Monet inconnu
Deux bons kilos : c’est le poids du volumineux catalogue de l’exposition « Unknown Monet » qui se tient depuis le 17 mars à la Royal Academy of Arts de Londres, jusqu’au 10 juin 2007. Deux semaines plus tard, l’expo aura traversé l’Atlantique et se poursuivra au Sterling and Francine Clark Art Institute de Williamstown, dans le Massachusetts.
Si le catalogue est une somme, c’est que les auteurs ont eu accès à des archives inexploitées jusque là, et qu’ils ont beaucoup à dire de nouveau. Cette expo, aboutissement d’un travail méticuleux, ne ressemble à aucune autre organisée par le passé autour de l’oeuvre de Monet. Pas d’accumulation de chefs-d’oeuvre ici, de juxtaposition de toiles similaires, de séries entières éphémèrement reconstituées. Rien de déjà vu : cette fois, on révèle un Monet inconnu.
Le titre de l’exposition n’est pas usurpé. Elle est consacrée à tout un pan méconnu de l’oeuvre de Claude Monet, les productions qui ne sont pas des huiles sur toile.
Depuis un siècle, un voile de silence pesait sur cette production du Monet dessinateur. Si ses premières expos comportaient des pastels, le peintre s’est ensuite bien gardé de les mettre en avant, pas plus qu’il ne faisait allusion à ses oeuvres exécutées rapidement, souvent des études préparatoires pour des projets plus importants. Monet voulait entretenir l’idée qu’en impressionnisme, c’est la couleur qui prend le pas sur le dessin.
Au moins 500 oeuvres auraient été victimes de ce passage à la trappe. Exhumés des oubliettes, on découvre aujourd’hui avec bonheur des pastels aux couleurs stridentes, un admirable portrait de femme qui bat en brèche l’allégation selon laquelle Monet ne savait pas dessiner les visages, et de pleins carnets de croquis du tout jeune Monet, dont le talent s’affirmait déjà à seize ans.
On ne s’imagine pas le travail colossal qu’il a fallu pour réunir tous ces pastels, fusains, sanguines et autres dessins au crayon. Presque tous sont dans des collections privées, très peu documentés, et cela a été un véritable jeu de piste de retrouver leur trace. La liste interminable des personnes remerciées parce qu’elles ont permis de conduire aux collectionneurs qui possédaient des Monet sur papier en donne une petite idée.
Le pont japonais
Le Bassin aux Nympheas, Claude Monet 1899, 90×90 cm, Art Museum, Princeton University, Princeton, New Jersey
Le jardin d’eau de Claude Monet à Giverny est orné d’un petit pont de bois qui enjambe l’extrémité du bassin, là où l’étang redevient un ruisseau prêt à se jeter dans le Ru.
La forme arquée de cette passerelle et de son garde-corps lui ont valu le nom de pont japonais. Bien qu’il ne soit jamais allé au Japon, Monet, comme nombre de ses contemporains, était fasciné par le pays du soleil levant. Son importante collection d’estampes japonaises, le décor japonisant de son service de table, le style bambou de certains de ses meubles en témoignent.
Des ponts figurent sur plusieurs estampes possédées par Monet, et il est probable que c’est là qu’il a puisé son inspiration au moment de créer son jardin d’eau. Peu soucieux d’une fidélité absolue au modèle, Monet l’a fait peindre en vert – dans un vrai jardin japonais, le pont aurait été rouge.
Monet débute en 1893 la création de son bassin, et fait d’abord construire un pont simple, sans tonnelle. Dix ans plus tard, il ajoute un support pour deux glycines dont les floraisons se succèdent, l’une mauve, l’autre blanche.
Principal élément architectural du jardin d’eau (agrémenté par ailleurs de cinq passerelles beaucoup plus petites) le pont japonais constitue le sujet de 47 tableaux de Monet. Il figure pour la première fois dans une oeuvre de janvier 1895, dix-huit mois après l’arrêté préfectoral du 24 juillet 1893 autorisant sa construction.
Mais c’est surtout en 1899 que Monet en tire des chefs-d’oeuvre, comme cette toile conservée au musée de l’université de Princeton, New Jersey.
Monet s’est placé au bord du chemin venant du clos fleuri. Le bassin apparaît beaucoup plus petit qu’aujourd’hui : le peintre l’a fait agrandir l’année suivante, en 1900, après avoir acheté une nouvelle parcelle de terrain.
Après la mort de Monet, le pont japonais comme le reste du jardin a souffert du manque d’entretien. Quand la restauration de la propriété a été entreprise cinquante ans plus tard, le pont n’était plus réparable. Une réplique exacte a été construite en bois de hêtre, essence courante dans les forêts de l’est de l’Eure.
C’est mignon quand c’est petit
Avez-vous remarqué ces incroyables miniatures de feuilles qui naissent ces temps-ci ? Les bourgeons éclatent en milliards de bouchons de champagne, le bruit en moins. A l’intérieur étaient cachés des modèles réduits super bien imités, tout le portrait de la version adulte en minuscule.
Les feuilles du noisetier ont déjà toutes leurs nervures, toutes leurs dents. Celles de l’érable rebiquent gracieusement leurs pointes, comme les doigts des danseuses indiennes. Chez les marronniers, les jeunes feuilles pendent au bout des rameaux, on dirait des chauves-souris vertes. Toutes petites elles sont déjà grandes, ce sont les éléphants du règne végétal.
Le vert tendre est le point commun des jeunes pousses. Il leur donne à toutes un air d’innocence, même aux feuilles de houx, adorables avec leurs tout petits piquants mous et inoffensifs. C’est attendrissant comme un bébé hérisson. Jusqu’aux orties qui pointent et se laissent cuisiner en potage, petite revanche par anticipation du jardinier.
Prémisses de printemps. Pour être convaincue que la belle saison a commencé, j’attends encore un signe : que les centaines de tilleuls qui bordent les avenues de Vernon se parent de vert, comme le veut la devise de la ville. Pour l’instant, pas une feuillette à l’horizon.
Semper viret
Il en va des devises comme des promesses électorales : c’est joli à entendre. Vernon semper viret, proclame celle de Vernon, Vernon toujours vert ! Gloire au micro-climat de la vallée de la Seine, aux hivers et aux étés tempérés qui ne font pas roussir les prés !
A l’époque où le latin n’avait pas de secret pour les gens instruits, des esprits facétieux ont fait de cette devise un jeu de mots : Ver non semper viret, Vernon semper viret. Le printemps (ver) n’est pas toujours vert, Vernon est toujours vert.
La contradiction n’a pas choqué ces latinistes distingués. En admettant que le printemps ne soit pas toujours vert, qu’il neige en avril par exemple, cette vérité générale doit s’appliquer à Vernon, comme dans tout syllogisme qui se respecte. Passons.
On ne parle plus le latin, mais c’est bien la seule chose qui ait changé : on baissera les impôts, on réduira la dette, on limitera les gaz à effet de serre, on désenclavera les départements sans autoroute, on donnera plus de moyens à l’hôpital, on bouchera le trou de la sécu… Il fait bon y croire pendant quelques semaines. Pourquoi pas ? Le printemps est vert.
Le beffroi d’Evreux
Un beffroi en Normandie, c’est loin d’être aussi courant qu’en Picardie ou dans le Nord. Celui d’Evreux serait même l’un des deux seuls de la région, avec celui plus modeste des Andelys.
Le beffroi d’Evreux avait une double fonction, permettre le guet et donner l’heure, grâce à l’horloge et à une grosse cloche. La cloche est toujours en place, plus ancienne encore que la tour ! Elle date du Carême de 1406, la Louyse a donc tout juste 601 ans.
Le beffroi est la dernière d’une série de plusieurs tours de remparts érigées puis démolies à cet emplacement. Il s’élève en bordure de l’Iton, face à l’Hôtel de Ville.
Le beffroi tel que nous le voyons aujourd’hui date de 1490. Il a été construit grâce aux subsides du roi, c’est pourquoi la sculpture qui orne le tympan représente deux anges soutenant les armes de France.
Le plan carré assez massif de la partie basse de la tour s’allège au deuxième étage en évoluant vers un plan octogonal. La tour est flanquée d’une fine tourelle d’escalier et couronnée d’une balustrade flamboyante. Une élégante flèche en bois recouvert de plomb coiffe le beffroi. Une restauration toute récente a restitué à la flèche ses parties dorées qui brillent dans le soleil comme à la Renaissance.
Les Ebroïciens aiment tant leur beffroi qu’ils l’ont choisi au 18e siècle pour porter le numéro un quand ils ont décidé de numéroter les maisons dans les rues. Pour ceux qui aiment les chiffres, la tour mesure 43,90 m de haut. Le beffroi est tout ce qu’il reste des fortifications médiévales de la ville.
Vidéo des jardins de Monet
Voici mon lieu de travail… Le temps est réellement printanier depuis l’ouverture dimanche dernier. Douceur et ciel bleu, les oiseaux chantent, les jacinthes embaument et les narcisses se balancent dans le vent…
Quel bonheur d’être guide, de faire partager ma passion pour Claude Monet !
Les bretelles de Cézanne
Paul Cézanne a séjourné à Giverny en 1894. Le registre de l’hôtel Baudy garde trace de son passage : M. Cézanne P., 57 ans, Aix, 7-30 novembre 1894.
Le « Registre pour inscrire les voyageurs » de l’auberge givernoise est conservé aujourd’hui au Museum of Art de Philadelphie aux Etats-Unis.
La mention laconique du registre ne livre aucune information sur les occupations de Cézanne pendant ses trois semaines dans le village de Claude Monet. En revanche, un autre document se montre beaucoup plus bavard : c’est la facture qu’Angelina Baudy a présentée au peintre aixois à son départ. Cette note d’hôtel est exposée actuellement au Musée d’Art Américain de Giverny.
Sous le titre « Monsieur Cézanne doit : » calligraphié en gros caractères, figure la liste exhaustive de ses dépenses qui s’ajoutent au prix de la chambre, une pleine page écrite tout petit et bourrée d’abréviations.
C’est tout à fait fascinant. La note commence par 3 whiskys, et déjà on imagine Cézanne devant son verre. A-t-il offert leur consommation à d’autres peintres ? A-t-il bu ses trois whiskys tout seul ? Et puis, du whisky, ce n’est pas banal au pays de l’alcool de pomme ou de prune. C’est une des nombreuses attentions de la patronne de l’hôtel Baudy, qui faisait venir tout ce que lui réclamaient ses pensionnaires américains en proie au mal du pays, et confectionnait les puddings et les plats de haricots qu’ils aimaient.
La note de Cézanne fait état de l’achat de matériel de peinture, qu’on pouvait aussi se procurer à l’hôtel Baudy. Cézanne a peint plusieurs toiles à Giverny. L’histoire raconte qu’il les a laissées sur place en partant. Etait-il insatisfait de son travail ? Madame Baudy les lui a aimablement expédiées en Provence, de son propre chef. Des Cézanne…
Penchée au-dessus de la vitrine où est exposé le compte de Cézanne, ma voisine s’est montrée plus habile que moi à déchiffrer les pattes de mouche à l’encre brune de la patronne de l’hôtel. Elle m’en fait lecture à voix haute, des petits-déjeuners, une bouteille de sicatif brisée et remplacée, des bougies, et puis :
– Une paire de bretelles ! dit-elle. On va tout savoir !
On va tout savoir… Ce détail trivial nous renvoyait au visage notre indiscrétion. Etions-nous en train de regarder par le trou de la serrure ?
Brusquement, nous nous sommes senties comme des lectrices de la presse people. Sous prétexte que Cézanne est un des plus grands peintres de l’art moderne, « notre père à tous » selon Picasso, les détails de sa vie quotidienne piquaient notre curiosité.
Est-ce légitime ? Ou simplement un réflexe humain d’aimer découvrir derrière le grand homme, l’être comme vous et moi ?
L’usure des bretelles de Cézanne, la sollicitude de Madame Baudy qui lui en a procuré une nouvelle paire, font-elles avancer la compréhension de l’histoire de l’art ?
J’ai envie de faire une réponse de Normande. On est très loin de l’analyse picturale, c’est évident. Et en même temps…
Si la colonie de Giverny s’est montrée si florissante, attirant 350 artistes en trente ans, cela est dû en partie à l’attention maternelle qu’Angelina Baudy a portée à ses pensionnaires, qui se sont trouvés comme des coqs en pâte chez elle.
Il n’est pas indifférent de savoir que Cézanne a eu un matin des problèmes pour soutenir son pantalon. Car l’art n’est pas quelque chose de désincarné, il est en prise directe avec la nature humaine.
A force de voir les tableaux en reproduction (et c’est fabuleux qu’aujourd’hui cela soit si facile) on en oublierait qu’ils sont faits de matière, qu’ils sont l’aboutissement d’un travail, de longs efforts, d’une tension. Qu’ils sont l’expression de la recherche d’un artiste d’aller au-delà de sa condition d’homme, tout en restant, toujours, un homme.
Les musées de Giverny sont ouverts !
Ouverture discrète à la Fondation Monet, ambiance de fête au Musée d’Art Américain : aujourd’hui premier avril, les deux musées de Giverny viennent de rouvrir. C’est parti pour sept mois jusqu’à la Toussaint.
Dans les jardins de Claude Monet, le printemps est bel et bien là, sous les cerisiers du Japon couverts de mousse rose. Les carrés de pelouses connaissent leur heure de gloire, tout piqués de narcisses et de jonquilles qui leur donnent un petit air hollandais.
Dans les plates-bandes, les jacinthes embaument, tandis que les petites pensées de toutes les couleurs secouent la tête.
Du côté du jardin d’eau, le démarrage est plus timide. Au-dessus du pont japonais, la glycine est encore en bourgeons. Mais les saules toujours pressés balancent déjà leurs longs rameaux couverts de feuilles vert tendre. L’étang reflète des silhouettes graphiques d’arbres encore dénudés. Il fait bon flâner le long des allées dans la tiédeur d’avril.
A cent mètres de là, le Musée d’Art Américain fête ses quinze ans d’existence par une exposition exceptionnelle, dont le vernissage a attiré beaucoup de monde aujourd’hui.
Il a fallu trois années de travail pour mettre sur pied cette expo, mais cela en valait la peine. C’est peu de dire qu’elle tient ses promesses : c’est encore plus beau que ce qu’on pouvait rêver, une fête pour les yeux ! On voudrait pouvoir garder tous ces tableaux à Giverny, et on regrette déjà que l’expo parte aux Etats-Unis le 1er juillet. Dépêchez-vous !
Toutes les vagues de peintres qui se sont succédé à Giverny pendant 30 ans sont représentées par des oeuvres majeures, un pur régal. On distingue bien l’évolution de leurs tendances et de leurs styles, des premiers paysagistes attachés à représenter la vie paysanne au groupe qui se constitue autour des MacMonnies, préoccupés de figures et d’un monde plus bourgeois, pour finir par les peintres post-impressionnistes influencés par les Fauves et les Nabis.
Monet n’est pas oublié : trois de ses toiles, superbes, sont exposées, un champ de coquelicots, une matinée sur la Seine, et un pré avec des meulettes. Je vous en reparlerai, auparavant j’ai envie de retourner les voir en semaine quand il y aura moins de monde.
Palais de Justice de Rouen
Le Palais de Justice de Rouen est une pure merveille de la fin du Moyen-Âge et de la Renaissance, dans le style plus flamboyant que moi tu meurs. Il subit actuellement une rénovation qui devrait nous le rendre tout pimpant d’ici deux ans. Si vous êtes de passage à Rouen, consolez-vous de la vision des échafaudages en osant entrer à l’intérieur. C’est un lieu public : l’accès est gratuit.
Je voudrais saluer l’extrême amabilité des deux fonctionnaires de police dévolus à la garde des lieux hier, qui se sont improvisés guides pour répondre à mes questions avec compétence.
En entrant dans la cour du Palais de Justice, la salle des Procureurs se trouve sur votre gauche en haut de l’escalier. C’est la partie la plus ancienne du bâtiment, achevée en 1500 tout rond.
Cette salle immense est couverte d’une magnifique voûte en bois, qui était à l’origine faite en planches de tonneaux de récupération. C’était un matériau dont on disposait à profusion dans le port de Rouen, à une époque où toutes les marchandises étaient conditionnées en barriques afin de faciliter le chargement / déchargement et garantir l’étanchéité pendant la navigation.
La salle avait à l’origine une double fonction : elle servait de marché couvert tout autant que de salle d’audience. Cette promiscuité gênait les hommes de loi mais elle permettait de couvrir les frais du bâtiment.
Une plaque rappelle que Corneille a plaidé ici-même.
Des portes latérales conduisent vers les chambres des requêtes et vers la Cour d’Assises, au plafond à caisson polychrome, couvert de près de cinquante kilos d’or. Malheureusement la salle de la Cour d’Assises n’est accessible que pendant les audiences publiques.
Giverny impressionniste : une colonie d’artistes
Claude Monet n’a pas été le seul peintre à poser son chevalet à Giverny. Deux ou trois ans à peine après son installation en 1883, d’autres artistes, majoritairement américains, ont découvert le village et choisi d’y travailler pendant l’été.
La colonie a rapidement pris de l’ampleur. Elle a perduré jusqu’à la première Guerre Mondiale, pendant près de trente ans.
A partir de dimanche prochain jusqu’au premier juillet, on pourra découvrir le travail de tous ces peintres au musée d’art américain de Giverny. Le MAAG fête cette année son quinzième anniversaire et propose à cette occasion une exposition évènement intitulée « Giverny impressionniste : une colonie d’artistes, 1885 – 1915 ».
Le visuel de l’expo ci-dessus reprend une Meule de John Leslie Breck Etude d’un Jour d’automne n°7, 1891. Breck est un des rares peintres américains à avoir noué des liens d’amitié avec Monet, qui l’a fortement inspiré.
L’expo présente plus de 90 oeuvres, la plupart de peintres américains, mais aussi canadien, anglais, finlandais, tchèque… au total 39 artistes de 8 nationalités qui ont fréquenté Giverny. Leurs noms sont peu connus du public français, mais ils jouissent d’une grande notoriété dans leur pays.
J’ai hâte d’être à dimanche pour voir tous ces tableaux, toutes ces touches impressionnistes différentes inspirées par les paysages d’ici. Mais pour être tout à fait sincère, ce qui me réjouit le plus, c’est de savoir que Claude Monet, Blanche-Hoschedé Monet et Pierre Bonnard figurent aussi au catalogue de cette exposition. Le magnifique « Champ de coquelicots à Giverny » de Monet arrive de Chicago…
Comme un bonheur n’arrive jamais seul, l’entrée au MAAG sera gratuite le 1er avril, puisqu’on sera le premier dimanche du mois. Et en plus, il y aura à 16h une conférence de William Gerdts, auteur d’un de mes livres de chevet, le passionnant Giverny, une colonie impressionniste.
Ce sera bien entendu aussi l’ouverture de la maison et des jardins de Monet, à 100 mètres du MAAG dans la même rue, et une vraie fête de découvrir ce que les magiciens de la Fondation Monet auront concocté comme parure de printemps au jardin. Vivement dimanche !
Suzanne et Blanche Hoschedé
Blanche Hoschedé a 22 ans quand son beau-père Claude Monet la représente occupée à peindre à ses côtés dans les marais de Giverny. (Dans le marais de Giverny, Suzanne lisant et Blanche peignant, par Claude Monet, 1887, Los Angeles County Museum of Art)
Des quatre filles d’Alice, Blanche est la seule qui s’adonne, avec talent d’ailleurs, à la peinture. En cette fin de 19e siècle, c’est un passe-temps bien vu pour les jeunes filles de bonne famille, qui sont encouragées à dessiner et faire de l’aquarelle tout autant qu’à jouer du piano ou chanter.
Blanche préfère l’huile sur toile, comme Monet. Elle voue une admiration sans borne au peintre qu’elle accompagne fréquemment sur le motif. On retrouve dans l’oeuvre de Blanche de nombreuses toiles représentant les mêmes sujets que Monet, peints sans doute les mêmes jours. Quelquefois, la similitude de facture est frappante, au point que même des spécialistes de Monet épiloguent sur la paternité des oeuvres non signées.
C’est l’été : jupe blanche et corsage bleu, un petit chapeau de paille sur la tête, la silhouette claire de Blanche tranche sur le fond de verdure. L’arrière-plan est traité en bandes parallèles horizontales, vert de l’herbe dans laquelle Suzanne est assise, beige-rosé des roseaux, vert acide des buissons, feuillage des peupliers masquant à demi le ciel. Les troncs des arbres recoupent ces bandes horizontales en minces lignes presque verticales.
A l’intérieur du rectangle de la toile, les silhouettes des deux soeurs créent un autre rectangle, plus petit. Il attire l’oeil vers le centre de l’oeuvre, vers le chevalet sur lequel est posé le tableau que Blanche est en train de peindre.
Nous ne le voyons pas, pas plus que nous ne voyons ce que Blanche regarde sur la gauche de la toile de Monet, hors champ. Nous ne croisons pas non plus le regard de Suzanne plongée dans son livre. Les trois protagonistes sont absorbés par leur tâche ou feignent de l’être, donnant l’image d’un après-midi de calme loisir. Mais les deux jeunes filles savent qu’elles posent, et que leur rôle de modèle est peut-être le plus important de tous.
La châsse de Saint-Taurin
L’église Saint-Taurin d’Evreux possède un joyau unique : un magnifique reliquaire tout couvert d’or et d’argent, de pierres précieuses et d’émaux, auquel sa forme d’église vaut le nom de châsse.
Ce chef-d’oeuvre de l’orfèvrerie du Moyen-Age a été ciselé à l’époque de Saint-Louis, en 1253. Il contient les restes pieusement conservés de Saint-Taurin, le premier évêque d’Evreux. il aurait vécu au 4e siècle et serait l’auteur, d’après la légende, de nombreux miracles.
C’est un moment de pure émotion de découvrir cette merveille, bien mise en scène au milieu d’une chapelle entièrement vide, à laquelle on accède en poussant une lourde porte. Le reliquaire, d’une beauté saisissante, semble rayonner sous l’oeil de la vidéo surveillance.
L’objet est de taille imposante, peut-être un mètre de large et autant de haut. Sur les toits, un bas relief en métal repoussé raconte l’enfance du Saint, tandis que des scènes de sa vie publique sont représentées sur les côtés.
L’âme de la châsse est en chêne recouvert de panneaux d’argent doré, tandis que les personnages sont exécutés en cuivre doré. Ils sont traités avec une grande finesse non dénuée d’une certaine naïveté. Certains anges, par exemple, ont un sourire jusqu’aux oreilles. Ils doivent apporter de très bonnes nouvelles, certainement.
La plupart des châsses du Moyen-Age ont disparu à la Révolution, où elles ont été confisquées au clergé et fondues pour le métal. Evreux ne doit d’avoir conservé la sienne qu’à la complicité de la municipalité de l’époque, qui ne l’a pas inventoriée et l’a cachée pendant toute la Terreur.
Restaurée au 19e siècle, elle brille aujourd’hui de tout son éclat. Si vous êtes de passage à Evreux, si vous organisez des voyages scolaires… ne vous privez pas d’aller la contempler, l’accès est gratuit.
Porte-drapeau
Qui sortira son bout d’étoffe tricolore le 14 juillet prochain ? En Normandie, les architectes de la Reconstruction ont très souvent prévu des porte-drapeaux aux maisons, dans la ferveur patriotique de l’après-guerre. Après les longues années d’occupation, cela paraissait on ne peut plus normal de manifester son attachement au drapeau, symbole d’un pays libre et souverain.
C’était il y a soixante ans, les Français étaient fiers de pavoiser. Et aujourd’hui ? Les porte-drapeaux sont toujours là, intacts, prêts à servir. Mais seuls les grands enjeux sportifs sont susceptibles de les regarnir. La flamme patriotique le jour de la fête nationale vous attire un regard en biais des voisins. Ca ne se fait plus, et rien n’est plus grégaire qu’une société humaine.
Malgré les invitations réitérées dans la presse à participer aux dépôts de gerbes, comme d’habitude chacun restera dans son lit douillet le jour du quatorze juillet.
Et le vieux drapeau d’époque retrouvé au grenier soigneusement roulé, avec ses couleurs passées et sa pointe en fer de lance, ne reprendra pas du service. Il représentait trop pour ceux qui l’ont caché pendant quatre ans, attendant avec espoir le jour où ils pourraient l’arborer à nouveau à la façade.
Si on l’exposait à l’air de la campagne 2007, la vénérable relique attraperait le rhume des foins.
Projet de jardin
A quoi ressemblera le jardin cette année ? La question est encore d’actualité pour beaucoup de jardiniers. A Giverny en revanche, voilà bien longtemps que les plantations sont planifiées : la maison de Claude Monet et ses jardins ouvrent dans une semaine. Comme chaque année, l’équipe de la Fondation Monet aura accompli un tour de force en préparant la floraison de dizaines de milliers de fleurs.
Aucun particulier ne peut rivaliser avec les moyens déployés ici, et c’est parfois un peu déprimant de retrouver son modeste jardin après avoir vu les splendeurs de Giverny. Pour se consoler, il faut se dire que Monet n’a pas créé son univers en un jour. Il lui a fallu beaucoup de temps et d’efforts, près d’un demi-siècle, pour parvenir à la perfection formelle que nous admirons aujourd’hui.
Claude Monet a vécu quarante-trois ans à Giverny, une longue période qu’on peut diviser en quatre étapes.
Monet a d’abord été locataire pendant sept ans avant d’acquérir en 1890 la propriété dont le terrain se résume à l’actuel Clos Normand. C’est un verger agrémenté de parterres entourés de buis taillés et traversé par une sombre allée d’épicéas. Les premières années ne connaissent que des transformations légères. Une partie du jardin est dévolue au potager, où la famille se dépêche de planter des légumes pour sa subsistance. Les enfants sont chargés d’arroser en tirant l’eau du puits. Monet sème ses premiers massifs de fleurs.
Devenu propriétaire, le peintre fait bâtir sa première serre pour les orchidées et les plantes exotiques. Sa situation financière s’améliore. En 1892 il est en mesure d’embaucher un chef jardinier bientôt secondé par cinq aides.
En 1893, Monet achète une bande de terrain de l’autre côté de la route et fait creuser un premier bassin aux nymphéas, bassin redessiné en 1901 après l’achat d’une parcelle voisine.
Dernière étape en 1911, après les inondations catastrophiques de 1910, Monet fait agrandir le bassin et transforme son jardin d’eau. Cela fait vingt-huit ans qu’il est arrivé à Giverny.
Départ pour Hastings
La Normandie, et tout particulièrement le Calvados, cultive le souvenir de son grand duc Guillaume le Conquérant. Du château de Falaise où il est né à celui de Caen dont il a fait sa capitale, la dotant de deux abbayes, en passant par la Tapisserie de Bayeux qui célèbre ses exploits, Guillaume a laissé une empreinte encore bien visible un millénaire plus tard.
Mais il est plus étonnant qu’hors de Normandie, une autre ville lui rende un hommage appuyé. C’est le cas de Saint-Valéry-sur-Somme. Comme son nom l’indique, la ville est située dans le département de la Somme, à deux heures trente de Giverny.
Bien qu’elle soit devenue station balnéaire au début du siècle dernier, cette très ancienne cité a conservé un fort caractère médiéval.
L’histoire raconte que c’est dans son port que la flotte normande partie de Ouistreham Dives-sur-Mer, près de Caen, a fait une longue escale dans l’attente des vents d’est (pas si fréquents) qui lui permettraient de faire voile vers l’Angleterre, avec armes et bagages. Stèle et bas-reliefs rappellent cet événement.
L’autre héroïne locale reliée à la Normandie n’est autre que Jeanne d’Arc qui, prisonnière, fit un passage à Saint-Valéry-sur-Somme avant d’être conduite à Rouen.
Jean Monnet ou Jean Monet ?
Porter presque le même nom qu’un autre est source d’interminables confusions. A l’heure où l’on célèbre le cinquantenaire du traité de Rome, et où l’on rend un hommage mérité à l’un de ses pères fondateurs, Jean Monnet, il est temps de mettre les choses au point : l’homme d’Etat s’écrit avec deux n et n’a rien à voir avec la famille de Claude Monet.
Pas l’ombre d’un lointain cousinage, à peine un lointain voisinage. Claude Monet et son fils Jean ont vécu à Giverny, dans l’Eure, à une cinquantaine de kilomètres de Bazoches-sur-Guyonne dans les Yvelines, où Jean Monnet demeurait.
Le site de l’association Jean Monnet s’empresse lui aussi de clarifier l’encombrante homonymie, et vous donnera tous les détails sur le grand homme, né en 1888, qui a marqué l’Histoire.
Quelques années plus tôt, en 1867, un petit bonhomme vient au monde. C’est le premier fils de Claude Monet et de Camille Doncieux. Ses parents l’appellent Jean.
Les premières années du petit Jean sont marquées par la précarité de la famille, qui vit dans des conditions difficiles, presque sans ressources. Mais l’enfant grandit entouré de la tendre sollicitude de sa mère et de son père.
Claude Monet, qui avoue son attendrissement devant le bébé, le peint à plusieurs reprises seul ou avec d’autres personnes : dans son berceau ; endormi ; avec un bol ; à la table familiale… Le petit Jean n’a que deux ans quand il pose pour ce portrait où il apparaît rêveur, le visage empreint d’une douce gravité.
Chaise en pierre
Il n’y aura pas d’amoureux pour se bécoter sur ce banc-là, ou alors il faudra qu’ils se fassent tout petits. La ville d’Evreux a choisi ce modèle de siège monoplace en pierre pour animer ses rues, en alternance avec de gros blocs de granit sans dossier qui font office de banc, et sur lesquels on peut asseoir la moitié d’une colonie de vacances.
Tout cela n’a pas le charme désuet des bancs publics parisiens, mais dans le genre contemporain, ces sièges en pierre possèdent des arguments de poids.
La chaise que voici est très confortable, surtout quand le soleil a chauffé un peu la pierre. Le confort est affaire d’inclinaison et de dimension d’assise, bien calculés ici.
La rainure ménagée au bas du dossier permet à l’eau de s’écouler.
Le matériau et son coloris se fondent parfaitement dans l’environnement urbain. Le design sobre et épuré évite le look paléolithique.
Enfin, côté entretien, rangez les pots de peinture, ces sièges restent en place sans embêter le monde. Si en plus c’était économique, ce serait la cerise sur le gâteau.
La maison de Monet
Claude Monet a mis tout son art à décorer sa maison de Giverny, où il a vécu 43 ans. Il en a fait un lieu intime et confortable à découvrir absolument si vous venez à Giverny.
La maison rose aux volets verts s’étire le long de la rue principale du village, sa façade tournée vers le jardin. Le plan tout en longueur vient des agrandissements voulus par Monet pour loger sa grande famille : les deux fils qu’il a eus avec Camille, sa future épouse Alice, et les six enfants de celle-ci.
La visite commence par le petit boudoir bleu décoré d’estampes japonaises, où Alice passait l’après-midi en compagnie des enfants, à broder ou à lire. Le temps y est toujours rythmé par le tic-tac de l’horloge peinte en bleu comme les boiseries.
On traverse ensuite l’épicerie installée dans l’entrée secondaire, qui permettait à Monet de faire passer marchands et amateurs directement dans son atelier. Comme les estampes, les meubles de style bambou révèlent le goût de Monet pour le japonisme.
En contrebas de quelques marches, on visite ensuite le premier atelier de Claude Monet, le seul endroit de la maison où il exposait ses propres toiles. Certaines étaient à vendre, d’autres étaient conservées en souvenir de périodes marquantes de sa vie et de sa carrière.
Un escalier étroit conduit à l’étage où Monet s’était réservé la plus grande chambre. Il faut l’imaginer couverte des oeuvres de ses amis impressionnistes Sisley, Renoir ou Cézanne.
De la fenêtre de sa chambre, la vue plongeante sur le jardin fleuri permet d’apprécier le dessin géométrique des plates-bandes.
On traverse ensuite le cabinet de toilette de Monet, où il prenait tous les matins un bain froid, avant de choisir dans la garde-robe les vêtements adaptés à son emploi du temps du jour.
Le cabinet de toilette d’Alice fait suite à celui de Monet, puis vient la chambre d’Alice, émouvante dans sa simplicité.
De là, l’escalier principal de la maison redescend vers la salle-à-manger. C’est la pièce la plus spectaculaire de la maison. Elle surprenait tous les contemporains qui y ont été reçus, artistes, écrivains, marchands, hommes politiques… Monet l’a voulue entièrement jaune, meubles et murs, une couleur qui met en valeur les estampes japonaises et la vaisselle bleue. Raffinement suprême, la cuisine voisine est couverte de carreaux bleus pour qu’elle s’harmonise avec le jaune de la salle-à-manger quand on en ouvrait la porte pour apporter les plats !
La visite de la cuisine confirme l’importance que Monet accordait aux plaisirs de la table. Dans cette pièce spacieuse parfaitement agencée pour l’époque, la cuisinière et son aide disposaient d’un grand fourneau et d’une collection de cuivres rutilants qui leur permettaient de préparer des repas élaborés pour dix à vingt personnes chaque jour.
Contre temps
C’est le printemps demain, pincez-moi… Depuis deux jours les petits matins sont blanchis d’une neige fondante, incongrue sur les premières tulipes.
Les voitures qui descendent du plateau arborent une belle couverture blanche, mais dans la vallée de la Seine, les flocons ne tiennent pas. Aucun souffle, il ne fait même pas froid. On patauge dans un centimètre de neige gorgée d’eau qui n’est bonne à aucun jeu, à aucune métamorphose, qui n’est qu’un regret de la saison qui s’en va, un spasme de l’hiver qui meurt sans avoir donné le meilleur de lui-même.
Le chemin de l’école détrempé est plein de flaques d’où émergent, deci-delà, des îles. Nous avons chaussé nos bottes de sept lieues pour traverser cet archipel.
Une lieue, c’est quatre kilomètres en langage de conte, les enfants le savent bien.
– Sept fois quatre vingt-huit, ça fait 28 kilomètres alors ?
– C’est comme d’aller en un seul pas d’ici à Mantes-la-Jolie ou à Evreux.
Les chevaux de l’imaginaire étaient lancés. Nous avons calculé combien de pas il faudrait pour aller jusqu’à Paris – trois pas seulement, puis pour traverser la France. A grandes enjambées, nous avons franchi la Beauce, le Massif Central, le Midi toulousain avant d’escalader les Pyrénées que nous avons dévalées vers l’Espagne. La température s’est adoucie sensiblement, le temps d’approcher de Gibraltar et de franchir la Méditerranée – on donne la main pour traverser la route. De l’autre côté, c’était l’Afrique, la brise de mer qui agitait les palmiers-dattiers. Il tombait de gros flocons mouillés sur les plages du Maroc, ce matin…
Un musée Ariane à Vernon ?
Est-ce la contagion des promesses électorales ? C’est un scoop, la municipalité de Vernon planche sur un projet de musée de la fusée Ariane. Le lieu serait déjà trouvé, l’ancienne caserne en cours de restructuration à côté du centre ville, les collections existent, inaccessibles pour l’instant dans l’enceinte de Snecma, ex Société européenne de propulsion ; il ne resterait plus… qu’à tout faire, c’est-à-dire passer de l’idée à la réalisation en faisant naître le musée.
C’est à la fois un projet formidable et risqué. Imaginez comme cela pourrait être bien, un espace didactique, ludique dans le style de la Cité des Sciences, qui nous expliquerait façon C’est pas Sorcier comment c’est possible de faire voler des engins dans l’espace, comment on les y expédie, comment on les récupère, les mystères de la pesanteur et de l’attraction terrestre, les nouveaux combustibles révolutionnaires qu’on utilise, les piles solaires, à quoi servent les satellites, la coopération spatiale européenne, et toutes ces questions qu’on ne s’est peut-être jamais posées mais dont on est bien content d’apprendre la réponse…
Et maintenant imaginez le même sujet version musée industriel… Ce n’est pas tout d’avoir à Vernon le site de conception et de fabrication des moteurs de la fusée Ariane. Il reste à créer un espace muséographique attractif, à la hauteur de la notoriété internationale du lanceur européen. Un vrai et beau challenge.
Le printemps des Poètes
( « Le Matin au bord de la mer », huile sur toile 61 x 81 cm, 1881, collection particulière, vue prise entre Fécamp et Yport)
C’est le dernier jour du Printemps des Poètes.
Merci à Florian, 16 ans, pour ce beau poème inspiré des tableaux de falaises de Monet :
La Tueuse
La falaise dressée, calme et majestueuse,
Contemple l’horizon aux couleurs de corail.
Le soleil fait saigner la pierre des murailles
Que la mer veut ronger de ses vagues hargneuses.
Sous son habit de ciel se cache une tueuse
Aux lames acérées, prête à livrer bataille.
Le temps ne compte pas pour ses flots qui assaillent
La roche qui résiste et qui pourtant se creuse.
L’issue de cette guerre est écrite d’avance,
Le rocher cèdera au terme des souffrances.
L’Homme aussi est livré aux attaques du Temps ;
Même s’il se croit fort comme un rempart, solide,
Le sablier s’écoule et peu à peu se vide,
Son destin est fatal, déjà la Mort l’attend.
Thomas Buford Meteyard
Vous avez peut-être reconnu l’église de Giverny sur cette toile attribuée à Thomas Buford Meteyard, que le musée de Vernon a acquise en 2005. Meteyard fait partie de la colonie de peintres étrangers, principalement américains, qui ont travaillé à Giverny à la fin du 19e et au début du 20e siècle.
Meteyard s’est singularisé en s’intéressant aux variations de la lumière la nuit. Il est l’auteur de séries d’aquarelles et d’huiles au clair de lune. Son traitement de ces motifs s’éloigne pourtant d’une approche impressionniste. Sur cette toile, on voit bien comment les larges à-plats de couleurs, leur rendu mat, l’apparition quasi fantomatique de l’église dans la clarté nocturne le rapprochent du symbolisme.
Thomas Buford-Meteyard est né à Rock Island dans l’Illinois en 1865, mais il a vécu longuement des deux côtés de l’Atlantique – en Angleterre, en France, dans le Massachusetts et en Suisse où il meurt en 1928. Pendant sa période parisienne, il se lie avec le peintre norvégien Edvard Munch et le poète Stéphane Mallarmé. A Giverny, il est l’ami du peintre américain John Leslie Breck, lui aussi adepte des vues au clair de lune.
Le musée de Vernon présente actuellement une exposition des oeuvres qui sont entrées dans ses collections depuis l’an 2000. Toutes les sections du musée sont représentées, l’art animalier occupant le devant de la scène avec un monumental laque aux Ibis de Gaston Suisse, des plâtres de kangourous, de chevrettes, de chat, de Righetti, des sculptures de chiens de Fath, des pochoirs de Benjamin Rabier, un recueil de gravures de panthères de Jouve… Le cabinet des dessins s’est enrichi de Steinlen et d’Ostier poignants.
Le parcours propose une réflexion sur ce qu’est un musée. Le hasard des donations a présidé à la constitution des collections du musée de Vernon, que ses conservateurs successifs et l’association des Amis du Musée se sont attachés à compléter avec cohérence.
Aulne
Comme un feu d’artifices silencieux, la floraison des arbres a commencé. Le spectacle va durer deux mois.
Pendant que les arbres à fruits se transforment en gros bouquets blancs ou roses, d’autres ont des mises en beauté plus discrètes. C’est le cas de l’aulne.
L’aulne est affublé d’un surnom grotesque, glutineux. Tout ça parce que ses jeunes feuilles sont poisseuses, gluantes, bref glutineuses (de la nature du gluten). Il n’y a pas de quoi en faire un plat, alors que tout est élégance dans cet arbre.
Regardez-le fleurir en ce moment. Les chatons mâles retombent délicatement au bout des rameaux, on dirait des pendants d’oreilles. A côté, grosses comme des grains de riz, les fleurs femelles attendent un souffle de vent pollinisateur. En fin de saison, elles se transformeront en petits cônes ligneux semblables à de minuscules pommes de pin. Les fruits de l’an dernier sont encore sur l’arbre, en colliers de perles le long des branches, ils complètent la parure.
Et les feuilles ? Pas de bourgeons en vue ? Rien n’est plus urgent que de s’occuper des fleurs et des fruits, foi d’arbre, les feuilles viendront plus tard.
L’autre nom de l’aulne, c’est la verne. Vernon en dériverait, une toponymie logique pour une ville située le long d’un cours d’eau comme la Seine. L’aulne aime en effet les bords de rivière où il trouve l’eau et le soleil dont il a besoin.
J’ai photographié celui-ci au bout du pont Clemenceau, côté Vieux Moulin. Le houppier de l’arbre frôle le parapet du pont, si bien que pour une fois, on peut voir l’arbre non pas d’en bas, mais comme un oiseau posé sur une branche.
Combien de tableaux Monet a-t-il peints ?
Dans son catalogue raisonné de l’oeuvre de Monet, Daniel Wildenstein a recensé environ 2000 tableaux, tous des huiles sur toile : le dernier porte le numéro 1981, mais les Grandes Décorations de l’Orangerie, ces panneaux immenses, hors normes, ne sont pas comptés dans la numérotation.
Le catalogue ne tient pas compte des dessins, pastels, esquisses, rarement signés, et dont beaucoup ont par conséquent été perdus.
Sur ces 2000 toiles, Giverny s’impose comme le sujet de prédilection de Claude Monet. Rien de plus naturel au regard des 43 ans qu’il y a passés, la moitié de sa vie.
Claude Monet a peint son jardin d’eau 272 fois, son jardin fleuri 52 fois, soit un total de 324 vues prises dans son jardin.
Peintre du plein air, Monet n’a représenté sa maison que de l’extérieur, en arrière-plan du jardin fleuri, mais jamais en scène d’intérieur comme il l’avait fait ailleurs au début de sa carrière.
Le peintre est aussi allé peindre aux alentours de chez lui, ce qui s’est concrétisé par 238 vues de Giverny, coquelicots, bords de l’Epte, meules, marais, peupliers, prairies, routes, vergers, Seine, etc. Le village en lui-même paraît comparativement sous représenté, seulement 16 fois.
Avec 4 occurences, l’église n’a guère inspiré Monet, contrairement à celles de Vétheuil, de Vernon ou à la cathédrale de Rouen.
Hôtel des Roches Noires, Trouville
30 mars 2007 / Un commentaire sur Hôtel des Roches Noires, Trouville
L’hôtel en question est un luxueux établissement, l’un de ceux qui, comme celui de Cabourg, ont servi de modèle à Proust pour imaginer le Grand Hôtel de Balbec.
En 1870, Monet a 30 ans, il est sans le sou et n’a évidemment pas les moyens de se payer un séjour dans un hôtel aussi chic. Il a pris pension avec Camille et le petit Jean à l’hôtel de Tivoli, plus éloigné de la plage. Et il ne sait comment faire pour calmer l’aubergiste qui lui présente sa note.
Si Monet choisit de peindre le front de mer, c’est qu’il espère trouver un acheteur à la toile, un riche bourgeois qui s’identifierait à cette classe sociale évoquée en quelques coups de pinceaux, à ces petites silhouettes élégantes qui flânent en bord de mer.
Eté 1870. Est-on en juillet ou déjà en août ? La guerre avec la Prusse est-elle déclarée ? Les personnages peints par Monet sont probablement moins insouciants qu’ils ne le paraissent.
La façade de l’hôtel se dresse comme une muraille infranchissable. Son ombre noire s’étend sur la terrasse à l’image de l’ombre de l’aigle prussien sur la France.
Le vent souffle de la mer. Il fait claquer le grand drapeau du premier plan, avec ses rayures rouges qui lui donnent l’air d’être taché de sang. Alors que la façade de l’hôtel est rendue avec un soin minutieux, Monet peint le drapeau en quelques coups de pinceaux presque négligents, qui transmettent incroyablement le mouvement du tissu rayé dans le vent.
L’horizon paraît bouché à droite, côté Paris, tandis que l’air du large semble l’ouvrir sur la gauche du tableau, vers la Manche et l’Angleterre.
La mer, on la voit à peine. La mince ligne d’horizon derrière le monsieur qui soulève son chapeau représente pourtant le Havre, le port où habite la famille de Monet. Ses relations tendues avec son père empêchent Claude d’en attendre beaucoup de secours financier.
Claude Monet sait qu’il ne peut retourner à Paris, une capitale menacée où il n’a ni logement ni ressources.
Il sait que personne n’achète de tableaux dans un pays en guerre. Il devient même difficile de peindre en plein air, on vous prend vite pour un espion.
Monet est père de famille, à ce titre il n’est pas appelé sous les drapeaux. La seule solution raisonnable, pour espérer subvenir aux besoins des personnes dont il est responsable est de quitter la France, comme des centaines d’autres réfugiés chaque jour.
C’est l’idée qui semble mûrir en lui tandis qu’il peint, de plus en plus sombre, sur le front de mer à Trouville, cet été de 1870.