Erable du Japon en automne
En automne les arbres aux feuilles vertes deviennent jaunes, rouges ou bruns.
Et que font ceux qui sont pourpres toute l’année ?
Ils trouvent le moyen de devenir plus rouge ou plus roux encore.
A la fin octobre l’érable du Japon qui borde l’étang du jardin de Monet prend cette teinte incroyable, d’un rouge intense.
Le grand hêtre pourpre devient de la couleur des écureuils.
Maurice Ravel à Lyons la Forêt
Dans le joli village eurois de Lyons la Forêt, un peu à l’écart de la place et sa vieille halle, cette belle maison à colombages en impose.
Une plaque sur la façade nous informe que Maurice Ravel y a fait de fréquents séjours. C’est dans cette retraite paisible qu’il a composé Le tombeau de Couperin en 1917.
En 1922 il y a travaillé à l’une de ses oeuvres les plus fameuses, l’orchestration des Tableaux d’une exposition.
La musique rejoint la peinture ! Au départ l’idée est de Moussorgski. Il visite en 1873 une exposition qui célèbre la mémoire de son ami peintre et architecte Viktor Hartmann, qui lui inspire une série de petites pièces pour piano très diverses.
Près de cinquante ans plus tard, un chef d’orchestre demande à Ravel d’adapter la partition de Moussorgski pour un orchestre. La version de Ravel, éblouissante, va connaître un très grand succès.
Fresque cachée
Au manoir de Bellou, dans le Calvados, les propriétaires ont eu la bonne fortune de découvrir des peintures anciennes aux poutres et aux murs d’une chambre, à l’occasion d’une restauration. Des feuillages, une scène de chasse, une sainte Suzanne, etc, qui dateraient peut-être de la Contre-Réforme.
C’est le genre de surprise dont on rêve quand on entreprend la réfection d’une maison ancienne. Y aura-t-il une merveille oubliée cachée sous un enduit ou un apprêt quelconque ?
Des découvertes comme celle de Bellou, on en faisait déjà au dix-neuvième siècle. Dans les Misérables, voici ce que Victor Hugo fait raconter à la soeur de l’évêque Myriel dans une lettre :
Madame Magloire a découvert, sous au moins dix papiers collés dessus, des peintures, sans être bonnes, qui peuvent se supporter. C’est Télémaque reçu chevalier par Minerve, c’est lui encore dans les jardins. Le nom m’échappe. Enfin où les dames romaines se rendaient une seule nuit. Que vous dirai-je? j’ai des romains, des romaines (ici un mot illisible), et toute la suite. Madame Magloire a débarbouillé tout cela, et cet été elle va réparer quelques petites avaries, revenir le tout, et ma chambre sera un vrai musée.
Il y a de quoi être tenté de jouer de la décolleuse, n’est-ce pas ?
Changer de prénom
Ci-contre Vue prise à Rouelles, première huile sur toile de Monet cataloguée w1, signée et datée en bas à gauche O. Monet 58
Au début, il s’appelait Oscar. Oscar Monet. C’est ainsi qu’il signe ses premières oeuvres en soulignant deux fois : Oscar ou O. Monet. Et puis un beau jour, adieu Oscar, l’artiste décide de changer de prénom. Ce sera le deuxième dans l’ordre de l’Etat-Civil, Claude. Et c’est en tant que Claude Monet qu’il deviendra, beaucoup plus tard, célèbre.
Choisir parmi la liste de prénoms que nos parents nous ont attribués à la naissance celui dont on veut faire le prénom usuel, c’est la façon la plus simple d’en changer. Aucune démarche, il suffit quand on vous le demande de souligner le bon, celui dont on a décidé qu’il allait servir dorénavant.
Monet a environ vingt et un ans quand il devient Claude. On peut y voir la marque d’un tempérament bien trempé qui veut signer son esprit d’indépendance. Mais il y a aussi une autre explication.
Pourquoi changer de prénom ? Parce que le précédent, celui qui l’a accompagné depuis l’enfance, ne lui plaisait guère et qu’il lui est soudain devenu insupportable.
L’évènement qui déclenche le rejet d’Oscar, la goutte qui fait déborder le vase, c’est le service militaire. Monet, qui a tiré un mauvais numéro, est affecté pour sept ans et à sa demande aux Chasseurs d’Afrique. En Algérie, ses compagnons se moquent-ils de son prénom ? Ni une ni deux, au retour Monet le troque sans regret pour Claude. Il ne sera pas dit qu’il le traînera toute sa vie comme un boulet.
Les goûts et les sonorités… Les prénoms ont leur mode, comme les pois et les rayures. On les choisit avec soin, conformistes ou originaux selon son tempérament. Certains font un tabac puis, trop entendus, ils passent de mode. D’autres suivent leur petit bonhomme de chemin tranquillou, en classiques.
Tous ces phénomènes ont pu être analysés finement par la statistique.
Aujourd’hui, on prédit un retour en force des Oscar, portés par la vogue du son O et une tendance rétro qui s’affirme. Les parents qui ont déjà fait ce choix sont bien entendu enchantés de ce prénom trop mignon qui va comme un gant à leur bout de chou. Saviez-vous que Patrick Bruel avait un petit Oscar ? OSCAAAAR !!!
Château des Tourelles
Le château des Tourelles se dresse depuis le 12e siècle sur la rive droite de la Seine, face à Vernon.
Sa mission était de défendre le pont qui reliait les deux rives, un des très rares points de passage du fleuve en Normandie.
Le château des Tourelles a-t-il été construit par le duc-roi de Normandie du temps où la ville était normande ou, à peine plus tard, par Philippe-Auguste quand elle est devenue française ? Quoi qu’il en soit Vernon restait ville frontière et demandait à être fortifiée.
Le souverain n’a pas lésiné sur les moyens pour assurer la sécurité du pont et de la petite cité : un donjon composé d’un corps carré flanqué de quatre tourelles d’angle de 18 mètres de haut, le tout entouré de fortifications qui ont aujourd’hui disparu.
Avec la Tour du château de Vernon, l’actuelle tour des Archives, qui dominait la rive opposée de ses 22 mètres et les solides murailles qui entouraient la ville, la place n’était pas facile à prendre !
Au fil du temps la tête de pont a perdu sa vocation défensive.
Au 18e siècle, une époque où le blé était gardé aussi précieusement que de l’or, les Tourelles ont été incorporées dans une minoterie. Les solides murs du château protégeaient les sacs de grain et de farine. A la Révolution le propriétaire de la minoterie a été accusé d’affamer le peuple et a failli être pendu. Il a dû prendre la fuite.
Le château a ensuite servi d’annexe à une tannerie, puis le domaine est devenu un jardin d’agrément et enfin aujourd’hui, un centre de loisirs.
Entre-temps la deuxième guerre mondiale l’a sérieusement endommagé en lui arrachant une tour, celle du milieu sur la photo. Elle a été reconstruite récemment, mais cette fois plus question de lui faire des murs de pierre de 2m50 d’épaisseur : on a mis en oeuvre des éléments circulaires préfabriqués en béton, recouverts d’un parement de pierre. Des petits trous aménagés dans la paroi apportent un éclairage naturel qui sera sûrement bien agréable le jour où on voudra trouver un nouvel usage au château des Tourelles. Pour l’instant, comme le vieux moulin et la tour des Archives, le monument se contente de sa fonction décorative.
Vue imprenable
L’histoire qui se tisse entre une maison et son ou ses nouveaux propriétaires a toutes les caractéristiques de l’histoire d’amour, du coup de coeur initial au déchirement quand il faut se quitter, en passant par le bien-être tranquille ou les crises périodiques d’une relation au long cours.
Il y a toutes sortes de raisons pour acheter une maison. Des raisons raisonnables et des raisons secrètes, affectives, qui vous font accepter tous les défauts de la belle.
La vue peut avoir ce charme irrésistible. Quand on y a goûté, il est très difficile de s’en passer par la suite, même si cela n’a rien à voir avec le confort de la maison ou son aspect, puisque c’est de l’espace extérieur qu’il s’agit. Un ami new-yorkais installé en Normandie a craqué pour un appartement à flanc de colline parce qu’il lui donnait l’impression d’habiter en haut d’un gratte-ciel. Le reste n’avait guère d’importance.
C’est fragile, une vue. Elle n’a de valeur que si elle est imprenable, qu’on ne risque pas de vous la confisquer brusquement par une construction intempestive devant votre balcon. On voudrait la protéger comme un bien précieux, sauvegarder le secteur. Mais le risque est là, vous avez acheté une vue, et celle-ci ne vous appartient pas. Elle dépend de centaines de voisins, à commencer par les plus proches.
J’ai visité cet après-midi une maison posée en belvédère au-dessus de la vallée de la Seine, où d’immenses baies offrent au regard tout le panorama. C’était à l’origine une maison récente de style normand, avec de faux colombages devant les fenêtres d’angle du salon qui faisaient un costume rayé au paysage. Le nouvel acquéreur, un architecte, ne s’est pas inquiété de cette banalité. D’un coup de baguette magique (qui a tout de même duré dix-huit mois) il a transformé la maison pour en faire un endroit unique en harmonie avec ses habitants.
Quand la vue est belle, elle attire comme un aimant. Sans que vous ayez eu le temps de vous en rendre compte vous vous retrouvez le nez collé à la vitre, les yeux happés par les lointains. Le regard qui vagabonde donne une impression de liberté grisante semblable à celle de la petite chevrette qui a quitté son enclos.
Par beau temps on a sans doute l’illusion d’être à l’extérieur, à nager dans le vert et le bleu. Aujourd’hui la pluie de décembre battait les vitres et définissait avec exactitude le dedans et le dehors. Les baies devenaient protectrices, d’autant plus cocoonantes qu’elles ne cachaient rien des intempéries. C’est drôle comme un matériau aussi froid que le verre peut offrir une impression de sécurité. Et comme l’absence de rideau est confortable quand vous avez le ciel en vis-à-vis et qu’il n’y a que les oiseaux qui peuvent voir chez vous.
Arbre remarquable
Cet alerte vieillard a 530 ans.
Bien qu’il soit très grand, à voir le port équilibré des branches, son aspect vigoureux, on pourrait mésestimer son âge véritable, mais le tronc extraordinaire met la puce à l’oreille.
Quelles boursouflures, quel profil triangulaire pour un tronc !
Il est tellement étonnant qu’en l’absence de feuilles on n’identifie pas facilement de quel arbre il s’agit. C’est, nous apprend le propriétaire du château, un platane.
Ce géant vénérable a fait l’objet d’un classement parmi les arbres remarquables de Normandie.
Il magnifie de toute sa noblesse le parc du château de Fervaques, dans le Calvados.
530 ans ! Aussi vieux que la demeure elle-même, qui date de la Renaissance.
C’est fou de penser que cet arbre était déjà là lors du séjour d’Henri IV au château !
A côté, le platane de la Liberté qui pousse derrière la cathédrale de Bayeux et qui n’a été planté qu’à la Révolution fait figure de jeunot, si ce n’est de gringalet.
Bon, ce n’est pas une raison pour que le platane de Fervaques se prenne pour le Mathusalem des arbres non plus.
530 ans, c’est très vieux pour un platane, mais c’est petit joueur comparé à d’autres essences, les chênes ou les ifs, par exemple, qui peuvent devenir millénaires ou même davantage.
Et là, se dire que quelque chose qui est toujours vivant au 21ème siècle a connu l’époque de Charlemagne, ça fait tout drôle, non ?
Rosace
Combien y a-t-il de cercles sur cette photo ?
Vous connaissez ces questions pièges où l’on vous demande de compter des triangles ou des rectangles imbriqués les uns dans les autres, et où vous n’en finissez pas d’en trouver des nouveaux. C’est un peu la même chose sur la façade ouest de la collégiale de Vernon.
De haut en bas, bien alignés, on a le tour du quadrilobe et son coeur tout rond, la pendule, et la rosace. Là ça se complique. Quatre cercles, un grand qui les entoure, oh et puis encore un petit à l’intérieur, et on dirait bien qu’il y en a encore d’autres dans les coins, et… ça fait combien déjà ?
C’est toute l’originalité de la rose de l’église de Vernon, ces cercles encastrés les uns dans les autres où s’inscrivent les flammes du gothique flamboyant.
Son originalité, et on pourrait presque dire sa bizarrerie. D’où vient ce dessin inattendu ?
C’est la fin du 15ème siècle ou le début du 16ème. Des roses, cela fait près de trois cents ans qu’on en fait. Si l’on veut éviter l’impression de déjà vu, la banalité, il faudrait trouver quelque chose qui sorte de l’ordinaire, se disent commanditaire et architecte.
Pour renouveler le genre, le moderniser, ils sont d’accord sur un point, il faut rompre avec l’habitude d’organiser le dessin en rayons à partir du centre.
A force de chercher le compas à la main, de dessiner encore et encore des rosaces, l’architecte a eu une idée.
Dans un carré, il a disposé quatre cercles en croix et les a fait vibrer en y dessinant les flammes. Puis, dans l’espace que créent les quatre cercles entre eux, il a imaginé de placer un petit quatre feuilles qui offrirait comme un résumé de la rose, comme une mise en abîme.
C’est une chance, son dessin plaît au commanditaire. La rosace imaginée par cet esprit inventif va s’étaler sur toute la façade de la collégiale.
Elle traversera les siècles, et qui sait, peut-être qu’on en parlera encore au prochain millénaire…
Dis-moi si demain il fera beau
Pelotonné comme un chat, enspiralé comme un gastéropode, roulé en boule comme un hérisson, le mauvais temps nous souffle des envies de repli sur soi.
Et si on se mettait la tête sous l’aile, si on allait hiberner jusqu’au retour du printemps ?
On dormirait en oubliant la pluie, le vent et le froid.
Et on s’étirerait en bâillant à l’arrivée des premières jonquilles…
Étude de nu masculin
Nu masculin, Frédéric Bazille, 1863, crayon et fusain sur papier, musée Fabre, Montpellier
Dieu qu'il est beau ! Beau comme un dieu ! Le dessin exécuté au crayon et fusain sur une feuille volante par Frédéric Bazille, un ami de Monet, est conservé au musée Fabre de Montpellier. Un homme nu à la plastique sculpturale se tient debout, aux trois quarts tourné vers la gauche. Ses bras tendus reposent sur une sellette d'atelier.
C'est l'indice qui permet de comprendre la scène. Pas de mythologie ici. Le dessin ne raconte pas une histoire. Ce qu'il se propose de montrer, c'est tout simplement un modèle qui pose dans une école de peinture.
L'auteur ne considère pas son travail comme une oeuvre achevée mais comme un exercice préparatoire, une étape en vue peut-être d'une oeuvre plus élaborée.
Étude de nu masculin. A regarder attentivement on devine des repentirs, des traces de gommage au pied gauche et le long du dos et de l'épaule. Le modèle était plus redressé au départ. A-t-il bougé ? Ou l'artiste a-t-il jugé que cette pose était meilleure ?
Pas facile d'être modèle. A première vue il semble qu'on soit payé à ne rien faire, mais telle est justement la difficulté. Ne pas bouger du tout. Longtemps, très longtemps. De l'avis des modèles, c'est douloureux et épuisant.
Il se trouve pourtant au 19ème siècle des hommes et des femmes pour venir poser, qui plus est poser nus. Par quel ressort psychologique acceptent-ils en cette époque si prude de se dévêtir et de se livrer aux regards d'un ou plusieurs artistes ? Mystère.
Concernant l'homme qui pose pour Frédéric Bazille le 7 mars 1863, on serait tenté de croire qu'il y a une part de narcissisme dans sa démarche : le modèle se trouve beau et veut célébrer la beauté de son corps.
Sauf que. La scène se passe dans l'atelier du maître Gleyre devant un groupe d'élèves. Monet, qui en faisait partie en début d'année est sans doute déjà parti, alarmé dès les premiers jours par le manque de sincérité que prône le maître. "Quand on dessine d'après modèle, il faut toujours penser à l'antique," tel est le credo de Gleyre. C'est-à-dire qu'il faut arranger les défauts du modèle pour se rapprocher d'un idéal imaginaire.
On ne saurait faire reproche à Gleyre d'enseigner l'académisme, pas plus qu'on ne peut en vouloir à Monet de l'avoir rejeté ou à Bazille d'y avoir souscrit pour un temps.
En mars, le jeune camarade de Monet exécute donc studieusement cette académie, et il n'est pas impossible qu'il ait embelli son modèle en mettant à profit ses connaissances en anatomie. Bazille étudie parallèlement la médecine, bien qu'il soit de plus en plus attiré par les beaux-arts. Il a un bon coup de crayon, n'est-ce pas ?
Ce jour-là son nu est très admiré par tout le monde dans l'atelier, ce qu'il rapporte non sans fierté à ses parents. Pour prolonger ce succès il projette même de refaire le personnage grandeur nature.
Pendant ce temps, Monet a pris ses cliques et ses claques et il a filé peindre à la campagne, d'où il presse son ami de venir le rejoindre, le travail avec la nature pour modèle étant selon lui la meilleure des formations.
Les arbres en posant ne prennent pas de crampes, mais ils ont d'autres tours dans leurs branches pour en jouer aux peintres, Monet l'apprendra à ses dépens.
Les moutons de Giverny
Un mouton est passé par là, un peu de sa toison est resté accroché aux épines de cette ronce.
Dans les collines au-dessus de Giverny, on peut voir de temps en temps un troupeau de moutons en train de paître.
Il a pour vocation d’entretenir les prairies, ces fameuses pelouses calcicoles à la flore si particulière, qui sans eux deviendraient rapidement une friche impénétrable.
C’est le Conservatoire des Sites Naturels de Haute-Normandie qui gère ces troupeaux placés sous la responsabilité d’un berger. En fait de moutons ce sont plutôt des brebis, de jolies brebis de race solognote avec le corps blanc et la tête et les pattes foncées.
Un peu partout sur leurs lieux de pâture ou de passage on trouve de petites touffes de poils laineux et frisés arrachés par les épines. Elles feront le bonheur des petits oiseaux au printemps quand ils voudront préparer un nid douillet pour leurs petits.
Immoralité jardinière
C’est le week-end. A la faveur d’un rayon de soleil, tous les jardiniers sont dans leurs jardins. Pas pour la bronzette : c’est quand ils sont dépouillés de leurs attraits à l’automne que les jardins requièrent le plus de soins et d’attention.
On ne saurait se passer de ces tâches automnales. Les règles du jardinage visent à détourner à notre profit les lois de la nature, ce qui impose un bras de fer permanent auquel chaque jardinier consacre plus ou moins d’énergie.
On fait de drôles de choses dans un jardin. On applique des règles d’une totale immoralité.
Le délit de sale gueule, quand on désherbe, entraîne la peine de mort par arrachage.
On brûle sur le bûcher les contrevenants à l’ordre jardinier.
On traque les résistants qui se contentent courageusement des situations les plus difficiles.
On déporte des hordes d’étrangères et on les oblige à s’acclimater chez nous.
On arrange les mariages, on les force.
On réduit les plantes en esclavage pour mieux leur retirer leurs enfants.
On étête, on décapite, on ampute.
On étouffe les unes, on empoisonne les autres, tandis qu’on bichonne les plus grosses. Au jardin les obèses sont les préférées, les frêles n’ont pas leur place.
On fait naître et on tue tout autant, par milliers. Les petits sillons de nos jardins sont des champs de bataille où le jardinier exerce son pouvoir de vie et de mort à discrétion.
Pourquoi ? Pour le plaisir de prendre le pas sur la pente naturelle des choses. Pour le plaisir de contempler des fleurs plus flatteuses à l’oeil que celles des champs. Par plaisir.
Pourquoi nous octroyons-nous ces libertés insensées ? Parce qu’en l’état actuel de nos croyances, en ce début du 21ème siècle, les plantes n’ont pas d’âme.
Sinon, ce serait vraiment trop affreux.
Croix de Saint-André
Dans les maisons normandes à pans de bois, on appelle croix de Saint-André les poutres qui se croisent en forme de X.
Ces éléments du colombage sont souvent placés au-dessus et au-dessous des fenêtres de manière à renforcer la structure de la charpente à un endroit où elle se trouve affaiblie par la présence d’une ouverture.
Pour que les poutres restent dans le même plan, elles croisent à mi-bois, c’est-à-dire que chaque élément de la croix est diminué de la moitié de son épaisseur à l’intersection.
Les croix de Saint-André tirent leur nom du supplice du premier apôtre du Christ, André. La Bible n’en souffle mot, mais la Légende Dorée, un ouvrage compilé au 13e siècle par Jacques de Voragine en se fondant sur des textes plus anciens, se montre plus loquace.
Egée, le tyran qui ordonne le supplice du martyre, « le fit lier ensuite à une croix par les mains et par les pieds afin qu’il souffrît plus longtemps ». Saint-André en profite pour évangéliser pendant deux jours les vingt mille personnes accourues. La foule exige qu’on le libère, mais le saint s’y oppose et ceux qui tentent de le faire sont frappés de paralysie.
Cette croix à la forme très simple se retrouve dans bien d’autres domaines, notamment sur le drapeau de l’Ecosse et dans de nombreux blasons.
Banc design
Êtes-vous plutôt faux vieux ou vrai contemporain ? Sur cette partie récemment rénovée de la promenade le long de l’Iton, du côté de la cathédrale, la ville d’Evreux a opté pour un mobilier urbain résolument tendance.
Place au métal pour des garde-corps très épurés et des bancs au design renouvelé. L’assise est faite de fines tiges métalliques, le dossier d’une simple barre en bois.
Le dessin rappelle un peu celui du traditionnel banc de square, au confort spartiate. On gagne en légèreté ce que l’on perd en romantisme, sans échapper à une certaine raideur. Mais à bien y regarder, il y a quelque chose d’aérien dans ce banc-là. Surveillez-le bien, il va battre des ailes et s’envoler…
Portrait de jeunesse de Blanche Hoschedé
Avec son visage rond, son doux sourire, on dirait un peu un Renoir. Cette fillette à l’air pensif, c’est Blanche Hoschedé. Elle est la deuxième fille d’Alice Hoschedé, qui va devenir la deuxième femme de Claude Monet.
Le portrait aurait été peint à l’époque où les Monet et les Hoschedé vivaient ensemble à Vétheuil, mais il n’est pas daté.
S’il faut en croire sa soeur Germaine, Blanche Hoschedé a quatorze ou quinze ans quand elle pose pour son futur beau-père Claude Monet. ll me semble qu’elle en paraît moins. Peu importe.
Toute la bonté de Blanche se révèle dans ce regard. Monet lui a fait un visage de vierge Marie, avec cet air de voir à l’intérieur, de savoir d’avance ce qui va se passer, et d’accepter.
L’oeil s’arrête un instant aux détails du portrait, à ce chapeau vif qui ne l’embellit guère, aux couleurs layette de la robe, au quadrillage qui matérialise l’arrière-plan. Mais il n’en finit pas d’interroger l’expression du visage de Blanche.
Ce portrait est resté dans la collection personnelle de Blanche jusqu’à sa mort en 1947. Elle l’a légué à l’Etat, qui l’a placé en dépôt au musée des Beaux-Arts de Rouen, une ville où Blanche Hoschedé Monet a vécu plusieurs années et où elle a acquis une certaine notoriété en tant que peintre.
L’église d’Auvers sur Oise
Cette église vous dit quelque chose ? Vous l’avez déjà vue quelque part ? La réponse est à un clic sur l’image…
Toujours cette même impression extraordinaire de voir en vrai un endroit rendu célèbre par un tableau, et ce va et vient de l’un à l’autre pour comparer l’oeuvre au modèle, pour mesurer le travail créateur du peintre…
La ville d’Auvers l’a bien compris en installant une reproduction de la toile au chevet de l’église, à l’endroit même où se tenait Vincent van Gogh.
Lavoir
A Amfreville-sur-Iton, voici ce que l’on découvre au bout de la rue du vieux lavoir.
Tous les lavoirs sont devenus de vieux lavoirs aujourd’hui, mais il y a, il faut croire, des degrés dans l’ancien.
Celui-ci, restauré, a conservé son ingénieux système de vis qui permettait d’ajuster la hauteur du lavoir à celle de la rivière. Le plancher est ici au plus bas, en cas de crue on pouvait le remonter de quelques dizaines de centimètres.
Des kyrielles de lavoirs sont disséminées le long des rivières de l’Eure, semblables et différents, avec un air de cousinage qui les rend amusants à comparer.
C’est joli, un lavoir. Cette ébauche de maisonnette au bord de l’eau a quelque chose qui fait plaisir à voir. Même si on sait bien qu’ils ne servent plus, on a toujours un peu l’impression d’arriver entre deux lessives. Des lavandières ne vont pas tarder à tourner le chemin avec leur chargement de linge et se mettre à le frapper et le brosser de leurs bras musclés.
Il y a là un côté image d’Epinal du bon vieux temps, mais je ne voudrais pas avoir à le faire. Ça doit vous tuer le dos quelque chose de bien d’être penché au-dessus du courant, et vous geler jusqu’aux os de garder les mains dans l’eau glacée.
Les centaines de lavoirs que l’on peut encore voir dans la région rendent hommage au courage de toutes ces femmes qui y ont travaillé dur.
Une de mes clientes américaines m’a raconté qu’elle avait eu un guide formidable dans le Midi. « Il nous a montré les lavoirs ! » expliquait-elle, avec encore de l’enthousiame et de l’émerveillement dans la voix. C’est le souvenir de cette émotion ressentie à la vue d’un lavoir qui lui a donné envie de suivre des visites guidées ailleurs.
Je me dis que c’est difficile de savoir ce qui va émouvoir. Il ne faut pas négliger ce qui peut paraître évident ou banal.
Je me dis aussi que quand on fait du bon travail de guidage quelque part, on fait la promotion de toute la profession, partout. Et inversement.
La Maison du Pendu de Cézanne
C’est compliqué d’être riche. On se pose des problèmes dont les pas-riches n’ont même pas idée.
Imaginez par exemple que vous appartenez à une famille de banquiers du nom de Camondo, vous vous prénommez Isaac, vous vivez à Paris et vous aimez l’art. Vous avez envie de vous constituer une collection, cela va de soi.
Comment vous y prendre ? Certes vous vous fiez à vos goûts qui épousent ceux de votre époque. Vous aimez les laques et les estampes japonaises, par exemple. Mais, dans le milieu cultivé dans lequel vous gravitez, on vous conseille aussi d’autres achats : des arts décoratifs du siècle passé, des sculptures du Moyen-Âge ou de la Renaissance…
La difficulté est de faire preuve de goût tout en réalisant de bons placements. Si vous vous montrez trop audacieux, vous en connaissez qui vont rire de vous. Que dira votre cousin Nissim, passionné du 18e siècle, devant vos dernières acquisitions, ces pastels, ces toiles, ces sculptures impressionnistes ? Vous soutenez avec constance ces jeunes artistes pleins de talent, mais dans la famille tout le monde ne partage pas votre goût pour leurs oeuvres dérangeantes.
Ce 1er juillet 1899, vous participez à la vente aux enchères de la collection Chocquet, un amateur ami de Renoir. On disperse des Delacroix, des Manet, des Renoir bien sûr, des Cézanne…
Vous avez une idée en tête : repartir avec la Maison du pendu de Paul Cézanne. C’est votre ami Monet qui vous en a parlé. Cette toile, c’est une vieille connaissance, une oeuvre de jeunesse de Cézanne peinte à Auvers sur Oise quand il y travaillait aux côtés de Pissarro, exposée dès 1874, revue il y a dix ans à l’exposition centennale de 1889. Monet est persuadé que ce tableau fera date dans l’histoire de l’art.
Adjugé à 6200 francs ! Vous avez bataillé ferme face à Vollard, mais vous avez fini par l’emporter sur le marchand. Vous voilà propriétaire de cette étonnante Maison du pendu. Est-ce qu’elle vous portera chance, comme la corde d’un pendu ? C’est un pari sur l’avenir. Mais vous avez toute confiance dans le jugement de Claude Monet.
Pour faire taire les moqueurs, vous avez une parade, ce que vous confiez à Renoir :
La Maison du pendu de Cézanne ? Eh bien oui, là, j’ai acheté un tableau qui n’est pas accepté par tout le monde ! Mais je suis couvert : j’ai une lettre autographe de Claude Monet, qui me donne sa parole d’honneur que cette toile est destinée à devenir célèbre. Si, un jour, vous venez chez moi, je vous ferai voir cette lettre. Je la conserve dans une petite pochette clouée derrière la toile, à la disposition des malintentionnés qui voudraient me chercher des poux dans la tête avec ma Maison du pendu.
On n’est jamais trop prudent.
Pitié pour les fleurs
Les coeurs amoureux ne sont pas toujours tendres. Les garçons transis gravent des prénoms dans l’écorce d’arbres qui ne leur ont rien fait. Les jeunes filles arrachent les pétales de marguerites qui ne peuvent se défendre.
Il est temps de donner la parole à ces malheureuses victimes que l’on torture depuis trop longtemps. Halte à la scarification des troncs ! Non à la dissection des fleurettes !
Songez, jeunes amoureux, que vous avez bien d’autres façons de laisser une trace impérissable de votre passion. Le marbre, par exemple. La publication des bans. Les registres de l’Etat-Civil.
Et vous, mesdemoiselles, plutôt que d’embêter les pâquerettes, vous pourriez le jouer à la roulette. Interroger les planètes. Lui poser la question bête.
L’omelette du Mont Saint-Michel
Les Oeufs, Claude Monet 1907, huile sur toile 73x92cm, collection particulière Etats-Unis
Claude Monet a mis un mois à peindre cette nature morte qui paraît à première vue si dénuée d’artifices. Plus exactement deux mois pour celle-ci dans les tons roses et sa soeur de mêmes dimensions dans les tons mauves, également en collection particulière aux Etats-Unis.
C’est pratique les oeufs quand on est peintre, ça ne risque pas de faner, de se flétrir ou de faisander. On a plusieurs semaines devant soi pour achever son tableau.
C’est pratique aussi quand on tient une auberge et qu’il faut rassasier rapidement et à moindre coût les voyageurs. Au Mont Saint-Michel, la Mère Poulard s’est rendu célèbre par son omelette mousseuse. Comme Angelina Baudy à Giverny, elle a su observer et s’adapter à la clientèle avec un grand sens commercial.
Mais une omelette délicieuse cuisinée dans un lieu touristique n’aurait sans doute pas suffi à lui apporter la célébrité. La Mère Poulard a eu la bonne fortune de bénéficier d’une promotion inattendue. Son omelette est entrée dans la légende grâce à Christophe, le dessinateur de la Famille Fenouillard, best-seller humoristique du 19ème siècle, qui l’a mise en scène dans l’un de ses albums.
Et puis, quel nom prédestiné, Poulard ! Son vrai nom d’épouse !
Depuis un siècle et demi la réputation du restaurant ne s’est pas démentie. Malgré ses tarifs élevés, il est généralement plein à craquer.
Le site internet de la Mère Poulard présente un habile mélange de décor plein de caractère, de service en costume normand et de tradition. La vidéo sur le cérémonial de la cuisson de l’omelette est un vrai régal. Mais le secret, s’il y en a un, est toujours aussi bien gardé. Annette Poulard elle-même avait cet art de la feinte transparence. A un restaurateur qui lui demandait la recette de son omelette, elle a fait cette savoureuse réponse :
Monsieur Viel,
Voici la recette de l’omelette : je casse de bons oeufs dans une terrine, je les bats bien, je mets un bon morceau de beurre dans la poêle, j’y jette les oeufs et je remue constamment.
Je suis heureuse, Monsieur, si cette recette vous fait plaisir.
Annette Poulard
Plaque de rue
Les villes sont plus bavardes que les villages. En ville, le regard est happé partout par de l’écrit, des noms de commerces, des affiches de spectacles, des pubs, de la signalétique… Mais à la campagne on chemine entre des murs beaucoup moins loquaces. Étonné de ce silence, le citadin lève le nez vers les plaques de rue. Derrière leur indication brève il entrevoit des usages immémoriaux, il pénètre un tout petit peu dans cet univers rural qui se dérobe derrière les murs de pierre des jardins.
Sente proprette, dit cette plaque du village de Chérence. Le simple nom déjà réjouit le promeneur. Qu’a donc cette ruelle de si charmant, de si particulier qui lui a valu d’être distinguée de la sorte ? En plus du plaisir qu’on éprouve à emprunter les voies étroites où les voitures n’ont pas accès, on sent comme une invitation dans ce côté pimpant mis en avant.
A la campagne il n’était guère besoin d’indiquer le nom des rues aux carrefours. Tout le monde savait bien où se trouvait la rue de l’église ou celle du lavoir. Mais aujourd’hui cet usage a gagné les endroits les plus reculés. Et les édiles se trouvent confrontés au problème du choix de l’aspect des plaques de rues.
La solution la plus simple, c’est d’opter pour le modèle à fond bleu et caractères blancs si courant en France. Mais on peut aussi jouer la carte de l’originalité.
A Chérence, un village d’Ile de France au caractère préservé qui se trouve à une dizaine de kilomètres de Giverny, la municipalité a porté son choix vers un modèle moins courant. Le fond évoque un parchemin déroulé. Le nom de la rue est inscrit en brun foncé dans une police de caractères qui rappelle le gothique.
Je ne sais pas ce que vous en pensez. Bien sûr on peut discuter le style parchemin – qui aurait eu l’idée d’écrire le nom d’une rue sur un parchemin et de l’accrocher à une façade ? – et l’usage du gothique, tout en se réjouissant qu’il ait perdu sa connotation germanique et ne rappelle plus les heures noires de l’Occupation. Mais au moins le message est clair, retour vers le Moyen-Âge, dans une volonté de s’accorder à l’âge des maisons.
Personnellement je trouve cela plutôt coquet. Propret.
Lotus
Comme le nénuphar, le lotus pousse dans les eaux tranquilles et y déploie de ravissantes corolles, blanches à coeur jaune ou rose à coeur rouge, par exemple.
Contrairement au nénuphar qui n’hésite pas à s’ouvrir au ras de la surface, le lotus préfère s’élever un peu au-dessus de l’eau.
Chez les Orientaux, le lotus est porteur d’une puissante symbolique.
Pour les hindous,
Le lotus prend racine dans la boue, qui représente la vie matérielle. L’eau que sa tige traverse symbolise le monde astral.
Quand la plante atteint la surface et qu’elle ouvre son bouton floral au soleil, elle représente l’être spirituel. Lorsque le lotus s’éveille sous les rayons du soleil matinal et qu’il ouvre ses pétales, l’interdépendence entre le lotus et le soleil est un symbole de l’amour.
Emerger de la vase et de la corruption et grandir à travers l’eau purificatrice jusqu’à atteindre la lumière du soleil, c’est la transformation métaphorique de l’être humain vers l’illumination.
Pour les bouddhistes, le symbole est encore plus fort, puisque le lotus est la fleur de Bouddha, rien de moins.
La Vierge d’Ecouis
Voici une des plus belles statues de la Vierge que l’on puisse admirer en Normandie. Elle se trouve à une demi-heure de route de Vernon vers le Nord-Est, dans le petit bourg d’Ecouis.
Une demi-heure de route pour aller voir une statue ? Pourquoi pas, d’autant qu’on est sur la route de tout un tas d’endroits charmants, le château de Vascoeuil, l’abbaye de Mortemer, le village typique de Lyons la Forêt, par exemple.
La collégiale d’Ecouis est un endroit enchanteur. A chaque pas on y découvre de nouvelles merveilles.
La Vierge d’Ecouis fait partie d’un ensemble sculpté qui représente l’Annonciation. L’archange Gabriel lui fait face, tandis que la Vierge est installée sur une console soutenue par trois adorables angelots chanteurs.
On ne se lasse pas de contempler ce visage. Le maître qui l’a sculpté lui a donné une expression de douceur, d’intériorité, d’acceptation du destin que l’ange est en train de lui annoncer. Marie s’abandonne à cette volonté qui lui est signifiée. Elle croise les bras en signe d’attention, de respect.
Cette Vierge a quelque chose de très juvénile, presque enfantin. Ses mains présentent des fossettes comme en ont les très jeunes enfants.
Pour une plus grande finesse de travail, la tête et les mains ont été réalisés en marbre tandis que le reste du corps est en calcaire, un procédé courant à l’époque.
L’époque ? C’est la seconde moitié du 14ème siècle. La Guerre de Cent ans a commencé, mais on est dans une période plus calme qui va de 1360 à 1415.
La sculpture flamboyante est à son apogée. Le spécialiste des imagiers de cette époque Jacques Beaudoin a enquêté pour tenter de savoir à qui on peut attribuer cet « ensemble magistral de l’art français ».
Selon lui, compte tenu de l’ampleur du drapé, de la bouche entrouverte d’un angelot, des crocs dans les cheveux de l’archange, elle pourrait être l’oeuvre de Jean de Marville, un artiste originaire de la région lilloise qui aurait pu l’exécuter avant de se rendre en Bourgogne.
Soleil sur la Petite Creuse
5 décembre 2007 / 4 commentaires sur Soleil sur la Petite Creuse
C’est son ami critique d’art Gustave Geffroy qui lui a fait découvrir cet endroit à la sauvage beauté.
Monet séjourne à Fresselines, tout près du confluent des deux Creuses, la Petite et la Grande. Il arrive début mars et se met aussitôt au travail. C’est encore l’hiver. Le côté grandiose et mélancolique du lieu le fascine.
23 toiles nous sont parvenues de cette campagne qui se prolonge sur trois mois.
Comme d’habitude avec la nature pour modèle, rien n’est simple. Le plein air ne facilite pas les choses, le mauvais temps empêche Monet de peindre, après quoi les pluies ont fait grossir la rivière, puis vient le froid intense, et voilà le niveau de l’eau qui brusquement baisse… Et ce n’est pas tout.
Monet a commencé ses toiles en hiver. Mais à mesure que les semaines passent le printemps s’annonce puis s’installe. Le paysage s’en trouve changé.
C’est une vraie catastrophe. Le chêne, par exemple, le vieux chêne qui se dresse au confluent des rivières, ne se ressemble plus avec ses jeunes pousses vertes. Que faire ? Comme d’habitude Monet n’y va pas par quatre chemins :
Monet est le premier surpris du résultat de sa démarche. Le 9 mai, il écrit à Alice :
Un comble aussi d’en arriver à ces extrémités ! Mais Monet n’a pas trouvé mieux. Difficile de renoncer à finir son tableau. En jardinier, Monet va façonner la nature comme il la veut.
Trois toiles où le chêne joue tout le rôle… Est-ce du théâtre ? Voilà le chêne promu au rang d’acteur principal dans le tableau.
Pour sa couleur d’abord. En hiver, le chêne conserve ses feuilles séchées de l’année précédente et ne les perdra qu’au printemps. C’est cet orangé des feuilles fanées qui se détache ici sur l’ombre mauve du ravin, sa couleur complémentaire.
Pour sa forme ensuite. A gauche, des masses rocheuses dévalent vers le fond de la vallée. Pour l’équilibre de la composition, il faut la silhouette légère de l’arbre dressé de l’autre côté de la rivière.
L’arbre devenu vert, les branches dissimulées dans le feuillage, le rendu n’aurait pas été le même, c’est certain.
Que les esprits sensibles se rassurent, l’arbre s’en est remis. Le poète Rollinat, qui vivait à Fresselines et recevait Monet chaque soir, a pris la peine de l’informer que d’autres feuilles avaient poussé à son chêne. Il a dû mourir de sa belle mort un jour. Depuis, la Creuse coule toujours mais le chêne a disparu.