Nouvel éclairage

La fondation Claude Monet a profité de la fermeture hivernale pour repenser l’éclairage des pièces de la maison du peintre. De nouvelles lampes ont fait leur apparition, des spots très discrets sont venus révéler les coins sombres, et un éclairage a été installé à l’intérieur des buffets pour mettre en valeur leur contenu. Une réussite.

De quoi est mort Jean Monet ?

Jean Monet, fils du peintre Claude Monet
Photo collection Géraldine Lefèbvre

Comme toujours, l’état-civil de Giverny est bien discret sur les causes de la mort prématurée de Jean Monet, le fils aîné du peintre, à l’âge de 46 ans, le 9 février 1914. Rien que nous ne sachions déjà grâce aux lettres de Monet qui nous sont parvenues, sinon que ce sont Jean-Pierre Hoschedé et Michel Monet qui sont allés déclarer la mort de leur frère et beau-frère, nous donnant ainsi l’occasion de voir leurs signatures.

Pour Géraldine Lefèbvre, commissaire de l’exposition Léon Monet qui se tient en ce moment à Paris au musée du Luxembourg, l’explication à la mort de Jean est d’une triste simplicité : de 1891 à 1909, Jean a travaillé pendant de longues années comme chimiste dans l’entreprise dirigée par son oncle Léon à Maromme, près de Rouen, une fabrique de colorants pour textiles. Le jeune homme respirait un air chargé de composés volatils des plus toxiques. A cela s’ajoutait la pollution de l’air de la vallée du Cailly, où se concentraient de nombreuses fabriques brûlant des quantités de charbon. Jean Monet serait donc décédé d’avoir été exposé à une pollution aérienne excessive. D’une maladie professionnelle.

Adrienne Blis

Une autre personne semble être morte de la pollution de l’air : la cousine de Jean et Michel, la jeune Adrienne Blis. Quand je dis cousine, je m’avance un peu. Adrienne est la fille d’Aurélie Blis, cuisinière de Léon qui deviendra sa femme et lui donnera une (deuxième ?) fille, Louise, née en 1901. Léon Monet n’a jamais reconnu Adrienne comme sa fille, mais il la considérait comme telle.

La belle Adrienne décède en 1911, le 18 décembre, à l’âge de 25 ans (elle est née le 12 août 1886 au Havre). Léon en est désespéré et ne peut admettre qu’il s’est rendu responsable de cette disparition en faisant vivre sa famille dans un environnement aussi agressif pour les voies respiratoires. Il cherche d’autres causes, et trouve un bouc émissaire en la personne de Jean. Celui-ci, qui a quitté l’entreprise depuis deux ans, aurait transmis sa maladie à Adrienne. On peut imaginer qu’il tousse de façon chronique, en effet. De telles allégations vont sceller la rupture entre Léon et Claude Monet, qui soutient son fils.

Une chose est certaine : l’état de santé de Jean donnait des inquiétudes depuis longtemps déjà. Dès 1890, il est hospitalisé au Havre pour une fluxion de poitrine. Monet se rend à son chevet. En 1892, Jean revient très malade d’un séjour à Bâle au siège de Geigy, dont l’entreprise de son oncle est une filiale. En février 1900, Jean ne peut se libérer pour aller voir Monet à Londres car il est souffrant. En 1901, il fait une série de malaises. En juin 1907, il part avec Blanche faire une cure à Lamalou-les-Bains.

On ne sait pas trop où il a mal, justement. A Lamalou, on traite les rhumatismes et les affections neurologiques. De quoi souffre-t-il ?

De retour de cure, son état de santé continue de se dégrader. La relation avec son oncle aussi, au point qu’en 1909, la rupture est consommée. Jean quitte la chimie et la pollution et part réaliser son rêve : monter un élevage de truites.

Depuis l’enfance, il aime la pêche et les poissons. Il se voit certainement très bien vivre au grand air et au bord de l’eau. Ce sera à Beaumont-le-Roger, au Moulin de la Fontaine.

Mais l’entreprise tourne court. Est-ce la faute de son associé ou la sienne ? Dès 1913, Monet installe Blanche et Jean à Giverny dans une maison qu’il achète au nom de son fils : la villa des Pinsons. Ce n’est pourtant pas là que Jean décède mais dans la maison de son père, dans le premier atelier, où il agonise pendant plusieurs jours sous les yeux impuissants de Monet. Il semble qu’en visite chez son père, il ait été pris d’une attaque qui l’a rendu intransportable. La délivrance, pour douloureuse qu’elle soit, est un soulagement pour Monet « car c’était un vrai martyr ».

Détail de la fiche de matricule militaire de Jean Monet

Mais les mauvaises langues de Giverny, jamais en peine d’une médisance, n’ont pas manqué de proposer une autre explication au décès de Jean Monet. Selon elles il serait mort des suites de la syphilis qu’il aurait contractée lors de son séjour en Suisse.

Cette hypothèse a été recueillie et reprise par le Vernonnais Michel de Decker dans sa biographie Claude Monet (1992, Perrin), ainsi que par Sophie Fourny-Dargère, autrice elle aussi d’un Monet et ancienne conservatrice du musée de Vernon. Dans son ouvrage consacré à Blanche Hoschedé-Monet, catalogue d’une exposition du musée au printemps 1991, elle indique p 23 dans une note :

La tradition orale de Giverny s’accorde sur le fait que Jean Monet aurait contracté, en Suisse, une maladie vénérienne alors qu’il était en mission pour le compte de son oncle. Cette maladie « honteuse » compte pour une bonne part dans le différend qui aboutira à la rupture entre Léon Monet et Jean Monet et par là même avec tout le clan de Giverny. Léon Monet perdra sa fille Adrienne, âgée de 15 ans, en 1911. Ce décès brutal aurait été imputé à la maladie jugée incurable de Jean.

La première édition de la biographie Wildenstein évoque elle-même avec prudence cette hypothèse et les soupçons de contamination par Jean de sa cousine, « à tort ou à raison ». La photo ci-dessous est accompagnée d’une légende peu flatteuse :

Léon Monet, avec, à sa droite, sa fille Adrienne, accueille dans le cercle de famille Jean et sa femme Blanche Hoschedé-Monet. En 1911, le décès d’Adrienne à l’âge de 15 ans, dont on rendra responsable, à tort ou à raison, l’état de santé de Jean Monet atteint de son côté d’un mal incurable, mettra fin à la carrière du pitoyable aide-chimiste que la mort viendra délivrer à Giverny trois ans plus tard.

Catalogue raisonné, Tome 4, p 71. (1985, Bibliothèque des Arts)

Outre l’erreur de 10 ans sur l’âge d’Adrienne, il est inexact de penser que c’est le décès de la jeune femme qui provoque le départ de Jean. Selon les renseignements révélés par l’exposition Léon Monet, Jean a démissionné le 22 avril 1909 de l’entreprise de son oncle.

Si l’on ne peut pas l’exclure formellement, je suis d’avis qu’il n’est pas la peine d’aller chercher des explications aussi scabreuses et pense comme Géraldine Lefèbvre que le contexte industriel de la région rouennaise au tournant du siècle suffit amplement à expliquer des morts prématurées en série.

Mais il n’est pas impossible que Jean Monet ait souffert tout à la fois de problèmes respiratoires et des suites de la syphilis. D’après ce qu’on peut lire sur le net, celle-ci peut entraîner une impuissance (ce qui expliquerait que Jean soit mort sans enfant) et des troubles neurologiques type AVC.

Alors, de quoi Jean Monet est-il mort ? Son père, en annonçant la triste nouvelle à ses correspondants et amis, parle de congestion cérébrale. Ce n’est peut-être qu’un symptôme d’un autre mal, mais si l’on veut éviter de parler au conditionnel, il vaut mieux s’en tenir là.

Les marronniers centenaires

Malgré leur haute taille, ces deux marronniers font partie des végétaux « discrets » des jardins de Monet, de ceux que pas grand monde ne remarque. Ils sont situés le long de la ruelle Leroy, où ils ombragent l’entrée des groupes et celle des visiteurs munis de billets.

Selon les notes et souvenirs de Gilbert Vahé, (le chef-jardinier qui a restauré les jardins, je le rappelle), « un ou deux marronniers se sont maintenus sur les six qui se trouvent le long du mur ouest ». (in Le Jardin de Monet à Giverny, histoire d’une renaissance, éditions Claude Monet Giverny, p 124) Lequel ou lesquels a ou ont été planté.s par Claude Monet ? Il faudrait pouvoir mesurer la taille des troncs, dans cette partie inaccessible au public. Et encore…

Imaginons que ce sont ces deux-là ! Il me plaît à penser que le peintre en avait choisi un fleurissant blanc et l’autre rose, quitte à en mettre deux. C’est plausible : vérification faite, la variété rose existe depuis le début du XIXe siècle.

Dans les glycines

La glycine le 4 mai 2023, toujours aussi vigoureuse que lorsque Monet l’a plantée.

... et la glycine le 9 mai 2023. La partie de gauche plus à l’ombre est en fleurs, les deux glycines à inflorescences longues, plus tardives et plus récemment plantées, commencent à s’épanouir.

Victoire ! Voilà plusieurs années que les glycines recouvrant le pont japonais n’avaient été aussi belles, aussi généreusement fleuries. Un gel tardif avait à chaque fois raison des bourgeons naissants au début du mois d’avril, ruinant la floraison. Si bien que les jardiniers de Giverny ont pris des mesures radicales :

L’hiver dernier, un brumisateur a été installé au-dessus du pont. Dès que la température frôle le zéro, le système se déclenche et vaporise de fines gouttelettes d’eau sur la glycine. Elles gèlent et enrobent les bourgeons d’une gangue de glace qui les protège. Cela paraît contre-intuitif, mais ça marche.

Cette fine couche de glace fond aux premiers rayons du soleil. Début avril, j’ai eu à peine le temps d’apercevoir la glycine gelée.

Voici l’aspect beaucoup moins spectaculaire qu’avaient les glycines le 11 mai 2022, avant l’installation du système de brumisation.

La tulipe en forme de bec

Cette très étrange tulipe intrigue bien des curieux à Giverny, et comme le dit son obtenteur, on a presque du mal à croire que c’en est une. Elle fait partie des tulipes à fleurs de lis, connues pour leurs pétales pointus qui rebiquent vers l’extérieur. Ici, ils sont si étroits qu’on dirait des becs, et c’est peut-être un moyen de retenir le nom de cette variété : ‘Bikkel’.

Tulipes ‘bikkel’ à Giverny

Bikkel veut dire bien des choses en néerlandais, ai-je découvert. C’est d’abord une marque de vélos, quelque part entre bike et bicloune. C’est aussi un nom commun qui désigne un dur à cuire et a possiblement toutes sortes d’autres traductions selon Reverso, au point qu’il n’est pas simple de se faire une idée précise du sens. Mais ni vélo, ni gros costaud n’aident à mémoriser le nom de cette tulipe… J’en reste aux becs !

Faux pistachier

Staphylea pinnata ou staphylier penné à Giverny

Un petit panneau d’identification donne le nom de cet arbuste qui fleurit en ce moment dans les jardins de Monet, tout près de la maison du peintre.

C’est une ancienne variété de Staphylea pinnata, alias faux pistachier. Il ne retient guère l’attention des visiteurs : tout près de là s’étendent les massifs de tulipes roses et de myosotis bleus qui sont le clou du spectacle en haut du clos normand.

Selon Gilbert Vahé, le chef-jardinier qui a restauré les jardins, ce faux pistachier a été planté par Monet. Ce dernier trouvait sans doute sa floraison originale et intrigante, ses feuilles d’un beau vert.

C’est l’arbuste qui se trouve à gauche sur cette photo.

Le Bloc

Claude Monet, Etude de rochers, Creuse (Le Bloc) – 1889, Collections royales de Grande-Bretagne

Aujourd’hui, Charles III et la reine consort Camilla vont avoir bien autre chose en tête que de penser à la peinture et aux immenses collections d’objets d’art des Windsor conservées dans les résidences royales. Mais peut-être ont-ils aperçu ce matin ce tableau peint par Monet en 1889, sans y prêter une attention particulière. Voilà bien longtemps qu’il fait partie des meubles à Clarence house, le home londonien de Charles et Camille. Une photo publiée par Le Guardian nous montre Le Bloc accroché en bonne place dans la Morning Room. Je ne suis pas très au fait des usages dans les maisons qui possèdent des dizaines de pièces, mais peut-être est-ce là que le couple royal prend son breakfast.

La maison était autrefois celle de la reine mère, et toujours selon le quotidien britannique c’est elle qui aurait fait entrer le prestigieux caillou dans sa collection privée en 1945, suite à un achat à la galerie Wildenstein de Paris. L’Etude de rochers, Creuse lui a été vendue pour une (grosse) bouchée de pain : 2000 livres, soit 124 000 euros de 2023. Elle en vaudrait 20 fois plus aujourd’hui, à minima. Queen Mum a fait une bonne affaire, à une époque où le marché de l’art était dans le creux de la vague.

Elle ne pouvait ignorer l’histoire de la toile, bien faite pour toucher une VIP. Le tableau peint en 1889 par Monet lors d’un séjour à Fresselines, dans la Creuse, est resté dix ans chez lui avant qu’il n’en fasse cadeau à son ami Georges Clemenceau. Ce dernier ne s’en est jamais séparé. Selon le catalogue raisonné établi par Wildenstein quelques décennies plus tard, les héritiers de l’homme d’Etat l’ont gardé plusieurs années avant de le mettre en vente. Il n’aurait donc été proposé à l’achat qu’une seule fois.

C’est une oeuvre qui, au premier abord, déroute. Que nous donne-t-elle à voir ? Une pente rocheuse très escarpée, dont la crête se détache sur le ciel. Quelques arbres se devinent à l’arrière-plan, sur la gauche, donnant l’échelle. Rien d’autre.

L’oeil, tel Sisyphe, gravit sans relâche le rocher, redescend, recommence. Il cherche ce qu’il y a à voir. Cet abrupt rocailleux, est-ce donc tout ? Il faudrait arriver tout en haut pour voir s’ouvrir le paysage. Mais Monet ne nous propose pas d’horizon. Ce qu’il recherche, c’est la frontalité.

On ne sait pas à quel moment de sa campagne de peinture à Fresselines Monet s’attelle à ce motif. Sans doute n’est-ce pas le tout premier qu’il choisit, mais plutôt des vues de la vallée et sa rivière : un paysage. Et puis un jour cette muraille dressée qui lui fait face au bord de l’eau s’impose à lui. Il faut qu’il la fasse.

Le site du tableau à Fresselines

Dans ce ravin au confluent de la Grande et de la Petite Creuse, Monet est venu chercher une nature sans âge, dont la sauvagerie lui rappelle Belle-Île. L’absence de recul impose la contre-plongée. Monet peint cet escarpement comme il peint les falaises du pays de Caux depuis la plage, comme il peindra bientôt la cathédrale de Rouen. Le regard rivé sur la pierre aux teintes changeantes, il détaille la muraille minérale qui se dresse devant lui et s’offre à la lumière.

Il se dégage une force tellurique impressionnante de cette étude de rochers. Leur masse paraît surgir d’un profond mouvement de terrain et s’élever vers le ciel. N’est-ce pas ainsi que Monet nous apparaît, tel un roc, s’imposant de toute la force de son caractère ?

Lui-même associera plus tard ce Bloc à son ami Georges Clemenceau, et cela pour des raisons totalement républicaines.

Reprenons la chronologie : au printemps 1889 Monet peint l’Etude de Rochers, Creuse.

En janvier 1891 Clemenceau prononce à la Chambre le célèbre discours « La Révolution française est un bloc ». Il s’oppose à représentation à la Comédie-Française de la pièce de Victorien Sardou, Thermidor, hostile à la période de la Terreur.

En mai 1895 Monet et Clemenceau, qui se sont connus au Quartier latin quand ils étaient jeunes et se rencontrent sans doute épisodiquement, se rapprochent suite à l’article louangeur de Clemenceau à propos de l’exposition des Cathédrales de Monet.

En janvier 1898 Clemenceau plaide dans l’affaire Dreyfus pour défendre Zola. Zola est condamné en mars. Monet suit les débats avec passion dans les journaux.

Le 23 décembre 1899, Clemenceau remercie Monet de son envoi du Bloc. Le tableau devait être accompagné d’une lettre explicative de l’artiste, qui ne nous est pas parvenue. Nous ne saurons donc pas ce qui a vraiment motivé ce don de Monet. C’est peut-être suite à la grâce présidentielle accordée à Dreyfus le 19 septembre 1899 que le peintre a l’idée de l’analogie entre Clemenceau et son tableau peint dix ans plus tôt. Car Clemenceau ne veut pas d’une grâce, mais d’une réhabilitation. Mais Clemenceau tarde à répondre, selon le texte de sa lettre où il explique magnifiquement son embarras :

Paris, 23 décembre 1899

Bien cher ami,

Justement je n’avais pas répondu à votre affectueuse lettre parce que je ne savais que vous dire au sujet de ce merveilleux « Bloc » dont il vous plaît de m’écraser. Vos bonnes paroles étaient pour moi la plus belle récompense, car j’ai pu juger que l’homme était chez vous à hauteur de l’artiste, et ce n’est pas peu dire. Je voulais que vous sachiez combien vous m’avez donné de joie. Je voulais vous embrasser et vous dire une fois de plus que je vous aime. Mais ce diable de « Bloc » était entre nous et me barrait le passage. Je ne pouvais pas refuser par crainte de vous faire de la peine. Je ne pouvais pas accepter parce que c’est un présent de trop haut prix. Et voilà que maintenant, sans ma permission, vous me bombardez de ce monstrueux caillou de lumière. Je demeure stupide et ne sais plus que dire. Vous taillez des morceaux de l’azur pour les jeter à la tête des gens. Il n’y aurait rien de si bête que de vous dire merci. On ne remercie pas le rayon de soleil.

Je vous embrasse de tout mon coeur.

G. Clemenceau

P.S. Je vous prie de présenter mes hommages à Madame Monet. Je me tiens prêt à faire le voyage de Vernon avec Geffroy au jour qu’il désignera.

Peut-être est-ce le même Geffroy qui a dénoué la situation, en pressant Clemenceau d’accepter et de répondre. Le ton de cette lettre est encore formel, bien qu’admiratif. On est loin de la familiarité et du ton enjoué des dernières années.

Le Bloc, ce sera finalement le titre d’un journal entièrement rédigé par Clemenceau de janvier 1901 à mars 1902, date qui voit son retour à la vie politique.

En couronne

Tulipe ‘Crown’

L’anémone de Caen et la coquelourde, ou lychnis, partagent le privilège d’être couronnées : leur nom est suivi de l’épithète coronaria.

Mais voici qu’un tulipe s’est mise sur les rangs du couronnement : la tulipe ‘Crown’. Ses étranges pétales ondulent et lui donnent une allure ourlée très particulière.

Les tulipes ‘Crown’ existent en plusieurs couleurs mais commencent hélas à faner à Giverny. Pas sûr qu’elles tiennent le coup jusqu’au couronnement de samedi prochain.

Couleurs

Giverny, les massifs ouest des jardins de Monet.

Dernière salve de couleurs pour les tulipes, les camassias, les giroflées, les scilles et autres bonheurs du printemps. Bientôt, il faudra attendre l’année prochaine avant de les revoir.

Chez Léon Monet

A droite, Léon Monet et Aurélie Monet, au centre les trois soeurs Billecocq, Thérèse, Marguerite et Geneviève, vers 1905 – Collection Wildenstein Plattner Institute, Paris

Cette photo qui m’intriguait en 2008 a enfin perdu une part de son mystère. Elle est actuellement présentée à l’exposition Léon Monet, et une légende détaille l’identité des cinq personnes de droite.

Aurélie Monet est la deuxième épouse de Léon, celle qui a été sa cuisinière et qui lui a donné deux filles.

Quant à la famille Billecocq, si elle avait tissé des liens avec Claude Monet, ceux noués avec son frère Léon n’ont été pas moins durables.

La fritillaire de Perse

Fritillaire de Perse, variété Adiyaman

Avec leurs intrigantes collections de clochettes, les fritillaires de Perse sont les championnes pour se faire remarquer. Leurs couleurs presque noire et presque blanche leur permettent de s’intégrer aux jardins les plus contemporains. A Giverny, elles dialoguent gentiment avec la multitude de fleurs de toutes sortes qui les entoure. Voici les variétés fritillaria persica ‘Adiyaman’, pourpre sombre, et fritillaria persica ‘Ivory Bells’, ivoire teinté de vert, dont le nom est un peu plus facile à mémoriser.

Fritillaria persica ‘Ivory Bells’ à Giverny

Le sourire de Monet

Avez-vous remarqué ? Sur toutes les images de Claude Monet qui nous sont parvenues, que ce soient des tableaux ou des photos, le peintre affiche une mine sérieuse. Mais un film anglais conservé par British Pathé nous le montre en train de serrer la main de Sacha Guitry, un grand sourire aux lèvres. (1min 44s) La scène est un peu accélérée. Monet, qui fumait, porte rapidement sa cigarette à la bouche pour libérer sa main droite et serrer celle de son ami.

C’est une surprise pour moi, car je croyais que seul le même Sacha Guitry avait eu le privilège de filmer Monet pour son documentaire Ceux de chez nous, dont on voit un court extrait. Le film britannique a été réalisé à l’occasion de la mort de Guitry en 1957 et présente quelques images de sa vie.

Un autre film tourné pour les actualités cinématographiques de l’après Seconde Guerre mondiale nous emmène à Vernon, au moulin de Fourges et à Giverny en 1959. Jean-Pierre Hoschedé fait les honneurs de la maison de Monet aux visiteurs d’Outre-Manche. Ceux-ci nous offrent quelques belles images du jardin, dont un magnifique gros plan de nymphéas. Le film présente aussi un arbre énorme face au pont japonais, un arbre désormais disparu.

Merci à Dugald Stark qui m’a mise sur la piste de ces archives inestimables.

Les bois bleus

Pour que l’enchantement soit parfait, il faudrait des rayons de lumière pétillante et quelques gouttes de rosée. Mais même ainsi, les jacinthes sauvages, en pleine floraison en ce moment, restent irrésistibles. Souplesse, couleur, charmantes bouclettes, elles ont toutes les grâces, mais plutôt que de se la jouer m’as-tu-vu comme leur cousin le Narcisse, elles ont l’esprit collectif et adorent se fondre dans la masse.

Chemin forestier dans les jacinthes

En traversant un bout de forêt en voiture ces jours-ci, il arrive qu’on en aperçoive un tapis qui bleuit le sous-bois. Si vous êtes comme moi, vous ressentez un irrépressible besoin de vous arrêter et d’aller marcher dans cette onde végétale.

Admettons que vous ayez quelques minutes, que vous ayez trouvé un endroit où vous garer en sécurité, que l’accès à la forêt – souvent privée – soit possible. Des milliers et des milliers de jacinthes sauvages se pressent au point de former un tapis bleu, parsemé de-ci de-là des étoiles blanches de quelques anémones sylvestres. Vous faites attention à l’endroit où vous posez les pieds : il y en a jusque dans le chemin.

Rien d’apprêté, de mis en scène. Des branches mortes gisent au sol. On ne nous attendait pas. On fleurissait pour soi et sans l’aide de la main de l’homme.

Ne cessent de m’émerveiller ces spectacles d’un poésie puissante que la nature s’invente. Soudain ils font irruption dans notre quotidien, coucher ou lever de soleil, arc-en-ciel, brume ou reflets sur la mer… Nous restons le souffle coupé, les yeux écarquillés, parcourus d’une joie profonde. Ils nous ont cueillis à l’improviste, nous ne nous y attendions pas.

D’autres fois il faut aller à leur recherche, s’aventurer dans les bois, marcher un peu au creux des vallons. Et avec de la chance, le cadeau était là, un spectacle intime et mystérieux qui nourrit l’âme. Nous avons juste pris le temps de l’attente, de l’espoir, de l’approche, de la rencontre. Le temps d’ouvrir le paquet.

La famille Monet en portraits

Presque tous les portraits qui représentent la famille de Claude Monet se trouvent actuellement rassemblés au musée du Luxembourg à Paris, dans le cadre de l’exposition consacrée au frère de l’artiste, Léon Monet.

Si Claude Monet n’était pas un portraitiste né comme son ami Renoir par exemple, il a tout de même peint presque tous ses proches, parfois à plusieurs reprises.

Claude Monet, Portrait de Léon Monet, 1874, collection particulière

Le tableau qui fait l’affiche de l’exposition représente son frère Léon Monet. Il n’avait jamais été montré. Fruit d’une seule séance de pose, il frappe par sa spontanéité, mais aussi par sa rudesse. Le tour de l’oeil blanc fait une sorte de monocle au visage, tandis que la pommette rouge lui donne un air maladif. Monet aurait été empêché de retoucher la toile, comme il en avait l’intention, par Sisley et Renoir, qui la trouvaient très bien comme ça et craignaient que Monet ne l’abîme en la retravaillant. Je ne suis pas certaine que ses amis aient été de très bon conseil. Peu appréciée de Léon, l’oeuvre pas très flatteuse est resté cachée.

Claude Monet, Portrait dAdolphe Monet, 1865, collection particulière

Et voici le portrait de son papa fait par Claude Monet. Ce père inflexible et dur, dépassé par l’originalité de son fils, qui n’hésitera pas à le laisser crever de faim avec bru et petit-fils, au nom d’une moralité qu’il ne s’appliquera pas à lui-même. A quoi pense-t-il, tandis qu’il se prête à la séance de pose ? Y a-t-il eu des moments où il a encouragé et soutenu l’adolescent, peintre en devenir ? Ont-ils eu, le temps de ce portrait, un semblant de complicité ? En 1865, Monet est de retour d’Algérie, mais il n’a pas encore rencontré Camille.

Quant à la mère de Claude et Léon Monet, elle est hélas disparue trop tôt, en 1857, avant que son fils ne se soit mis sérieusement à la peinture, avant surtout qu’il n’ait eu le temps de la représenter. Il n’existe pas de portrait connu d’elle.

Je ne pouvais pas imaginer que ce serait si beau

Tulipe frangée, giroflées et pensées à Giverny

Quel bonheur, ce jardin de Monet de la fin avril, dans l’éclat de ses tulipes et des fleurettes du printemps ! Silencieuse dans les allées, je tends l’oreille et je surprends cet aveu :

– Je ne pouvais pas imaginer que ce serait si beau.

Ce n’est pas « je n’imaginais pas » : je ne pouvais pas imaginer. La beauté du jardin de Giverny dépasse l’imagination, la met en déroute. On s’attend à quelque chose, un pont, des fleurs… Et on se retrouve soufflé par le spectacle du printemps à Giverny.

J’ai eu un peu de mal à illustrer ces propos dérobés à une visiteuse sous le charme. Aucune photo ne me paraissait à la hauteur, tant il est difficile de donner à voir l’impression générale autant que le détail, l’aspect de l’ensemble et la finesse de la broderie. J’ai finalement opté pour celle-ci en forme de synecdoque, où toute la beauté du jardin me paraît contenue dans une seule tulipe.

La statue d’Ernest Meissonier

La statue d’Ernest Meissonier par Antonin Mercié, 1895 – Parc Meissonier, Poissy

Quatre ans après sa mort en 1891, le peintre académique Ernest Meissonier, qui fut la gloire de la ville de Poissy, a eu droit à sa statue. Juché sur un socle qui le place à plus de trois mètres de hauteur, l’artiste à la barbe de Dieu le Père se tient la tête, le petit doigt posé sur le sourcil.

Pour le réaliser, le sculpteur Antonin Mercié s’est inspiré de l’autoportrait de Meissonier qui le montre dans la même pose pensive. Mais si dans le tableau le peintre a l’air de réfléchir, son effigie de marbre donne plutôt l’image de l’accablement. La palette à la main, Meissonier semble se demander ce qu’il fait là.

Est-ce la débauche de couleurs étalées à ses pieds pour l’honorer qui le plonge dans un tel désarroi ? Ou regrette-t-il quelques-unes de ses prises de position, contre la tour Eiffel, contre les impressionnistes au Salon, contre Monet, qui fut un temps son presque voisin ?

Meissonier fait maintenant face à la route où il regarde défiler les voitures de la modernité. Il tourne le dos au parc qui porte son nom, si bien que pour qui arrive de ce côté, la statue a un aspect assez étrange : on y lit Iena 1806, Friedland 1807, Campagne de France 1814, et la mention du Général Desaix achève de convaincre le promeneur qu’il est face à un monument qui commémore les hauts faits d’un militaire.

Le passant fait alors le tour, et découvre cette attitude avachie rien moins que martiale. Pauvre Meissonier !

Giverny et la biodiversité

Le thème de la biodiversité et du développement durable est de plus en plus au coeur de nos préoccupations, et dans ce domaine les jardins de Monet se doivent d’être exemplaires.

La première action a été de bannir l’emploi de pesticides, avant même la loi Labbé de 2017 qui les interdit dans les jardins ouverts au public. Il a fallu trouver d’autres façons de contrôler les surpopulations temporaires d’insectes comme les altises, qui colonisent les capucines. La solution a été d’installer des brumisateurs, car ces petites bêtes détestent l’eau. De façon générale, l’objectif est d’arriver à un équilibre entre les proies et les prédateurs : assez de proies pour nourrir les prédateurs, assez de prédateurs pour limiter les proies.

Cet équilibre est souvent rompu temporairement, par exemple en raison de conditions météorologiques particulières, et c’est aussi aux visiteurs d’accepter les imperfections qui peuvent en résulter. Tout n’est pas parfait dans le petit paradis de Giverny.

Du côté du jardin d’eau, des poissons de Seine ont été préférés aux carpes koï qu’on pourrait s’attendre à trouver dans un tel jardin. Des petits alevins jusqu’au brochet et aux vieilles carpes, ils participent au nettoyage de l’étang en le débarrassant de larves ou d’algues. Plusieurs espèces d’amphibiens sont également présentes. Ils ne sont pas toujours visibles, mais cet après-midi on entendait très bien les différents croassements des grenouilles.

Si le jardin de fleurs est entouré de murs, le jardin d’eau n’est séparé des prairies voisines que par un grillage. La nature environnante s’invite chez Monet, pour le meilleur et pour le pire.
Tôt le matin, on peut croiser le héron qui vient gober quelques poissons, tandis qu’en fin de journée, les ragondins installés dans les berges du Ru ne se gênent pas pour venir grignoter tout ce qui leur plaît. Ils sont friands de rhizomes de nénuphars, riches en amidon. Un émetteur d’ultra-sons a été mis en place pour les éloigner, et des grillages sont posés sur les pots de nénuphars afin d’éviter que les rongeurs ne viennent y jardiner à leur façon.
Et à toute heure, il n’est pas rare de voir filer une souris ou une musaraigne à travers les allées. Dès que les fleurs se transforment en graines, la nourriture abonde pour elles.
A l’automne, j’ai pu observer par deux fois un écureuil attiré par les faînes du hêtre pourpre. Il a vite disparu à l’arrivée des premiers visiteurs.

Du côté du règne végétal, les plantations de Giverny présentent en elles-mêmes une énorme biodiversité, très attirante pour les pollinisateurs. Le milieu ambiant vient s’y glisser sous forme de primevères sauvages, coquelicots et autres centaurées. Ces jolies fleurs sont les bienvenues, comme au temps de Monet. Le peintre les invitait dans son jardin quand il en appréciait les qualités esthétiques.
Gardait-il, lui aussi, les prêles sur les berges du jardin d’eau ? Les jardiniers ne perdent plus de temps à essayer de les éradiquer, car elles ont des racines immenses impossibles à extraire du sol. Ils ont décidé à leur tour que tout compte fait, la prêle est assez jolie pour se faire une place dans les massifs.

Dans les rues d’Argenteuil

A Argenteuil, Monet s’impose dans l’art urbain ! Il nous regarde du coin de l’oeil depuis l’étage d’un immeuble, une fresque colorée réalisée par l’artiste C215.

Et le revoici au coin de la rue, peignant Camille dans les coquelicots.

Aspidistra

Une potée d’aspidistras

Toujours selon la règle qui veut que l’on prête attention à ce qui nous intéresse, j’ai remarqué cette belle potée d’aspidistras dans un lieu où je ne m’attendais pas à trouver une plante verte : la chapelle de la Sainte Tunique dans la basilique Saint-Denys d’Argenteuil. La plante a l’air de se porter très bien dans la pénombre et la fraîcheur.

La basilique a fêté ses 150 ans en 2016. Elle était achevée depuis cinq ans à l’arrivée des Monet à Argenteuil. Le peintre y est-il jamais entré ? Ce n’était pas un fervent catholique, mais peut-être que Camille y est allée.

Y avait-il déjà des aspidistras dans un coin de la chapelle ? Depuis combien de temps sont-ils là ? Est-ce dans leurs cordes de survivre 150 ans ? Je me pose de drôles de questions sous la fresque où Charlemagne remet solennellement la Sainte Tunique à l’abbaye d’Argenteuil.

A peine sortie de la maison de Monet, j’ai l’impression que le peintre me fait un clin d’oeil. « Tu vois, c’est ça, des aspidistras, comme ceux que je cultivais dans les pots « chinois » qu’on voit dans Coin d’appartement. »

Ceux vus à la basilique sont sans doute des Aspidistra eliator, tandis que je penche pour Aspidistra eliator variegata chez Monet.

Cette année je vais être inspirée en matière de plantes vertes pour la fête des mères…

La maison de Monet à Argenteuil

La ville d’Argenteuil l’appelle « la maison impressionniste ». A quelques pas de la gare et non loin de la Seine, la demeure où Claude Monet, son épouse Camille et leur fils Jean ont séjourné pendant quatre ans, de 1874 à 1878, est désormais ouverte au public ; on peut s’y rendre le mercredi, le samedi et le dimanche après-midi.

La restauration a été menée avec un grand souci du détail et de fond en comble. Monet a habité dans une maison qui venait d’être construite, elle devait avoir cet aspect de neuf qu’on lui voit aujourd’hui.

Maison Monet à Argenteuil, le perron

Comme si on arrivait chez le peintre à la manière de Renoir ou de Manet, on monte les marches du perron et on entre par la porte d’entrée côté rue. Elle donne sur un espace minuscule et sur l’escalier, comme à Giverny.

A droite, l’accueil du musée. Je suis émue : le parquet à chevrons de Coin d’appartement est toujours là ! Et le poêle, est-il d’origine lui aussi ? La cloison paraît avoir été un peu déplacée car on ne retrouve plus l’alignement des pièces tel que Monet l’a peint. Mais de jolis rideaux encadrent le passage vers la véranda, entièrement reconstruite.

Maison de Monet à Argenteuil, la véranda

Le parti pris par l’agence Abaque, spécialiste des « expositions d’interprétation », qui revendique de « créer des expositions ludiques, instructives, excitantes et esthétiques », est un compromis entre l’évocation des pièces de la maison et le centre d’interprétation.
La visite demande la participation active du public. Le visiteur est invité à ouvrir des tiroirs, des portes de placard, à s’asseoir à la coiffeuse ou au bureau. En récompense, des projections de tableaux, des fac-similés de lettre, des explications supplémentaires.
Un choix a été opéré dans la très abondante production de Monet à Argenteuil, 259 tableaux en sept ans. Avant de jeter l’ancre dans l’actuel boulevard Karl-Marx, le peintre a habité pendant trois ans une première maison louée à une certaine Madame Aubry. Ce bâtiment a disparu.

Le visiteur peut donc toucher les meubles comme s’il était chez lui. Un logo lui indique où regarder.
Pour qui vient de Giverny, où chaque objet est une relique, cela paraît incroyable. Il est vrai que la fréquentation n’est pas la même.

La maison de Monet à Argenteuil, vue sur le jardin

150 ans nous séparent du séjour des Monet dans la maison. Que voyaient-ils quand ils regardaient par la fenêtre ? Et que reste-t-il d’inchangé ?

L’escalier sans doute est toujours le même. Mais il existe maintenant aussi un ascenseur.

Evocation du bateau-atelier de Monet dans sa maison d’Argenteuil

Tout en haut, le visiteur peut écouter, regarder et même sentir, car l’odeur du bateau-atelier voguant sur la Seine a été recréée. Bluffant !

Je suis impressionnée par le soin apporté à la muséographie, pour que les visiteurs ne s’ennuient pas et repartent en ayant appris quelque chose. C’est un pari audacieux, en partant d’une coquille vide, les simples murs, et sans aucune oeuvre ou objet à montrer, de rendre la visite intéressante.

Partout, des silhouettes animent les murs. Elles sont signées Stéphanie Miguet.

A l’arrière de la maison, le jardin est moins grand qu’à l’époque de Monet. Malgré ses dimensions réduites, il est très joli.

En ce moment, le lilas à petites feuilles déborde de fleurs. Monet en ferait un tableau, ou même plusieurs.

Alors pourquoi venir à Argenteuil voir la maison impressionniste ? Pour en savoir plus sur le séjour du peintre à Argenteuil, sur la ville elle-même. Pour les raisons qui poussent à chercher le site des tableaux : se rendre compte des lieux, des volumes, de la lumière et des ombres… Et pour tenter de capter, dans un lieu paisible, ce qui peut y rester encore de Monet.

Léon Monet, frère de Claude

C’était hier l’anniversaire de la naissance de Léon Monet, né le 14 avril 1836 à Paris. Le musée du Luxembourg consacre une exposition à ce frère méconnu, mécène de la première heure. C’est ce beau portrait qui ouvre l’expo. J’ai été frappée par la ressemblance avec le jeune Claude Monet, au point de me demander si c’était vraiment la photo de Léon. Regardez :

Voici Claude Monet photographié par Carjat,

… et voici Léon Monet. Ces deux-là, ils ne peuvent pas nier qu’ils sont frères.

Coin d’appartement

Claude Monet, Coin d’appartement, 1875, musée d’Orsay (W365)
Exposé au musée des impressionnismes Giverny jusqu’au 2 juillet 2023

Que peindre aujourd’hui ? L’oeil de Monet, toujours aux aguets, s’est arrêté sur un intéressant contre-jour : celui que dessine la lampe à pétrole dans le cadre de la fenêtre. Au sol, le reflet de la lumière luit comme la coulée bleue d’une rivière sur le parquet ciré en point de Hongrie. Intéressant à peindre aussi, ce contraste entre le premier plan bien éclairé et le clair-obscur qui règne à l’intérieur de l’appartement. La couleur contre l’ombre.

C’est la morne saison, les potées qui décorent le jardin pendant l’été ont été mises à l’abri du gel dans la maison. A en juger par leur décalage, on peut les croire posées sur les marches d’un escalier. En réalité, celles du premier plan sont sans doute placées sur des supports, de façon à renforcer leur aspect de petits arbres en trichant sur leur taille.

Pierre-Auguste Renoir, Claude Monet, 1875, musée d’Orsay.
Actuellement présenté à l’exposition ‘Léon Monet’ au musée du Luxembourg.

Un tableau de Renoir daté de la même année nous montre Monet et ce qui se trouve derrière lui. Le peintre porte curieusement un chapeau dans sa maison, comme dans un autre portrait de Monet par Renoir, Monet lisant.
Les plantes sont remisées dans une pièce lumineuse, peut-être un jardin d’hiver. Wildenstein parle d’une véranda. La lumière qui frappe le visage de Monet par la droite indique une fenêtre de ce côté également. Monet peint-il vraiment, ou fait-il semblant ? Si nous imaginons qu’il peint, nous avons la sensation étrange que Renoir est caché derrière le rideau du Coin d’appartement et que nous assistons à la scène, au moment même où Monet exécute le tableau. En réalité, la position du rideau et de l’arbrisseau ne correspondent pas. Monet se tient plus en retrait pour peindre le Coin d’appartement.

Claude Monet, Camille au métier, 1875 (W366), The Barnes Foundation, Philadelphia

La toile cataloguée juste après le Coin d’appartement est comme celle de Renoir peinte en direction de la véranda et nous montre Camille penchée sur son métier à broder, dans un chromatisme époustouflant.

Coin d’appartement, détail

Monet s’est donc installé là, dans la véranda, saisi par l’angle original qui s’offrait à lui quand il regardait vers le hall. Un tableau. A condition de peindre au format portrait pour obtenir le troublant effet de lumière traversante. Le format paysage, trop stable, ne convient pas.

Mais il lui faut des figures pour lutter contre le sentiment de vide d’un intérieur désert. Est-ce un jeudi ? Une période de vacances scolaires ? Toute la famille est requise pour l’entreprise de peindre.

Monet a placé très précisément son fils à l’endroit adéquat, légèrement décalé vers la droite pour ne pas perturber le reflet, pour ne pas être aligné avec la lampe. Mets-toi là et reste tranquille. Jean a sept ans. Il obéit.

Camille, qui préfère sans doute rester assise, équilibre la composition sur la gauche. Voilà des années qu’elle-même pose pour son époux. Elle aime se trouver avec lui, immobile, pendant qu’il travaille.

La brosse de Monet restitue la netteté avec laquelle l’oeil voit ce qui est proche et le flou des lointains. Camille est à peine esquissée alors que les plantes du premier plan sont représentées avec précision. Et entre les deux, le regard du petit Jean, sérieux, posé sur son père en train de le peindre. Car bien sûr, ce n’est pas le spectateur du tableau qu’il regarde. Il fixe ses yeux sur son papa.

A quoi pense-t-on à sept ans quand on doit rester immobile, les mains dans les poches, pendant des dizaines de minutes ? Monet est un taciturne, je ne crois pas qu’il lui parle. L’enfant sent le regard de son père posé sur lui, il se sait le centre de son attention, et cela lui suffit pour lutter contre l’ennui. Monet lui a donné une expression rêveuse mais pas boudeuse. Le petit Jean se tient à mi-distance entre son père et sa mère. Il est fils unique, habitué à jouer tout seul. Il le restera encore pendant quatre ans, jusqu’à la naissance de son frère Michel et l’arrivée dans leur vie de la tribu Hoschedé. Une autre époque.

Quant au titre, Coin d’appartement, on ne sait qui l’a donné au tableau. Il m’évoque une autre toile de Monet conservée au musée d’Orsay, Coin d’atelier. Les peintres du XIXe siècle ont souvent représenté le lieu où ils travaillaient, peignant tout simplement la pièce qu’ils avaient autour d’eux. Monet fait de même en brossant cet aspect de son domicile. Pas de bohème ici. Le peintre peut être fier de son logement. Il habite dans une maison neuve d’Argenteuil, meublée de façon bourgeoise, avec tentures et chandelier dont il restitue les teintes chatoyantes.

Après une vente aux enchères ratée où Monet doit racheter son tableau, c’est son ami Gustave Caillebotte qui en fait l’acquisition. La toile se retrouve ainsi dans le legs impressionniste fait par Caillebotte à l’Etat français, au coeur des collections de l’actuel musée d’Orsay.

Claude Monet, La Maison de l’artiste à Argenteuil, 1873. The Art Institute, Chicago

Enfin, je sollicite votre aide, chers amateurs de plantes vertes. Quelles sont celles que Monet fait pousser ? Je bute sur leur identification. Quels sont ces arbres grêles, comment s’appellent ces feuilles panachées trop souples pour être des sansevierias ? Sur le tableau qui fait l’affiche de l’exposition du MDIG  » Les Enfants de l’impressionnisme « , la floraison blanche me fait penser à des anthémis, mais les feuilles ne correspondent pas. Si vous avez une idée, merci de nous la partager !

P.S. Je découvre en recherchant Argenteuil dans le blog que j’ai déjà commenté, plus brièvement, les tableaux W365 et W366 en 2007. Je n’en avais aucun souvenir… C’est ici.

Du muscari au mascara

Muscaris et pensées à Giverny

Ils sont si petits qu’on les plante toujours en nombre et qu’on les désigne au pluriel, et pourtant leur nom existe bel et bien au singulier : le muscari se plaît à fleurir en bleu le début du printemps.

Pas toujours facile de retenir le nom des fleurs ! Ma collègue Miranda m’a soufflé une astuce qu’elle veut bien partager : la fleur du muscari, dit-elle, ressemble à une petite brosse à mascara, un mot très voisin. Cet aide-mémoire ne parlera sans doute guère aux messieurs, mais il a une chance de faire sourire les dames, même s’il est légèrement tiré par les cils.

Monet à la Villa Saint-Louis

La maison où vécurent Claude Monet, Alice Hoschedé et leurs enfants à Poissy est visible depuis le train quand on circule de Paris à Giverny. Elle s’élève au bord de la Seine, tout au bout du cours du 14-juillet.

Sur place, on peut prendre le temps de lire l’hommage de la ville de Poissy à Monet.

On peut descendre au bord de l’eau dont Monet a su si bien capter la teinte glauque, goûter la sérénité de l’endroit, s’étonner qu’une inondation ait pu monter jusqu’au rez-de-chaussée de la maison.

On peut apprécier l’alignement remarquable des tilleuls du cours du 14-juillet, dignes descendants de ceux immortalisés par Monet depuis sa fenêtre.

Et c’est à peu près tout. La villa Saint-Louis reste mystérieuse derrière son portail clos.

L’internet est plus indiscret. La maison est passée en vente en juin 2021. On apprend qu’elle possède 10 pièces, totalise 330 m2 et dispose d’un vaste jardin. Quelques photos permettent de se faire une idée des pièces à vivre et de la façade côté parc.

Les Hoschedé-Monet occupaient-ils la totalité de la maison ? J’ai retrouvé sur le site des archives départementales des Yvelines le recensement de 1881 qui les concerne :

Alice se déclare journaliste !!! Est-ce la mécompréhension de l’agent recenseur ? Ernest, l’époux d’Alice, travaille comme journaliste à cette époque. Ou bien Alice a-t-elle réellement publié quelque chose ? Si oui, sous son nom ou sous un pseudo, comme c’était courant, en particulier pour les femmes ? Ou veut-elle poser en femme indépendante, puisqu’elle ne peut plus se dire rentière ? Elle est notée comme chef de famille. Le document prend acte qu’Ernest ne vit pas avec elle.

Le recensement révèle qu’Alice emploie deux domestiques, Marie Cognard et Jeanne Mihoras, toutes deux âgées de 22 ans. « Sa bonne », précise deux fois l’agent recenseur, c’est-à-dire qu’il ne précise rien du tout des tâches qui leur étaient dévolues en tant que bonnes à tout faire. Mais ce sont clairement les employées d’Alice et non de Monet.

Viennent ensuite les noms de Monet Claude, peintre, chef de famille, et ses deux fils Jean et Michel. Enfin, logés sous le même toit, vivent encore deux couples, qui semblent n’avoir rien à faire avec les Hoschedé-Monet : les Baudu, dont monsieur est employé aux bains publics, et les Cassier, qui gagnent leur vie en tant que journalier et journalière. Cela porte à 16 les occupants de l’immeuble.

Et voici, grâce au site cartorum, le quai le long de la Seine et la villa Saint-Louis au fond, au début du XXe siècle.

Giverny au soleil

C’est officiel, il est de retour pour faire éclater de couleurs les giroflées rouges…
… et les giroflées jaunes.
Le vent qui brouillait la surface est tombé,
et le ciel a remis du bleu dans les reflets derrière les spirées blanches.
Le ru, très haut, se faufile dans le vert.
Et le jardin de fleurs s’éveille au printemps sous la garde impassible des deux ifs qui ne comptent plus les leurs.
Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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