Home » Articles posted by ariane (Page 16)

Author Archives: ariane

Les deux Alice

Alice Regnault par Nadar (Wikipédia)

A en croire la biographie consacrée à Claude Monet par Daniel Wildenstein, Alice Hoschedé était d’une jalousie farouche à l’égard de son compagnon. Le biographe la dépeint comme une femme exclusive, qui aurait obligé Monet à détruire tout souvenir de sa première épouse Camille, et qui ne manquait pas une occasion de lui faire une scène par lettre interposée chaque fois qu’il rencontrait une jolie femme au cours d’une campagne de peinture.

C’est ainsi qu’un évènement qui survient lors du séjour de Claude à Belle-Île-en-Mer en 1886 la met en transe : le grand ami de Monet Octave Mirbeau et sa compagne rendent visite au peintre à Kervilahouen.

Monet a pourtant pris les devants pour rassurer sa chérie, il a pris soin de lui décrire Alice Regnault comme quelqu’un « de très gentil et très bien ». Peine perdue, car Alice Hoschedé le sait, la compagne de Mirbeau est une cocotte, une courtisane, une femme qui s’est enrichie par ses charmes, investissant la fortune amassée dans l’immobilier. Alice H a donc des raisons objectives de s’inquiéter de la présence d’Alice R à Kervilahouen.

C’est à nouveau une visite des Mirbeau qui l’inquiète quand Monet séjourne au cap d’Antibes. D’autant que Monet, qui est « célibataire », ne lui doit rien sur le plan légal. Il pourrait courtiser qui il voudrait. Alice R et Mirbeau ne sont pas encore mariés non plus.

Alors, jalouse, Alice ? Plutôt un peu dépressive et portée à imaginer le pire. Elle a un sentiment d’abandon car Monet tarde trop à rentrer. Comment ne pas se dire qu’il lui cache quelque chose, que ce n’est pas la seule peinture qui le tient éloigné de son foyer ?
Alice est accablée de soucis de la vie quotidienne et seule pour les gérer. Santé des huit enfants et sa propre santé, départ de domestiques à remplacer, factures diverses qu’elle a du mal à payer, soucis familiaux et juridiques à régler à Paris, relation avec Ernest, souris qu’elle doit éradiquer dans l’atelier… C’est trop. Qui, à sa place, ne se ferait pas des films ? Monet ne cesse de l’exhorter au courage, mais repousse toujours la date de son retour. Il attend d’elle une force qui dépasse ce qu’elle se sent capable de donner.
Alors jalouse, oui, mais derrière le prétexte des jolies femmes, c’est une autre jalousie qui se profile, un sentiment qui n’a pas droit de cité, qu’elle renierait peut-être elle-même si elle se l’avouait, tant il s’oppose à l’admiration qu’elle porte au talent de son compagnon : Alice est sans doute jalouse de la seule maîtresse de Monet, la peinture.

Sur Alice Regnault, voir Pierre Michel, spécialiste de Mirbeau, dans Mirbeau et l’affaire Gyp.

J’espère que le Paradis ressemblera à ça

Giverny ce matin, dans l’éclat de la fin mai. Les roses et les bleus des fleurs aimées de Monet se mêlent dans l’abandon d’une nature conduite avec délicatesse.

De plus en plus de visiteurs entrent désormais dans le jardin par le bas, munis de leurs billets coupe-file. Leur première impression est beaucoup plus forte qu’en pénétrant dans le clos normand par le haut, où se trouve la caisse pour les individuels. « Estoy impactado », répétait hier mon client, un paysagiste mexicain qui en avait pourtant vu d’autres. Je suis impressionné, je suis sous le choc… Quand on aime les fleurs, on peut être submergé par l’émotion à la vue du printemps de Giverny.

A la fin de mes visites, tandis que je regagne la sortie, je me fonds au milieu des visiteurs et je capte des bribes de conversation. J’ai adoré entendre une jeune femme exprimer sa joie par ces mots : « J’espère que le Paradis ressemblera à ça. »

Dès l’époque de Monet, les visiteurs employaient les mots d’éden et de paradis pour décrire son jardin. Inverser le propos, voilà qui renouvelle cette comparaison entendue si souvent, et lui redonne toute sa force.

Résilience

Giverny, le bassin de Claude Monet

Enfin le premier nymphéa. Il s’est ouvert hier matin ; année après année il s’agit toujours du même nénuphar blanc à petite fleur non loin de l’embarcadère. Les nymphéas ont une semaine de retard suite au coup de froid de début avril qui les a ralenti dans leur élan, mais ils récupèrent. Selon Emmanuel Porc, le jardinier en charge du jardin d’eau, ils fleuriront simplement un peu plus tard, sans aucun dommage.

Les plantes font souvent preuve de résilience. Elles s’adaptent aux conditions climatiques, elles ont des ressources étonnantes. Cette fois, c’est la glycine qui m’a épatée. La toute vieille, celle plantée par Claude Monet lui-même au 19e siècle, qui fleurit mauve au-dessus du pont japonais, et un peu au-dessous.

La glycine tardive à gauche, la précoce à droite

C’est la plus précoce des glycines qui se succèdent sur la passerelle emblématique du jardin de Giverny. En mars, une météo très douce avait accéléré le développement de ses boutons tandis que les autres glycines, plus tardives, attendaient avec prudence. Hélas, la douceur a fait place à un temps glacé dans les premiers jours d’avril, brûlant de froid les fragiles boutons. Le pont est resté nu pendant plusieurs semaines. Enfin, début mai, les glycines tardives se sont ouvertes, ornant la passerelle de leurs longues inflorescences bleues ou blanches.

Et voilà qu’à l’instant où elles fanent, la vieille glycine prend le relais ! Elle a compris que ses premiers boutons avaient grillé et elle s’est dépêchée d’en fabriquer d’autres, pendant qu’on est encore à la saison des glycines. La première se retrouve la dernière, mais quelle joie, après la désolation de ne pas la voir fleurir, de recevoir le cadeau de cette floraison de la dernière chance !

Le miracle du matin

Lever de soleil sur le bassin aux nymphéas de Claude Monet.
Comme il devait aimer ces instants.

Giverny sous le soleil

Les jardins de Monet ce matin : les dernières tulipes jouent leur symphonie en rose devant la maison…

…tandis que les premiers iris s’ouvrent dans les bordures imaginées par Claude Monet.

Les glycines rescapées du gel d’avril ornent gracieusement le pont japonais…

… et le févier d’Amérique répand des reflets lumineux dans l’étang aux nymphéas.

Claude, Blanche, Theodore et Jim

Theodore Earl Butler, Le Bain, 1890, huile sur toile, collection particulière

La nouvelle exposition du musée de Vernon Saga familiale est consacrée à Claude Monet et plusieurs autres peintres de sa famille : sa belle-fille Blanche Hoschedé-Monet (épouse de son fils Jean Monet), son beau-gendre Theodore Butler (mari de Suzanne puis de Marthe Hoschedé, deux autres belles-filles de Monet) et le fils de Theodore et Suzanne, Jim Butler.


Philippe Piguet, descendant des Hoschedé et commissaire de l’exposition, a fait appel à ses frères et soeurs pour nombre de prêts. Blanche avait déjà fait l’objet d’une exposition monographique à Vernon en 2017, mais les Butler n’avaient pas encore eu droit à ce coup de projecteur.

Claude Monet, Portrait de Germaine Hoschedé, 1880, pastel sur papier, collection particulière

L’exposition est organisée par thèmes : en famille, fleurs et jardins, paysages de terre et paysages d’eau, reflets. Si elle ne présente que 3 tableaux de Claude Monet – dont un adorable pastel, Portrait de Germaine Hoschedé (la 4e belle-fille) daté de 1880 en collection particulière – elle regorge en revanche d’oeuvres de Blanche et de son beau-frère Theodore Butler.

Blanche Hoschedé, Meule, effet de neige, 1891. Huile sur toile. Fondation Claude Monet

Nés tous deux dans les années 1860, lui en 1861, elle en 1865, et tous deux proches de Monet, ils en ont subi l’influence aussi bien dans le choix des motifs que dans leur traitement pictural. Mais le style de Butler semble avoir puisé aussi à d’autres sources et offre davantage de variété, de la douceur à la stridence.

James Butler, Nature morte à la nappe aux rayures rouges, 1918. Huile sur toile. Coll. part.

Son fils James, dit Jim ou Jimmy, regarde du côté du fauvisme et de l’expressionnisme, et montre un goût pour les paysages qui dérangent, peut-être en réaction à la douceur des lumières impressionnistes. Né à Giverny en 1893, il grandit dans un milieu artistique, son père étant en lien avec la colonie de peintres du village. Il a 20 ans quand Theodore et Marthe l’emmènent avec eux aux Etats-Unis. James fera des aller-retour entre les deux pays, avant de se tourner vers l’illustration et le batik et de s’installer définitivement aux Etats-Unis en 1940.

L’air du large

C’est une émotion très particulière de se trouver pile à l’endroit d’où a été peint un tableau célèbre. Même si les conditions météorologiques ne sont pas les mêmes, la confrontation de l’oeuvre et de son paysage, surtout quand ce dernier a très peu changé, apporte une satisfaction unique. Nous avons tout à coup les yeux du peintre, nous sommes à sa place, littéralement.

Les instances touristiques ne manquent pas de mettre en valeur les lieux les plus emblématiques représentés par les impressionnistes en Normandie. A Fécamp, Claude Monet est à l’honneur avec cette toile qui fait partie des collections du musée Malraux du Havre. C’est du circuit court : l’original est à quelques encablures sur cette même côte, et peut-être que certains estivants de Fécamp seront tentés d’aller le voir en vrai.

La mer était plus agitée et le ciel plus lourd quand Monet les a peints en 1881 ; à cette époque sa vie personnelle est bien agitée elle aussi. Alice n’est pas sûre qu’elle va rester avec lui, et Monet en est bouleversé.

Les couleurs du printemps

Giverny, Le clos Normand de Claude Monet fin avril.
Les tulipes et les giroflées flamboient dans les massifs.
Les azalées et les rhodos rivalisent de couleurs.
Et les énormes pivoines se pavanent sous leur toit de paille.

Orchidée sauvage

Oups ! J’ai failli marcher dessus. Cette petite chose mesure 10 centimètres environ et elle se distingue à peine au milieu des hautes herbes. Mais vu l’endroit – le coteau calcaire au-dessus de Giverny – je regarde où je pose les pieds, car je sais que la prairie est truffée d’orchidées sauvages.

Celle-ci est la première que je vois cette année, mais elle a énormément de soeurs dans ce pré exposé au sud-est. D’autres espèces, moins discrètes, suivront. Elles préparent déjà leurs boutons. Toutes sont protégées.

Je crois qu’il s’agit d’une ophrys araignée, une fleur qui n’a pas eu de chance au moment de son baptême, car elle n’a pas grand chose à voir avec les arachnides. Elle aurait plutôt dû s’appeler l’ophrys andrène, cet insecte qui ressemble à une abeille et vit dans le sol. Dans son très beau blog, le naturaliste Gilles Carcassès explique tout de la stratégie de reproduction de l’ophrys aranifera, des faux phéromones à la fourrure d’imitation, et tant d’habileté dans la duperie laisse sans voix. Comme beaucoup d’autres orchidées sauvages, l’ophrys araignée est une faussaire, bien décidée à se faire passer pour ce qu’elle n’est pas. Et les andrènes foncent dans le panneau !

La dernière heure

Le jardin de fleurs et le jardin aquatique créés par Claude Monet à Giverny offrent un contraste très fort. Après la visite du Clos normand débordant de fleurs et de couleurs, exposé au soleil de l’après-midi, l’entrée dans le jardin d’eau apporte une bouffée d’air frais et une détente immédiate. « Je sens ma pression sanguine baisser », me confie spontanément ma cliente.

Malgré l’affluence, les visiteurs goûtent le charme des lieux. Nous flânons le long de la pièce d’eau et nous arrêtons sous le vieux saule. Comme du temps de Monet, c’est toujours l’endroit le plus hypnotique. Les yeux perdus sur l’étendue du bassin, la dame ajoute, avec un sens de la formule qui me touche :
– Si c’était la fin du monde dans une heure et que je devais choisir où passer cette dernière heure, c’est ici que je voudrais revenir.

Jardin privé

Les promeneurs qui passent dans la rue Claude-Monet de Giverny peuvent admirer à travers la grille ce délicieux jardin. C’est celui de la maison voisine du musée des Impressionnismes, où le directeur du MDIG a installé ses bureaux, comme l’atteste le panneau « Direction – Conservation » à coté de la porte.

Des massifs colorés juste ce qu’il faut au pied des arbres fruitiers, une pelouse parcourue de pas japonais… c’est un rêve de petit jardin privé, où l’on reconnaît tout le talent des jardiniers du musée.

La mairie de Giverny

La lumière brillait de bonne heure ce matin à la mairie de Giverny, un détail qui m’a paru étonnant jusqu’à ce que je réalise qu’on était un dimanche d’élections. La maison commune est l’unique bureau de vote du village, qui compte 500 habitants.
J’étais venue admirer le lever du jour sur la vallée, mais je ne sais pourquoi je me suis levée bien trop tôt et il m’a fallu patienter une heure avant d’assister enfin au réveil des couleurs. Je me demande s’il arrivait aussi à Monet de se tromper d’heure et d’être à pied d’oeuvre beaucoup trop en avance.
Les journées sont longues quand elles commencent à l’aube, surtout pour les assesseurs qui n’ont pas pu profiter de ce beau dimanche. Mais à Giverny presque tout le monde se connaît et le temps passe plus vite quand les élections sont un moment de convivialité.

A l’heure qu’il est, les bulletins sont comptés, les résultats transmis, le suspense national a pris fin. Le soleil a plongé à l’ouest après avoir éclairé tous les murs de la mairie. La lumière s’est éteinte dans le bureau de vote, la nuit tombe sur Giverny.

Camouflage

Sans le son, elle n’est pas facile à repérer.

Ca y est, vous avez trouvé la grenouille ?

Nous sommes le long du Ru, dans le jardin de Claude Monet. Les fascines qui retiennent les berges sont accueillantes pour la biodiversité.

L’Epte à Giverny

A quelques pas de la Fondation Monet, le calme règne dans ce coin bucolique de Giverny le long de l’Epte. On y accède depuis l’ancienne gare. On imagine Claude Monet remontant ce bras à grand renfort de rames avant de s’arrêter devant son motif des peupliers un peu plus haut.

Au petit matin, l’herbe est couverte de rosée, assurance d’avoir bientôt les pieds trempés, sauf si vous portez des bottes en caoutchouc. Mais le concert des oiseaux compense largement ce petit désagrément.
L’Epte s’est déjà divisée un peu en amont, et tandis que son cours principal se dirige droit vers la Seine, ce bras-ci musarde avant de se diviser à nouveau près du moulin Cossy. Une fois de plus, la branche principale filera vers le fleuve, tandis que le bras le plus petit, le Ru, ira arroser le jardin de Monet.

Dans les vergers en fleurs

Le temps de Pâques est celui des vergers en fleurs en Ile de France et en Normandie. Dans le grand potager du château de La Roche-Guyon, les variétés anciennes de pommiers, poiriers ou pruniers cultivées au 18e siècle ont été replantées il y a vingt ans le long des allées tracées au cordeau. Les arbres sont maintenant de jeunes adultes qui se couvrent en ce moment de bouquets blancs, promesses de savoureuses cueillettes à l’été et l’automne prochain.

Le jardin est en accès libre et offre un charme supplémentaire à ce village labellisé l’un des plus beaux villages de France, à une dizaine de kilomètres de Giverny.

La maison de Monet

Il faut venir tôt en saison pour voir la maison de Claude Monet à Giverny dans son entier. Très vite la végétation se développe et masque le bâtiment.

L’aspect de la grande allée a déjà changé depuis l’ouverture, en quelques jours elle a gagné des couleurs grâce aux tulipes les plus précoces.

La grande allée à Giverny, 9 avril

Le pont des soupirs

Le bassin de Monet à l’ouverture de la saison

Depuis que les jardins de Claude Monet ont rouvert le 1er avril, j’ai retrouvé la joie d’accompagner les visiteurs dans leur découverte des lieux. Le temps fort de leur visite est le moment où ils montent sur le pont japonais peint si souvent par Monet, et posent pour la première fois les yeux sur le bassin. Malgré l’absence de nénuphars, leur bonheur d’être là est palpable. En faction au bout du pont, j’attends qu’ils aient fini de contempler la vue et de prendre quelques photos souvenirs.

J’adore les voir revenir le sourire aux lèvres, les entendre soupirer de contentement. Je crois que les conditions récentes les ont rendus encore plus extatiques que d’habitude.

« Ca fait trente ans que je dois venir ! » me confie une dame d’un certain âge. « J’avais déjà prévu de faire ce voyage il y a deux ans, mais il a été reporté. »

On sent dans sa voix le soulagement que ce rêve longtemps projeté se réalise enfin.

La vue depuis le pont japonais début avril

— Il y a trente ans, je suis venue à Paris avec ma soeur, poursuit-elle. Nous devions faire une excursion à Giverny. Mais avec la fatigue et le décalage horaire, quand le réveil a sonné, nous l’avons jeté à l’autre bout de la pièce et nous nous sommes rendormies. Nous avons manqué le départ du car.

— Il n’est jamais trop tard, dis-je, vous voyez ! Vous y êtes enfin !
Je vois alors une brume voiler son regard.

— Pour ma soeur, c’est trop tard, soupire-t-elle. Elle est morte l’année dernière.

Giverny est ouvert !

Nonobstant le temps humide et glacé, les jardins de Monet ont accueillis leurs premiers visiteurs ce matin. Tout est à nouveau comme avant la pandémie. Toutes les mesures liées au Covid ont été levées, et même le sens de visite dans la maison de Monet est rétabli par l’entrée principale.

Les pommiers du Japon sont en fleurs, ainsi que de très nombreux bulbes et des bisannuelles qui ont profité des beaux jours de mars pour s’épanouir. Difficile de croire, le nez dans l’écharpe et les gants aux mains, qu’il a fait si beau et chaud jusqu’à la semaine dernière. Mais la neige annoncée pour la nuit dernière n’est pas tombée sur Giverny, le fond de la vallée étant un peu plus doux que les plateaux alentours, tout blanchis ce matin.

Le soleil devrait être de retour demain samedi. 🙂

Le château d’Anet

A 45 minutes de Giverny, dans la vallée d’Eure, le petit bourg d’Anet s’enorgueillit d’un prestigieux château Renaissance, toujours meublé et habité.
La visite des appartements est guidée, ce qui lui apporte naturellement un éclairage et du sens, permettant d’entrer dans l’Histoire et les histoires.

Le château a été construit à partir de 1548 par l’architecte Philibert Delorme pour le compte de la belle Diane de Poitiers. Très riche suite à son veuvage avec Louis de Brézé, elle n’a eu besoin de personne pour le lui offrir, nous a expliqué le guide, qui a aussi mis en avant son exceptionnelle intelligence et son goût raffiné.

Diane, la déesse romaine de la chasse, est célébrée dès l’entrée dans le domaine. Le groupe sculpté de cerf et de chiens au-dessus du portique est devenu l’image emblématique des lieux.

Le château, partiellement démoli à la Révolution, a été restauré et en partie rebâti. Cela est fait avec art, transportant le visiteur dans les fastes du 16e siècle. Le morceau de choix est certainement la chapelle du château, dont le sol fait écho au splendide dôme.

Le lien avec Vernon est le duc de Penthièvre, tout à la fois propriétaire du château de Bizy à Vernon et du château d’Anet, à la fin de l’Ancien Régime.

Sainte Radegonde

Vitrail de Sainte-Radegonde dans l’église de Giverny

L’église de Giverny est placée sous le vocable de Sainte-Radegonde, une dédicace peu fréquente. Le culte de la sainte qui vécut au VIe siècle a été remis à l’honneur au XVe par Charles VII, qui a même baptisé sa fille aînée Radegonde.

Le choix de ce prénom était politique : la princesse de France était née un an avant la rencontre du dauphin avec Jeanne d’Arc et la reconquête de son royaume.

Charles VII voulait honorer la sainte vénérée à Poitiers. Cette ville était le siège du second Parlement, alors que Paris était aux mains des Bourguignons. C’était aussi une façon de souligner la légitimité de Charles VII au trône, puisque Radegonde était reine de France, épouse de Clotaire, fils de Clovis, premier roi des Francs.

La vie de sainte Radegonde est bien documentée grâce à trois sources contemporaines, fait exceptionnel pour le haut Moyen Âge. Ces textes sont de son ami le poète italien Venance Fortunat, d’une de ses moniales Baudonivie, et de Grégoire de Tours, qui procède à ses funérailles.

Radegonde est née princesse de Thuringe, à Erfurt, au centre de l’Allemagne vers 518. Emportée captive comme butin de guerre par Clotaire, fils de Clovis, alors qu’elle a une dizaine d’années, elle grandit à la cour de ce dernier et reçoit une éducation digne de son rang. Saint Médard, évêque de Noyon, la baptise et l’instruit dans la foi chrétienne adoptée par les Francs depuis Clovis. Devenue nubile, Radegonde est contrainte d’épouser Clotaire. Reine, elle se consacre aux pauvres et à la piété. Quand Clotaire assassine le frère de Radegonde, c’en est trop pour elle. Elle s’enfuit vers Poitiers pour s’y consacrer à Dieu.

Radegonde recherche la sainteté, instruite dans la foi chrétienne par Saint Médard, évêque de Noyon. Puisque la religion chrétienne est maintenant établie et que le martyre n’est plus possible, il faut s’infliger le martyre à soi-même, d’où des violences appliquées à elle-même peut-être même excessives.

La pierre de Sainte-Radegonde, devant l’église de Giverny

Sainte Radegonde est connue pour le miracle des avoines : alors que le roi la fait poursuivre pour la reprendre comme épouse, Radegonde croise un paysan en train de semer de l’avoine dans un champ. Les céréales se mettent à pousser à vue d’oeil, dissimulent la reine et lui permettent d’échapper à ses poursuivants.

Il est intéressant de rapprocher l’usage de l’avoine bien connue comme adoucissant dermatologique et la réputation de la pierre de Sainte-Radegonde de Giverny, ancien dolmen christianisé dont le contact devait guérir des maladies de peau.

Porte à l’ancienne

Claude Monet, la porte du jardin à Vétheuil, 1881, coll. part.

Pendant son séjour à Vétheuil, Claude Monet dispose d’un jardin en face de chez lui, de l’autre côté de la route. Le terrain en pente assez prononcée est traversé par un escalier ; tout en bas, on débouche sur cette porte qui ouvre sur la Seine.

La porte est à moitié ouverte, limite symbolique entre le petit éden privé du jardin et l’attraction du fleuve. Le rythme des lignes verticales de la barrière se développe, magnifié, dans celui de la porte, couronnée de son petit arceau.

De part et d’autre, les touches rouges de fleurs d’été, peut-être des fuchsias ou des sauges. Penchées sur elles, des branches d’arbres dont on ne voit pas les troncs ; on peut parier que ce sont des fruitiers.

Magie de la peinture, on rêve de se trouver là, de passer d’un côté à l’autre de la porte, de boire des yeux les couleurs des plantes et la masse liquide du fleuve.

Claude Monet, la porte du jardin, 1881, coll. part.

Claude Monet fait une deuxième toile avec la porte pour motif, cette fois un peu de biais et grande ouverte, comme pour laisser entrer les flots de lumière de l’après-midi.

Ce type de porte réalisé autrefois par le menuisier local n’a plus l’air de se faire, à l’heure de la standardisation.

J’ai tout de même eu la joie de découvrir un modèle assez proche, pas très loin de Vétheuil.

Exposition Monet/Rothko à Giverny

Le musée des impressionnismes Giverny regarde du côté de l’art abstrait ce printemps, en faisant dialoguer six oeuvres tardives de Claude Monet, peintes à Giverny ou à Londres, avec six toiles de la maturité de Mark Rothko.
Au milieu des années 1950, la critique américaine, les artistes expressionnistes abstraits et le Museum of Modern Art de New York ont opéré une relecture de l’oeuvre tardif de Monet, mettant en avant son côté précurseur de l’abstraction. Depuis, les expositions confrontant les toiles du père de l’impressionnisme et celles des représentants des courants de l’après Seconde Guerre mondiale se succèdent.

L’exposition de Giverny a ouvert hier et va durer jusqu’au 3 juillet. Le visiteur est plongé d’emblée dans la pénombre, selon les préconisations de Rothko. L’oeil s’adapte à l’éclairage tamisé, c’est donc pupilles dilatées que le spectateur boit la couleur. Rothko est connu pour ses grands formats qui juxtaposent des tons intenses, travaillés, subtils. Il est l’un des principaux représentants de la peinture par champ de couleurs (color field painting). Ses oeuvres invitent à la contemplation patiente ; l’objectif de l’artiste est de susciter l’émotion.

En parallèle et comme en écho, l’exposition présente des toiles de Claude Monet venues de musées proches, Orsay et Marmottan-Monet à Paris, le MuMa au Havre. Le visiteur est invité à constater par lui-même leur parenté avec les chefs-d’oeuvre de Rothko : disparition progressive du motif, surfaces planes et vaporeuses ou au contraire échevelées, mais jouant des accords chromatiques…

Claude Monet, Saule pleureur, 1920-1922, Musée d’Orsay, Paris

En préparant cette exposition, j’ai cherché les points communs biographiques entre les deux artistes, au-delà des ressemblances formelles. En voici quelques-uns :

Monet et Rothko ont en commun un esprit rebelle qui rejette les standards et cherche quelque chose de nouveau.
Les deux artistes ont connu la reconnaissance tardivement, peu avant leurs 50 ans.
En commun, ils ont l’immense succès et la fortune qui s’ensuit.
En commun, la répétition à l’infini d’une formule en variations sur le même thème, inépuisable.
En commun, l’habitude de travailler très longtemps leurs œuvres.
En commun, d’être considérés comme décoratifs alors que ce qu’ils offrent au spectateur est une expérience profonde.
En commun, de s’immerger eux-mêmes entièrement dans la peinture pour oublier, Monet : la guerre de 14-18, Rothko, ses problèmes familiaux, ou peut-être simplement la difficulté de vivre.

Exposition Monet/Rothko, Musée des impressionnismes Giverny, rue Claude Monet, du 18 mars 2022 au 3 juillet 2022

Le regard de Blanche

Blanche Hoschedé-Monet, Le jardin et la maison de Monet à Giverny, l’allée des rosiers.
Non daté, huile sur toile, 72×43 cm. Musée des Augustins, Toulouse (don de Robert Piguet)

On a l’impression de connaître le jardin de Claude Monet par coeur tellement il l’a peint, mais c’est une impression trompeuse. Sa prédilection pour quelques motifs inlassablement répétés nous en donne une image lacunaire. Blanche Hoschedé-Monet, la belle-fille du peintre, en peignant le même jardin, arrive ainsi à nous surprendre et nous ravir, par la beauté plastique de ses toiles autant que par leur valeur documentaire.

Voici par exemple la grande allée telle que la voient et la photographient encore les visiteurs, une vue que Monet ne nous livre que déformée par la cataracte. Finesse des couleurs, vibration de la touche impressionniste, sujet familier : l’élève rend ici un bel hommage au maître.

Blanche ne datait pas ses toiles, il nous faut donc nous livrer à des conjectures. La maison a été agrandie à gauche à sa taille définitive, les épicéas ont disparu de l’allée : on peut supposer que l’oeuvre est peinte après la mort de Monet, quand Blanche reprend les pinceaux et que le chef-jardinier est toujours là pour entretenir le jardin à la façon de Monet. Eclatante beauté de cette grande allée au début de l’automne, alors que la colline (celle du belvédère) a roussi de sécheresse et que la vigne vierge pare de tons rouille les murs de la maison.

Les vagues de capucines lèchent le sable de l’allée, mais derrière elles, les massifs de fleurs très hautes que Monet aimait sont plus difficile à identifier. Des asters ? des anémones du Japon ? des dahlias ?

A l’arrière-plan, les deux ifs qui montent toujours la garde devant la maison ont déjà une taille imposante. Devant eux se dessine la masse plus claire d’un arceau de rosiers grimpants. Le détail le plus curieux, c’est l’arceau interrompu, à gauche. Pourquoi Blanche n’a-t-elle fait qu’ébaucher son départ, sans lui faire enjamber l’allée ? Peint-elle ce qu’elle voit, et dans ce cas que voit-elle ? Un arceau cassé ou un tronc tellement couvert de végétation qu’elle déborde ? Ou bien au contraire l’artiste se permet-elle de prendre des libertés avec le réel, une démarche bien loin de l’impressionnisme ?

La vieille charrière

Rien de tel qu’une envie de faire des photos pour vivre de minuscules aventures à deux pas de chez soi.

Cette petite place triangulaire marquée par de beaux tilleuls taillés se trouve à l’entrée de la route des crêtes. Je suis passée devant des dizaines de fois sans m’arrêter. Mais la brume était belle. C’est ainsi que j’ai découvert que le chemin à droite que je prenais pour une voie privée s’appelait en fait :

La commune de La Roche-Guyon, dominée par un donjon médiéval, a choisi une police de style gothique pour ses noms de rues, on lit tout de même fort bien « Rue de la vieille charrière de Gasny » : une voie assez large pour que les charriots puissent y passer, en direction du bourg voisin de Gasny.

L’entrée de la vieille charrière n’est pas invitante plus qu’il ne faut. Mais dès qu’on fait quelques pas au-delà de la barrière, on comprend pourquoi :

Le chemin a été taillé dans la roche à main d’homme, il y a quelques centaines d’années. Etroit et très pentu, il s’agrémente de chutes de pierres qui jonchent le bord de la voie.
C’est de la craie. Un.e artiste de passage s’en est saisi.e pour nous offrir ce joli portrait.
Le mur de roche aligne ses rangs de silex noir sur un fond de calcaire blanc, si tendre que les graffitis y sont faciles. Jean-François, tu es repéré. Ou John Fitzgerald ? J’ai un doute soudain.
Le chemin descend jusqu’au village de la Roche-Guyon. J’ai envie de voir où il débouche, pour savoir le prendre dans l’autre sens.

A quoi peut bien servir cette petite maison ?

Un panneau informe les passants qu’en 1885, Cézanne a peint La route tournante à La Roche-Guyon. Ce n’est pas celle-ci mais tant pis, celle des voitures est trop passagère pour qu’on y encourage la promenade, sans doute.
Et tout à coup, le château dresse ses ruines grandioses contre le ciel gris perle.

La route des crêtes

La vallée de l’Epte

Entre Gasny et La Roche-Guyon, la route franchit la colline qui sépare la vallée de l’Epte de celle de la Seine. Cette colline s’abaisse à hauteur de Giverny, où se trouve le confluent. Mais avant d’en arriver là, elle s’élève à près d’une centaine de mètres au-dessus des deux rivières, offrant de beaux points de vue sur les vallées voisines. Une route suit le haut de la colline, ce qui lui vaut le nom un peu grandiloquent de route des crêtes.

Quelle que soit la saison, le paysage se déploie avec cette douceur qui a dû séduire autrefois les Vikings. En cette fin d’hiver, la lumière diffuse lui donne des teintes opalescentes.

La vallée de la Seine

C’est une ouate qui invite à la rêverie les yeux ouverts. Rien n’a l’air tout à fait réel, mais d’une poésie calme et tendre qui apaise.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

Catégories