Bohin

machine à trier les aiguilles Les objets, et pas seulement les photos, ont le pouvoir de suspendre le temps. Le passé peut ressurgir au détour d’une brocante, au hasard d’une poupée de porcelaine ou d’un moulin à café.
Que dire alors quand c’est une usine entière qui semble arriver tout droit du 19ème siècle ? Qu’elle n’a pourtant rien de factice, qu’elle tourne et produit, qu’elle s’inscrit face à une concurrence mondialisée en ce début de 21ème siècle ?
Cette impression étrange que rien n’a changé depuis plus de cent ans est celle que l’on éprouve en visitant l’usine d’aiguilles et d’épingles Bohin à Saint Sulpice sur Risle, dans l’Orne.
La fabrique est installée depuis 1833 au bord de la rivière qui lui fournissait la force motrice. Le moulin ne sert plus, la cheminée de brique n’est plus qu’un perchoir pour les pigeons. Mais à l’intérieur des longs bâtiments en brique les méthodes de fabrication sont inchangées, et certaines machines sont là depuis 150 ans.
Celle ci-dessus, par exemple. C’est la doyenne. Elle a une petite tâche pas vraiment indispensable mais puisque la machine fonctionne comme une horloge, autant s’en servir : elle trie les aiguilles par longueur. C’est-à-dire que sur un lot d’aiguilles de même longueur elle distingue celles qui sont un chouïa plus longues ou plus courtes. Elles seront mises ensemble dans les pochettes, exactement identiques, c’est plus joli pour le coup d’oeil.
Tout est comme ça chez Bohin, un souci du détail et une recherche de perfection dans un environnement à la fois très technologique et archaïque.
En tant que patrimoine industriel l’usine est inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. Elle devrait prochainement voir une partie de ses locaux transformés en musée. Ce sera très intéressant, à n’en pas douter. Mais si vous en avez l’occasion, visitez-là, en groupe, dès maintenant, pendant que tout a cet air incroyablement authentique et sans apprêt. Quitte à retourner la voir quand elle sera devenue un outil pédagogique, un conservatoire des méthodes de travail traditionnelles au parcours didactique.

Photo de famille

Famille de MonetAimez-vous feuilleter les albums de photos de famille anciens, ceux qui datent de bien avant votre naissance ? Quand les tirages étaient minuscules mais nets, au temps du noir et blanc ou du sépia.
Même en se faisant aider d’une personne de la génération précédente, le mystère plane souvent sur les clichés. On scrute les visages, les coiffures, les vêtements. On essaie de deviner qui cela peut bien être. Les photos intriguent. On pressent que tous les objets entrevus ont une histoire, mais plus personne n’est là pour la raconter.
C’est un paradoxe que de pouvoir examiner chaque détail, chaque expression des personnages à l’instant de la prise de vue, mais de ne rien savoir de ce qu’eux connaissaient parfaitement, le nom des gens qui les entourent, la date et l’heure, le lieu, la raison d’être de ce cliché… Qui a dit « et si on prenait une photo ? » Qui s’est placé derrière l’objectif ? Que ressentaient ceux qui posent à cet instant ? Quel lien d’affection ou d’animosité les unissait ?
C’est le vertige du temps qui passe que la photo révèle en nous laissant entrevoir un instant d’autrefois suspendu, figé jusqu’à ce que le support de la photo se détériore. Petit voyage dans le passé qui nous trouble et nous fascine.

J’ai découvert au détour d’un livre en allemand, Monets Garten (Hatje Cantz Verlag) cette photo conservée… au musée de Vernon. L’auteur suppose qu’il s’agit des quatre filles d’Alice Hoschedé, la seconde femme de Claude Monet. Entre nous je leur trouve l’air un peu décontracté, à ces demoiselles, et pour tout dire presque avachi. Mais leur attitude montre toute l’entente qui devait régner entre elles.
Le monsieur debout qui ressemble tellement à Monet pourrait être son frère aîné Léon, qui habitait à côté de Rouen. La dame assise devant lui serait-elle son épouse ? Et l’autre qui a l’air de se cacher / respirer un bouquet de fleurs / se moucher, qui est-elle ?
Le cadrage est large. On voit des fauteuils vides sur la gauche. Ils étaient sans doute occupés l’instant précédent, avant que tout le monde ne se rassemble pour faire face à l’objectif.
Surtout, il y a les tableaux. L’auteur du livre les analyse comme la collection personnelle de Monet, accrochée, selon lui, dans le salon.
Monet possédait beaucoup de tableaux de ses amis peintres, cadeaux, achats, échanges avec Renoir, Pissarro, Cézanne, Sisley, Berthe Morisot, Corot, Jongkind, Caillebotte, Boudin… D’autres auteurs affirment que cette collection était exposée dans sa chambre à coucher, trente-cinq toiles qui devaient la tapisser entièrement.
Je ne sais pas qui a raison. Mais j’ai bien regardé à Giverny, aucune pièce ne m’a paru correspondre à cette disposition des fenêtres. Alors, c’est où ? Quels sont ces tableaux ? Qui sont tous les personnages ?
Derrière son apparente netteté, cette photo garde autant de mystère qu’une vue de Vétheuil dans le brouillard.

Pensée rose

Pensée Les jeunes enfants sont de retour dans les jardins de Monet à Giverny. C’est l’occasion d’une leçon de botanique au milieu des plates-bandes débordantes de couleurs.
Ce matin j’ai surpris cet échange entre des petits d’environ cinq ans et leur accompagnatrice :
-Et ça, qu’est-ce que c’est comme fleur ?
Silence radio.
– Une pen…? souffle-t-elle.
La réponse fuse d’un ton victorieux :
– Une panthère rose !

Sous le saule

Avril chez Monet Le jardin d’eau de Monet a retrouvé ses couleurs de printemps. Vu de l’autre côté du bassin, le saule le plus proche du pont japonais tend son drapé vert tendre devant la passerelle plus verte que jamais, tandis que les bambous qui n’ont pas varié de l’hiver s’ébouriffent en grands plumets de l’autre côté.
Sur l’étang les nénuphars ont commencé à resurgir des profondeurs. Leurs premières feuilles encore violettes apparaissent à la surface.
Les rosiers bien taillés dardent leurs épines, ils n’attendent qu’un peu de douceur pour se mettre à pousser à toute vitesse. Viendra alors le grand spectacle des glycines lavande et blanche, dont les inflorescences légères répondront au balancement des branches de saule.
La scène est prête, le rideau s’ouvre. Le pont japonais est une estrade où chacun aime à se tenir l’espace d’un instant.

Engoulant

EngoulantSi le verbe engueuler est hélas bien présent dans le vocabulaire français, le terme d’engoulant ne fait plus recette aujourd’hui. Ces mots dérivent pourtant tous deux de la même racine gueule ou goule, avec ses sens d’organe servant à parler, à crier, à manger.
Au Moyen-Âge engouler signifiait avaler. Le mot s’est conservé en héraldique et en architecture. Devenu vocabulaire technique, on peut le placer si l’on y tient dans la conversation, ce qui est déjà un challenge en soi, mais je vous déconseille de l’employer dans votre prochaine partie de Scrabble pour épater la galerie, le dico fait l’impasse dessus.
En architecture, donc, l’engoulant est une sculpture de tête monstrueuse à l’extrémité d’une poutre ou d’une colonne et qui semble avaler cette dernière. On en voit quelquefois aux sablières des maisons normandes, ces grosses poutres horizontales qui encadrent les étages, ou encore à l’extrémité des entraits de charpente.
C’est le cas à l’église d’Orbec où chaque poutre se termine par une tête monstrueuse. Tout ce bestiaire fantastique taillé dans le bois fait penser aux proues des bateaux vikings, comme si une longue tradition avait perduré parmi les charpentiers de marine normands.
Il faut une bonne vue pour distinguer les détails des engoulants à quinze mètres au-dessus du sol, mais la Maison du Boulanger à Verneuil sur Avre en présente à hauteur des yeux. Le plus gros en cache un autre plus petit en dessous.
Que représentent-ils ? Au vu de la longueur des museaux, de la forme des oreilles et des dents qui s’alignent impeccables sur la mâchoire du bas, je dirais bien des loups. Brrr ! Avec cette grande langue qui paraît décidée à vous dévorer tout cru, tous les petits Chaperons Rouges de Verneuil devaient faire un détour pour éviter de passer devant la maison…

Neige

Neige à GivernyLe bonhomme hiver tournait déjà le dos quand il a plongé la main au fond de sa poche. Il y a trouvé un peu de neige. Il s'est rappelé que depuis qu'il était arrivé en décembre il avait préféré la grande lessive du ciel plutôt que le délicat blanchissage. Pris de remords, il s'est retourné vers le mois d'avril et il a lancé ses derniers flocons oubliés d'un geste auguste de semeur. Qu'on n'aille pas se plaindre en haut lieu qu'il n'a pas fait son boulot.
C'est un peu tard dans la saison, et peut-être que les cerisiers déjà en pleine floraison n'ont pas apprécié ce matin de retrouver leurs bouquets de fleurs tout empomponnés de blanc.
Mais cela nous avait manqué, cet enchantement de la blancheur, et c'était bien d'en profiter au moins une fois avant que la belle saison ne commence vraiment.
A Giverny, le buste de Monet qui orne la Prairie avait le rebord de son chapeau empli de neige. Dans les parkings, les voitures immobiles jouaient toutes à colin-maillard, un bandeau opaque posé sur le pare-brise.
Le vent a soufflé de l'ouest pendant que les flocons tombaient, les plaquant sur le panneau d'entrée du village et sur les troncs des arbres.
Les forêts avaient un habit de lumière éphémère et magnifique.
En dessous, les pentes blanchies des collines étaient un appel aux sports d'hiver ; à Vernon, les immeubles de la Zup alignés à flanc de coteau évoquaient, avec un peu d'imagination, leurs cousins des stations de ski. Bienvenue à Vernon 2000 !
Mais ce n'est pas demain que les fondus de glisse verront un remonte-pente au-dessus de chez Monet. A midi, tout avait déjà disparu.

Ellébore

ElleboreIl est tombé quelques flocons de neige à Giverny aujourd’hui. Les ellébores étaient à leur affaire, les humains moins, qui grelottaient dans une atmosphère humide qui sentait l’hiver.
Admirer les ellébores du jardin de Monet est un privilège réservé aux tout premiers visiteurs de l’année. D’ici peu elles seront passées, elles se seront retirées sur la pointe des pieds pour laisser la place aux éclatantes fleurs du printemps.
Contrairement à ces dernières, l’ellébore ne joue pas les m’as-tu vue. Il faut presque se pencher pour admirer la couleur délicate de ses pétales, vieux rose ou lie de vin teintée de vert.
Modeste, elle courbe la tête vers le sol, d’un air de fixer vos chaussettes plutôt que de vous toiser de haut comme un tournesol.
L’ellébore met une hâte étonnante à fleurir bien avant l’arrivée du printemps. Si par hasard il neige un peu, elle paraît plus fragile encore, toute tendre dans la morsure du froid.
Il ne faudrait pas s’y fier. Sous ses dehors émouvants c’est une costaude qui ne risque pas de s’enrhumer. Ses belles feuilles épaisses et découpées, bien utiles pour tendre un rideau vert à l’arrière des plates-bandes, prouvent tout au long de l’année que l’ellébore déborde de vitalité.

Pictorialisme

Exposition musée d'art américain Giverny 2008 Portrait of a lady La nouvelle exposition du musée d’art américain de Giverny, Portrait of a Lady, a été composée à partir des oeuvres américaines présentes dans les collections publiques françaises. Le musée d’Orsay, par exemple, possède de nombreuses toiles importantes des artistes américains du 19ème siècle. Il détient également un fonds de photographies anciennes très riche.
Au tournant du siècle nombre d’artistes se sont passionnés pour le média nouveau qu’était alors la photo. Ils ont exploré avec enthousiasme ses possibilités, et cette fièvre d’expérimentation, par delà le temps, nous les rend proches, tandis qu’en ce début du 21ème siècle nous jouons à notre tour avec les ressources de l’internet, de la vidéo ou de l’image numérique.
La question qui divisait les photographes était de savoir si la photographie devait rendre compte de la réalité de façon neutre, documentaire, ou si c’était un art à part entière.
Qu’est-ce qui distingue les deux ? La part de créativité humaine que l’on insuffle dans le cliché.
Un courant est né en Europe et aux Etats-Unis, le pictorialisme. Ce nom rattache la photo à l’art pictural, la peinture. Ses membres intervenaient beaucoup sur les clichés pour en faire des oeuvres d’art : comme les peintres ils composaient avec soin des scènes très posées, riches de symboles, ils jouaient du flou, du clair-obscur, il estompaient les tirages, grattaient les négatifs pour ajouter des rayures…
Le cyanotype, ce procédé photographique très simple qui produit des tirages bleus, ajoutait à l’irréalité de leurs photos.
Ils ont gagné leur pari : les critiques de l’époque n’ont eu de cesse de les comparer à toutes sortes de courants de la peinture, de l’impressionnisme au symbolisme, du préraphaélisme au japonisme.
Les tirages et les photogravures exposés aux Maag jusqu’au 14 juillet 2008 sont des portraits de femmes. Je ne sais pas si vous serez touchés par leur grâce singulière ou agacés par la mise en scène de leur composition. Ce qui sans doute parlera à beaucoup, c’est l’érotisme diffus qui s’en dégage. On ne peut s’empêcher d’imaginer ces hommes et ces femmes au moment de la séance de pose, à l’instant où Elle attend que l’objectif la saisisse, immobile dans une position qu’Il a choisie.

Panneau de travaux

Panneau travaux ancien modèle On restaure une maison ancienne à Giverny. Le chantier qui donne dans la rue Claude Monet est très bien matérialisé par des panneaux de chaque côté. Deux panneaux qui disent la même chose, mais de façon si différente ! A croire que, comme les visiteurs de Giverny, ils parlent des langues étrangères.
Sur la gauche on trouve celui-ci, posé au milieu des myosotis et des giroflées (on est à Giverny n’est-ce pas). Il vous rappelle de vieux souvenirs ? Quarante ou cinquante ans peut-être, et pas une ride ! L’émail est comme neuf, il ne doit pas servir très souvent.
Sur le fond blanc cerné de rouge se détache la silhouette d’un homme en plein travail, objet du panneau : les automobilistes sont prévenus de la proximité d’un chantier.
C’est un véritable athlète, ce terrassier. Epaules larges, cou puissant, bras musclés, la silhouette le présente en plein effort.
Il manie la pelle d’un geste que l’on devine maîtrisé par une longue habitude, le corps penché vers l’avant, en appui sur son genou. Il porte un maillot à manches courtes, un pantalon et des chaussures à talons bas.
Que remue-t-il, du sable, du ciment, de la terre ? Que va-t-il faire de sa pelletée ? Va-t-il l’entasser derrière lui, à l’endroit où un tas plus petit semble en train de se former ? L’instant est en suspens, le chantier en cours.

Panneau chantierDe l’autre côté de la maison givernoise un autre panneau de signalisation remplit le même office. Il est beaucoup plus récent mais un usage intensif l’a fait vieillir prématurément. Peu importe, il voisine avec la bâche, le filet de protection, pas besoin ici de faire dans l’esthétique.
Le beau terrassier a disparu au profit d’un pictogramme (pardonnez-moi d’avoir des regrets !). Le jaune, la couleur choisie pour signifier travaux, qui se résumait à trois points dans les angles sur l’ancien panneau a envahi le fond du nouveau modèle, renforçant l’idée de chantier et de danger.
Alors que tout le dessin s’est simplifié pour gagner en clarté, un seul élément se voit mieux représenté, c’est la pelle. L’outil plus que le geste symbolise le travail, en poussant le trait il aurait pu se suffire à lui seul pour exprimer l’idée de chantier.
Le petit personnage s’est redressé, il semble moins peiner que son collègue de l’autre génération. A moins que ce soit parce qu’il vient juste de commencer ? Il n’y a pas – pas encore ? – de petit tas derrière lui.
Allez ! bon courage à tous ceux qui mènent des chantiers, aux restaurateurs de maisons comme aux créateurs de sites internet. Je parierais qu’on croise davantage de panneaux attention travaux sur la toile pour signaler une page web en cours de développement que dans la vraie vie, celle des entreprises de briques et de mortier. L’avantage, c’est que les panneaux virtuels ne craignent pas les rayures.

Giverny centre de l’impressionnisme

Musée d'art américain GivernyCette fois c’est officiel : le Musée d’Art Américain de Giverny deviendra un centre de l’impressionnisme en 2009.
Le musée d’Orsay, parmi d’autres musées, sera partenaire, je suppose qu’il prêtera des toiles.
Le site sera géré par le Conseil Général de l’Eure et soutenu par la Région Haute-Normandie. La Fondation Terra restera propriétaire des bâtiments.
Le centre de l’impressionnisme de Giverny aura pour vocation de « mettre en lumière le caractère international du mouvement impressionniste et de la colonie de Giverny ».
Il s’inscrira donc dans la continuité du Musée d’art américain actuel animé par la Fondation Terra.
C’est un happy end pour le musée givernois dont on craignait la fermeture pure et simple, quinze ans seulement après son ouverture. L’engagement des pouvoirs publics permet aujourd’hui de lui donner un avenir.
J’espère qu’il sera du goût du public qui n’espère rien d’autre à Giverny, en parallèle à la visite des jardins de Claude Monet, que de pouvoir admirer des tableaux impressionnistes exécutés dans les environs : le succès de la magnifique exposition de l’année dernière Giverny impressionniste, une colonie d’artistes en témoigne.

Chevaux

ChevauxL’Eure est l’un des départements les plus équestres de France. On pense souvent que c’est l’Orne, à cause des célébrissimes haras du Pin, ou le Calvados qui médiatise les ventes de yearlings et les courses à Deauville. Mais ces départements sont trop éloignés de la région parisienne pour faire le plein de licenciés comme la Seine-Maritime et l’Eure.
Bref ! Foin des chiffres, on aime le cheval en Normandie. D’ailleurs plusieurs grands champions d’équitation y ont élu domicile, par exemple Eric Navet, Hervé Godignon ou Alexandra Ledermann.
Chaque ville s’est équipée d’un hippodrome. Le plus proche de Giverny et de Vernon, c’est celui de Saint-Marcel, un bourg qui atteint tout juste les 5000 habitants. A côté des Andelys, le village de Tosny (580 habitants) a son champ de course. Et bien sûr Evreux possède le sien, centenaire, où se court à l’occasion le tiercé.
Ces hippodromes ne sont pas forcément tous dans un état remarquable, mais ils manifestent l’engouement des Eurois pour les chevaux et pour les courses. C’est un loisir familial et bon enfant ici, ce n’est pas le rendez-vous des élégances comme à Longchamp : si l’on porte un couvre-chef ce sera plus sûrement une casquette qu’un coûteux chapeau.
Pas le genre d’endroits qu’aurait arpentés Daniel Wildenstein, j’imagine. Le biographe de Claude Monet disparu en 2001 avait une passion pour le sport hippique. Eminent marchand d’art, il avait de grands moyens, ce qui lui a permis de goûter aux joies que procure la possession d’une écurie de chevaux de courses.
Une fortune abyssale en vérité : le trésor familial compte 10 000 tableaux paraît-il, et non des moindres.
A ce niveau-là la simple prudence impose la discrétion. Pourtant, à la fin du catalogue raisonné de Monet dont il est l’auteur, Daniel Wildenstein révèle la composition des collections privées, parmi lesquelles celle de la Galerie Wildenstein.
La longueur de la liste des numéros de catalogue laisse rêveur. Le total est un joli chiffre, on dirait un porte-bonheur : 222 toiles de Claude Monet.
Je peine à imaginer ce que c’est que d’être plus riche que riche, mais je pressens que ce doit être écrasant, quelque chose qui vous fait vous déchirer en famille à la moindre succession, fait de vous la cible de la presse people et vous fait craindre pour la sécurité de vos enfants.
Je ne sais pas comment Daniel Wildenstein le vivait. Je ne sais pas quel homme il était. Mais je lui suis reconnaissante de son admirable travail sur Claude Monet, ce précieux catalogue raisonné, cette biographie minutieuse. Et j’aime l’humour un brin ironique avec lequel il baptisait ses meilleurs chevaux : Peintre célèbre, Allez France, ou encore Goodbye Charlie en clin d’oeil au départ du Général de Gaulle.
L’humour, ou l’élégance de l’esprit qui fait qu’on vous pardonne d’être riche.

Carnets de croquis

Croquis de la Gare Saint Lazare, Claude MonetCroquis de la Gare Saint Lazare, Claude Monet

Merveille de l’internet ! Les carnets de croquis de Claude Monet conservés au musée Marmottan-Monet à Paris peuvent être consultés en ligne. Le Sterling and Francine Clark Art Institute de Williamstown, dans le Massachusetts, a mis l’accent l’année dernière sur la production de dessins et de pastels de Monet, à travers une grande exposition sur le Monet inconnu. C’est dans le cadre de ce projet que s’est effectuée la mise en ligne des carnets.
Tout au long de sa vie Monet a utilisé des carnets pour griffonner des dessins comme on prend des notes. Il y en a huit que l’on peut visualiser page à page.
C’est l’artiste à l’oeuvre, le tout début du processus de création qui se dévoile à mesure qu’on feuillette ses brouillons.
Beaucoup de dessins sont tête-bêche. On imagine Monet en train d’ouvrir le carnet et de le tourner de façon à avoir la couture du milieu à sa gauche, car il est droitier. Il ne s’applique pas, il ne cherche pas à faire un beau dessin. Ce sont des notations de travail, pour lui seul.
Il veut se souvenir de cadrages, il tâtonne. Il délimite un format différent du rectangle de la page en la coupant d’un trait.
Le crayon qui dessine les radeaux de nymphéas ou les bords de l’eau est flou. Celui, plus jeune, qui s’est arrêté à la Gare Saint-Lazare ne manque pas de puissance. Monet noircit la locomotive, raidit la charpente métallique de la verrière, comme pour mieux enregistrer la structure de son dessin.
Et puis viennent les membres de sa famille, les enfants saisis en train de faire leurs devoirs à la lumière de la lampe… Moment d’intimité qui fait l’objet d’un dessin plus précis, plus soigné, mais ne deviendra pas un tableau.
Car c’est cela, dans le fond, qui frappe le plus : découvrir les ébauches premières de tant de chefs-d’oeuvres, les meules, les jeunes filles dans la barque, les palmiers de Bordighera… Tout cela évoqué d’un crayon rapide et négligent comme autant de pistes que l’on suivra peut-être. Ce qui frappe c’est la distance entre ce dessin qui paraît à la portée de quiconque et la merveille que l’on sait de la toile achevée. Pour parcourir cette distance, pour métamorphoser l’ébauche en éclats de lumière, pour cela il faut être Monet.

Peindre le ciel

Eugène Boudin, Coup de vent à Frascatti, Le Havre, huile sur toile, Le Petit Palais musée des Beaux-Arts de la ville de Paris. Eugène Boudin, Coup de vent à Frascatti, Le Havre, huile sur toile, Le Petit Palais musée des Beaux-Arts de la ville de Paris.

Pas moyen d’y échapper quand on représente un paysage : tôt ou tard, il faut peindre le ciel dans son tableau.
Pour les enfants il est toujours bleu, agrémenté d’un grand soleil et de petits nuages joufflus. Dans la réalité… cela dépend sous quel climat on se trouve.
En Normandie, si le ciel n’est pas aussi invariablement radieux que dans l’imaginaire enfantin, il compense en présentant une infinité de variations qui le rendent intéressant à peindre. Rien de moins pittoresque qu’un ciel d’azur. Dans un puzzle, la hantise c’est le petit coin de bleu tout lisse, on se le garde pour la fin.

C’est sans doute parce qu’il est né au bord de la Manche, à Honfleur, que le peintre Eugène Boudin est devenu « le roi des ciels », selon le bel éloge de Camille Corot.
Au bord de la mer le ciel prend toute sa majesté. Il déploie son immensité devant le regard, sans rien qui vienne l’arrêter.
Boudin aime lui consacrer les deux tiers de la toile. Regardez comme c’est beau, ce qui se trame là-haut ! semble-t-il dire.
Vingt ans avant les impressionnistes, les variations infinies du ciel le fascinent. Quand la tempête approche il peint, comme ici, les masses gigantesques et menaçantes des nuages porteurs de pluie, leurs nuances de gris, d’ardoise, de violet. On croit sentir la force énorme du vent aux prises avec les gigantesques masses d’eau qu’il pousse, propulse, bouscule.
La plage de Trouville - Impératrice Eugénie - 1863 34,5 cm x 57 cm Collection Burrell Musée de Glasgow D’autres jours, quand le temps est plus clément Boudin s’attarde à représenter la légèreté vaporeuse des nuages, la façon dont ils cueillent les rayons dorés du couchant.
Boudin a été un artiste très productif : plus de 4000 peintures et autant de pastels et de dessins. Tous les ciels de Normandie sont passés devant ses pinceaux, aussi changeants que le temps est variable. Au fil des saisons il a peint les petits nuages pommelés, les stratus, les cumulus, toutes les bizarreries ordinaires du ciel. Et cela sans tricher : les Normands retrouvent exactement rendue l’atmosphère de leur région dans les toiles de Boudin.
Mais on s’ennuierait devant un tableau qui ne représenterait que le ciel. Le spectateur aime se sentir ancré sur du solide quand il regarde un tableau. Boudin, c’est aussi le peintre des « plages à crinoline », où les personnages donnent l’échelle de l’immense en petites taches verticales qui se découpent sur l’horizon.

Ci-dessus : Eugène Boudin, La plage de Trouville – Impératrice Eugénie – 1863, 34,5 cm x 57 cm, Collection Burrell Musée de Glasgow

La vie en rose

Maison de Monet à Giverny Il n’y a pas que Marion Cotillard qui voit la vie en rose. Le temps a beau faire grise mine, les plantes ne s’y trompent pas. Revoici les soirées claires, les premières feuilles si tendres, et les fleurs les plus pressées de faire les belles sur les gazons.
Ce matin mon jardin m’a accueillie d’une explosion de primevères roses et jaunes immigrées clandestinement de chez le voisin, qui disputaient leur coin de pelouse aux violettes et aux pâquerettes. J’ai hâte de voir quelle magie les jardiniers de Giverny avec tout leur talent et leur savoir-faire auront tiré de la fureur de fleurir de la nature, déjà si jolie dans sa spontanéité.
Les cerisiers et les pommiers du Japon doivent se parer de rose, et faire paraître plus rose encore la maison de Monet.
Je ne suis pas allée voir les préparatifs. J’attends que le rideau se lève mardi prochain sur ce spectacle éblouissant. Ce sera la rentrée, le début d’une nouvelle saison qui commence dans un enthousiasme tout neuf.
Il peut bien pleuvoir ou venter, je vois la vie en rose…

Guénar et florette

Le trésor d'EvreuxL’énorme trésor d’Evreux dont voici la petite portion présentée au musée de l’Evêché, date de l’époque gallo-romaine et n’a jamais été étudié en détail. C’est dommage, car c’est incroyable tout ce que les érudits arrivent à faire dire à quelques pièces de monnaie. Alors a fortiori un tel magot !
Je suis tombée aujourd’hui sur une analyse publiée par le Cercle d’Etudes Vernonnais en 1995 sur le trésor de Vernon. Vous pensez que la numismatique vous ennuie ? L’auteur, Jens Christian Moesgaard, est de taille à vous faire changer d’avis. Son enquête est aussi palpitante qu’un roman policier. Résumé du début :

Le trésor de Vernon, conservé au musée A.G. Poulain, a été découvert à l’occasion de la démolition d’une vieille maison en centre ville, il y a de cela une bonne centaine d’années. Il se compose de 149 pièces de monnaies, qu’on peut classer en deux catégories : les guénars et les florettes. Jolis noms, n’est-ce pas ? Qui nous sont totalement inconnus aujourd’hui parce que ce sont les pièces qui avaient cours au début du 15ème siècle, nettement avant les sols, les pistoles et les livres qui nous sont plus familiers grâce à Molière.
La première question est de savoir quand le trésor a été caché, donc de trouver la pièce la plus récente dans le tas. C’est, nous renseigne l’auteur, une émission du 19 septembre 1419. Vous apprécierez la précision. Or le trésor ne comporte aucune pièce d’une émission très proche dans le temps, du 25 septembre 1419, et dans l’espace, à Rouen, signe indubitable que l’enfouissement du trésor a eu lieu à l’automne 1419.
Après le quand, le pourquoi. Il y a deux raisons de cacher ses sous, on devine aisément lesquelles. Soit ce sont des économies, une cagnotte constituée patiemment et qu’on ne veut pas se faire voler, façon bas de laine ou billets sous le matelas. Soit un danger menace et on cache en vitesse le contenu de sa bourse. Comment fait-on la différence ?
Dans le cas où il s’agit d’une cagnotte, le propriétaire conserve de préférence des grosses pièces dont les émissions s’étalent sur une longue période. S’il s’agit d’une urgence dans une période troublée, on va trouver des pièces de moindre valeur et surtout des émissions récentes.
Dans le cas du trésor de Vernon, c’est la seconde hypothèse qui est la plus probable. En 1419, on est à un tournant de la Guerre de Cent Ans. Les Anglais repoussés quelques décennies plus tôt par du Guesclin reviennent à la faveur d’une guerre civile en France entre deux prétendants au trône. En 1419 ils reprennent Vernon.

Lion d’or

Lion d'orQuand il voyageait, Victor Hugo, qui a beaucoup parcouru la Normandie, tâchait toujours de passer la nuit à l’Hôtel du Lion d’or : on en trouve dans chaque ville ou presque.

A votre avis, pourquoi cette fixation sur ce noble animal ?

Vous donnez votre langue au chat ?

Parce qu’il aimait les calembours, et que dans le lit on dort.

Bonne nuit !

Pâques aux tisons

Lapin de PâquesJ’aurais été lapin de Pâques, ce matin, j’aurais mis des moufles, même si c’est pas trop pratique pour attraper les oeufs et aller les plaquer planquer dans les fourrés. Faudrait marquer faire l’essai, avec un peu d’entraînement…
Où ai-je la tête ! Voilà que je me crois au rugby, c’est la contagion de la forme ovoïde et de la course sur le gazon, probable.
C’est un emploi précaire, lapin de Pâques, que je me flatte d’avoir exercé pendant pas mal d’années. Il demande du talent dans la furtivité, voyez-vous. L’apparition quasi magique de poules couveuses et de leur production cacaotée dans tous les recoins du jardin requiert un véritable travail d’équipe pour détourner l’attention des jeunes ramasseurs de balles cocos en chocolat.
Bien sûr j’ai essayé la passe en arrière, j’ai voulu former la nouvelle génération à ce job un peu particulier. Le résultat a dépassé mes espérances. Ils ont saisi la balle au bond, au mépris de toute vraisemblance on a retrouvé des poissons tout emballés dans les branches du poirier.
Cette année, j’ai rangé la cape d’invisibilité à oreilles en plastique dans le tiroir, le temps d’une mi-temps qui va durer un certain temps. Vous savez quoi ? Les juniors trouvent que le chocolat pascal est moins bon que les autres, c’est pas honteux, ça ? Sifflet !

Symboles

Centre d'orientation du cimetière américain de Colleville Le goût des Américains pour les symboles a trouvé à s’exprimer au cimetière américain de Colleville, dans le Calvados.
Disposition des carrés selon une croix latine, double monument à la gloire de la France et des États-Unis ouvrant sur une perspective qui inclut au loin le clocher de Vierville, chapelle à la croisée des bras de la croix, monument à la jeunesse qui offre son âme, mémorial, mur des disparus… Tout à été pensé pour donner du sens à ce lieu.
Un centre d’orientation a été inauguré l’année dernière. Au fil des années le besoin d’un tel centre s’est fait sentir pour permettre aux visiteurs de localiser un emplacement, et de façon plus large de trouver des explications sur les questions qu’ils se posent : les origines du conflit, l’entrée en guerre des Américains, le déroulement des opérations de débarquement.
En complément de cette leçon d’histoire un film brosse le portrait de quelques-uns des hommes qui reposent dans le cimetière.
Nous savons, nous, qu’ils vont mourir. Et cette connaissance du destin qui les attend rend poignante la lecture de leurs lettres toujours gaies et optimistes. Les visages souriants défilent, les membres de la famille ou les amis racontent quels gens formidables et ordinaires ils étaient…
En sortant on peut s’arrêter un instant devant le spectacle qui s’offre à travers la baie vitrée.
Ce monument original symbolise l’arrivée par la mer des libérateurs. La pierre est recouverte d’une fine pellicule d’eau, elle pointe vers la mer comme une piste d’atterrissage. La partie la plus proche de nous est incurvée pour prendre la forme du littoral de la Manche. Elle représente toute la zone de débarquement de l’estuaire de la Seine au Cotentin. Un système de débordement permet de conserver la quantité exacte d’eau pour rendre la carte lisible.
C’est un lieu incroyablement zen, un bon support à la méditation.

Sépulcre

sepulcreSépulcre de Verneuil sur Avre

Le thème de la Mise au tombeau du Christ a été très souvent représenté dans les églises gothiques. Il était prisé des Cordeliers, qui avaient la charge de garder les Lieux Saints. C’était aussi un thème tout trouvé pour orner des chapelles funéraires, et l’occasion de réaliser d’importants groupes de figures de pierre de taille réelle.
La scène de l’embaumement et de l’ensevelissement de Jésus comprend d’habitude un nombre figé de personnages. A la tête et aux pieds du corps du Christ se tiennent les deux hommes qui sont allés réclamer la dépouille et la portent, Joseph d’Arimathie et Nicodème. Au fond, faisant face au spectateur, les saintes femmes, la Vierge Marie, Marie-Salomé et Marie-Cléophas, mères de disciples, et Marie-Madeleine la pécheresse repentie qui porte des aromates. Jean, le disciple préféré de Jésus, soutient la Vierge.

Sépulcre de Louviers
Sépulcre de LouviersOn peut voir dans l’Eure deux sépulcres du début du 16ème siècle à Louviers et à Verneuil sur Avre. Selon Jacques Beaudoin (« La sculpture flamboyante, Normandie et Île de France ») ils ont sans doute été exécutés par le même artiste, celui de Louviers vers 1500, celui de Verneuil une dizaine d’années après.
Les deux groupes présentent nombre de similitudes dans les attitudes des personnages, les positions des mains, les plis des vêtements, et même les traits des visages. Sont-ils dûs à Jean Cossart, qui travaille à cette époque à la cathédrale d’Evreux ? L’imagier qui les a sculptés a su leur donner une noble et douloureuse gravité qui incite au recueillement.

Cimetière américain de Normandie

Cimetière américain NormandieAu fond, tout près, il y a la mer. D’ici on ne voit qu’elle, la plage a disparu, masquée par l’escarpement qui n’est pas une falaise, plutôt une forte dune.
Qu’il a été dur à conquérir, ce talus. La plage en contrebas porte un nom de code : Omaha Beach. Le soir du 6 juin 1944, elle était devenue Omaha la sanglante.
C’est là, à l’endroit où les Américains ont eu le plus de mal à débarquer, qu’ils ont voulu rassembler les tombes des soldats tués pendant les combats de Libération de la Normandie le Jour J et les semaines qui ont suivi.

Ils sont arrivés par la mer, il est juste qu’ils reposent près de la mer. Le cimetière marin est à l’échelle des États-Unis, démesurément grand. 9387 croix s’y alignent dans un ordre parfait. Sous chacune d’elle repose le corps d’un combattant.
Près de 10 000 tombes et pourtant seulement 40 % des morts américains sont enterrés ici. Après la Guerre les États-Unis ont proposé aux familles endeuillées le rapatriement de leurs ressortissants. C’est le seul des pays Alliés à l’avoir fait.
Six fois sur dix les proches ont demandé le renvoi du corps chez eux, pour l’avoir près d’eux.
Pourtant les avis ont été partagés. D’autres familles ont voulu que leurs soldats reposent en Normandie pour toujours. Elles pensaient qu’ils avaient « mérité leur petit bout de terrain », their patch of land.
A la manière d’un consulat, le lieu est concédé à perpétuité aux États-Unis par la France.
C’est un endroit magnifique, un belvédère, un jardin, solennel et paisible. Il ne changera plus, on n’y ajoute plus de tombes nouvelles depuis des années. Parce que les proches pouvaient aussi demander cela, qu’on les enterre près de leur fils ou de leur frère.
Aujourd’hui on a donc fini d’expédier des dépouilles d’un côté à l’autre de l’Atlantique, et c’est une bonne nouvelle. Celles des soldats tués en Normandie avaient déjà connu assez de vicissitudes.
Pragmatiques comme toujours, les Américains avaient équipé chacun de leur soldat partant au Front d’un sac mortuaire dans son paquetage. Les morts ont été glissés dans leur sac et enterrés dans des fosses creusées dans les champs, avec l’aide des paysans du coin. Dans le Bessin on s’en souvient encore. Puis les cercueils sont arrivés, on a déterré les corps, on les a mis en bière pour les placer au cimetière ou les renvoyer à la maison.
Ils ont bien gagné qu’on les laisse tranquilles maintenant.

Cache-cache

Lampadaire discretDans le jardin de la Maison Rose, à Giverny, ce lampadaire ne prend pas sa fonction d’éclairage du public très au sérieux.
Sans doute un peu tire-au-flanc, il s’est caché dans ce conifère en espérant qu’on allait l’oublier.
Vous l’avez débusqué ?
Chttt !! a-t-il l’air de dire, la tête un peu penchée, ne vendez pas la mèche !
On ne dira rien.
Il est trop bien comme il est, tout droit venu de l’époque où le jardin servait de modèle aux impressionnistes.
Et si, sorti de sa cachette, on allait nous le repeindre ?
Damned !

Vues sur la mairie

La mairie d'Evreux vue du beffroiAu naturel l’hôtel de ville d’Evreux a quelque chose d’imposant, voire de pompeux, comme beaucoup d’édifices publics du 19ème siècle. Mais vu à travers la porte du beffroi il apparaît un peu brumeux, un peu flou dans le lointain rapproché par le zoom.
J’imagine quels rêves de mairie ont dû faire tous les candidats à ces dernières élections municipales. Est-ce qu’elle leur apparaissait inaccessible, ou faussement proche ? Ou bien étaient-ils assurés de retrouver leur fauteuil dans un fauteuil ? Ont-ils vécu des heures d’émotions intenses ou une victoire plan plan, une défaite sans surprise ?
Le nouveau maire d’Evreux s’appelle Michel Champredon. Les Ebroïciens le connaissent bien, comme candidat et comme conseiller, sous les couleurs du PS.
Et puis l’hiver dernier Michel Champredon s’est mis en congé du parti socialiste. C’est donc en tant que Divers Gauche qu’il a été élu, renversant Jean-Pierre Nicolas, le maire sortant successeur depuis un an de Jean-Louis Debré, parti présider l’Assemblée Nationale.
Voilà donc Evreux qui renoue avec la gauche et c’est moins une surprise que l’élection d’un maire UMP il y a sept ans. A cette époque Jean-Louis Debré succédait à 24 années de mandat du communiste Roland Plaisance !
Zoom, contre zoom. Pour les perdants, sans doute un peu groggy sous le choc, la mairie qui semblait à portée de la main s’est brusquement éloignée. Dans le futur. Dans six ans.

Buis

buisLe muguet a son heure de gloire le 1er mai. Le buis, qui n’a pas l’avantage de fleurir opportunément et de façon spectaculaire, est néanmoins à la fête une fois par an.
Le Buxus sempervirens le doit à sa marque distinctive d’être toujours vert.
Pourquoi a-t-il été choisi pour représenter les Rameaux, et pas le lierre ou le houx ? Pour quelque raison mystérieuse qui dépend de la tradition régionale, le laurier, l’olivier ou le saule lui sont préférés ailleurs, mais dans le nord de la France c’est le buis qui a cet honneur.
En Normandie il n’est pas rare de voir dans les maisons des petits brins de buis glissés sous les crucifix. L’usage veut qu’on en place à la tête de chaque lit. On les conserve pendant onze mois jusqu’au mercredi des Cendres, le premier jour du Carême suivant, pour les brûler et en faire les cendres bénites.

Le buis sauvage est abondant dans les sous-bois de la vallée de la Seine. A la Roche-Guyon il forme des taillis, il pousse en arbres de plusieurs mètres de haut.
Tronc grêle, allure dégingandée informe, feuillage peu dense aux feuilles minuscules, ce pas beau à l’état sauvage devient sculptural dans les jardins, grâce à la magie de la taille. Il n’a pas son pareil pour se transformer en cône, en boule ou en martien, quand les sécateurs affûtés le façonnent au gré de l’inspiration.

Annonciation

Annonciation, musée de Vernon Scène de l’Annonciation, poteau cornier du musée de Vernon. 15ème siècle

Regardez la bouche ouverte et les yeux écarquillés de Marie. Rarement les Annonciations mettent à ce point en scène le saisissement.
Qu’était en train de faire la Vierge, contre ce meuble à l’usage indéfinissable que l’on aperçoit à droite ? Était-elle occupée à son ouvrage, comme on aimait la représenter au Moyen-Âge, ou à une pieuse lecture, comme on l’imagine plus tardivement ? Ce qui est certain c’est que Marie ne s’attendait pas à une apparition surnaturelle. Et voici qu’elle entend une voix d’ange…
Le phylactère portant les paroles de l’archange Gabriel est visible au niveau de son oreille. Mais l’ange, elle ne le voit pas.
Ce n’est pas tout à fait conforme aux textes, puisque l’ange, est-il précisé, parut à Marie. Mais quelle habileté dans cette utilisation du poteau cornier ! Marie se trouve sur un côté du poteau, l’ange de l’autre. Ils ne peuvent se voir. L’angle matérialise la frontière entre l’humain et le surnaturel. Ce n’est pas une barrière. Rien qu’un angle, une question de point de vue.
Annonciation, musée de VernonDans les représentations de l’Annonciation on retrouve très souvent un objet pour marquer cette frontière : une colonne, un vase, le bord d’un meuble… Ici l’artiste s’est servi du relief du poteau cornier.
Marie ne peut voir l’ange de l’autre côté du poteau, mais en nous plaçant face à cet angle nous pouvons embrasser d’un coup d’oeil les deux personnages. Nous avons alors un point de vue qu’on pourrait imaginer être celui de Dieu, qui voit aussi bien le rationnel que l’irrationnel. Comme si l’artiste nous donnait à voir qu’il faut dépasser ce que nos sens perçoivent pour entrer dans une dimension divine.

Le moulin de César Franck

portailJ’ai fini par trouver le moulin de César Franck à Vétheuil.
Vétheuil, ce village au bord de la Seine entre Vernon et Mantes-la-Jolie, a abrité un grand nombre de personnes célèbres, même si la gloire de Monet, le plus fameux de ses résidents, fait un peu d’ombre aux autres.
C’est une Vétheuillaise qui m’avait passé l’info : au bout de la rue des fraîches femmes, un moulin avait appartenu à César Franck.
Un moulin ! Je me suis bêtement imaginé que c’était un moulin sur la Seine, et je l’ai cherché au bord du fleuve, avant de revenir sur mes pas et de le découvrir un peu plus haut, sa roue mue par un ruisselet qui dévale la colline.
De mémoire de Vétheuillais, donc, César Franck a résidé dans cette propriété. Il n’est pas fait mention d’un quelconque séjour du célèbre organiste et compositeur du 19ème siècle à Vétheuil dans les biographies que l’on peut trouver sur internet, le fait a dû sembler trop insignifiant. Ce qu’il n’est pas pour les habitants de Vétheuil, cela va de soi.
J’aime à penser que cette retraite s’est révélée aussi féconde pour César que pour Claude, que l’inspiration lui est venue à contempler le flot qui coule, à écouter chanter les oiseaux du ciel.
La propriété a dû être belle, elle conserve des traces de parc à l’ancienne, buis, grands arbres, et ce portail un peu solennel pour un village campagnard, pour un simple moulin. Désertée par son célèbre propriétaire, un peu laissée à l’abandon par ceux d’aujourd’hui elle a un je ne sais quoi qui flotte de mystérieux et de recueilli, tout au bout de ce chemin creux nommé rue des fraîches femmes. Je me demande bien ce que ce nom veut dire.