Par les rues de Giverny

A Giverny, la rue du Château d’eau s’élance en pente assez raide à l’assaut de la colline. En quelques pas on a déjà une belle vue par dessus les toits, sur les prés et les champs traversés par l’Epte. La Seine coule tout au fond, au pied de l’autre colline.
Comme nous, la rue s’essoufle vite. Elle abandonne rapidement ses velléités d’ascension pour se transformer en étroit chemin, lequel, on l’aura deviné, conduit au réservoir d’eau du village, et au-delà jusqu’à la crête pour
les marcheurs les plus déterminés.
Les maisons qui se trouvent en bas du pré, sur la photo, sont situées rue Claude Monet, l’artère qui traverse presque tout le village de Giverny selon un axe est-ouest parallèle à la vallée. La Fondation Monet est à quelques pas sur la droite.
L’écureuil roux

Malgré l’afflux de visiteurs dans les jardins de Monet, les écureuils roux n’ont pas déserté Giverny. Il m’est arrivé par deux fois d’en apercevoir un au jardin d’eau, attiré sans doute par les faînes du hêtre pourpre. Mais ce sont des animaux sauvages et craintifs. Ils gardent leurs distances.
Voir un écureuil roux est finalement si rare que c’est une joie, un cadeau offert par la nature. Un peu comme apercevoir des dauphins en mer, des chamois en montagne.

Depuis une dizaine de jours ce petit moment de bonheur m’arrive tous les matins. Assise à l’ordi face à la fenêtre, je perçois soudain un mouvement. C’est l’écureuil qui vient faire sa tournée dans mon jardin.
Selon le muséum d’histoire naturelle, l’écureuil roux peut passer jusqu’à 80% de son temps à chercher de la nourriture. Même s’il n’est pas faux qu’il aime les noisettes, son alimentation est très variée : graines, bourgeons, écorce même, escargots, tout y passe. Celui-ci monte aux tilleuls, en redescend, gratte le sol puis se frotte les pattes pour en retirer la terre, et déjà il a filé. Il bondit, suit le faîte du mur, saute encore, léger et vif. On se sent pesant à côté. Un peu comme un éléphant qui contemplerait les pirouettes d’une danseuse.

Il y a dans l’agitation charmante de cette boule de poils quelque chose d’hypnotique. On ne quitte pas des yeux ses évolutions rapides et légères. L’écureuil vit sa vie. Il a l’air d’avoir un plan, de savoir ce qu’il fait. Mon jardin est son espace. Il le connaît mieux que moi. Lui et moi y cohabitons en parallèle. Les animaux sauvages sont en général si discrets que l’être humain a tendance à se croire tout seul.
Effet du matin

Mais comment faisait Monet pour peindre ses tableaux d’effets de lumière ? La théorie, on la connaît : se lever avant le jour, être au motif au moment où l’aube pointe, capter les couleurs aussi vite que possible, changer de tableau chaque fois que les teintes évoluent, et revenir le lendemain continuer son oeuvre, en espérant que les effets seront au rendez-vous.
Mais il faut se frotter à la pratique pour saisir toute la difficulté de l’opération. Un peu comme les archéologues qui essaient de comprendre les techniques du passé en les expérimentant, c’est en mettant ses pas dans ceux de Monet qu’on perçoit le challenge.
Beaucoup d’efforts s’engagent sur un pari, celui que la lumière sera belle, que l’effet sera là. La veille on a réglé le réveil une heure avant le jour, évalué la météo. On se lève alors que le ciel est noir, indéchiffrable. On s’habille en mode pôle nord, on prépare ses affaires, et c’est parti.
Il m’est arrivé que l’expédition capote dès la porte de la maison. A peine dehors, je constate dépitée qu’en fait il bruine. J’imagine comme Monet aurait ragé. Il ne disposait pas de Météo France. Savait-il prédire le temps du lendemain ?
Mais mettons que les prévisions aient vu juste. L’Est blanchit. J’avoue que je triche un peu : je m’approche du motif en voiture. Je ne peins pas à l’huile, mon matériel se résume à un appareil photo.
L’air est vif, le sol boueux glisse. Où le soleil va-t-il se lever ? Certainement Monet faisait un repérage préalable pour trouver l’angle idéal. Il ne pouvait pas en essayer trente-six comme un photographe, et il lui fallait du temps pour s’installer avant l’effet.
La gageure, c’est d’espérer retrouver le même effet plusieurs fois pour achever la toile, car chaque jour est différent. Tantôt le ciel se donne à fond, tantôt il s’économise. Que faisait Monet les jours où le spectacle était décidément moins beau que la veille ? Est-ce qu’il arrivait à voir des merveilles bleutées là où je ne vois que du gris ?
On comprend qu’il ait souffert de découragement quand la nature ne jouait pas le jeu, encore et encore, malgré sa persévérance à être fidèle au rendez-vous. Mais ce qui est très perceptible aussi, c’est l’exaltation qu’il devait ressentir quand elle décidait de sortir le grand jeu.
Le ciel est si beau que la fièvre me gagne. Eblouie par le show, je m’applique. Dans un contre la montre effréné je multiplie les réglages et les cadrages. Ces couleurs splendides sont un cadeau du ciel, au sens propre.
Quand on a goûté à cette magie, c’est une drogue. Elle est assez puissante pour motiver quiconque à sortir de son lit dans l’espoir de cette rencontre absolue entre la nature et nos yeux d’humains.
Chez Zadkine

On vient à Giverny pour découvrir le lieu où vécut Claude Monet et qui fut sa source d’inspiration, mais les tableaux sont ailleurs. A Auvers-sur-Oise, on découvre la dernière chambre de van Gogh, d’une humilité monacale, et les paysages qu’il a représentés. Pas de toiles non plus. Le lien entre la résidence de l’artiste et l’exposition de son oeuvre fluctue selon les artistes, d’un musée à l’autre, entre le rien du tout d’Auvers et la richesse remarquable de la maison de Rodin à Meudon ou du musée Courbet à Ornans.

J’étais curieuse de découvrir l’atelier d’Ossip Zadkine, le sculpteur qui a réalisé le monument à van Gogh d’Auvers-sur-Oise. Il se trouve au 100 bis rue d’Assas à Paris, entre le Quartier latin et Montparnasse.
Comme chez Delacroix, la résidence de Zadkine est au calme, derrière la rangée d’immeubles sur rue qui dissimule et protège. Au bout de l’impasse, une maison à un seul étage, un peu anachronique au milieu des programmes immobiliers qui l’entourent. C’est tellement caché qu’on s’imagine qu’on sera seul. En fait non : c’est si petit que quinze personnes donnent une impression de foule.

Les espaces de vie et de travail ont été transformés en salles d’exposition. On peut regretter la disparition des meubles, mais en contre -partie le visiteur est gratifié d’une magnifique présentation d’oeuvres originales abouties sculptées en taille directe par Zadkine : des bois, des pierres qui expriment la diversité de ses recherches artistiques et son sens de la matière. L’émotion jaillit devant la beauté de ces sculptures qui font figure aujourd’hui de classiques, où la figure humaine est omniprésente.

Dans le jardin, les bronzes ont trouvé place sous les sycomores.
Peintre de plein air

A une heure de route de Giverny, la petite ville d’Auvers-sur-Oise a elle aussi été une colonie d’artistes florissante, dès que les peintres ont commencé à vouloir travailler en plein air au 19e siècle. Le bref séjour qu’y fit Vincent van Gogh éclipse un peu celui de Daubigny, qui y vécut pendant 18 ans. Tous deux encadrent le mouvement impressionniste : Daubigny le précède, van Gogh le suit.
L’un comme l’autre adoraient peindre sur le motif, ce qui impliquait d’emporter son matériel avec soi. Chevalet, boîte de peinture, brosses, médium à peindre, toiles pouvaient peser une douzaine de kilos.
Dans le parc van Gogh d’Auvers s’élève une statue de Vincent. Le sculpteur Ossip Zadkine l’a représenté comme les Auversois devaient le voir en 1890, en train de sillonner les rues et les champs avec tout son barda sur le dos.

Statue de Vincent van Gogh par Ossip Zadkine, Auvers-sur-Oise
Quand on regarde l’arrière de la statue, on comprend que tout ce matériel était non seulement lourd mais aussi encombrant, surtout une fois les toiles couvertes de peinture fraîche. Cela ne devait pas être commode à porter.
Bienveillance

Les guides sont des médiateurs, qui essaient de faire capter l’âme d’un lieu, d’un objet, d’une histoire. Dans cet effort pour donner à percevoir, je m’applique à la bienveillance. Beaucoup de mes collègues sont dans cet état d’esprit, mais pas tous. J’ai suivi des visites de guides narquois qui moquaient les coutumes d’autrefois ou la vie privée d’un personnage illustre. Ces visites m’ont mise mal à l’aise.
La tentation est grande de faire rire pour s’attirer les faveurs de son public. On peut faire rire de bien des façons, tant que personne n’est blessé. Mais faire rire aux dépens des gens du passé est leur manquer de respect, et qui sommes nous pour nous croire supérieurs ?
Depuis que je fais des formations sur Giverny, je milite pour que mes collègues parlent un peu plus du jardin de Monet, et pas seulement de sa biographie. Le peintre aimait s’effacer derrière son oeuvre. Si Giverny est son lieu de vie, c’est aussi une oeuvre d’art horticole éblouissante et unique, qui demande à être commentée pour bien la voir.
(suite…)Gentil gendarme

Pyrrhocore, c’est le nom savant de ce petit insecte très répandu dans les jardins. La pauvre bête est un vrai défi orthographique, pas étonnant que tout le monde préfère l’appeler par son nom populaire de gendarme. Voilà belle lurette que les forces de l’ordre ont changé d’uniforme. Le pyrrhocore a gardé le sien. Le nom est resté.
Aussi inoffensif qu’une coccinelle et paré des mêmes couleurs, le gentil gendarme n’a hélas pour lui pas la même cote d’amour que la bête à bon dieu. Même s’il lui arrive de se nourrir de pucerons, notre gratitude est limitée. D’ailleurs il aime surtout les fleurs de la famille des mauves et le tilleul.
Il ne pique pas, il ne sent pas, il ne fait pas de bruit, il nettoie le jardin de petits débris. On pourrait même le trouver joli avec son masque étrange. Mais à la différence des coccinelles européennes qui se promènent toutes seules, le gendarme préfère rester en groupe. Et la tolérance humaine envers les insectes est inversement proportionnelle à leur nombre.
Il serait temps qu’on se calme, qu’on réapprenne à partager la planète avec les autres espèces avant qu’il soit trop tard. Dans les jardins de Giverny, on protège la biodiversité. Toutes les petites bêtes y ont droit de cité.
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