Peindre le ciel
Eugène Boudin, Coup de vent à Frascatti, Le Havre, huile sur toile, Le Petit Palais musée des Beaux-Arts de la ville de Paris.
Pas moyen d’y échapper quand on représente un paysage : tôt ou tard, il faut peindre le ciel dans son tableau.
Pour les enfants il est toujours bleu, agrémenté d’un grand soleil et de petits nuages joufflus. Dans la réalité… cela dépend sous quel climat on se trouve.
En Normandie, si le ciel n’est pas aussi invariablement radieux que dans l’imaginaire enfantin, il compense en présentant une infinité de variations qui le rendent intéressant à peindre. Rien de moins pittoresque qu’un ciel d’azur. Dans un puzzle, la hantise c’est le petit coin de bleu tout lisse, on se le garde pour la fin.
C’est sans doute parce qu’il est né au bord de la Manche, à Honfleur, que le peintre Eugène Boudin est devenu « le roi des ciels », selon le bel éloge de Camille Corot.
Au bord de la mer le ciel prend toute sa majesté. Il déploie son immensité devant le regard, sans rien qui vienne l’arrêter.
Boudin aime lui consacrer les deux tiers de la toile. Regardez comme c’est beau, ce qui se trame là-haut ! semble-t-il dire.
Vingt ans avant les impressionnistes, les variations infinies du ciel le fascinent. Quand la tempête approche il peint, comme ici, les masses gigantesques et menaçantes des nuages porteurs de pluie, leurs nuances de gris, d’ardoise, de violet. On croit sentir la force énorme du vent aux prises avec les gigantesques masses d’eau qu’il pousse, propulse, bouscule. D’autres jours, quand le temps est plus clément Boudin s’attarde à représenter la légèreté vaporeuse des nuages, la façon dont ils cueillent les rayons dorés du couchant.
Boudin a été un artiste très productif : plus de 4000 peintures et autant de pastels et de dessins. Tous les ciels de Normandie sont passés devant ses pinceaux, aussi changeants que le temps est variable. Au fil des saisons il a peint les petits nuages pommelés, les stratus, les cumulus, toutes les bizarreries ordinaires du ciel. Et cela sans tricher : les Normands retrouvent exactement rendue l’atmosphère de leur région dans les toiles de Boudin.
Mais on s’ennuierait devant un tableau qui ne représenterait que le ciel. Le spectateur aime se sentir ancré sur du solide quand il regarde un tableau. Boudin, c’est aussi le peintre des « plages à crinoline », où les personnages donnent l’échelle de l’immense en petites taches verticales qui se découpent sur l’horizon.
Ci-dessus : Eugène Boudin, La plage de Trouville – Impératrice Eugénie – 1863, 34,5 cm x 57 cm, Collection Burrell Musée de Glasgow
La vie en rose
Il n’y a pas que Marion Cotillard qui voit la vie en rose. Le temps a beau faire grise mine, les plantes ne s’y trompent pas. Revoici les soirées claires, les premières feuilles si tendres, et les fleurs les plus pressées de faire les belles sur les gazons.
Ce matin mon jardin m’a accueillie d’une explosion de primevères roses et jaunes immigrées clandestinement de chez le voisin, qui disputaient leur coin de pelouse aux violettes et aux pâquerettes. J’ai hâte de voir quelle magie les jardiniers de Giverny avec tout leur talent et leur savoir-faire auront tiré de la fureur de fleurir de la nature, déjà si jolie dans sa spontanéité.
Les cerisiers et les pommiers du Japon doivent se parer de rose, et faire paraître plus rose encore la maison de Monet.
Je ne suis pas allée voir les préparatifs. J’attends que le rideau se lève mardi prochain sur ce spectacle éblouissant. Ce sera la rentrée, le début d’une nouvelle saison qui commence dans un enthousiasme tout neuf.
Il peut bien pleuvoir ou venter, je vois la vie en rose…
Guénar et florette
L’énorme trésor d’Evreux dont voici la petite portion présentée au musée de l’Evêché, date de l’époque gallo-romaine et n’a jamais été étudié en détail. C’est dommage, car c’est incroyable tout ce que les érudits arrivent à faire dire à quelques pièces de monnaie. Alors a fortiori un tel magot !
Je suis tombée aujourd’hui sur une analyse publiée par le Cercle d’Etudes Vernonnais en 1995 sur le trésor de Vernon. Vous pensez que la numismatique vous ennuie ? L’auteur, Jens Christian Moesgaard, est de taille à vous faire changer d’avis. Son enquête est aussi palpitante qu’un roman policier. Résumé du début :
Le trésor de Vernon, conservé au musée A.G. Poulain, a été découvert à l’occasion de la démolition d’une vieille maison en centre ville, il y a de cela une bonne centaine d’années. Il se compose de 149 pièces de monnaies, qu’on peut classer en deux catégories : les guénars et les florettes. Jolis noms, n’est-ce pas ? Qui nous sont totalement inconnus aujourd’hui parce que ce sont les pièces qui avaient cours au début du 15ème siècle, nettement avant les sols, les pistoles et les livres qui nous sont plus familiers grâce à Molière.
La première question est de savoir quand le trésor a été caché, donc de trouver la pièce la plus récente dans le tas. C’est, nous renseigne l’auteur, une émission du 19 septembre 1419. Vous apprécierez la précision. Or le trésor ne comporte aucune pièce d’une émission très proche dans le temps, du 25 septembre 1419, et dans l’espace, à Rouen, signe indubitable que l’enfouissement du trésor a eu lieu à l’automne 1419.
Après le quand, le pourquoi. Il y a deux raisons de cacher ses sous, on devine aisément lesquelles. Soit ce sont des économies, une cagnotte constituée patiemment et qu’on ne veut pas se faire voler, façon bas de laine ou billets sous le matelas. Soit un danger menace et on cache en vitesse le contenu de sa bourse. Comment fait-on la différence ?
Dans le cas où il s’agit d’une cagnotte, le propriétaire conserve de préférence des grosses pièces dont les émissions s’étalent sur une longue période. S’il s’agit d’une urgence dans une période troublée, on va trouver des pièces de moindre valeur et surtout des émissions récentes.
Dans le cas du trésor de Vernon, c’est la seconde hypothèse qui est la plus probable. En 1419, on est à un tournant de la Guerre de Cent Ans. Les Anglais repoussés quelques décennies plus tôt par du Guesclin reviennent à la faveur d’une guerre civile en France entre deux prétendants au trône. En 1419 ils reprennent Vernon.
Lion d’or
Quand il voyageait, Victor Hugo, qui a beaucoup parcouru la Normandie, tâchait toujours de passer la nuit à l’Hôtel du Lion d’or : on en trouve dans chaque ville ou presque.
A votre avis, pourquoi cette fixation sur ce noble animal ?
Vous donnez votre langue au chat ?
Parce qu’il aimait les calembours, et que dans le lit on dort.
Bonne nuit !
Pâques aux tisons
J’aurais été lapin de Pâques, ce matin, j’aurais mis des moufles, même si c’est pas trop pratique pour attraper les oeufs et aller les
plaquer planquer dans les fourrés. Faudrait marquer faire l’essai, avec un peu d’entraînement…
Où ai-je la tête ! Voilà que je me crois au rugby, c’est la contagion de la forme ovoïde et de la course sur le gazon, probable.
C’est un emploi précaire, lapin de Pâques, que je me flatte d’avoir exercé pendant pas mal d’années. Il demande du talent dans la furtivité, voyez-vous. L’apparition quasi magique de poules couveuses et de leur production cacaotée dans tous les recoins du jardin requiert un véritable travail d’équipe pour détourner l’attention des jeunes ramasseurs de balles cocos en chocolat.
Bien sûr j’ai essayé la passe en arrière, j’ai voulu former la nouvelle génération à ce job un peu particulier. Le résultat a dépassé mes espérances. Ils ont saisi la balle au bond, au mépris de toute vraisemblance on a retrouvé des poissons tout emballés dans les branches du poirier.
Cette année, j’ai rangé la cape d’invisibilité à oreilles en plastique dans le tiroir, le temps d’une mi-temps qui va durer un certain temps. Vous savez quoi ? Les juniors trouvent que le chocolat pascal est moins bon que les autres, c’est pas honteux, ça ? Sifflet !
Sépulcre
Le thème de la Mise au tombeau du Christ a été très souvent représenté dans les églises gothiques. Il était prisé des Cordeliers, qui avaient la charge de garder les Lieux Saints. C’était aussi un thème tout trouvé pour orner des chapelles funéraires, et l’occasion de réaliser d’importants groupes de figures de pierre de taille réelle.
La scène de l’embaumement et de l’ensevelissement de Jésus comprend d’habitude un nombre figé de personnages. A la tête et aux pieds du corps du Christ se tiennent les deux hommes qui sont allés réclamer la dépouille et la portent, Joseph d’Arimathie et Nicodème. Au fond, faisant face au spectateur, les saintes femmes, la Vierge Marie, Marie-Salomé et Marie-Cléophas, mères de disciples, et Marie-Madeleine la pécheresse repentie qui porte des aromates. Jean, le disciple préféré de Jésus, soutient la Vierge.
Sépulcre de Louviers
On peut voir dans l’Eure deux sépulcres du début du 16ème siècle à Louviers et à Verneuil sur Avre. Selon Jacques Beaudoin (« La sculpture flamboyante, Normandie et Île de France ») ils ont sans doute été exécutés par le même artiste, celui de Louviers vers 1500, celui de Verneuil une dizaine d’années après.
Les deux groupes présentent nombre de similitudes dans les attitudes des personnages, les positions des mains, les plis des vêtements, et même les traits des visages. Sont-ils dûs à Jean Cossart, qui travaille à cette époque à la cathédrale d’Evreux ? L’imagier qui les a sculptés a su leur donner une noble et douloureuse gravité qui incite au recueillement.
Cache-cache
Dans le jardin de la Maison Rose, à Giverny, ce lampadaire ne prend pas sa fonction d’éclairage du public très au sérieux.
Sans doute un peu tire-au-flanc, il s’est caché dans ce conifère en espérant qu’on allait l’oublier.
Vous l’avez débusqué ?
Chttt !! a-t-il l’air de dire, la tête un peu penchée, ne vendez pas la mèche !
On ne dira rien.
Il est trop bien comme il est, tout droit venu de l’époque où le jardin servait de modèle aux impressionnistes.
Et si, sorti de sa cachette, on allait nous le repeindre ?
Damned !
Vues sur la mairie
Au naturel l’hôtel de ville d’Evreux a quelque chose d’imposant, voire de pompeux, comme beaucoup d’édifices publics du 19ème siècle. Mais vu à travers la porte du beffroi il apparaît un peu brumeux, un peu flou dans le lointain rapproché par le zoom.
J’imagine quels rêves de mairie ont dû faire tous les candidats à ces dernières élections municipales. Est-ce qu’elle leur apparaissait inaccessible, ou faussement proche ? Ou bien étaient-ils assurés de retrouver leur fauteuil dans un fauteuil ? Ont-ils vécu des heures d’émotions intenses ou une victoire plan plan, une défaite sans surprise ?
Le nouveau maire d’Evreux s’appelle Michel Champredon. Les Ebroïciens le connaissent bien, comme candidat et comme conseiller, sous les couleurs du PS.
Et puis l’hiver dernier Michel Champredon s’est mis en congé du parti socialiste. C’est donc en tant que Divers Gauche qu’il a été élu, renversant Jean-Pierre Nicolas, le maire sortant successeur depuis un an de Jean-Louis Debré, parti présider l’Assemblée Nationale.
Voilà donc Evreux qui renoue avec la gauche et c’est moins une surprise que l’élection d’un maire UMP il y a sept ans. A cette époque Jean-Louis Debré succédait à 24 années de mandat du communiste Roland Plaisance !
Zoom, contre zoom. Pour les perdants, sans doute un peu groggy sous le choc, la mairie qui semblait à portée de la main s’est brusquement éloignée. Dans le futur. Dans six ans.
Buis
Le muguet a son heure de gloire le 1er mai. Le buis, qui n’a pas l’avantage de fleurir opportunément et de façon spectaculaire, est néanmoins à la fête une fois par an.
Le Buxus sempervirens le doit à sa marque distinctive d’être toujours vert.
Pourquoi a-t-il été choisi pour représenter les Rameaux, et pas le lierre ou le houx ? Pour quelque raison mystérieuse qui dépend de la tradition régionale, le laurier, l’olivier ou le saule lui sont préférés ailleurs, mais dans le nord de la France c’est le buis qui a cet honneur.
En Normandie il n’est pas rare de voir dans les maisons des petits brins de buis glissés sous les crucifix. L’usage veut qu’on en place à la tête de chaque lit. On les conserve pendant onze mois jusqu’au mercredi des Cendres, le premier jour du Carême suivant, pour les brûler et en faire les cendres bénites.
Le buis sauvage est abondant dans les sous-bois de la vallée de la Seine. A la Roche-Guyon il forme des taillis, il pousse en arbres de plusieurs mètres de haut.
Tronc grêle, allure dégingandée informe, feuillage peu dense aux feuilles minuscules, ce pas beau à l’état sauvage devient sculptural dans les jardins, grâce à la magie de la taille. Il n’a pas son pareil pour se transformer en cône, en boule ou en martien, quand les sécateurs affûtés le façonnent au gré de l’inspiration.
Annonciation
Scène de l’Annonciation, poteau cornier du musée de Vernon. 15ème siècle
Regardez la bouche ouverte et les yeux écarquillés de Marie. Rarement les Annonciations mettent à ce point en scène le saisissement.
Qu’était en train de faire la Vierge, contre ce meuble à l’usage indéfinissable que l’on aperçoit à droite ? Était-elle occupée à son ouvrage, comme on aimait la représenter au Moyen-Âge, ou à une pieuse lecture, comme on l’imagine plus tardivement ? Ce qui est certain c’est que Marie ne s’attendait pas à une apparition surnaturelle. Et voici qu’elle entend une voix d’ange…
Le phylactère portant les paroles de l’archange Gabriel est visible au niveau de son oreille. Mais l’ange, elle ne le voit pas.
Ce n’est pas tout à fait conforme aux textes, puisque l’ange, est-il précisé, parut à Marie. Mais quelle habileté dans cette utilisation du poteau cornier ! Marie se trouve sur un côté du poteau, l’ange de l’autre. Ils ne peuvent se voir. L’angle matérialise la frontière entre l’humain et le surnaturel. Ce n’est pas une barrière. Rien qu’un angle, une question de point de vue.
Dans les représentations de l’Annonciation on retrouve très souvent un objet pour marquer cette frontière : une colonne, un vase, le bord d’un meuble… Ici l’artiste s’est servi du relief du poteau cornier.
Marie ne peut voir l’ange de l’autre côté du poteau, mais en nous plaçant face à cet angle nous pouvons embrasser d’un coup d’oeil les deux personnages. Nous avons alors un point de vue qu’on pourrait imaginer être celui de Dieu, qui voit aussi bien le rationnel que l’irrationnel. Comme si l’artiste nous donnait à voir qu’il faut dépasser ce que nos sens perçoivent pour entrer dans une dimension divine.
Le moulin de César Franck
J’ai fini par trouver le moulin de César Franck à Vétheuil.
Vétheuil, ce village au bord de la Seine entre Vernon et Mantes-la-Jolie, a abrité un grand nombre de personnes célèbres, même si la gloire de Monet, le plus fameux de ses résidents, fait un peu d’ombre aux autres.
C’est une Vétheuillaise qui m’avait passé l’info : au bout de la rue des fraîches femmes, un moulin avait appartenu à César Franck.
Un moulin ! Je me suis bêtement imaginé que c’était un moulin sur la Seine, et je l’ai cherché au bord du fleuve, avant de revenir sur mes pas et de le découvrir un peu plus haut, sa roue mue par un ruisselet qui dévale la colline.
De mémoire de Vétheuillais, donc, César Franck a résidé dans cette propriété. Il n’est pas fait mention d’un quelconque séjour du célèbre organiste et compositeur du 19ème siècle à Vétheuil dans les biographies que l’on peut trouver sur internet, le fait a dû sembler trop insignifiant. Ce qu’il n’est pas pour les habitants de Vétheuil, cela va de soi.
J’aime à penser que cette retraite s’est révélée aussi féconde pour César que pour Claude, que l’inspiration lui est venue à contempler le flot qui coule, à écouter chanter les oiseaux du ciel.
La propriété a dû être belle, elle conserve des traces de parc à l’ancienne, buis, grands arbres, et ce portail un peu solennel pour un village campagnard, pour un simple moulin. Désertée par son célèbre propriétaire, un peu laissée à l’abandon par ceux d’aujourd’hui elle a un je ne sais quoi qui flotte de mystérieux et de recueilli, tout au bout de ce chemin creux nommé rue des fraîches femmes. Je me demande bien ce que ce nom veut dire.
Esther et Rommel
Une magnifique suite de tapisseries des Gobelins orne le grand salon du château de la Roche-Guyon.
Ces tapisseries représentent l’histoire d’Esther, une jeune femme juive dont s’éprit le roi des Perses et qui sauva son peuple d’un génocide grâce à l’influence qu’elle exerça sur son époux.
L’histoire est tirée de la Bible et elle a connu un succès certain depuis le Moyen-Âge, Racine en a même fait une tragédie.
C’est la duchesse d’Enville, femme intelligente et cultivée, qui a fait réaliser ces tapisseries en 1769. Féministe avant l’heure, il n’est pas surprenant qu’elle ait privilégié une histoire qui met en valeur un personnage féminin.
Ce qui est plus étonnant, c’est la suite. En 1944, Rommel occupe le château de la Roche-Guyon. Le maréchal allemand installe son bureau dans le grand salon, juste devant les tapisseries. Que va-t-il faire de ces immenses tentures de plus de trois mètres de côté à la gloire d’une héroïne juive ?
Eh bien justement, il ne fait rien. Les tapisseries d’Esther restent en bonne place tout autour du bureau de Rommel, des photos en témoignent. C’est quasi surréaliste.
Très certainement Rommel savait parfaitement ce que racontaient les tapisseries.
L’usage d’un faux
C’était au départ un beau projet scientifique : le musée Wallraf-Richartz de Cologne a décidé d’étudier soixante-dix de ses oeuvres impressionnistes majeures avec les moyens dont la recherche dispose aujourd’hui, infrarouges et ultraviolets, rayons X, analyses microscopiques… L’objectif était de mieux comprendre ces tableaux et de préparer une exposition sur la technique des impressionnistes.
Mais c’était ouvrir la boîte de Pandore. Les conservatrices ont eu plusieurs surprises au cours de leurs enquêtes. La plus amère a été de s’apercevoir que le musée présentait parmi ses collections un authentique faux Monet.
Bords de la Seine à Port-Villez a fait illusion pendant près de 90 ans, mais c’est un faux, le doute n’est plus permis. Trois preuves viennent confirmer cette triste conclusion : on a découvert sous la peinture un dessin préparatoire, alors que Monet peignait directement sur la toile. La signature a été recommencée deux fois – pas le genre de Monet de rater son nom. Pire, un vernis vieillisseur a été détecté à la surface du tableau.
Et l’on comprend comment s’y est pris le faussaire pour tromper son monde. Il a utilisé à son profit l’habitude de Monet de peindre par série. Il lui a « suffi » de reprendre un cadrage du peintre et d’inventer une nouvelle toile de la même série.
C’est un coup dur pour le musée, c’est clair. Mais les responsables ont pris le parti de faire contre mauvaise fortune bon coeur. Car la découverte de ce faux qui a grugé si longtemps les meilleurs spécialistes – Daniel Wildenstein, l’auteur du catalogue raisonné de Monet, s’y est comme les autres laissé prendre – est la démonstration de l’excellence des méthodes actuelles d’authentification des tableaux.
Le musée a donc mis en scène ce faux, qui a de quoi aiguiser la curiosité des visiteurs. L’exposition Impressionnisme : comment la lumière s’est posée sur l’écran ouverte depuis quelques jours l’a mis en bonne place. Après tout, beaucoup de musées possèdent des Monet, mais des faux Monet dûment dévoilés, voilà qui est plus rare. Il ne serait pas étonnant que celui-ci devienne un des must du musée de Cologne. Car le faussaire, qui travaillait du vivant de Monet, avant 1920, a fait preuve d’un certain talent dans la falsification pour rester indécelé si longtemps.
Bords de Seine
Soit un fleuve bordé à intervalles réguliers de petites bourgades de province. Toutes disposent de rues le long de la rivière. Qu’est-ce qui fait que dans certaines de ces petites villes, on a irrésistiblement envie d’aller se promener sur les quais, tandis que dans d’autres les voies le long des berges manquent de charme ?
Je me le demande, alors qu’à Vernon les quais de Seine font l’objet de programmes d’aménagement depuis plusieurs années et qu’en dépit de ces efforts ils peinent toujours à être véritablement attractifs.
Pour trouver ce qui cloche encore, malgré le détournement du trafic ou la plantation de vernes, Vernon oblige, il faut aller voir du côté des villes où les berges ont ce je ne sais quoi qui retient les passants.
C’est le cas aux Andelys. Quelle est la formule magique ?
Circulation quasi inexistante dans la petite rue qui a des airs de route de campagne plutôt que de voie urbaine. Le piéton, sécurisé, a tout loisir d’admirer le cadre naturel magnifique : le fleuve, les falaises de craie, la verdure sur l’autre rive. L’aménagement n’en fait pas des tonnes. Les quais descendent en pente douce par des prairies jusqu’à la Seine, pas de béton ni de grillage.
Surtout, la curiosité est maintenue en éveil par la succession de maisons anciennes qui bordent le fleuve, belles bâtisses parfois vieilles de plusieurs siècles qui donnent du cachet à la berge.
Qu’en est-il à Vernon ? Dans l’enthousiasme de l’après-guerre on a construit de belles barres d’immeubles le long du fleuve. Aujourd’hui elles ont cessé de faire moderne, à peu près tout le monde s’accorde à les trouver, euh, moches.
Difficile de remédier à leur laideur. Il va falloir patienter encore un peu, le temps qu’elles aient fait leur temps.
Tout frais tout neuf
La maison et les jardins de Monet à Giverny rouvriront dans trois semaines, le mardi premier avril. Ce jour-là, le domaine du maître impressionniste va se réveiller après un sommeil hivernal de cinq mois.
Voici l’aspect du jardin auquel on peut s’attendre à l’ouverture. Des coulées de narcisses à travers des pelouses bien vertes, des tapis de pensées et de pâquerettes éclatants de couleurs, des jacinthes parfumées, des fritillaires intrigantes, les premières tulipes qui pointent dans des parterres bêchés de frais…
Les bancs, tout le jardin tout neuf a l’air d’attendre ses premiers visiteurs.
Ceux qui viendront dès le premier jour aiment les commencements, la plage au mois de juin, l’aurore plutôt que le crépuscule, la neige vierge, les cahiers neufs… Ils aiment se lever à l’heure où tout le monde dort encore, sauf les oiseaux.
Ils seront les premiers cette année à marcher dans les allées bien ratissées, à passer sous la tonnelle du pont japonais où la glycine sera tout en bourgeons.
Le saule, toujours précurseur des autres arbres, balancera ses longues branches emplumées de vert tendre.
A la surface du bassin les nénuphars n’auront pas encore réagi à la nouvelle douceur de l’air.
En avance de quelques jours sur les hirondelles qui laboureront bientôt le ciel normand de leurs socs pointus, les premiers visiteurs allongeront leurs reflets à la surface de l’eau, comme un signal à l’attention des nymphéas.
A Giverny, ce sont les promeneurs qui font le printemps.
Giverny
La maison de Claude Monet à Giverny est une leçon de perspective.
Comme deux arbres sont plantés à quelques mètres du perron principal, il n’est pas facile d’avoir une vue d’ensemble de l’édifice. La masse sombre des ifs tronçonne la maison dans sa partie médiane, empêchant de saisir d’un coup d’oeil la silhouette du bâtiment.
Si on veut photographier la maison de Monet ou la peindre en gros plan, on est obligé de se placer de côté. Les lignes parallèles de l’arête du toit, de la gouttière, du rosier grimpant et du sol convergent alors vers un même point. L’impression de lignes de fuite est renforcée par la longueur importante du bâtiment et la nécessité de se tenir à proximité. En effet, il faut rester dans l’allée, pas question d’aller prendre un peu de recul dans les plates-bandes amoureusement entretenues par les jardiniers.
Tout porte à croire que cet effet a été recherché par Monet. L’installation de la pergola, la plantation de la vigne vierge, les couleurs mêmes qu’il a choisies pour la façade et les volets montrent qu’il souhaitait que le bâtiment se fonde dans le jardin. Imaginons qu’on supprime les ifs, la maison se dresserait à l’arrière-plan, barrant l’horizon de toute sa raideur géométrique.
Ville verte
La ville de Vernon est plus étendue que celle de Rouen ! J’ai découvert cette information assez surprenante sous la plume de son ancien maire, Georges Azémia, sans doute bien placé pour être au fait des chiffres : Vernon a une superficie de 3206 hectares, contre seulement 2138 hectares pour Rouen.
Bien sûr, c’est triché. Car on a inclus dans le calcul de la superficie de Vernon deux des forêts qui la bordent, la forêt de Bizy et la forêt de Vernon.
Vous voyez la colline couverte d’arbres à l’arrière-plan de la photo ? Prétendre que c’est la ville de Vernon, évidemment, c’est un peu excessif.
Mais en même temps, englober ces espaces verts dans le total de la superficie de la ville, c’est affirmer le vert présent dans son Vert-Nom et dans sa devise, Vernon toujours vert.
Les exclure, cela aurait été un peu faux aussi, non ?
Maire de la Reconstruction
Sans vouloir minimiser les responsabilités et les enjeux auxquels sont confrontés les maires d’aujourd’hui et ceux qui prendront leurs fonctions dans quelques jours, il est des premiers magistrats qui ont dû faire face à une tâche colossale, une oeuvre dictée par des circonstances qui, souhaitons-le, ne se reproduiront pas : ce sont les maires de la Reconstruction.
En Normandie de nombreuses villes ont été en grande partie détruites par les bombes et l’incendie pendant la seconde Guerre Mondiale. Vernon est de celles-ci.
Après la Libération est venu le temps de la Reconstruction. Elle était pilotée par l’Etat, mais les élus avaient leur mot à dire.
Une ville à rebâtir, pas moins. Comment s’y prend-on ? De quels facteurs faut-il tenir compte ? Comment construire pour l’avenir, prévoir les besoins futurs ?
La société savante de Vernon, le Cercle d’Etudes Vernonnais, a publié dans son dernier bulletin un document exceptionnel, une pépite : un long article daté de 1966 écrit par Georges Azémia, maire de Vernon de 1946 à 1983, et paru à l’époque dans la revue Réalisations du bâtiment et des travaux publics.
Malgré le titre assez rébarbatif de cette publication, il a la plume chaleureuse, Azémia, le ton amical de quelqu’un qui écrit à un ami, genre la Reconstruction expliquée à ma fille.
« Quel serait l’avenir de la ville ? L’optique du moment n’était pas favorable aux larges visions. Une évolution démographique se dessinait. En haut lieu et partout, on la considérait comme passagère, séquelle de la guerre, des retrouvailles… alors qu’elle allait être un phénomène constant. »
Depuis 1946 la population de Vernon a plus que doublé. A force de lire l’Histoire après coup on oublie qu’elle n’allait pas de soi pour ceux qui la vivaient.
On oublie aussi la somme de décisions qu’il a fallu prendre pour donner à la ville son visage actuel. Créer un quartier ici, ouvrir des voies, penser aux équipements, aux commerces… Le récit d’Azémia a tout de Sim City, ce jeu de simulation où vous devez bâtir une ville… sans rien oublier. Mais pour le maire de la Reconstruction il s’agit d’urbanisme grandeur réelle qui conditionne l’avenir de toute une population. Des concitoyens impatients de quitter les baraquements pour de vrais logements, d’avoir l’eau courante et l’électricité, des écoles pour y envoyer les enfants, un lycée, un hôpital, une piscine…
Ce fut vraiment une époque exaltante où la décision s’imposait rapide afin de concilier la vie quotidienne et assurer l’avenir.
Mettez-vous un instant à sa place. Vous devez, par exemple, décider si vous voulez des rues larges ou étroites dans le centre ville.
Les concevoir larges était une erreur, disait-on. Des villages, reconstruits après 1914, étaient cités en exemple. Le commerce avait diminué, il n’y avait plus d’intensité de vie. Là encore il faut se plonger dans le climat du temps. Les problèmes de circulation et de stationnement ne se posaient pas car le parc automobile était assez restreint et l’essence était attribuée contre remise de bons délivrés avec parcimonie. (…) Les plus audacieux ne prévoyaient pas un pareil développement de la circulation.
Et Azémia écrit il y a plus de quarante ans ! Avec le recul, il a des regrets, comme celui de n’avoir pas fait les rues tout à fait assez larges. Mais il est le premier à s’en dédouaner :
Tout cela appartient au passé et les hommes ont droit à l’erreur.
L’oeuvre sans doute est imparfaite mais le pari est gagné. Comme un enfant qui se révèle différent de ce qu’on a rêvé Vernon est renée de ses cendres et s’est développée. Elle a ses défauts, bien sûr, mais j’aime en me promenant dans ses rues sentir derrière tout ce qui paraît si évident aujourd’hui, dans la disposition des pâtés de maison, le choix des matériaux pour les façades, toute la chaleur de ces hommes de la Reconstruction qui ont donné de leur temps et de leur énergie jusqu’au surmenage pour recréer leur ville.
Musée d’Art Américain Giverny : expos 2008
Le Musée d’Art Américain rouvrira ses portes le 1er avril prochain avec deux belles expositions : « le temps des loisirs », déjà présente l’année dernière, qui restera à l’affiche pendant toute la saison et « portrait of a lady » à voir jusqu’au 14 juillet 2008.
Le temps des loisirs propose un parcours à travers l’histoire de l’art américain à partir d’oeuvres de la Terra Foundation for American Art. Le thème retenu, les loisirs, est décliné depuis le 18ème siècle, lorsque le loisir se résumait à une brève interruption dans le travail, à la faveur du passage d’un musicien ambulant par exemple, jusqu’au 20ème siècle et à l’invention des loisirs de masse caractérisés par l’image de plages bondées. Dans l’intervalle, au 19ème siècle, les loisirs sont devenus l’apanage d’une bourgeoisie aisée qui marque par son oisiveté l’accession à un rang social élevé.
Cette évolution sociologique se révèle dans les sujets des tableaux sélectionnés, le parcours chronologique faisant apparaître en parallèle l’évolution de l’art pictural aux Etats-Unis sur une période de deux siècles.
L’exposition Portrait of a lady (portrait de dame) proposée en même temps ce printemps au MAAG se focalise sur une période de temps beaucoup plus courte : des années 1870 à la Première Guerre Mondiale, c’est-à-dire à peu de choses près la période où Giverny était une colonie d’artistes américains.
Les 35 peintres et photographes qui ont été sélectionnés pour cette exposition ont tous plusieurs points communs : ils sont Américains, leurs oeuvres appartiennent à des collections françaises, elles ont pour sujet principal une femme.
Il est assez étonnant de voir à quel point les musées français regorgent d’oeuvres d’artistes américains, achetées par l’Etat, données par les artistes eux-mêmes pour leur promotion ou léguées par des particuliers. Une étude financée par la Terra Foundation a permis de les recenser tous. Les portraits féminins y figurent en bonne place.
Sous les pinceaux américains, devant l’objectif, c’est une femme élégante et idéalisée qui apparaît, une beauté sublime et gracieuse qui contraste avec l’image plus sensuelle de la femme offerte à la même époque par les peintres français.
Ci-dessus : John White Alexander Portrait gris dit aussi La Femme en gris, vers 1893. Huile sur toile, 190 x 90 cm Paris, musée dOrsay ©Photo RMN / Hervé Lewandowski
Bardeau
Au château de la Roche-Guyon, le petit bâtiment qui abrite l’escalier d’honneur ressemble à une chapelle. L’escalier qui mène au donjon permet de l’observer depuis le dessus.
Un joli toit un peu rustique, n’est-ce pas ? Il est composé de petites planchettes de bois, des bardeaux.
Pourquoi ne pas l’avoir fait en tuiles ou en ardoises, matériaux plus « nobles » qui paraîtraient mieux convenir à un château ?
Parce qu’on n’en finirait pas d’avoir des tuiles ou des ardoises cassées. Placée au pied de la falaise, le bâtiment est exposé aux chutes de petits bouts de pierres. Avec son toit en bois, il ne risque rien. Les cailloux rebondissent sur le bardeau et finissent leur chute en roulant tranquillement dans la cour.
A la Roche-Guyon toutes les maisons construites à proximité de la falaise ont des toits de bardeaux.
Humour noir
Un visiteur du château de la Roche-Guyon a remarqué la ressemblance entre les portes blindées munies de judas qui protègent l’accès du donjon et… les entrées bien gardées des boîtes de nuit ! Il lui a suffit de ramasser un bout de craie détaché de la falaise pour écrire sur la porte la précision qui manquait :
BOITE DE NUIT
TENUE CORRECTE EXIGEE
Concentrée sur l’aspect médiéval du château, je n’ai rien remarqué quand j’ai fait la visite et pris la photo. Ce n’est que face à l’écran que j’ai découvert cette légende au savoureux humour noir.
Après être passée à côté en gravissant puis en redescendant les quelque 250 marches qui mènent à la tour, c’était vraiment avoir l’esprit de l’escalier.
Sourire
Ça s’est passé hier à Zurich. Deux des tableaux volés la semaine dernière ont été retrouvés : le van Gogh et le Monet.
Il manque encore le Cézanne et le Degas, mais tout de même, quelle joie de récupérer ces deux-là.
Regardez le sourire radieux du porte-parole de la police de Zurich, M. Cortesi, pendant la conférence de presse. Il y a des jours qui comptent dans la vie d’un représentant des forces de l’ordre.
Et derrière lui, les deux oeuvres magiques aux formats identiques se répondent, le gros plan et le paysage.
Il se chuchote qu’ils ne seraient réapparus que contre compensation… Si c’est vrai, le secret est bien gardé dans un coffre suisse. C’est peut-être mieux de ne pas savoir.
Souhaitons un prochain épilogue aussi heureux pour les deux autres tableaux.
Passage secret
On croirait se trouver dans les entrailles d’un monstre.
A la Roche-Guyon, le château situé au bord de la Seine est relié à son donjon en haut de la falaise par un passage secret. Un incroyable escalier s’enfonce dans l’épaisseur du roc.
Les bâtisseurs ont réalisé un exploit, mais un exploit relatif : la pierre est assez tendre à la Roche-Guyon, c’est un genre de craie entrecoupée de rangées de silex. Depuis toujours on a exploité cette possibilité de la creuser facilement. Le village était à l’origine entièrement troglodytique, il compte encore beaucoup de cavités, qu’on nomme ici des boves.
La visite du château de la Roche-Guyon est passionnante, il y a tant à voir qu’on ne peut tout parcourir en une fois. Pourtant, il faut garder un peu de place pour le dessert.
La montée au donjon, c’est vraiment quelque chose d’extraordinaire. Elle demande un peu de condition physique : plus de 150 marches très hautes, 40 cm pour certaines. Mais quelle sensation étonnante de se trouver dans ce boyau tout blanc de craie, bouché au 18ème siècle et redécouvert au 20ème ! Et quelle récompense au sommet, avec la vue qui se déploie sur le village, la boucle de la Seine et se perd à l’horizon dans la brume…
Il n’y a plus de guetteurs au château de la Roche-Guyon. Mais un gardien surveille le donjon et les visiteurs qui s’y trouvent. Autant dire qu’il s’avale quelques milliers de marches toutes les semaines, à la montée et pire, à la descente.
Ce métier, ça vous fait des mollets de cycliste et un coeur d’alpiniste.
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