Monet s’affirme déjà avec force. Plusieurs volumes d’assez grand format, proche du 21×29,7 cm actuel, ont été conservés. Les autres plus petits et probablement plus nombreux ne sont plus localisés aujourd’hui.
Les experts se penchent sur ces dessins d’adolescence. Monet y fait preuve tantôt d’un style conventionnel très appliqué, tantôt d’un trait délié, énergique et original. Pour savoir si l’on peut déceler une évolution de l’un à l’autre, il faudrait dater les dessins. C’est là que les choses se compliquent.
Monet a porté des dates complètes ou partielles sur certains croquis, mais rien ne dit qu’il a utilisé les carnets dans l’ordre des folios. On est même sûr du contraire : le jeune dessinateur a noirci les pages de façon erratique.
L’explication à cette façon de procéder est simple et ne doit pas grand chose à l’indiscipline ou à la fantaisie. A cette époque, les carnets commercialisés sont composés de pages de couleurs et de qualités différentes. Monet aime bien le fond gris pour ses paysages de campagne, tandis qu’il préfère le papier ivoire pour les scènes marines. Il pioche donc en fonction du sujet, au hasard de la pagination du carnet.
Du moins au début. A mesure que le volume se remplit, Monet se fait moins regardant et complète les pages encore vierges. Il s’ensuit un casse-tête bien difficile à démêler pour savoir dans quel ordre les oeuvres se succèdent véritablement, à quelle date elles ont été exécutées et comment les carnets s’enchaînent ou sont utilisés en parallèle.
Tulipe
Les tulipes sont de grandes stars. Elles posent comme personne, avec leurs grosses têtes pensives qu’elles courbent doucement tout en haut d’un très long cou.
Quand elles sont plantées serrées et que leurs têtes se touchent, elles font irrésistiblement penser à un geste de tendresse, à un baiser.
Leur texture fondante a quelque chose du bonbon. Le pastel excelle à rendre leurs fines stries où la lumière se perd.
Approchons-nous. Il suffit de s’asseoir à leur hauteur pour que leurs pétales de satin ou de soie deviennent chair palpitante.
J’ai rencontré un jour un peintre fasciné par cette similitude. Il peignait des tulipes en fin de floraison, en train de fâner, et cette évocation de la décrépitude avait quelque chose d’aussi poignant que dérangeant.
Le matin, les parterres de tulipes sont des rangées de mains jointes quémandant le soleil. L’après-midi, prière exaucée, elles s’ouvrent sur des trésors intimes.
Qu’un coup de vent fasse tomber un pétale, et c’est tout cet intérieur secret qui se dévoile, suspendu en plein ciel comme ces maisons partiellement démolies où il ne reste plus qu’un mur des anciennes pièces, dont on devine encore l’attribution à la couleur des papiers peints.
365ème billet
Ce « coin d’appartement » (musée d’Orsay, Paris) est le 365ème tableau peint par Claude Monet. On est en 1875, Monet a 35 ans, il vit dans une maison à Argenteuil avec sa femme Camille et leur fils Jean. Ce n’est pas la fortune mais ça va, c’est une période assez sereine et très productive.
Monet s’est placé dans la véranda de la maison, où il fait pousser des plantes dans des pots de porcelaine chinoise. Ce premier plan vivement éclairé, très décoratif, est traité en teintes claires et gaies. Il encadre comme un rideau de théâtre les personnages de l’arrière-plan laissés dans la pénombre, représentés par une palette sourde et foncée.
Le petit Jean, debout dans son beau petit costume, regarde avec patience en direction de son père qui le peint. Camille, reléguée tout au fond, se confond avec les murs et la fenêtre. La lampe à pétrole a plus de présence qu’elle.
Qu’est-ce qui a séduit Monet dans ce coup d’oeil depuis la véranda ? Est-ce la composition insolite inversant les valeurs d’ombre et de lumière (l’ombre au centre, la lumière sur les côtés, alors que c’est l’inverse d’habitude) ? Est-ce la symétrie qui transmet un sentiment d’équilibre familial ?
Nouveau retournement dans le tableau 366, cette fois c’est Camille qui se trouve dans la véranda et Monet dans le couloir. Camille est occupée à broder sur un métier, toute la scène est bien éclairée sauf le coin de rideau qui se trouve maintenant à contre-jour.
Avec ce 365ème billet, je boucle aujourd’hui la boucle de la première année de blog, et la coïncidence du catalogue raisonné de Monet avec mon propos est d’une pertinence extraordinaire. Penchée sur le clavier comme Camille sur son métier, je brode dans un cadre bien délimité, exposée en pleine lumière. Ami lecteur, tu préfères rester dans l’ombre, attentif ou en retrait. C’est celui qu’on ne voit pas, c’est Monet qui fait le lien.
Cher lecteur, MERCI d’être là, de partager avec moi ton intérêt pour l’art, le patrimoine ou la nature. Merci de me faire savoir que tu apprécies ce que tu lis en mettant si systématiquement ce blog parmi tes favoris, merci d’en lire autant de pages. Et merci de participer, à titre individuel, à cette audience quotidienne à quatre chiffres qui me tire tellement vers l’avant. Bonne lecture.
Plate-bande impressionniste
Voici la première plate-bande qui accueille les visiteurs de Giverny, à grand coup de couleurs et de parfums.
Un des principes de composition du parterre que l’on retrouve un peu partout dans le jardin, est d’associer des fleurs de couleurs proches mais de formes et de textures différentes. L’effet est le même que celui produit par la juxtaposition de touches de couleurs voisines sur la toile, une vibration lumineuse d’autant plus sensible qu’on s’éloigne.
Les petites pensées roses et violettes font penser au geste de Monet cueillant du bout du pinceau deux couleurs sur sa palette pour les déposer d’une même touche sur la toile.
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