Le charme de Giverny

Giverny

A quelques centaines de mètres de la Fondation Monet où le printemps attire les visiteurs du monde entier, Giverny déroule des ruelles paisibles ignorées des touristes, qui ont gardé intact tout leur charme.
L’habitat reste un peu essaimé, en hameaux autrefois séparés par des champs ou des vergers, et il en demeure une impression d’espace. Dans nos agglomérations où chaque mètre carré est compté, on n’a plus l’habitude de cette place libre dévolue à la culture, au végétal.
A parcourir les ruelles et les sentes herbeuses du village, on est gagné par une douce quiétude. Le temps semble s’être arrêté parfois, et l’on ne serait pas surpris de voir surgir d’une de ces portes un personnage tel qu’on en observe sur les cartes postales anciennes.
Qu’y a-t-il sur cette photo que Monet n’y aurait pas vu ? Si peu de choses, me semble-t-il. L’antenne de télé, bien sûr, et puis, en y regardant bien, la petite tache jaune du champ de colza, dont la culture n’a été vraiment lancée en France que dans les années 1970. Tout le reste est intact, tout prêt à servir de décor pour un film en costumes.
Déambuler au hasard des rues est un bonheur que je ne saurais trop vous recommander si vous prévoyez de venir à Giverny. Tout est charmant et sans prétention, les glycines au-dessus des porches, les iris le long du trottoir, les chats qui vous guettent du haut des murets, les lilas, les pommiers en fleurs, les verrières d’anciens ateliers d’artistes qu’on aperçoit encore, les noms de maison dont certains sont en anglais, les barrières de bois, les roses, les murs de silex, les jolis rideaux, les haies d’aubépine, les coqs et les oiseaux qui chantent… C’est un village où l’on réapprend la flânerie, où l’on voit passer les saisons, un village qui évoque une certaine douceur de vivre.

Avril 2015 du calendrier DuMont de Giverny

Giverny, avril, calendrier Dumont 2015

Pour le mois d’avril de son calendrier 2015 sur les jardins de Monet, l’éditeur DuMont a choisi parmi mes photos une des merveilles de ce mois, l’arc-en-ciel de tulipes et de pensées. C’est l’aspect qu’a le jardin en ce moment, c’est ce que vous verrez si vous venez ce week-end ou le suivant par exemple.
Les visiteurs avancent au milieu des fleurs, dont ils voient changer les couleurs au fur et à mesure de leur progression.
La photo est prise en biais vers la grande allée, mais l’arc-en-ciel qui évoque une palette d’artiste avec les couleurs posées côte à côte s’étend des deux côtés d’un chemin, on a des rayures colorées tout autour de soi.
C’est à l’époque des tulipes qu’il faut venir vivre cela, le mois aux couleurs les plus tranchées et les plus variées. Au passage, on s’émerveille de la grande diversité des formes de tulipes, des tulipes pivoines très doubles à celles qui paraissent de petites flammes tordues, les tulipes cornues. Et il n’y a pas que les tulipes ! Les pensées sont charmantes et incroyables de variété elles aussi.

Le calendrier DuMont 2016 des jardins de Monet à Giverny vient juste de paraître ! Vous pouvez le découvrir sur amazon.fr. L’éditeur m’en a envoyé quelques exemplaires, il est très beau !

La palette du printemps

Giverny
Cette fois le printemps est bien là dans tout son éclat, un éclat à faire éclater les bourgeons, s’ouvrir les pétales et bourdonner les abeilles dans les cerisiers en fleurs.
Les couleurs claquent de partout, fièrement arborées par les tulipes au bout de leurs longues hampes, soulignées par les myosotis et les pensées, soutenues par ce vert si intense qu’on ne voit qu’au printemps, un vert qui a l’air bon à manger.
Un soleil généreux dore le jardin de Monet d’une lumière si vive qu’on voudrait la toucher. A contre-jour, chaque pétale irradie.
Les oiseaux ont entamé leur grand concert dans les ramures encore dénudées, et il flotte dans l’air une impatience de vivre, une hâte de croître qui gagnent malgré soi. Pourquoi tout doit-il aller si vite ? Chaque jour apporte son lot de nouvelles fleurs qui hier encore n’étaient pas là.
Les giroflées flamboient, les coeurs de Marie déroulent leurs colliers chargés de colifichets. Les fougères déploient leurs crosses. L’érable du Japon libère ses feuillettes comme autant d’origamis complexes qu’il s’est occupé à plier pendant tout l’hiver.
On devine que toute la nature tirait sur les rênes, et, enfin, se lâche, et il y a dans cet abandon à la force de la vie une énergie pure, un courant puissant comme l’eau d’un torrent, et une joie de s’y laisser entraîner.
Et que dire des humains ? Ils sont dans le ravissement, les yeux pleins du spectacle des milliers de fleurs plantées par harmonies de couleurs, tandis que l’air tiède de l’après-midi glisse sur leurs bras dénudés et que les fragrances mêlées élaborent un parfum si fleuri et printanier qu’ils prennent conscience de respirer.

Massif blanc

Massif blanc à Giverny

Les massifs monochromes de Giverny sont une source d’inspiration pour de nombreux jardiniers. Saison après saison, les gammes chromatiques restent les mêmes, mais les fleurs évoluent au fur et à mesure sans même qu’on s’en rende compte, tant leur renouvellement se fait progressivement.
Qu’y a-t-il en ce moment dans cette belle bordure blanche à l’est du jardin ? Des tulipes blanches et crème, des jacinthes, des narcisses, des fritillaires de Perse ivoire, des pavots d’Islande déjà en fleur car démarrés sous chassis. Voilà pour les plus grandes. Au-dessous poussent des pensées et des myosotis blancs, des ornithogalums, des alysses.
Les nuances vont du blanc pur au jaune doux, et de nombreuses fleurs mêlent les deux. Sur le vert frais des feuillages, le contraste est spectaculaire.

L’île d’Avalon

Ile du Chateau, les AndelysPhoto : Ile du Château, les Andelys

Aux Andelys, une île s’étend au milieu de la Seine, et sur cette île s’élève une maison. Elle a été la propriété de Sir John George Woodroffe (1865-1936), plus connu sous le pseudonyme d’Arthur Avalon. Cet avocat anglais devenu juge à la Haute Cour de Calcutta s’est passionné pour la philosophie hindoue et la pratique du yoga. On lui doit l’introduction en occident de textes sacrés tantras.
A partir de 1920, pour une raison que je n’ai pu découvrir, Woodroffe s’installe aux Andelys. En bon insulaire, il jette son dévolu sur l’île en pleine Seine. On raconte qu’il a fait venir les matériaux de construction de sa maison par bateau depuis l’Angleterre. Un peu excentrique, John George.
En ce moment où les feuilles des arbres n’ont pas encore fait leur apparition, on peut remarquer une zone blanche sur la gauche de la maison. C’est un mur élevé par Richard Coeur de Lion au moment où il résidait lui-aussi dans l’île, pendant la construction de Château-Gaillard, en 1196. L’île s’appelle « île du château ». Est-ce cet illustre prédécesseur, roi d’Angleterre, qui a donné envie à Avalon de s’ancrer ici ?
Du temps de Richard, l’île était reliée à la berge par un pont. Avalon, tout comme les propriétaires actuels, devait utiliser un bateau.

L’éveil

Giverny à Pâques
« C’est le plus beau jardin que j’ai vu de toute ma vie ». Voilà deux fois ces derniers jours que j’entends des visiteurs de Giverny prononcer cette même phrase. D’abord vendredi, suite à une découverte du jardin de Monet sous un ciel maussade qui éteignait tout reflet dans l’étang, et puis hier, dans la bouche de clients tout juste débarqués à Roissy, sans doute épuisés de leur voyage et en plein décalage horaire.
J’essaie de ne pas marquer ma surprise. J’ai très envie de questionner « qu’est-ce qui vous fait dire ça ? », mais je m’en abstiens par correction, et parce que je me doute qu’il est difficile de répondre.
Questionner, ce serait mettre en doute l’affirmation, que bien sûr je partage. Pour moi aussi, le jardin de Monet est le plus beau jardin que j’ai vu de toute ma vie. Mais tel qu’il est en ce moment même, vraiment, comment peut-on n’avoir jamais rien vu de plus éblouissant ? Il y a à peine de fleurs, très peu de feuilles aux arbres, et le temps a été exécrable toute la semaine dernière.
Et pourtant, en dépit de tout, la magie opère. Les féeries qui avaient envoûté Monet sont à l’oeuvre. Des profondeurs du bassin, les fées envoient leurs charmes sur les visiteurs. « Quel calme extraordinaire ! » disent-ils au milieu de l’affluence du week-end pascal. Et c’est vrai. On a envie de rester à regarder l’eau, happé par le jeu de la brise à sa surface.
Dans ces premiers jours du printemps, il émane du jardin qui s’éveille une joie profonde et communicative. Les pousses percent la terre, les boutons enflent et s’ouvrent, les oiseaux s’interpellent dans les ramures. Sans qu’on y prenne garde cette vitalité du renouveau nous gagne. On ne sait pas trop bien ce qu’on a, sauf qu’on se sent heureux d’être là. Je m’entends être particulièrement gaie et enthousiaste dans mon commentaire, et quand je demande aux visiteurs s’ils sentent la joie de la nature, ils m’assurent avec empressement que oui.
C’est le début avril, le temps des premières fleurs et des premières feuilles, et c’est dès maintenant, avant le grand spectacle et l’explosion des couleurs, c’est dans ce temps du commencement qu’il faut descendre au jardin pour s’y laisser envahir par l’allégresse de la terre.

Vent de printemps

Vent de printemps, Giverny

Gros coup de vent aujourd’hui à Giverny.
Un vent qui creusait des vagues dans l’étang, qui agitait les rameaux, secouait les arbres en fleurs et rappelait aux bambous qu’ils sont des herbes capables de plier.
Tout cela mugissait, gémissait, se tordait, s’entrechoquait et grinçait, de douleur peut-être.
Par là-dessus cet après-midi une lumière de fin mars, un de ces airs ultra-limpides qui sentent la peinture fraîche tellement tout paraît net dans cette atmosphère-là.
C’était spécial, frigorifiant et revigorant.
Les premières fleurs, les premières feuilles, si fraîches, luisantes, astiquées pour Pâques, dans cet empressement de la nature à croître et vivre.
Ca y est ! Ca y est ! semblent-elles dire, et l’on sent une griserie végétale dans l’air.
Le printemps est en marche, un printemps encore bourru et sauvage.

Degas au Musée des Impressionnismes Giverny

Exposition Edgar Degas, un peintre impressionniste ? Giverny 2015 MDIGUne magnifique exposition Degas ouvre aujourd’hui au musée des Impressionnismes Giverny. C’est une expo en forme de question : Degas était-il ou non un impressionniste ? On s’en doute, il y a des points qui font de lui un impressionniste pur et dur, d’autres qui l’éloignent du mouvement, et c’est cette singularité de Degas que l’acrochage explore.
On aura la chance de voir à Giverny beaucoup de chefs-d’oeuvre qui jalonnent la carrière du peintre, comme « Un Bureau de coton à la Nouvelle-Orléans », peint dès 1873, qui vient de Pau, ou sa « Petite danseuse de quatorze ans » en bronze prêtée par un collectionneur privé.
Le Degas des portraits, des courses de chevaux, des repasseuses, des danseuses, des maisons closes, est là aussi, éblouissant. On en découvre un autre moins connu : le Degas paysagiste.
Eh oui ! L’artiste qui revendiquait sa prédilection pour « la vie factice » s’est parfois intéressé au paysage. Ses pastels raffinés, d’une grande économie de moyens, évoquent plus qu’ils ne décrivent des visions de la nature conservées dans la mémoire du peintre.
Mais davantage que cette production assez marginale dans sa carrière, on retiendra surtout l’audace de Degas, un avant-gardisme qui prend le contre-pied de sa formation classique très approfondie. Ses choix de cadrage, ses mises en scène, son ironie, son détachement même en font un artiste à part et qui aujourd’hui encore dérange autant qu’il éblouit.

A voir à Giverny jusqu’au 19 juillet 2015. Billets coupe-file ici.

Capucine tubéreuse

Capucine tubéreuseLa lettre de Monet à son fils Jean à propos des engrais était suivie d’un post-scriptum destiné à l’épouse de Jean, Blanche Hoschedé-Monet :

PS. Maintenant c’est à ma petite Blanche que je fais appel, si elle veut bien aller chez un jardinier de la rue Verte qui s’appelle, je crois, Marie lui demander s’il a encore de la fameuse petite capucine vivace comme celle que l’on met tous les ans le long de la grille.
C’est chez lui que j’en avais eu un pot dans le temps, et cet étourdi de Florimond me les a laissé perdre ou à peu près. Bref, si elle peut en trouver chez ledit Marie, que ce dernier m’en adresse de suite deux pots par grande vitesse en gare de Vernon. Merci d’avance et un bon baiser d’avance aussi. Cl. M.

Blanche, fille d’Alice Hoschedé, l’épouse de Claude Monet, est toute dévouée à son beau-père, et cela ne fait nul doute qu’elle va se faire un devoir de courir Rouen pour trouver la fleur désirée.
La capucine tubéreuse est vivace si on veut, ou plutôt si l’hiver est très doux, car sous nos climats il est recommandé de la rentrer, un peu comme les dahlias. Elle ne résiste pas à un gel de -5°, et j’imagine que c’est ce qui a dû se passer. Monet, en février, vient de s’apercevoir que son jardinier a omis de rentrer les tubercules, et il craint fort qu’ils ne repartent pas au printemps. Au passage, je n’aurais pas voulu être à la place de Florimond, il a dû passer un quart d’heure très désagréable. Il est certain que Blanche comme Jean savent lire entre les lignes « cet étourdi de Florimond », qu’ils connaissent les sautes d’humeur de Monet, et que Blanche a à coeur d’arrondir les angles.

Claude Monet dans son jardin Tout porte à croire que Blanche a réussi sa mission payée d’avance d’un baiser, et que les capucines ont réintégré leur place le long de la grille, mais aussi sur les trépieds installés dans la roseraie devant la maison. Quelques années plus tard, c’est l’endroit que choisit Monet pour poser pour le photographe, ce qui donne ce cadrage étonnant où les feuilles de capucines tubéreuses au premier plan sont plus nettes que le visage du peintre.
C’est sur ces mêmes trépieds qu’elles fleurissent encore en été. J’ai pris la photo ci-dessus à la mi-juillet.
Pour les amateurs de curiosités, il paraît que la capucine tubéreuse se multiplie généreusement comme les pommes-de-terre, et que ses tubercules se dégustent bouillis ou poêlés. Crus, ils ont un goût de raifort, cuits, ils rappellent l’asperge. Si vous êtes curieux d’essayer, il ne vous reste plus qu’à en cultiver, car on ne peut pas dire qu’ils inondent les marchés. Peut-être qu’on en trouve encore à Rouen, dans la rue Verte ?

Engrais

Giverny nympheas octobreOn ne parlait pas encore de jardinage biologique au début du 20e siècle. C’étaient les premiers temps des engrais chimiques, une époque où l’on n’imaginait même pas que des intrants puissent avoir un impact sur la santé. On pensait que pour faire pousser des plantes vigoureuses, il faut leur donner à boire par l’arrosage et à manger par les engrais. Ce n’est pas dénué de bon sens.
Certes, Claude Monet aurait pu faire du jardinage biologique à la façon dont Monsieur Jourdain faisait de la prose. Le peintre ne vivait-il pas dans un village où abondaient les engrais naturels de toutes espèces, à commencer par ceux issus de la vache, du cheval, des poules ou des pigeons ? Il est probable que Monet ne s’est pas privé de fumer son jardin. Mais il a aussi, une lettre l’atteste, fait usage de produits chimiques :

Extrait d’une lettre de Monet à son fils Jean, qui est chimiste à Déville-les-Rouen, 8 février 1902 :

Mon cher Jean,
je viens te demander si tu peux me procurer les différents engrais chimiques dont suit le détail. Si oui, tu seras bien aimable de me les faire adresser de suite par grande vitesse en gare de Vernon. Je t’en remercie d’avance et vous embrasse bien tendrement tous les deux.
Ton père,
Claude Monet

La liste est ci-contre :
100 kg de sulfate de fer pulvérisé
20 kg superphosphate minéral
4 kg sulfate de potasse
10 kg sang desséché

J’espère que tu pourras me procurer cela.

A première vue, j’ai l’impression que certains de ces produits sont acceptés en agriculture biologique, par exemple le sulfate de fer, et d’autres non. Si vous êtes plus compétent que moi dans ce domaine, je serai heureuse d’avoir des précisions.
Quant à la politique de la Fondation Monet aujourd’hui, si le jardin n’est pas tout à fait bio, l’ambition est de s’en rapprocher le plus possible.

Photo : Nymphéas dans le bassin de Monet, octobre. Les nénuphars sont très sensibles aux fertilisants véhiculés par les eaux.

Ombrière

OmbrièreL’ombrière, c’est l’endroit protégé des ardeurs du soleil où les jardiniers de Giverny habituent les plantes élevées en serre à la vie au grand air. Un sas, en quelque sorte, avant d’être plantées dans les bordures du jardin de Monet.
C’est fin octobre, date de cette photo, que l’ombrière est la plus spectaculaire, avec ses milliers de pensées rangées par variétés et couleurs. Quelques jours plus tard, le jardin ferme, les massifs sont dépouillés de leurs attraits, non point par l’hiver mais par les mains des jardiniers, et la plantation en vue du printemps commence.
Le début du printemps est marqué par la floraison des plantes à bulbes, qui ont des réserves plein leur oignon et peuvent de ce fait surgir très vite hors de terre, et celle des bisannuelles.
Les bisannuelles sont des futées, des prudentes, des spéculatives, qui ont commencé leur croissance l’année précédente. A partir de la graine, s’est développé un plant pendant l’été et l’automne, tout prêt à fleurir une fois l’hiver passé, et qui donnera à son tour des graines à la belle saison. C’est une des formes de l’adaptation aux saisons, réservée à des plantes robustes dont les feuilles résistent aux gelées, comme les pensées, pâquerettes, giroflées et myosotis.
L’autre solution pour les plantes qui ne sont pas des tortues, c’est d’être des lièvres. Les annuelles sont aussi des végétaux qui se multiplient par la graine. La semence tombe à terre, et laisse passer le froid de l’hiver sans broncher avant de se réveiller quand le sol se réchauffe. Et là, vite vite ! On pousse, on fleurit, on fait la graine, on meurt, en l’espace d’une saison. Le démarrage des plantes en serre peut faire décaler leur calendrier intime de quelques semaines, mais les grandes règles demeurent.
Ce seront les annuelles qui viendront faire un petit séjour dans l’ombrière à la fin du printemps, histoire de s’habituer à la température du grand bain.

Mars 2015 du calendrier DuMont de Giverny

Mars 2015 du calendrier DuMont de Giverny, vue du jardin d'eau

C’est l’arrivée du printemps, cette époque tendre et fraîche de la fin mars où s’ouvrent les premiers bourgeons que l’éditeur DuMont a choisi parmi mes photos pour illustrer la page du mois de mars dans son calendrier des jardins de Monet à Giverny.
La vue est prise depuis le hêtre pourpre en direction du pont japonais, et ce sont les petites feuilles adorables du hêtre que l’on voit au premier plan.
A gauche, l’armée des bambous s’avance, difficilement contenue dirait-on par les barrières, comme une foule qui se presse pour apercevoir les coureurs.
Les tiges de ces mêmes bambous servent à fabriquer les barrières légères qui protègent les massifs : astucieux recyclage maison.
Un groupe de narcisses d’un blanc éclatant éclaire la pelouse resemée chaque année.
C’est le soleil du petit matin, juste avant l’ouverture, une lumière pétillante et douce où domine le bleu.

Puschkinia

PuschkiniaIl faut presque la loupe pour voir cette petite fleur à bulbe qui s’épanouit en ce moment dans les massifs de Giverny. Elle dépasse à peine la hauteur de votre chaussure et n’a rien des couleurs flashy des jonquilles qui se pavanent non loin de là à 30 ou 40 cm d’altitude. Mais c’est justement ce qu’on aime chez le puschkinia, sa délicatesse. C’est la musique du printemps, certaines fleurs la jouent discrète comme la violette ou la pâquerette, tandis que d’autres font tout pour se faire remarquer.
Si on se penche un peu, on ne peut qu’être séduit par la fraîcheur et la douceur du puschkinia, surtout par la grâce de sa collerette de pétales striés d’une ligne bleu ciel qui s’ouvre sur un bouquet d’étamines tachées de jaune.
Son nom vient d’un chimiste russe botaniste à ses heures, Apollo Apollossovitch Moussine-Pouchkine. Le pouchkinia fleurit sur les pentes du Caucase à la fonte des neiges, ainsi qu’au Liban ou en Syrie.
Il paraît que la fleur se naturalise facilement dans les pelouses, il suffirait de l’oublier. Voilà qui donne envie d’essayer. On plante les petits bulbes à l’automne, on n’y pense plus pendant tout l’hiver et aux premières heures du printemps on fait un tour dans le jardin pour voir si les fleurs sont au rendez-vous.
Je ne sais pas si c’est le mode de culture adopté par les jardiniers de Giverny. Les massifs sont tellement travaillés qu’il est possible que les pushkinias aient été plantés à l’automne. Tout comme il se peut qu’ils soient assez malins pour se naturaliser, à la manière des perce-neige.

P.S. Renseignement pris, voilà quatre ans peut-être que les jardiniers n’ont pas planté de pouchkinias. Ce sont donc bien des bulbes plus ou moins naturalisés qui se sont installés dans les plates-bandes.

Un hiver sans neige


L’hiver se termine sans qu’il soit tombé un flocon à Giverny. Il peut geler encore, mais « les risques de grosses gelées sont passés » disent les jardiniers. La nature se réveille, surtout à la faveur d’après-midis douces et ensoleillées comme aujourd’hui. Déjà, les perce-neige fanent, les primevères sont épanouies, et les petits soleils jaunes des éranthis tapissent le sous-bois.
Il en va des fleurs comme des gens, certaines sont couche-tard, d’autres lève-tôt. En ce moment fleurissent les plus matinales de toutes, peu nombreuses et d’autant plus remarquées. La gaussienne va bientôt s’enfler. Quand le jardin de Monet ouvrira le 28 mars, un nombre très raisonnable de fleurs sera debout, pour atteindre l’heure de pointe un mois plus tard.
Pour l’instant, tout est encore si paisible. Au bassin, les plantes les plus fragiles dorment toujours sous leur couverture de paille, comme le gunnera venu du Brésil qui a droit à sa petite cabane, en haut à droite sur la photo.
Un autre détail révèle que le jardin est encore fermé : les rambardes du petit pont japonais ont été démontées. Elles sont entreposées près du saule, à l’endroit où se trouve normalement un banc. Le pont prend des allures d’embarcadère, bien pratique pour accoster en barque.

Toit en tuiles plates

Toit en tuiles plates de pays Grâce à la pente du terrain, ce très beau toit de tuiles anciennes se trouve au niveau des yeux dans la rue Claude Monet à Giverny, peu après l’église. Il est constitué de petites tuiles plates de pays en argile.
La fabrication artisanale de ces tuiles fait tout leur charme. Selon la qualité de l’argile, le temps de cuisson, leur place dans le four…, les couleurs varient dans une large palette de coloris « terre cuite », des plus pâles aux plus soutenus. L’autre élément du charme, c’est l’irrégularité des tuiles faites à la main. Pas tout à fait plates, pas tout à fait rectangulaires. Ces toits ne dégagent aucune monotonie ni raideur, au contraire on ne se lasse pas de les regarder, comme une oeuvre d’art.
Il faut une centaine de tuiles pour couvrir un mètre carré, ce qui est considérable. La mise en oeuvre est donc assez chère. Les dimensions des tuiles anciennes sont d’environ 14 par 18 cm et seul le tiers inférieur est apparent. Cette surface visible s’appelle le pureau. Le haut de la tuile disparaît sous les tuiles de la rangée supérieure. L’idée, c’est qu’une goutte de pluie qui coule sur le toit rencontre toujours une tuile entière dans sa descente vers la gouttière. Si la goutte arrive à se glisser dans l’interstice entre deux tuiles, elle va trouver une tuile dessous et continuer de couler vers le bas du toit.
Sur leur face arrière, les tuiles de pays disposent d’une aspérité qui permet de les fixer, soit un ergot en haut de la tuile, soit toute une barrette en saillie. Ce relief vient s’accrocher à une petite barre de bois horizontale, le liteau. Il y a autant de liteaux sur le toit que de rangs de tuiles.
Les tuiles tiennent par leur poids, sans clou ni accroche quelconque, sur des pentes autour de 45 degrés. Il faut une bonne pente, sinon la goutte musarde et l’humidité crée des désordres dans le toit. Mais si tout se passe bien, un toit couvert de tuiles anciennes résiste très bien aux décennies et même aux siècles.
Autrefois les matériaux tirés de l’argile étaient produits localement, en témoignent les appellations de rues telles que rues de la tuilerie, briqueterie ou poterie qu’on rencontre souvent. Préserver ces toits, surtout sur les maisons anciennes, c’est un choix esthétique mais aussi éthique. C’est marquer du respect pour le paysage, pour l’identité d’un terroir, et éviter l’uniformisation générale de la construction.
C’est aussi profiter d’un avantage indéniable des tuiles anciennes : on peut facilement remplacer les tuiles cassées ou tombées, ça ne se verra pas.
La difficulté est de trouver un couvreur aussi léger qu’une goutte d’eau qui n’aille pas casser davantage de tuiles en se déplaçant sur le toit.
La difficulté est aussi de se procurer des tuiles. Il faut un peu de chance, la déconstruction d’un bâtiment agricole par exemple, pour en trouver à vendre. A la campagne, il est d’usage d’être prévoyant, souvent les propriétaires ont un petit stock de tuiles anciennes dans une remise pour faire face aux réfections nécessaires.

L’amidon Rémy


Carte postale ancienne présentant l’Epte et l’entrée du marais à Giverny en été. La courbe de la rivière matérialisée par la rangée d’arbres autour d’une vaste surface dégagée ressemble beaucoup au paysage des Patineurs de Monet.

Qui se sert encore d’amidon aujourd’hui ? Personne. Tout le monde. A l’époque de cette carte postale, l’amidon servait à amidonner le linge, c’est-à-dire à le protéger des salissures et, selon que le vêtement une fois trempé dans un bain d’amidon était repassé humide ou sec, à le rendre rigide ou au contraire souple et doux. Cette pratique a été délaissée depuis les machines à laver. Mais l’amidon occupe en toute discrétion une très grande place dans notre alimentation car il entre dans la composition de nombreux mets issus de l’industrie agro-alimentaire.
En France, l’amidon est surtout tiré du blé. Mais pour le repassage, le fin du fin, c’est l’amidon de riz, commercialisé par la marque Remy, une maison belge fondée en 1855 par Edouard Remy, et qui est restée propriété de la famille Remy jusqu’en 1970. En cherchant bien, on en trouve encore.
Le portail Joconde des collections des musées de France présente une amusante affiche ancienne où l’on voit un pierrot tout blanc passer de l’amidon sur le visage d’un petit ramoneur, sous le titre de Amidon Remy, Gaillon (Eure). Je suppose que tel est l’épilogue de l’histoire qui a tourné le sang de Claude Monet en 1895. Remy est allé s’implanter à Gaillon, près de la Seine, à une vingtaine de kilomètres de Giverny.
Mais il n’a tenu qu’à un fil que l’usine ne s’installe au bord de l’Epte à Giverny, car le maire y était favorable. L’industrie, l’emploi, le progrès, il voyait cela d’un très bon oeil, mais pas d’un oeil de peintre, cela va de soi. Pour Monet au contraire c’était une catastrophe qui allait défigurer son paysage chéri.
Le peintre qui n’est plus dans le besoin propose sans succès d’acheter le marais à la commune. Il a finalement gain de cause avec l’appui du préfet de l’Eure quand il offre un don de 5500 francs en vue d’assainir le marais contre l’engagement de la commune à ne pas le vendre pendant 15 ans.
L’assainissement sera réalisé sous forme d’un gros tuyau qui passe sous l’Epte et permet aux eaux du marais de se déverser près du moulin de Cossy. C’est j’imagine la raison pour laquelle le lieu dénommé le marais, s’il reste une zone imperméable et humide, n’est plus guère submergé aujourd’hui.

Les Patineurs à Giverny

Claude Monet, Les Patineurs à Giverny, W1619, Huile sur toile, 60 x 80 cm, 1899-1900, Collection privée
Claude Monet, Les Patineurs à Giverny, W1619, Huile sur toile, 60 x 80 cm, 1899-1900, Collection privée. Vendu par Sotheby’s en 2010 pour 1,172 million de dollars.

Quand l’hiver était très froid à Giverny, les eaux immobiles du marais communal ne tardaient pas à geler. Les troupeaux de vaches se voyaient remplacés par des jeunes gens plutôt aisés, heureux de s’élancer sur des patins à glace.
C’était le cas des enfants Hoschedé-Monet, jeunes de bonne famille assez oisifs, à la recherche de divertissement, habitués du canotage et du tennis.
Dans l’usage du marais, ce sont deux milieux sociaux qui s’opposent, les insouciants d’un côté, les laborieux de l’autre. Le paysan qui loue le marais à la mairie pour y mener son bétail ne tarde pas à venir réclamer un droit de glisse aux jeunes Hoschedé-Monet qui s’insurgent mais finissent par s’exécuter afin de pouvoir continuer à patiner.
Pour eux, le marais gelé était attirant, et même glamour. C’est là que Suzanne, l’une des filles d’Alice, a noué une douce romance avec celui qui allait devenir son époux, le peintre Theodore Butler.
A cette nouvelle, de Rouen où il est parti peindre ses Cathédrales, Monet vitupère. Il savait bien que ces leçons de patinage allaient mal tourner. Heureusement, en bon chef de famille, il va faire prendre des renseignements sur la famille de l’élu, et le mariage pourra se faire.
L’affaire est déjà vieille de plusieurs années quand à l’hiver 1899-1900 le peintre s’installe sur le bord du marais gelé pour peindre cette atmosphère orange et bleue presque irréelle. Et Suzanne, déjà, n’est plus. Elle s’est éteinte en février 1899. Il y a fort à parier que pour Monet, son ombre glisse entre les patineurs.

Le marais de Giverny

Le marais de GivernyA Giverny, le chemin des Marais s’ouvre à l’ancienne gare – à présent reconvertie en salle des fêtes – et s’étire en contrebas de la départementale 5 qu’il finit par rejoindre à la sortie du village, là où la route file vers Sainte-Geneviève-les-Gasny. Des pavillons aux jardins tirés à quatre épingles bordent la rue d’un côté, tandis que de l’autre s’ouvre un espace naturel quasi sauvage, le marais.
Des peupliers et des saules têtards, dont certains très âgés, témoignent de plantations. Ils se mêlent à d’autres essences venues là sans doute par hasard, telles que frênes ou aulnes. Entre ces arbres, le terrain humide est le domaine de quantités de plantes, parmi lesquelles l’ortie domine.
De nos jours, le marais n’est guère accessible. Au-delà du fossé qui le borde, on devine un monde grouillant de vies bien cachées, étrangères à nous autres les humains, et, pour moi du moins, pas très invitant.
Autrefois, en particulier au 19e siècle, le marais de Giverny n’était pas un no man’s land. C’était un terrain pauvre, mais exploité autant qu’il se pouvait. En été les bêtes y paissaient. La commune de Giverny, propriétaire du marais, le louait à des éleveurs et concédait par adjudication le droit de ramasser les bouses. Les branches des peupliers étaient taillées pour en faire des fagots. Une autre source de revenus pour la commune était la concession du droit de pêcher les sangsues.
Depuis que j’ai eu connaissance de cette pratique à Giverny, en découvrant un pot à sangsues présenté dans une exposition sur le village de Giverny au musée de Vernon, je me demandais comment cette pêche se pratiquait. De façon rudimentaire, hélas, comme l’explique le rédacteur de la page d’Objets d’hier : dans les familles pauvres, on envoyait les jeunes filles se faire mordre par les sangsues dans le marais. Leurs jambes servaient d’appât.
Je me demande si on s’habitue à cette douleur, à la façon dont les apiculteurs finissent par souffrir moins des piqûres d’abeilles. Roselyne, qui s’est fait piquer par une sangsue en Australie (je crois qu’il n’y en a plus en Europe) témoigne qu’elle a saigné longtemps et que la morsure l’a démangée pendant plusieurs jours.

Selon une étude réalisée par les Ponts et Chaussées en 1898, la pêche aux sangsues, bien qu’elle eût donné de bons résultats au milieu du siècle, avait totalement cessé à Giverny à la Belle Epoque.

Mésange

Mésange à Giverny
L’hiver fait taire les oiseaux. Mais depuis que les jours rallongent les plus audacieux sortent de leur silence.
Comme le Boléro de Ravel, leur concert commence pianissimo, puis de nouvelles espèces d’oiseaux se joignent peu à peu aux premières, et en avril-mai ils seront si nombreux et si décidés que leurs chants empliront l’air.
Les mésanges sont déjà là, puisqu’elles ne sont pas parties. Elles s’approchent avec prudence des mangeoires, leur tête mobile inspectant les environs. Qu’elles aient un calot bleu ou noir, il y a dans tout leur être une grâce légère et spéciale qui les fait aimer.
Tandis qu’elles hivernent dans le paysage gris de la morne saison, elles ont gardé leurs couleurs florales si gaies, qui tranchent comme un tout petit bout de printemps.
Elles volettent d’une branche à l’autre dans les arbres nus, et comme nous elles attendent, sûres que les beaux jours reviendront.

Lamier

Lamier sauvage
C’est un peu un challenge d’arriver à photographier des fleurs sauvages dans le jardin de Monet, tellement les jardiniers sont à l’affut. Mais les plantes sont malignes, et il y en a toujours qui trouvent moyen de se glisser entre les mailles du filet, provisoirement du moins.
Monet y réfléchissait à deux fois avant d’arracher les jolies fleurs que la nature met gracieusement à notre disposition (et à celle des papillons), et peut-être que ces lamiers ont bénéficié de la même mansuétude calculée.
Le lamium présente une certaine ressemblance avec l’ortie, mais en version civilisée : c’est un pacifiste qui a renoncé au côté urticant pour le remplacer par des fleurs. S’il a adopté une philosophie peace and love, c’est qu’il veut que vous l’aimiez.
Au naturel les fleurettes sont blanches comme un drapeau de cessez-le-feu, quoi de plus normal.
lamierMais le lamium a aussi des cousins horticoles survitaminés, plus grands, plus beaux, plus forts, avec des fleurs pourpres à Giverny.
Je ne sais pas si ces cousins bodybuildés donnent des complexes au lamier sauvage, en tout cas la domestication les a rendus un peu ballots. Ils forment des buissons compacts au feuillage dru, si denses que les fleurs ont tendance à disparaître à l’intérieur, au grand dam des humains, et des butineurs.

Bancs néo-gothiques

Bancs néo-gothiques J’ai failli ne pas les voir. J’étais en train de visiter l’église de Pacy-sur-Eure, à une vingtaine de kilomètres de Giverny ; je m’étais émerveillée devant la statuaire, les vitraux, interrogée sur l’architecture, et j’allais partir lorsque je me suis avisée que les bancs, somme toute, présentaient un intérêt.
L’église a gardé ses bancs de style néo-gothique du 19e siècle. C’est un ensemble cohérent disposé harmonieusement, en faisant alterner plusieurs motifs.
Certains bancs ont toujours leur prie-Dieu, une mince banquette disposée entre les sièges. A l’époque où les bancs étaient attribués aux familles, celles-ci avaient sans doute loisir de faire ce qu’elles voulaient pour les prie-Dieu, car certains sont encore recouverts de cuir, de tapisserie usée jusqu’à la paille, tandis que d’autres ne sont qu’une simple planchette de bois.
Je les imagine, ces fidèles du 19e siècle, dans leur modestie ou leur ostentation, leur goût du confort dans le devoir sacré. Dans ces monuments anciens où cohabitent les signes laissés par les siècles, où l’on peut essayer de ressentir la présence du sculpteur qui a dégagé un délicat chapiteau roman, de l’architecte qui a conçu la voûte gothique, de l’abbé qui a dessiné et signé le carton d’un vitrail, certaines présences sont plus faciles à percevoir que d’autres, et celle des Pacéens d’il y a un bon siècle devenait tout à coup presque palpable, comme si j’avais eu une photographie ancienne sous les yeux.
C’est la dernière image que j’ai gardée de l’église, avec cette question corollaire : pourquoi les bancs ne m’ont-ils pas sauté aux yeux ? Parce que nous avons appris à mépriser le néo-gothique, je crois. Admettre qu’on aime ce style, c’est passer pour un plouc qui ne fait pas la différence entre le vrai gothique et le pastiche du 19e.
Allez ! Encore quelques décennies de patine, et le 19e rentrera en grâce, aux côtés du 16e ou du 17e, époques dont nous aimons le retour à l’Antique.

Calendrier Dumont Février 2015

Giverny
Voici la photo choisie par l’éditeur DuMont pour illustrer le mois de février du calendrier de Giverny.
Pour être honnête, elle n’a pas été prise en février, mais à l’ouverture des jardins fin mars. Les premières tulipes percent le vert de leurs pointes rouges, les prunus se teintent de rose, les bourgeons s’ouvrent sur les premières feuilles.
C’est une période de l’année que j’aime beaucoup, quand l’hiver renonce, quand la tiédeur s’installe dans l’après-midi, que le jour est en équilibre avec la nuit, et que partout la vie s’éveille.
Encore un peu de patience…

La côte des Deux-Amants

La côte des Deux-Amants Sur la côte des Deux-Amants, l’érosion dessine un coeur. Deux rivières se rejoignent au pied de la colline. L’Andelle vient se jeter dans la Seine et ne faire plus qu’une avec elle.
Ce confluent est chargé de légende. Les détails de l’histoire nous sont contés par Marie de France, la toute première poétesse de langue française. Elle vivait au 12e siècle et elle est l’auteur du lai des Deux Amants, repris, déjà, d’une légende bretonne.
Au pied du « mont », on s’interroge. L’ascension d’une traite de ce dénivelé d’une centaine de mètres avec une demoiselle sur le dos peut-elle vraiment tuer un jeune homme ? L’épreuve, vue avec les yeux d’aujourd’hui, ne paraît pas insurmontable.
L’histoire raconte que le roi de Pitres (aujourd’hui un village de 2 400 habitants) imposait à tous les prétendants à la main de sa fille de la porter jusqu’au sommet du mont. Celui que la princesse aimait s’y essaya, et en mourut.
Comme toujours, la légende brute paraît un peu obscure. Jacques Ribard en propose une interprétation à plusieurs niveaux.

Une lecture sociologique du poème verrait volontiers dans ce roi vieillissant et autoritaire le symbole d’un pouvoir féodal qui cherche artificiellement à se survivre alors qu’il a fait son temps. Le jeune héros représenterait les aspirations légitimes à un renouvellement de la société, en même temps qu’il serait l’image de ces jeunes nobles privés de fief que le système social du temps empêchait d’atteindre à la maturité et à la responsabilité que représentait la possession d’une femme et d’une terre.

Mais l’auteur va plus loin en avançant une lecture allégorique de l’oeuvre, l’ascension étant assimilée à une montée au calvaire.

C’est, une fois de plus, la destinée, le salut de l’homme qui sont en cause – car cette destinée, ce salut, sont en définitive les seuls sujets dignes d’intérêt pour les auteurs du Moyen Age comme pour leur public.

Le château de Martainville

Le château de MartainvilleIl y a de la magie dans la façon qu’a le château de Martainville de surgir soudain au bout des champs sans qu’on s’y attende, dressant avec bonhomie ses tourelles au milieu des moutons et des vergers de pommiers.
Tout est charmant dans ce domaine, de sa taille assez réduite pour qu’on y sente encore la demeure plutôt que le palais, à la couleur chaude de ses briques qui flamboient au soleil de l’après-midi.
On s’approche avec des interrogations plein la tête, et d’abord sur l’époque, sur le style. Cela sent la Renaissance et c’est vrai, le château bâti fin 15e avec des allures de forteresse est remanié deux décennies plus tard dans le goût de la Renaissance, avec des ouvertures plus larges, des toits plus hauts, et des ornementations en pierre de Vernon.
Où est l’entrée ? se demande le visiteur, cherchant quelque accès vitré, une caisse… jusqu’à s’approcher de la porte du château qu’un écriteau discret invite à pousser, tout simplement. Promu par ce geste hôte ou châtelain, selon son penchant, le visiteur a donc l’heur de découvrir l’intérieur.
Si beaucoup de châteaux déçoivent par le vide sidéral des appartements, ici, c’est meublé. Très meublé. Car Martainville, propriété du département de la Seine-Maritime, abrite le musée des Arts et Traditions Normands. Chaque pièce regorge d’armoires somptueuses, de coffres, de lits clos, de buffets et de tables, organisés par siècle et par région. Tout ce chêne sent bon la cire.
La cuisine est toujours la cuisine, avec un âtre si grand qu’on pouvait y cuire un boeuf. On peut passer du temps à détailler les innombrables objets proposés à la curiosité du visiteur, qu’on rencontre encore parfois dans les brocantes sans deviner leur usage. Le beurre, par exemple, a donné lieu en Normandie à la création d’une multitude d’ustensiles et de contenants.
Tout en haut, c’est le domaine du verre, du tissu, des instruments de musique. Le musée possède 15 000 pièces, véritable mémoire d’un savoir-faire et de gestes et usages disparus. On n’a pas pu tout voir. On reviendra.

Traduire

Capucines à Giverny

Capucine, nasturtium, Kapuzinerkresse, capuchina, tropaeolum

Pour les guides qui pratiquent des langues étrangères, une partie importante du travail préparatoire à la visite consiste à maîtriser le vocabulaire spécialisé. Où qu'on aille, il y en a toujours. Les églises ont des arcs-boutants, les châteaux des machicoulis. Pour la visite des plages du Débarquement, les termes militaires doivent être aussi précis que possible. Dans les musées, il faut savoir décrire les tableaux. Et à Giverny, si l'on veut parler d'autre chose que de la vie de Monet, on est confronté au vocabulaire horticole.

Depuis que de nombreux dictionnaires sont en ligne, chercher la traduction d'un mot est devenu beaucoup moins fastidieux que du temps du papier. Surtout, les outils disponibles permettent de se faire une idée beaucoup plus exacte de la valeur des traductions proposées avec des exemples en contexte et la fréquence des occcurences.
Les conjugaisons sont à portée de clic. Salvateur.

Pour les expressions un peu moins usitées, les forums peuvent être d'une aide précieuse. Contrairement à l'ambiance qui règne dans d'autres domaines, les forums linguistiques sont fréquentés par des personnes respectueuses et humbles qui font preuve d'une grande délicatesse aussi bien pour poser des questions que pour y répondre. Elles pèsent leurs mots dans leurs échanges tout comme elles les pèsent et soupèsent pour trouver les plus adaptés dans les traductions.

Pour les noms communs, la fonction "image" du moteur de recherche est d'une grande utilité. Une fois les différentes possibilités de traduction trouvées dans un dictionnaire, on peut différencier par l'image des mots au sens voisin comme grillage, grille, clôture, barrière, par exemple.

Mais les dictionnaires n'ont pas réponse à tout. En particulier, ils ignorent superbement les noms des fleurs. On les comprend : il y en a trop. Pour trouver la traduction adéquate des fleurs assez courantes pour avoir un nom vernaculaire, mais pas assez banales pour être répertoriées dans un dictionnaire bilingue, il faut ruser :

– On tape le nom de la fleur dans la langue d'origine, disons en français, dans un moteur de recherche.
– Par ce biais, on trouve facilement son nom botanique.
– Ensuite on tape le nom botanique dans le moteur, suivi d'un mot typique de la langue cible, par exemple flower si on cherche la traduction en anglais, flor pour l'espagnol ou Blume pour l'allemand.
– On trouve ainsi des sites de jardinage étrangers qui présentent la fleur, souvent à la fois avec le nom botanique et son ou ses noms courants. Bingo ! C'est un peu long mais ça marche.

Enfin, certaines tâches de jardinage bien spécifiques ne sont pas toujours prises en compte par les dictionnaires. Pour ce vocabulaire-là, le mieux est d'aller repérer les termes dans des sites étrangers qui donnent des conseils de jardinage. Mes préférés sont les blogs, parce qu'on sent des gens derrière, leurs enthousiasmes et parfois leurs déceptions de jardiniers. Et puis on voyage très loin, pourquoi pas dans l'autre hémisphère : un pur délice.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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