Gazania

Parmi toutes les plantes cultivées dans les jardins de Monet, les gazanias ont une place à part. Car ces fleurs réclament le plein soleil pour s’ouvrir et boudent si le ciel est voilé, pétales frileusement resserrés autour du coeur. Tout comme le maître de l’impressionnisme, elles se montrent très sensibles à la lumière.
En Normandie, il faut un certain culot pour en planter, tant elles risquent de cacher le plus souvent ce qu’elles ont de plus joli, même si les variétés les plus récentes jouent un peu moins à cache-cache. Mais c’est justement ce côté baromètre qui est amusant. Que le soleil surgisse, et le gazania répondra à l’astre du jour.
Et quelle splendeur de couleurs ! Des soleils en miniature, magnifiquement mordorés, jaunes, orange, ornés d’une petite couronne contrastante à la base : les gazanias sont irrésistibles de chaleur, ambassadeurs des pays chauds et désertiques dont ils sont originaires.
Côté culture, le gazania a la sobriété d’un chameau et la frugalité d’une top modèle : il adore les sols pauvres et les oublis d’arrosage. Cette vie d’ascète arrange nombre de jardiniers, mais paradoxalement elle est une gageure à Giverny, où les massifs regorgent de bon compost et où le goutte à goutte étanche la soif des plantes par anticipation.
Cette déconcertante audace

Voici un détail d’un tableau de Monet qu’on pouvait voir l’hiver dernier à la Fondation Vuitton, dans le cadre de l’exposition de la collection Morozov. Reconnaissez-vous ce qui est représenté ici ? Contrairement aux apparences, dans l’esprit du peintre, cette partie de sa toile n’est pas abstraite mais bien figurative. La touche est menue, légère, marquée de glissendos ici et là comme pour faire sentir le souffle du vent. Cette explosion de couleurs : orange, vermillon, violet, contrastant avec des verts teintés de jaune ou de bleu, évoque des fleurs des champs qui s’épanouissent un peu partout en ce moment. Vous avez trouvé ?

L’instant capté par Monet est d’une fugacité totale. Le soleil vient de glisser derrière un nuage, délinéant sa masse grise d’une frange lumineuse. L’ombre du nuage se projette au sol sur le peintre et sur le spectateur. Monet la rend par des touches mauves et violettes, tandis que la ligne au loin qui est au soleil est peinte d’un vert chaud.
Dans un instant, le soleil émergera du petit cumulus de beau temps, et l’éclairage sera différent. Monet se tournera alors vers un autre tableau en cours placé sur un chevalet voisin, selon le témoignage de Clemenceau, pour capturer le nouvel effet par de petites touches vives.
Si vous cliquez dans le bandeau du blog sur Giverny News, vous ferez défiler les images. L’une d’elles est une photo d’un champ de coquelicots qui rappelle le tableau de Monet. C’était en 2009, je ne l’ai pas revu depuis.
Giverny en Normandie

Pourquoi Monet a-t-il décidé de s’installer à Giverny et pas ailleurs ? Ses biographes ne manquent pas de trouver de nombreuses raisons à son choix : le désir de vivre au bord de la Seine, la nécessité d’être près d’une gare, la beauté intacte du paysage, source de motifs, l’immobilier bon marché si loin de Paris, la proximité de la ville de Vernon pour l’éducation des enfants, la chance d’avoir trouvé une maison à louer avec un grand jardin… Mais au fond, on a l’impression que cela aurait pu être ailleurs. Les bords de Seine abondent en jolies localités où Monet aurait pu jeter l’ancre tout aussi bien.
Pour ma part, je pense que le choix de Giverny n’a rien d’un hasard, et que tout autre endroit aurait un peu moins bien convenu à Monet. Figurons-nous la scène : la décision est prise de quitter Poissy, mais pour aller où ? Le peintre fait sa liste des conditions à remplir pour le nouveau logement, où l’on retrouve celles énoncées plus haut. Mais je suis persuadée qu’il en ajoute une autre : il a envie de s’établir en Normandie.
Même s’il est né à Paris, Monet a grandi au Havre. La Normandie est sa région, il lui est profondément attaché. Cette Seine qu’il ne quitte pas des yeux, c’est elle qui le relie à sa jeunesse. L’eau qui passe devant lui finira par se jeter dans la Manche au Havre. Dans son enfance, il a peut-être imaginé les paysages qu’avaient traversés les flots du fleuve qui s’écoulaient devant lui. Maintenant, il visualise très bien le trajet de l’eau vers Rouen puis à travers le pays de Caux jusqu’à son embouchure.
Monet est partagé entre un désir de Normandie et une crainte de s’éloigner trop de Paris, où vit le marché de l’art. Rien d’étonnant alors à ce qu’il jette son dévolu sur le village qui se trouve juste derrière la frontière régionale, matérialisée par l’Epte. Rive nord, pour être orienté plein sud. Là et nulle part ailleurs.
Ce qui me conforte dans cette intuition, ce sont ses doutes au début. Il est enchanté du cadre (« Giverny est un pays splendide pour moi ») mais il a une crainte : d’avoir fait la folie de trop s’éloigner de Paris. En venant de Poissy, rien ne le contraignait à explorer un secteur aussi loin que celui de Vernon. Rien, sinon l’envie de redevenir Normand.
Iris de Sibérie

Dans le jardin d’eau de Claude Monet, des iris de toutes sortes s’épanouissent durant le mois de mai. A côté des iris jaunes, ou iris des marais, très courants à Giverny, fleurissent des espèces plus rares, telles celle-ci, que je crois être un iris de Sibérie. Les classifications valent ce qu’elles valent, car les fleurs sont généralement des hybrides obtenus à partir de souches différentes. Il me semble que l’iris siberica a des marbrures comme celui-ci, et l’intérieur dressé au-dessus de sépales arrondis. Si vous êtes plus calé que moi, vos précisions en commentaire sont les bienvenues !

A côté de l’opulence froufroutante des iris germanica, ou iris barbus, plantés en masse dans le jardin de fleurs de Monet, et dont la taille gigantesque impressionne les visiteurs, les iris de Sibérie affichent des mensurations plus modestes et une certaine retenue. Ils ont une présence discrète qui orne sans s’imposer, et demandent presque un effort de l’attention pour les remarquer, plantés comme ils le sont en contrebas du chemin.
Du soleil dans les gouttes

dans chaque goutte rayonne
un petit soleil.
Les deux Alice

A en croire la biographie consacrée à Claude Monet par Daniel Wildenstein, Alice Hoschedé était d’une jalousie farouche à l’égard de son compagnon. Le biographe la dépeint comme une femme exclusive, qui aurait obligé Monet à détruire tout souvenir de sa première épouse Camille, et qui ne manquait pas une occasion de lui faire une scène par lettre interposée chaque fois qu’il rencontrait une jolie femme au cours d’une campagne de peinture.
C’est ainsi qu’un évènement qui survient lors du séjour de Claude à Belle-Île-en-Mer en 1886 la met en transe : le grand ami de Monet Octave Mirbeau et sa compagne rendent visite au peintre à Kervilahouen.
Monet a pourtant pris les devants pour rassurer sa chérie, il a pris soin de lui décrire Alice Regnault comme quelqu’un « de très gentil et très bien ». Peine perdue, car Alice Hoschedé le sait, la compagne de Mirbeau est une cocotte, une courtisane, une femme qui s’est enrichie par ses charmes, investissant la fortune amassée dans l’immobilier. Alice H a donc des raisons objectives de s’inquiéter de la présence d’Alice R à Kervilahouen.
C’est à nouveau une visite des Mirbeau qui l’inquiète quand Monet séjourne au cap d’Antibes. D’autant que Monet, qui est « célibataire », ne lui doit rien sur le plan légal. Il pourrait courtiser qui il voudrait. Alice R et Mirbeau ne sont pas encore mariés non plus.
Alors, jalouse, Alice ? Plutôt un peu dépressive et portée à imaginer le pire. Elle a un sentiment d’abandon car Monet tarde trop à rentrer. Comment ne pas se dire qu’il lui cache quelque chose, que ce n’est pas la seule peinture qui le tient éloigné de son foyer ?
Alice est accablée de soucis de la vie quotidienne et seule pour les gérer. Santé des huit enfants et sa propre santé, départ de domestiques à remplacer, factures diverses qu’elle a du mal à payer, soucis familiaux et juridiques à régler à Paris, relation avec Ernest, souris qu’elle doit éradiquer dans l’atelier… C’est trop. Qui, à sa place, ne se ferait pas des films ? Monet ne cesse de l’exhorter au courage, mais repousse toujours la date de son retour. Il attend d’elle une force qui dépasse ce qu’elle se sent capable de donner.
Alors jalouse, oui, mais derrière le prétexte des jolies femmes, c’est une autre jalousie qui se profile, un sentiment qui n’a pas droit de cité, qu’elle renierait peut-être elle-même si elle se l’avouait, tant il s’oppose à l’admiration qu’elle porte au talent de son compagnon : Alice est sans doute jalouse de la seule maîtresse de Monet, la peinture.
Sur Alice Regnault, voir Pierre Michel, spécialiste de Mirbeau, dans Mirbeau et l’affaire Gyp.
J’espère que le Paradis ressemblera à ça

De plus en plus de visiteurs entrent désormais dans le jardin par le bas, munis de leurs billets coupe-file. Leur première impression est beaucoup plus forte qu’en pénétrant dans le clos normand par le haut, où se trouve la caisse pour les individuels. « Estoy impactado », répétait hier mon client, un paysagiste mexicain qui en avait pourtant vu d’autres. Je suis impressionné, je suis sous le choc… Quand on aime les fleurs, on peut être submergé par l’émotion à la vue du printemps de Giverny.

A la fin de mes visites, tandis que je regagne la sortie, je me fonds au milieu des visiteurs et je capte des bribes de conversation. J’ai adoré entendre une jeune femme exprimer sa joie par ces mots : « J’espère que le Paradis ressemblera à ça. »
Dès l’époque de Monet, les visiteurs employaient les mots d’éden et de paradis pour décrire son jardin. Inverser le propos, voilà qui renouvelle cette comparaison entendue si souvent, et lui redonne toute sa force.
Résilience

Enfin le premier nymphéa. Il s’est ouvert hier matin ; année après année il s’agit toujours du même nénuphar blanc à petite fleur non loin de l’embarcadère. Les nymphéas ont une semaine de retard suite au coup de froid de début avril qui les a ralenti dans leur élan, mais ils récupèrent. Selon Emmanuel Porc, le jardinier en charge du jardin d’eau, ils fleuriront simplement un peu plus tard, sans aucun dommage.
Les plantes font souvent preuve de résilience. Elles s’adaptent aux conditions climatiques, elles ont des ressources étonnantes. Cette fois, c’est la glycine qui m’a épatée. La toute vieille, celle plantée par Claude Monet lui-même au 19e siècle, qui fleurit mauve au-dessus du pont japonais, et un peu au-dessous.

C’est la plus précoce des glycines qui se succèdent sur la passerelle emblématique du jardin de Giverny. En mars, une météo très douce avait accéléré le développement de ses boutons tandis que les autres glycines, plus tardives, attendaient avec prudence. Hélas, la douceur a fait place à un temps glacé dans les premiers jours d’avril, brûlant de froid les fragiles boutons. Le pont est resté nu pendant plusieurs semaines. Enfin, début mai, les glycines tardives se sont ouvertes, ornant la passerelle de leurs longues inflorescences bleues ou blanches.
Et voilà qu’à l’instant où elles fanent, la vieille glycine prend le relais ! Elle a compris que ses premiers boutons avaient grillé et elle s’est dépêchée d’en fabriquer d’autres, pendant qu’on est encore à la saison des glycines. La première se retrouve la dernière, mais quelle joie, après la désolation de ne pas la voir fleurir, de recevoir le cadeau de cette floraison de la dernière chance !
Le miracle du matin



Giverny sous le soleil

Les jardins de Monet ce matin : les dernières tulipes jouent leur symphonie en rose devant la maison…

…tandis que les premiers iris s’ouvrent dans les bordures imaginées par Claude Monet.

Les glycines rescapées du gel d’avril ornent gracieusement le pont japonais…

Claude, Blanche, Theodore et Jim

La nouvelle exposition du musée de Vernon Saga familiale est consacrée à Claude Monet et plusieurs autres peintres de sa famille : sa belle-fille Blanche Hoschedé-Monet (épouse de son fils Jean Monet), son beau-gendre Theodore Butler (mari de Suzanne puis de Marthe Hoschedé, deux autres belles-filles de Monet) et le fils de Theodore et Suzanne, Jim Butler.
Philippe Piguet, descendant des Hoschedé et commissaire de l’exposition, a fait appel à ses frères et soeurs pour nombre de prêts. Blanche avait déjà fait l’objet d’une exposition monographique à Vernon en 2017, mais les Butler n’avaient pas encore eu droit à ce coup de projecteur.

L’exposition est organisée par thèmes : en famille, fleurs et jardins, paysages de terre et paysages d’eau, reflets. Si elle ne présente que 3 tableaux de Claude Monet – dont un adorable pastel, Portrait de Germaine Hoschedé (la 4e belle-fille) daté de 1880 en collection particulière – elle regorge en revanche d’oeuvres de Blanche et de son beau-frère Theodore Butler.

Nés tous deux dans les années 1860, lui en 1861, elle en 1865, et tous deux proches de Monet, ils en ont subi l’influence aussi bien dans le choix des motifs que dans leur traitement pictural. Mais le style de Butler semble avoir puisé aussi à d’autres sources et offre davantage de variété, de la douceur à la stridence.

Son fils James, dit Jim ou Jimmy, regarde du côté du fauvisme et de l’expressionnisme, et montre un goût pour les paysages qui dérangent, peut-être en réaction à la douceur des lumières impressionnistes. Né à Giverny en 1893, il grandit dans un milieu artistique, son père étant en lien avec la colonie de peintres du village. Il a 20 ans quand Theodore et Marthe l’emmènent avec eux aux Etats-Unis. James fera des aller-retour entre les deux pays, avant de se tourner vers l’illustration et le batik et de s’installer définitivement aux Etats-Unis en 1940.
L’air du large

C’est une émotion très particulière de se trouver pile à l’endroit d’où a été peint un tableau célèbre. Même si les conditions météorologiques ne sont pas les mêmes, la confrontation de l’oeuvre et de son paysage, surtout quand ce dernier a très peu changé, apporte une satisfaction unique. Nous avons tout à coup les yeux du peintre, nous sommes à sa place, littéralement.
Les instances touristiques ne manquent pas de mettre en valeur les lieux les plus emblématiques représentés par les impressionnistes en Normandie. A Fécamp, Claude Monet est à l’honneur avec cette toile qui fait partie des collections du musée Malraux du Havre. C’est du circuit court : l’original est à quelques encablures sur cette même côte, et peut-être que certains estivants de Fécamp seront tentés d’aller le voir en vrai.
La mer était plus agitée et le ciel plus lourd quand Monet les a peints en 1881 ; à cette époque sa vie personnelle est bien agitée elle aussi. Alice n’est pas sûre qu’elle va rester avec lui, et Monet en est bouleversé.
Les couleurs du printemps




Orchidée sauvage

Oups ! J’ai failli marcher dessus. Cette petite chose mesure 10 centimètres environ et elle se distingue à peine au milieu des hautes herbes. Mais vu l’endroit – le coteau calcaire au-dessus de Giverny – je regarde où je pose les pieds, car je sais que la prairie est truffée d’orchidées sauvages.
Celle-ci est la première que je vois cette année, mais elle a énormément de soeurs dans ce pré exposé au sud-est. D’autres espèces, moins discrètes, suivront. Elles préparent déjà leurs boutons. Toutes sont protégées.
Je crois qu’il s’agit d’une ophrys araignée, une fleur qui n’a pas eu de chance au moment de son baptême, car elle n’a pas grand chose à voir avec les arachnides. Elle aurait plutôt dû s’appeler l’ophrys andrène, cet insecte qui ressemble à une abeille et vit dans le sol. Dans son très beau blog, le naturaliste Gilles Carcassès explique tout de la stratégie de reproduction de l’ophrys aranifera, des faux phéromones à la fourrure d’imitation, et tant d’habileté dans la duperie laisse sans voix. Comme beaucoup d’autres orchidées sauvages, l’ophrys araignée est une faussaire, bien décidée à se faire passer pour ce qu’elle n’est pas. Et les andrènes foncent dans le panneau !
La dernière heure

Le jardin de fleurs et le jardin aquatique créés par Claude Monet à Giverny offrent un contraste très fort. Après la visite du Clos normand débordant de fleurs et de couleurs, exposé au soleil de l’après-midi, l’entrée dans le jardin d’eau apporte une bouffée d’air frais et une détente immédiate. « Je sens ma pression sanguine baisser », me confie spontanément ma cliente.
Malgré l’affluence, les visiteurs goûtent le charme des lieux. Nous flânons le long de la pièce d’eau et nous arrêtons sous le vieux saule. Comme du temps de Monet, c’est toujours l’endroit le plus hypnotique. Les yeux perdus sur l’étendue du bassin, la dame ajoute, avec un sens de la formule qui me touche :
– Si c’était la fin du monde dans une heure et que je devais choisir où passer cette dernière heure, c’est ici que je voudrais revenir.
Jardin privé

Des massifs colorés juste ce qu’il faut au pied des arbres fruitiers, une pelouse parcourue de pas japonais… c’est un rêve de petit jardin privé, où l’on reconnaît tout le talent des jardiniers du musée.
La mairie de Giverny

J’étais venue admirer le lever du jour sur la vallée, mais je ne sais pourquoi je me suis levée bien trop tôt et il m’a fallu patienter une heure avant d’assister enfin au réveil des couleurs. Je me demande s’il arrivait aussi à Monet de se tromper d’heure et d’être à pied d’oeuvre beaucoup trop en avance.
Les journées sont longues quand elles commencent à l’aube, surtout pour les assesseurs qui n’ont pas pu profiter de ce beau dimanche. Mais à Giverny presque tout le monde se connaît et le temps passe plus vite quand les élections sont un moment de convivialité.
A l’heure qu’il est, les bulletins sont comptés, les résultats transmis, le suspense national a pris fin. Le soleil a plongé à l’ouest après avoir éclairé tous les murs de la mairie. La lumière s’est éteinte dans le bureau de vote, la nuit tombe sur Giverny.
Camouflage

Sans le son, elle n’est pas facile à repérer.
Ca y est, vous avez trouvé la grenouille ?
Nous sommes le long du Ru, dans le jardin de Claude Monet. Les fascines qui retiennent les berges sont accueillantes pour la biodiversité.
L’Epte à Giverny

A quelques pas de la Fondation Monet, le calme règne dans ce coin bucolique de Giverny le long de l’Epte. On y accède depuis l’ancienne gare. On imagine Claude Monet remontant ce bras à grand renfort de rames avant de s’arrêter devant son motif des peupliers un peu plus haut.

Au petit matin, l’herbe est couverte de rosée, assurance d’avoir bientôt les pieds trempés, sauf si vous portez des bottes en caoutchouc. Mais le concert des oiseaux compense largement ce petit désagrément.
L’Epte s’est déjà divisée un peu en amont, et tandis que son cours principal se dirige droit vers la Seine, ce bras-ci musarde avant de se diviser à nouveau près du moulin Cossy. Une fois de plus, la branche principale filera vers le fleuve, tandis que le bras le plus petit, le Ru, ira arroser le jardin de Monet.
Dans les vergers en fleurs

Le jardin est en accès libre et offre un charme supplémentaire à ce village labellisé l’un des plus beaux villages de France, à une dizaine de kilomètres de Giverny.
La maison de Monet

L’aspect de la grande allée a déjà changé depuis l’ouverture, en quelques jours elle a gagné des couleurs grâce aux tulipes les plus précoces.

Le pont des soupirs

Depuis que les jardins de Claude Monet ont rouvert le 1er avril, j’ai retrouvé la joie d’accompagner les visiteurs dans leur découverte des lieux. Le temps fort de leur visite est le moment où ils montent sur le pont japonais peint si souvent par Monet, et posent pour la première fois les yeux sur le bassin. Malgré l’absence de nénuphars, leur bonheur d’être là est palpable. En faction au bout du pont, j’attends qu’ils aient fini de contempler la vue et de prendre quelques photos souvenirs.
J’adore les voir revenir le sourire aux lèvres, les entendre soupirer de contentement. Je crois que les conditions récentes les ont rendus encore plus extatiques que d’habitude.
« Ca fait trente ans que je dois venir ! » me confie une dame d’un certain âge. « J’avais déjà prévu de faire ce voyage il y a deux ans, mais il a été reporté. »
On sent dans sa voix le soulagement que ce rêve longtemps projeté se réalise enfin.

— Il y a trente ans, je suis venue à Paris avec ma soeur, poursuit-elle. Nous devions faire une excursion à Giverny. Mais avec la fatigue et le décalage horaire, quand le réveil a sonné, nous l’avons jeté à l’autre bout de la pièce et nous nous sommes rendormies. Nous avons manqué le départ du car.
— Il n’est jamais trop tard, dis-je, vous voyez ! Vous y êtes enfin !
Je vois alors une brume voiler son regard.
— Pour ma soeur, c’est trop tard, soupire-t-elle. Elle est morte l’année dernière.
Giverny est ouvert !


Les pommiers du Japon sont en fleurs, ainsi que de très nombreux bulbes et des bisannuelles qui ont profité des beaux jours de mars pour s’épanouir. Difficile de croire, le nez dans l’écharpe et les gants aux mains, qu’il a fait si beau et chaud jusqu’à la semaine dernière. Mais la neige annoncée pour la nuit dernière n’est pas tombée sur Giverny, le fond de la vallée étant un peu plus doux que les plateaux alentours, tout blanchis ce matin.

Le château d’Anet

A 45 minutes de Giverny, dans la vallée d’Eure, le petit bourg d’Anet s’enorgueillit d’un prestigieux château Renaissance, toujours meublé et habité.
La visite des appartements est guidée, ce qui lui apporte naturellement un éclairage et du sens, permettant d’entrer dans l’Histoire et les histoires.

Le château a été construit à partir de 1548 par l’architecte Philibert Delorme pour le compte de la belle Diane de Poitiers. Très riche suite à son veuvage avec Louis de Brézé, elle n’a eu besoin de personne pour le lui offrir, nous a expliqué le guide, qui a aussi mis en avant son exceptionnelle intelligence et son goût raffiné.
Diane, la déesse romaine de la chasse, est célébrée dès l’entrée dans le domaine. Le groupe sculpté de cerf et de chiens au-dessus du portique est devenu l’image emblématique des lieux.

Le château, partiellement démoli à la Révolution, a été restauré et en partie rebâti. Cela est fait avec art, transportant le visiteur dans les fastes du 16e siècle. Le morceau de choix est certainement la chapelle du château, dont le sol fait écho au splendide dôme.
Le lien avec Vernon est le duc de Penthièvre, tout à la fois propriétaire du château de Bizy à Vernon et du château d’Anet, à la fin de l’Ancien Régime.
Sainte Radegonde

L’église de Giverny est placée sous le vocable de Sainte-Radegonde, une dédicace peu fréquente. Le culte de la sainte qui vécut au VIe siècle a été remis à l’honneur au XVe par Charles VII, qui a même baptisé sa fille aînée Radegonde.
Le choix de ce prénom était politique : la princesse de France était née un an avant la rencontre du dauphin avec Jeanne d’Arc et la reconquête de son royaume.
Charles VII voulait honorer la sainte vénérée à Poitiers. Cette ville était le siège du second Parlement, alors que Paris était aux mains des Bourguignons. C’était aussi une façon de souligner la légitimité de Charles VII au trône, puisque Radegonde était reine de France, épouse de Clotaire, fils de Clovis, premier roi des Francs.
La vie de sainte Radegonde est bien documentée grâce à trois sources contemporaines, fait exceptionnel pour le haut Moyen Âge. Ces textes sont de son ami le poète italien Venance Fortunat, d’une de ses moniales Baudonivie, et de Grégoire de Tours, qui procède à ses funérailles.
Radegonde est née princesse de Thuringe, à Erfurt, au centre de l’Allemagne vers 518. Emportée captive comme butin de guerre par Clotaire, fils de Clovis, alors qu’elle a une dizaine d’années, elle grandit à la cour de ce dernier et reçoit une éducation digne de son rang. Saint Médard, évêque de Noyon, la baptise et l’instruit dans la foi chrétienne adoptée par les Francs depuis Clovis. Devenue nubile, Radegonde est contrainte d’épouser Clotaire. Reine, elle se consacre aux pauvres et à la piété. Quand Clotaire assassine le frère de Radegonde, c’en est trop pour elle. Elle s’enfuit vers Poitiers pour s’y consacrer à Dieu.
Radegonde recherche la sainteté, instruite dans la foi chrétienne par Saint Médard, évêque de Noyon. Puisque la religion chrétienne est maintenant établie et que le martyre n’est plus possible, il faut s’infliger le martyre à soi-même, d’où des violences appliquées à elle-même peut-être même excessives.

Sainte Radegonde est connue pour le miracle des avoines : alors que le roi la fait poursuivre pour la reprendre comme épouse, Radegonde croise un paysan en train de semer de l’avoine dans un champ. Les céréales se mettent à pousser à vue d’oeil, dissimulent la reine et lui permettent d’échapper à ses poursuivants.
Il est intéressant de rapprocher l’usage de l’avoine bien connue comme adoucissant dermatologique et la réputation de la pierre de Sainte-Radegonde de Giverny, ancien dolmen christianisé dont le contact devait guérir des maladies de peau.
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