Laisser faire

Nul ne sait pourquoi le sens des mots se met parfois à dériver. Compliqué a remplacé difficile, pour une raison obscure. Le dimanche soir, où l’on peut s’attendre à ce que l’autoroute A13 soit saturée, « le retour de Giverny vers Paris sera compliqué « . En fait non. Il sera long. Il demandera de la patience, mais il n’y aura pas de problème à résoudre.
Dans la façon de s’adresser aux autres, une nouvelle courtoisie s’est imposée. Les surveillants de Giverny sont des maîtres de cette politesse contemporaine. Il vaut mieux, car les contrôles à l’entrée sont devenus fastidieux. Il y a quelques années, il suffisait de tendre son billet pour justifier que vous aviez acquitté le droit d’entrée, le gardien en déchirait un bout, et c’était tout. Puis est venue l’époque des attentats et l’opération Vigipirates, toujours d’actualité. On s’est mis à contrôler les sacs des visiteurs.
Etes-vous comme moi totalement blasé de ces contrôles ? Cela ne me fait plus ni chaud ni froid. Mais souvenez-vous, au début, comme c’était choquant et intrusif. C’est personnel, le sac. Pour mieux faire passer la chose, les surveillants ont appris à ne pas brusquer les visiteurs. « Je vais procéder à un contrôle visuel de vos sacs », disent-ils. Pas de forme impérative. Pas de « veuillez présenter vos sacs ouverts, s’il vous plaît ». Ni même de fausse question, du genre « voudriez-vous me montrer votre sac, s’il vous plaît ? » L’habileté de la tournure est d’utiliser la première personne, le je. Il n’y a plus de demande, plus de prière. Voilà ce qui va se passer dans le futur proche. Vous comprenez qu’il faut ouvrir votre sac, sans qu’on vous l’ait explicitement demandé. Vous restez le maître de vos actions.
Avec l’arrivée de la pandémie, l’entrée à la fondation Monet s’est vue conditionnée à deux étapes supplémentaires : la vérification du port du masque et l’arrosage obligatoire des mains au gel hydroalcoolique. Depuis un an, tous deux sont entrés dans nos habitudes. Pour le premier, simple rappel de la loi : « le port du masque est obligatoire pendant toute la visite ». Pour le second, « un petit coup de gel » est proposé avec le sourire. Pas tout à fait du ton avec lequel on propose un verre de vin, une interrogation engageante mais que vous pouvez décliner ; plutôt du ton d’une évidence qui ne laisse pas de place à l’espoir d’avoir une chance d’y couper.
Depuis quelques jours, les surveillants doivent faire preuve d’encore plus de diplomatie : en plus des contrôles précédents, ils doivent s’assurer que les visiteurs sont munis d’un pass sanitaire valide. Le pass est exigé, il faut absolument que les visiteurs le présentent. Les surveillants emploient donc la façon contemporaine de donner des ordres poliment : le laisser faire. « Je vous laisse me présenter votre pass sanitaire », disent-ils. Vous avez remarqué ? Cette formule absurde a le vent en poupe. Elle m’a frappée l’an dernier, alors que, à la faveur du déconfinement, j’étais allée acheter des chaussures. La patronne, derrière sa caisse, aboyait « je vous laisse mettre du gel » à chaque personne qui entrait dans le magasin. Evidemment. Elle n’allait pas nous en frotter les mains elle-même. On allait y arriver tout seul.
J’y ai repensé tout à l’heure, quand la pharmacienne m’a dit « je vous laisse me suivre ». Cela ne me serait pas venu. Je suis de la vieille école, celle qui aurait dit « voulez-vous me suivre, s’il vous plaît ? » Un voulez-vous purement rhétorique, certes, qui pour adoucir l’ordre vous fait croire que vous choisissez une action. J’ai donc choisi, de mon plein gré, de la suivre, tout comme les visiteurs de Giverny acceptent de se soumettre aux contrôles. Dans cette société de plus en plus contrainte, on ne nous a jamais laissé faire autant de choses.
Reliées

Hier matin j’ai guidé une famille dans les jardins de Monet. Arrivés au bout du bassin, mes clients se sont livrés à la traditionnelle séance photos devant les Nymphéas et je me suis éloignée de quelques pas en attendant. J’étais debout au bord de l’étang, rêveuse, les yeux perdus sur la surface, quand j’ai senti une main fine se glisser dans la mienne. C’était l’aînée des enfants, une fillette de dix ou onze ans. « J’ai besoin de tenir la main de quelqu’un en regardant ça, » a-t-elle soufflé tout bas à travers son masque. « Ca vous ennuie ? »
J’étais émue moi aussi, du coup. « J’adore ça ! » l’ai-je encouragée. Et puis après, surtout plus un mot pour ne pas briser cet instant qu’elle avait créé. Nous avons rêvé à deux en regardant la brise jouer entre les nénuphars. Puis nous avons fait quelques pas main dans la main jusque sous le saule, et nous avons attendu les autres. Je sentais sa paume contre la mienne, en ces temps où les adultes ne se serrent plus la main. Je la devinais submergée par la beauté du jardin, attentive à son émotion. En train de vivre un moment fort, un souvenir pour plus tard, peut-être.
La parenthèse s’est refermée, la visite a repris son cours. Mais cette petite main disparue a laissé son empreinte dans la mienne. Si je ferme les yeux, ou si je contemple le bassin de Monet, du côté du petit pont, je la sens encore palpiter dans toute sa fraicheur d’enfance. Elle me dit ce que cette petite fille sait encore d’instinct : que la beauté du monde nous relie. Et que les moments d’émotion se vivent dans le partage et dans le lien.
La piscine d’été

Je ne voudrais pas laisser croire qu’il fait souvent un temps de chien dans notre coin du val de Seine. Cette semaine, quand je suis passée devant ce panneau, le ciel était exactement tel que décrit par le dessinateur de l’affiche 2021 de Destination Vernon, à croire que les nuages avaient posé pour le dessin. Le genre de ciel « travaillé », comme disent les graphistes, celui que les logiciels de retouche d’images vous proposent pour remplacer d’un clic votre ciel uni supposé être d’un ennui total.
Cette année, ce n’est plus le Vieux Moulin qui est mis à l’honneur, mais la rive gauche, celle du centre ville. L’illustrateur a représenté l’endroit même où se passent la plupart des animations, le site de l’ancienne piscine d’été en bord de Seine.
Ah ! La piscine d’été ! C’est un souvenir cher au coeur des Vernonnais. Dans l’élan de la Reconstruction de l’après-guerre, elle avait été creusée en bord de Seine, près des tilleuls immortalisés par Monet dans les vues de la collégiale de Vernon. On les aperçoit sur la gauche du dessin. C’était là que l’on venait faire trempette dans la Seine jusqu’aux années 50, un lieu connu comme la Plage de Vernon. Y installer la piscine flambant neuve faisait sens.
La piscine d’été, non couverte, ne fonctionnait qu’à la belle saison. Les années caniculaires, elle faisait le plein, les étés frais, seuls les plus mordus allaient grelotter au bord du bassin. Elle avait son pendant, la piscine d’hiver installée près du lycée, couverte et sans espace extérieur.
La piscine d’été était dotée d’un plongeoir d’où les plus intrépides pouvaient sauter dans l’eau après une chute de 4 mètres. Je ne me souviens plus de sa couleur, sans doute béton brut, ou ivoire, un ton auquel on ne fait pas attention. Le cadre était splendide, l’emplacement accessible à pied. Mais la modernité de l’équipement n’a pas duré. Dans les années 1990, on rêvait d’espaces nautiques, de toboggans aquatiques… Des fissures sont apparues dans le bassin, construit sur un terrain meuble. Une dernière fête nautique a marqué la fin de la piscine d’été. Les Vernonnais vont maintenant se baigner dans un complexe couvert où les baies s’ouvrent sur des pelouses, hors de la ville.

Depuis 2014, le site a été aménagé pour la flânerie en bord de Seine. Le bassin a été comblé, remplacé par un miroir d’eau en pavés gris où des traits blancs évoquent les anciennes lignes d’eau. Un siège de maître nageur, haut perché, surveille cet espace où personne ne risque plus de se noyer. Le plongeoir a été conservé. On lui a retiré son échelle et il a reçu une peinture rouge éclatante qui en fait une oeuvre d’art urbain un peu spéciale. Des jets d’eau intermittents animent la surface, à la joie des jeunes enfants. Quand ils s’arrêtent, le miroir reflète avec équanimité le ciel du val de Seine dans toute sa variété, qu’il soit bleu, gris ou parcouru de nuages floconneux.
Averse

Hier, j’ai fait l’expérience de l’ironie du ciel, cet humour de là-haut dont on ne comprend pas vraiment la finalité, mais qui laisse l’impression que quelqu’un s’amuse à nos dépens.
Je guidais une auteure allemande qui prépare un roman ayant pour cadre Giverny.* Cette fois-ci, pour changer, pas de meurtre mais plutôt des romances, avec la famille Monet en toile de fond. Nous venions de commencer le tour du bassin aux nymphéas quand il s’est mis à pleuvoir. Bientôt, des trombes d’eau se sont déversées sur le jardin.
Il aurait été raisonnable d’aller se mettre à l’abri, comme tous les autres visiteurs. Mais le temps pressait, nous avions plusieurs lieux à repérer ensemble dans le village. Nous nous sommes lancées bravement sous la cataracte, dans le jardin déserté.
Accrochées à nos petits parapluies, nous écoutions d’énormes gouttes tambouriner sur nos têtes. Rester au sec relevait de l’illusion. Ma cliente, qui s’était levée à cinq heures du matin et avait fait toute la route depuis l’Allemagne, était hilare. Rien n’aurait pu doucher sa joie d’être là. Extatique, elle ne cessait d’exprimer son éblouissement devant la beauté du lieu.
L’averse s’acharnait sur l’étang, brouillant tout reflet. C’était d’une beauté sauvage incroyable. Je rêve de photographier cela un jour. Je ne crois pas avoir jamais vu pleuvoir comme ça sur Giverny.
Des nappes liquides ruisselaient sous la porte de la route à la façon d’une piscine à débordement, sauf que nous étions du côté du déversoir. Ce n’étaient plus des flaques dans les allées, mais un pédiluve continu dans lequel nous pataugions, les chaussures trempées.
C’est là que j’ai ressenti l’ironie du ciel. Ah ah ! tu prétendais que le jardin était si bien drainé qu’il était difficile d’y trouver une flaque ? Regarde un peu le beau miroir que je te fais dans les allées ! Ah ah ! Tu as fait 800 kilomètres et tu te faisais une fête d’être là, regarde comme je vais te la gâcher !
Au bout d’une vingtaine de minutes, les nuages sombres se sont éloignés, remplacés par des nuées plus claires, et la pluie a fini par se tarir. Un soleil apaisant a fait son apparition. Soudain, la lumière est devenue sublime, comme une réconciliation. Je n’ai pas pu résister, j’ai sorti moi aussi mon téléphone. Il a fait ce qu’il a pu.
Alors, l’humour du ciel ? On n’est pas sûres d’avoir compris la blague, mais on a bien ri quand même.
*Claire Paulin, Blanche Monet und das Leuchten der Seerosen (Ullstein)
Quelle chance, il pleut !

Pour le chasseur d’images, la pluie offre des ressources que le temps sec n’a pas : il peut observer les métamorphoses dues à l’eau. Traquer les perles d’argent des gouttes, cueillir les ronds dans l’eau, s’émerveiller de la brillance nouvelle des feuilles.
Voici le reflet des bambous dans une toute petite flaque, car le sol est si bien drainé dans les jardins de Monet qu’elles ne sont ni grandes ni nombreuses. J’étais en train de soigner la mise au point, qui se dérobe dans les reflets, quand un surveillant de notre éden impressionniste m’a remarquée, de dos, dans cette position inconfortable. « Vous cherchez quelque chose, Madame Cauderlier ? » a-t-il volé à mon secours.
Je cherche le bonheur, et je l’ai trouvé. Il ne me faut pas grand chose : un peu de pluie dans les jardins de Monet.
Cendrillon

Les pavots ont un incroyable pouvoir évocateur. Quand ils sont dans toute leur majesté, ils font penser à des danseurs et danseuses qui tourbillonnent. Même dépourvus de leurs pétales, il leur reste un air de tête perchée au bout d’un très long cou, à la manière d’une marotte.
Ces derniers jours, la pluie les a flétris. J’ai surpris celui-ci, non moins touchant dans son habit chiffonné et taché. C’est Cendrillon, qui pense qu’elle va rester au logis pendant que les autres vont au bal.
Une expo Côté jardin

Monet et Bonnard vivaient à 5 kilomètres l’un de l’autre, sur la même rive de la Seine, et cultivaient chacun leur jardin. C’est le prétexte à une très belle exposition proposée jusqu’au 1er novembre 2021 par le musée des Impressionnismes Giverny. Côté jardin, de Monet à Bonnard met en parallèle la thématique des jardins vue par les impressionnistes et par les Nabis. Si proches dans le temps, en cette fin du 19e siècle, ils ont des sensibilités et des techniques picturales diamétralement opposées, avant de se rapprocher au début du 20e siècle, selon la règle du balancier.
Les tableaux prêtés viennent de France ou des pays limitrophes, sans doute pour faire échec aux difficultés d’acheminement liées à la pandémie. Pas de révélation de chefs-d’oeuvres venus de fort loin, donc, mais une découverte de beaucoup de joyaux qui méritent cette mise en lumière. Du côté des artistes femmes, j’ai admiré les belles toiles de Marie Bracquemond, lumineuses et énigmatiques, tout en regrettant l’absence totale de Berthe Morisot. Comme d’habitude, ces dames sont plutôt du côté des modèles. Une large section leur est consacrée.
Alors que Sisley n’a guère peint les jardins, dans le camp des impressionnistes, c’est surtout Pissarro qui est à l’honneur avec des toiles chatoyantes. Mais l’étonnement est plutôt du côté des Nabis. Pour eux qui se sont construits en opposition à l’impressionnisme et voulaient sacraliser à nouveau la peinture, le jardin est un espace de connexion avec la nature où peuvent circuler les fées, les dieux et les nymphes (chez Roussel ou Ranson), un théâtre d’apparitions religieuses chez Denis. Vuillard et Bonnard sont plus ancrés dans le réel, mais une réalité poétisée par leur sensibilité. Techniquement, ils rejettent la touche vibrante des impressionnistes au profit d’aplats tantôt saturés de couleurs, tantôt contenus dans un subtil jeu chromatique de tons éteints. Il y a beaucoup de finesse dans leur analyse, et il faut prendre le temps d’observer l’originalité et souvent la tendresse de leurs transcriptions.

Huile sur toile, 130 x 162,5 cm. Paris, musée d’Orsay
Pierre Bonnard est bien représenté par des toiles majeures. L’on ne peut qu’être surpris par le grand écart stylistique de Crépuscule, tellement nabi, avec Le Grand Jardin peint seulement trois ans plus tard, grande fresque verte du jardin familial de son enfance. C’est le propre des plus grands de savoir se renouveler, dans leur recherche permanente de donner à voir.
La Magie de Giverny est paru !

Voilà un livre dont je suis très fière ! Les éditions Orep viennent de publier La Magie de Giverny – Une année dans le jardin de Claude Monet. Il est composé d’une sélection de billets de ce blog que j’ai retravaillés pour restituer l’ambiance du jardin de Monet au fil des saisons. Les tout meilleurs, les plus jolis, ceux qui décrivent le mieux les mini évènements qui jalonnent le passage des semaines. Avec mes photos préférées, soigneusement choisies.
Le passage de l’écran au papier a demandé de l’inventivité à Sophie Youf, la graphiste, pour la mise en page. C’est assez rare pour le souligner, les éditions Orep ont l’habitude de collaborer avec les auteurs tout au long de l’élaboration du livre. Le résultat correspond au projet que l’auteur avait en tête, en mieux. J’aime beaucoup, en particulier, les polices de caractères qu’elle a trouvées, et l’équilibre et la variété dans la succession des pages.
La touche en plus, ce sont les petits dessins qui émaillent le texte. J’en avais envie depuis le début, pour donner au livre de la légèreté et une texture différente de celle des recueils de photos. Mais je ne sais pas dessiner… Sophie a commencé par chercher ce qui existait en ligne ; elle a trouvé des fleurs, des oiseaux, qui restaient assez impersonnels. Cela aurait pu être n’importe où… C’est finalement mon amie Véro Stark, artiste allemande elle aussi envoûtée par Giverny, qui a bien voulu dessiner de nombreux détails du jardin d’après mes photos.

Ce procédé a conféré d’un seul coup beaucoup de véracité aux dessins. J’adore le rendu et la façon dont ils dialoguent avec les textes. On a l’impression d’être dans les jardins un carnet de croquis à la main. « Pour Monet, je suis toujours là ! « m’a dit Véro. Je vous invite à aller admirer sur son site les très beaux pastels qu’elle a faits de Giverny. (en bas de la page, cliquez pour agrandir). Elle a une façon moelleuse de dessiner absolument magnifique. Pendant que vous y serez, jetez aussi un coup d’oeil à ses portraits d’animaux. Un tel talent, ça me scotche.
Ce qui est mieux que le blog aussi, c’est la qualité des photos dans le livre. Elles sont beaucoup plus belles que ce que je vois à l’écran, et ça, c’est une surprise. L’ouvrage est imprimé en France, les presses d’aujourd’hui sont d’une performance inconnue jusque là.
Vous pouvez commander La Magie de Giverny directement aux éditions Orep ou auprès de votre libraire préféré.
Il compte 96 pages et coûte 18 euros. Le site de l’éditeur présente plusieurs doubles pages intérieures en plus de la couverture, et il existe même en anglais. (the website) , not the book so far, unlike Giverny en photos that is bilingual 😉 )
Edit 30 April 2022: The Magic of Giverny is now available! The book has been translated to English!
Potée bleue

A Giverny, le goût du bleu se décline aussi en potées où les jardiniers marient avec finesse les nuances, les formes et les textures.
Gilbert Vahé, dans son livre Le jardin de Monet à Giverny – Histoire d’une renaissance avance une explication au penchant du peintre pour les couleurs azurées. Selon le chef-jardinier historique de Giverny, cet engouement lui serait venu à Bordighera, en Italie, où l’artiste a peint dans les jardins de M. Moreno. Le lieu, célèbre pour sa collection de palmiers, était également planté de citronniers et d’orangers. Monet, qui le décrit pour Alice, note ce détail : « en place de l’herbe, des violettes de Parme ; le sol est absolument bleu ».

Je ne doute pas de son émerveillement devant le fameux jardin Moreno. Mais je pense que cet éblouissement face au sol couvert de fleurs bleues ne faisait qu’éveiller l’écho d’une émotion déjà vécue : celle de la floraison des jacinthes sauvages. Comment Monet, qui écumait la campagne depuis ses plus jeunes années, n’aurait-il pas déjà connu le choc délicieux que donne la vue de ces étendues de fleurs spontanées dans les sous-bois, qui fleurissent comme un tapis bleu aux premiers jours du printemps ?

Certes, il n’en parle nulle part. Mais quand on vit à la campagne, cela va de soi. L’année est rythmée par les rendez-vous de la nature, qu’ils réjouissent l’oeil ou le palais. Autour du Havre, dans les bois de Vétheuil ou la forêt de Saint-Germain-en-Laye, il avait forcément eu déjà cette expérience.
A Giverny, il y a cent-trente et quelques années, je l’imagine gravissant la pente du bois du Gros-Chêne pour aller saluer les belles demoiselles à clochettes. Celles que j’ai prises en photo sont sûrement les descendantes de celles qui formaient des lacs bleutés chaque début avril devant les yeux de Monet.
Monet était « fleur bleue »

Le goût de Monet pour les fleurs bleues est attesté, car il a surpris plus d’un de ses contemporains. Le peintre avait ainsi une passion pour les immenses delphiniums, devenus difficiles à trouver.

A Giverny, les jardiniers prennent soin de cultiver le plus possible de fleurs bleues, comme ici les sauges et les campanules de Canterbury. Le violet et le mauve sont également très présents et participent à l’impression bleue. Et vous, aimez-vous aussi voir les jardins en bleu ?
Jardinage en bateau

J’ai pris cette photo mercredi dernier en pleine après-midi, dans le grand calme de ce printemps 2021… Seuls les week-ends sont animés.
Giverny à la télé

Vous avez peut-être vu ce midi le documentaire consacré à Giverny dans l’émission de Laurent Delahousse « 13h15 le dimanche » sur France 2. C’est un très joli reportage que vous pouvez voir en replay pendant quelques jours encore.
Marie-Pierre Farkas et Fred Poussin, le cadreur ci-dessus, ont tourné entre novembre et mai. Là, nous sommes le 2 avril, à la fin d’une matinée entière de prises de vue. Je devais lui montrer mes endroits préférés à Giverny et répondre à ses questions. Je sais maintenant comment on filme pour ce genre d’émission. En revanche le montage, truffé de documents d’archives habilement mis en scène était une surprise et m’a bluffée. C’est du très beau travail.
Femmes au jardin

Quel plaisir de rencontrer aujourd’hui ces deux charmantes jeunes femmes habillées de robes sorties tout droit du tableau de Monet Femmes au jardin ! Annaëlle, à gauche, prépare un mémoire sur Monet et portera cette élégante tenue pour sa soutenance le mois prochain. C’est sa maman, Caroline Mussen, à droite, qui a réalisé les deux robes. Caroline soutiendra elle aussi un mémoire pour décrocher son diplôme de costumière ! Elle a décidé de se reconvertir dans la confection de costumes, sa grande passion.
A quelques semaines de leur oral, ces deux dames belges sont venues étrenner leurs robes à Giverny. Selon Caroline, qui n’est pas intimidée par l’idée de fabriquer une robe de A à Z sur une base aussi mince qu’un tableau, le plus difficile a été de trouver le tissu. Celui de la robe de sa fille est un crêpe à pois très raffiné. Le sien, un coton à rayures. Ne trouvant pas de vert, elle a dû se résoudre au bleu, fort seyant aussi.
Quelle joie Monet devait éprouver à peindre d’aussi jolis modèles !

Quand Monet a exécuté cette grande toile aujourd’hui au musée d’Orsay, il n’avait que 25 ans. C’est sa compagne Camille Doncieux qui a posé pour les trois femmes brunes de gauche. On ne sait pas qui est le modèle de droite en robe à pois.
Réouverture

C’est comme si les fleurs avaient attendu les visiteurs autant qu’elles le pouvaient : les ultimes tulipes et les myosotis étaient au rendez-vous de la réouverture des jardins de Monet ce matin. En général, les tulipes sont passées avant la Pentecôte, et remplacées par les pélargoniums. Mais le temps frais des dernières semaines a mis la nature au frigo. Ce décalage arrange bien les jardiniers : ils ne sont pas pressés d’installer les pélargoniums tant qu’il fait aussi humide, car les variétés anciennes roses sont sensibles à la pluie.

Sous les ifs, les tulipes sorbet sont les plus fraîches. Année après année on ne se lasse pas de leurs coloris pimpants de glace à l’italienne.



Au jardin d’eau, une nouveauté : le tapis de mousse qui s’étend sous le grand hêtre pourpre. Le chef-jardinier, Jean-Marie Avisard, espère qu’elle se plaira à cet endroit très ombragé où la pousse de la pelouse est toujours un peu problématique. L’effet, incontestablement japonais, est bienvenu à proximité immédiate de la bambouseraie.



Au dessus du pont japonais, les glycines s’ouvrent à peine. Elles ont miraculeusement échappé au gel.

Jusqu’au 9 juin, sur ordre de la préfecture, les visiteurs ne doivent pas se croiser dans le souterrain. Le retour vers le jardin de fleurs se fait par la route. Le parcours à sens unique est identique à l’an dernier.



Quand Aragon revisitait Giverny

Louis Aragon connaissait bien Giverny où il s’était retiré en 1923, suite à une déception amoureuse, pour écrire La Défense de l’Infini. Lors de ce séjour, il avait rendu visite à Monet, âgé de 82 ans.
C’est donc assez naturellement que l’écrivain a situé une partie de son roman Aurélien à Giverny. Dans ce livre rédigé pendant la Seconde Guerre mondiale et publié en 1944, Il fait une description du jardin de Monet, description qui est depuis devenue une référence littéraire :
« Quand elle fut devant le beau jardin que partageait le chemin, elle s’arrêta et regarda à gauche le pont, l’eau, les arbres légers, la tendresse des bourgeons, les plantes aquatiques. Puis se tourna du côté de la maison qu’habitait ce grand vieillard qu’elle avait souvent vu de loin, et dont tout le pays parlait. Celui qui ne pouvait voir les fleurs fanées. Elle vit les fleurs bleues. À leur pied, la terre fraîchement remuée. Des fleurs bleues partout. La petite allée vers la maison. Le gazon clair et d’autres fleurs bleues. […]
La lumière était si belle sur les fleurs… Qu’est-ce que c’était ces fleurs ? On dit qu’il n’y a pas de vraies fleurs bleues. Pourtant… Qui sait s’il les voyait bleues, le grand vieillard, là-dedans. On disait que ses yeux étaient malades. Il pouvait devenir aveugle. Terrible à penser. Un homme dont toute la vie était dans les yeux. Il avait quatre-vingts ans passés. S’il devenait aveugle… On pouvait l’imaginer exigeant encore qu’on arrachât les fleurs avant qu’elles fussent fanées, ces fleurs que de toute façon il ne verrait plus… Les fleurs bleues feraient place à des roses. Puis il y en aurait de blanches. Chaque fois, d’un coup, c’était comme si on repeignait le jardin. »
(LXIII, p. 408)
Selon Céline Cachat dans son essai Aurélien : le kaléidoscope et le mentir-vrai , « l’évocation du jardin de Monet à la fin du chapitre LXIII constitue une retranscription fidèle de l’œuvre du peintre selon le procédé de l’ekphrasis, et en particulier de la série des nymphéas et des ponts japonais ». L’ekphrasis désigne la « narration descriptive d’une oeuvre d’art », un concept qui nous est plus familier que son nom.
« La description évoque quelques détails divers qui disparaissent presque sous la quantité de fleurs que comporte le jardin, analyse Céline Cachat. L’incertitude sur les couleurs de ces fleurs est ici attribuée à la vision défectueuse du peintre, mais en réalité elle reproduit exactement les effets de ses tableaux, où les couleurs sont tellement entremêlées qu’il devient presque impossible de les distinguer. Aragon rend ainsi hommage à Monet, et inscrit son texte dans une tradition instaurée par Proust, qui avait déjà rendu un hommage implicite au peintre dans sa description des jardins de nymphéas sur les bords de la Vivonne :
L’épisode de Giverny est donc loin de la romance bucolique. Son intensité dramatique et sa portée symbolique dans le roman en font un épisode clef qui, tout en renvoyant à un passé réellement vécu par Aragon, rend aussi hommage au grand peintre que fut Monet et à son œuvre qui, dès la fin du XIXe siècle, a annoncé la modernité en peinture. »
Louis Aragon a eu l’occasion de revenir à Giverny en 1976 avec le réalisateur Michel Favart, qui voulait adapter le roman pour la télévision. Mais il n’a pas été possible de tourner les scènes givernoises dans le village de Monet : celui-ci avait trop changé.

Dans le numéro 8/9 de Silex consacré à Aurélien et la télévision, Favart raconte cette visite juste avant la restauration des jardins :
Je sui allé en repérage avec Aragon à Giverny. Je l’ai suivi pendant deux journées à la recherche de ses souvenirs, et il ne reconnaissait plus rien, ou si peu de choses… Aujourd’hui, le chemin creux qui partageait la propriété de Claude Monet s’est élargi en route goudronnée ; là où le jardin du peintre était touffu, sauvage aux dires d’Aragon, il est maintenant bien ordonné et assez pauvre en fleurs… La fameuse grille est d’un vert affreux et il n’était pas question d’avoir l’autorisation de la repeindre… Aragon eut beaucoup de mal à reconnaître dans une grande résidence secondaire le moulin où il avait séjourné et où il a fait vivre Paul Denis et Bérénice : il a fallu le témoignage du fils du propriétaire de l’époque (Vanhoot dans le roman), Monsieur Toulgouat, pour qu’Aragon retrouve les lieux et nous les décrivent tels qu’ils étaient en 1922… Quant à l’île où il s’était baigné comme Paul Denis à l’embouchure de l’Epte, nous l’avons cherchée toute une après-midi, courant à travers champs, pour finalement apprendre qu’elle avait été dynamitée il y a une dizaine d’années pour faciliter le passage des péniches sur la Seine.
J’imagine que l’expérience a dû être un peu douloureuse pour Aragon. Mais je dois dire que je ne suis pas surprise de sa mésaventure. Car le Giverny qu’il décrit de mémoire dans les années quarante, vingt ans après y avoir séjourné, ne ressemble guère, lui non plus, au Giverny réel. Sa mémoire avait sans doute passablement transposé les lieux.
Les décors du film ont été reconstitués sur un bras de la Charente, le long d’un chemin creux. Pour l’anecdote, c’est le tout jeune et très beau Bernard Henri-Lévy qui avait été choisi pour le rôle du poète romantique Paul Denis. Il avait même accepté de tourner nu, ce qui suscita une certaine émotion lors de la diffusion du film à la télévision.
Réouverture le 19 mai 2021

L’épidémie
Une pièce de théâtre en un acte d’Octave Mirbeau prend un relief particulier en ces temps de pandémie : il s’agit de l‘Epidémie (à lire sur Gallica). On est en 1898, et pourtant l’ironie de Mirbeau est d’une actualité étonnante. Elle porte sur la gestion de la crise.

J’ai retrouvé dans mon grenier, comme déjà La 628-E8, un volume passablement explosé des Farces et Moralités parues en 1904 chez Fasquelle, envoyé par l’auteur au directeur de l’Excelsior.

Un petit texte tapé à la machine est contenu dans le livre. On dirait un article prêt à être envoyé à la composition, à moins que ce ne soit le prière d’insérer, mais ils sont habituellement imprimés plutôt que dactylographiés. Une seule phrase, mais elle cogne bien.

Toutes les pages du livre ont été découpées, preuve qu’il a été lu. C’est l’Epidémie qui ouvre le recueil.
Mirbeau a placé l’action dans la salle des délibérations du Conseil municipal, dans une grande ville maritime. Le maire a convoqué une séance secrète et extraordinaire du conseil car il vient d’apprendre qu' »une épidémie de fièvre typhoïde vient de fondre sur la ville ». Le foyer en est la caserne de l’arsenal.
– Combien de décès ?
– Hier, douze soldats sont morts… ce matin, seize.
– Ah !… Combien de malades ?
– A l’heure actuelle, on compte cent-trente-cinq malades.
Le décompte, déjà…
Les conseillers ne se sentent pas concernés par ces soldats qui meurent. Ils bottent en touche :
Nous n’avons pas à prévoir des choses qui ne sont pas encore arrivées… Si contrairement aux avis de la science, une pareille éventualité se produisait… si des symptômes alarmants et que nous n’avons pas le droit de préjuger, se manifestaient… eh bien, nous aurions toujours le temps de prendre les mesures nécessaires… Dans l’état actuel, nous ne devons pas intervenir…
Au préfet maritime qui réclame de l’eau de source et des casernes salubres, ils répliquent :
– Il est inouï, le préfet… Il est inouï…
– Si les soldats n’ont pas d’eau, qu’ils boivent de la bière…
– Si les casernes sont malsaines, eh bien, qu’ils campent…
Bref, pas de crédits. Mais un huissier apporte l’annonce de la mort d’un bourgeois, emporté par l’épidémie. C’est alors le docteur Triceps, conseiller municipal et comité scientifique à lui tout seul, qui prend les choses en main d’un ton martial :
– Nous devons lutter ! Aux circonstances douloureuses, opposons les résolutions viriles… Aux périls qui nous menacent, l’énergie qui en triomphe… Etes-vous prêts à tous les sacrifices ?
– A tous… à tous…
– Il nous faut de l’argent…
– Nous en trouverons.
– Nous en inventerons… nous en forgerons…
– Les emprunts !
– Les octrois !
– Les expropriations !
– Il faudra démolir les vieux quartiers de la ville, ces foyers d’infection…
– Nous les démolirons…
– et les reconstruire…
– nous les reconstruirons…
Suivent des mesures délirantes, et enfin :
– Nous établirons des conseils d’hygiène en permanence… des commissions de salubrité… des syndicats de prophylaxie… Des congrès médicaux. Des instituts Pastoriens…
– Votons… Guerre aux microbes ! Guerre à la mort ! Vive la science !…
– Oui, Messieurs, nous allons voter… des choses inouïes… des mesures exceptionnelles…révolutionnaires même… des sommes formidables…
– Je demande dix millions.
– Que voulez-vous faire avec dix millions ?… Non, vingt millions!
– Cinquante millions !
– Eh bien 75 millions !
– Non… Cent millions !… (Hourrah formidable)
Un très vieux conseiller émet des doutes :
– Mais où trouverons-nous tous ces millions ?
Je vous laisse découvrir la réponse du maire et des autres conseillers à cette question saugrenue.

Sur le quai de la gare

La gare de Vernon a été rebaptisée récemment Vernon-Giverny. Si vous prenez le train en direction de Paris, il faut vous placer sur ce quai. Pour aller vers Rouen et Le Havre, c’est en face. Cette partie de la ville n’a pas beaucoup changé depuis l’époque où Monet circulait à bord d’un train tiré par une locomotive à vapeur.

A l’époque, il existait une correspondance à Vernon, comme l’indique le panneau « Embranchement de Gisors à Pacy ». On pouvait prendre le petit train qui desservait la vallée de l’Epte, et dont l’une des premières haltes était Giverny. A condition de ne pas être trop pressé. Quand on possédait une belle bicyclette comme le voyageur de gauche, c’était plus vite fait à vélo.
« Giverny en photos » est paru !
Je viens de recevoir mes exemplaires auteur… Tada !

Tout juste sorti de presse, voici Giverny en photos, publié par les éditions Orep.
C’est un livre de 288 pages constitué de photos et rien que de photos ! Ou presque : quelques paragraphes d’explication au début, de temps en temps une citation en français et en anglais, et c’est tout pour le texte.
J’ai pris grand soin à sélectionner ces vues de Giverny de façon à ce qu’elles racontent quelque chose, même sans mots. La beauté des jardins de Monet à travers les heures et les saisons, leurs lumières changeantes, la coquette maison du peintre et de sa famille… Une cinquantaine de clichés sont consacrés au village lui-même.
Cela n’a pas été une mince affaire de fouiller parmi les quelque 120 000 photos que j’ai faites à Giverny au cours des dix dernières années. Ce sont mes préférées, les plus fidèles à l’esprit des lieux. Elles ont été superbement mises en page par la graphiste Sophie Youf. J’adore le résultat.
Et je suis fière que mon cher Giverny s’inscrive dans la collection de recueils de photos des éditions Orep, qui compte déjà des ouvrages tous plus beaux les uns que les autres : le Mont Saint-Michel, les châteaux de la Loire, la Seine-Maritime, l’Orne, le Cotentin, les îles Chausey… tous à 15 euros.
Giverny en photos est déjà disponible chez votre libraire préféré, vous savez, celui qui est prêt à vous commander tous les livres de la terre, celui qui vous donne l’occasion de sortir de chez vous et d’échanger quelques mots avec quelqu’un d’adorable… En plein confinement, que c’est bon…
La maison de Monet vue de dehors

Le printemps est là, même si les sites culturels doivent rester fermés… Les arbres sont de plus en plus nombreux à fleurir en ville et dans les jardins. Bonnes promenades à vous en ce week-end pascal !
La Seine à vélo à Vernon

Envie de prendre l’air ? Quelques tours de pédales le long de la Seine, cela vous tente ?
L’itinéraire de la Seine à vélo, qui relie Paris à la mer, n’est pas encore aménagé pour les cyclistes sur tout son parcours. Il se compose de sections aménagées et d’autres où les vélos doivent s’insérer dans la circulation. A Vernon, une très jolie portion a été réalisée le long du fleuve. Si elle n’est pas très longue, elle offre un confort optimal et des vues superbes.

Le parcours très bucolique traverse les prés de Vernonnet. Voici leur aspect au mois de juin.

Côté Seine, le panorama est celui des motifs de Monet.
Au milieu de toute cette nature, la technologie fait son apparition. Voici l’e-Tree :

Grâce à ses feuilles en panneaux photo-voltaïques, cet arbre du futur est autonome en énergie. Il la restitue sous forme de borne à clés USB :

Ce n’est pas toujours facile pour les cyclistes de recharger leur portable ! Ici ils peuvent faire une petite pause et se désaltérer :

Des tables à pique-nique plus conventionnelles ont été prévues, où l’on peut s’abriter de la pluie comme du soleil.

L’aménagement est en cours sur la commune de Giverny. Il emprunte assez largement le tracé de l’ancienne ligne de chemin de fer : autant dire que c’est tout plat !
L’allée centrale en photos





L’allée centrale du jardin de Claude Monet était l’un des éléments les plus photographiés de sa résidence de Giverny du vivant du peintre, déjà. La comparaison des photos anciennes permet de suivre l’évolution de cette grande allée.
Sur la première, qui appartient au fond d’archives du musée Marmottan-Monet, les épicéas donnent un aspect forestier au chemin. Les floraisons s’étirent en bandes parallèles sur trois hauteurs. Les capucines rampantes dessinent des vagues sur le gravier.
La deuxième et la troisième photo dévoilent l’installation d’arceaux métalliques. Un arbre sur deux a été abattu.
Sur la quatrième photo, on voit que Monet a décidé d’étêter les arbres restants. Les troncs servent de support à des rosiers grimpants. C’est une vue printanière, les capucines dépassent à peine des bordures. De grosses touffes de pivoines marquent les pieds des arceaux.
La dernière photo est à nouveau une vue de fin d’été. Les troncs ont été éliminés et remplacés par des arceaux, donnant à l’allée l’aspect qu’on lui connaît encore aujourd’hui.

L’église de Vernon

Claude Monet – L’église de Vernon – 1883 – huile sur toile 65 x 81,4 cm
Collection particulière
Cette toile de Claude Monet a été vendue par Christie’s en octobre 2020, ce qui nous vaut le bonheur de la mise en ligne d’une image numérique de grande qualité et de commentaires en anglais de l’expert.
En juin 1883, Monet vient d’arriver à Giverny avec sa famille. Il explore les environs à la recherche de paysages à peindre, et tout porte à croire qu’il arrive à hauteur de l’église de Vernon, motif à 45 minutes à pied de chez lui, en bateau-atelier, parce que c’est plus pratique avec tout son matériel, et parce que la berge est absente de la toile.
Si vous utilisez la fonction de superzoom proposée en dessous de l’image, vous pourrez vous approcher de l’oeuvre comme si vous aviez le nez dessus. A en juger par la faible épaisseur de peinture et par la toile encore visible par endroit, le tableau semble avoir été achevé en une seule séance.
C’est ce qui lui confère sa fraîcheur et sa puissance, avec ses tons de bleus et de verts si flatteurs. Monet transcrit avec spontanéité le paysage qui s’offre à lui.
Onze ans plus tard, en 1894, il reviendra faire six toiles de la collégiale Notre-Dame de Vernon en appliquant le principe des séries.
Quand est-ce qu’on ouvre ?

La fondation Claude Monet rouvrira-t-elle à la date prévue, le 1er avril ? Bien malin qui saurait répondre à cette question. Les jardins et la maison du peintre ont dû fermer le 30 octobre 2020 comme tous les sites culturels en France. Pour Giverny, les conséquences de la décision gouvernementale étaient limitées : on était à trois jours de la fin de la saison, traditionnellement fixée au 1er novembre.
Depuis, quatre mois ont passé. Mais aucune annonce officielle ne laisse encore espérer la fin de la vie sans musées.
A nouveau, les jardiniers de Giverny s’activent pour être prêts à l’heure, sans savoir si les visiteurs seront au rendez-vous. Le grand show qu’ils préparent depuis des mois aura-t-il des spectateurs ?
Edit du 25 mars : l’Eure faisant partie des départements confinés pour 4 semaines, une nouvelle date d’ouverture vient d’être fixée au 19 avril, sous condition d’autorisation administrative.
Accès libre

Après le froid glacial de la semaine dernière, la douceur s’est installée ce week-end, pour la première fois depuis l’année dernière. Les promeneurs étaient nombreux dans la campagne, et plusieurs ont même été tentés par l’ascension de la colline qui domine la vallée de la Seine, d’où ils pouvaient contempler un panorama proche de celui représenté par Robinson.
En 130 ans, la ville de Vernon s’est étendue, mais le paysage est sensiblement le même. On repère toujours la collégiale dont le large toit d’ardoise coiffe la vieille ville, et le pont sur le fleuve, qui n’est plus fait d’arches de pierres. A droite, je crois apercevoir sur le tableau une évocation du château des Tourelles.
Theodore Robinson adorait prendre de la hauteur. Il a peint de nombreuses vues depuis les collines au-dessus de Giverny, en direction de Vernon, du village lui-même ou du val d’Aconville de l’autre côté de la Seine.
Robinson est l’un des peintres les plus importants de la colonie de Giverny, où il a séjourné longuement. Quelque années avant de s’installer dans le village, il avait étudié à l’école des Beaux-Arts de Paris ; pour y être admis, il avait dû réussir le redoutable examen de langue française. Cette maîtrise linguistique a facilité ses contacts avec Claude Monet, dont il est devenu l’ami.
Le tableau ci-dessus fait partie des collections de la National Gallery of Art de Washington et il est librement téléchargeable en haute résolution, selon la politique d’Open Access du musée pour les oeuvres élevées au domaine public. L’agrandissement permet de détailler chaque coup de brosse comme si on avait le tableau sous les yeux.
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