La grand messe du sport

Sebastien ChabalImpossible de bloguer tranquillement pendant le match d’hier soir. L’équipe de France a offert un tel festival d’essais au public toulousain face à la Namibie que j’ai fini par me laisser convaincre de regarder moi aussi, malgré mon ignorance en matière de rugby.
Ne rien comprendre aux règles d’un sport incite à un regard différent, qui se porte sur les apparences plutôt que sur la qualité de jeu. Une sorte de regard oblique, comme un essai transformé.
Saint Christophe, Verneuil sur AvreDe Chabal, j’avais entendu des descriptions aussi admiratives que peu flatteuses. J’ai été frappée par son visage d’apôtre. Plus exactement, il m’a fait penser au Saint-Christophe de Verneuil. Porter le ballon pendant la Coupe du Monde, n’est-ce pas un peu porter tout le poids du monde ? Chabal a l’air d’être descendu de quelque pilier de cathédrale pour s’animer soudainement sur une pelouse, avec une énergie surhumaine.
L’énergie, c’est cela qui m’a impressionnée aussi ; je ne sais pas si, comme on le dit, les rugbymen sont des gentlemen. En tout cas ils jettent dans la lutte toutes leurs forces et tous leurs muscles, ce qui n’est pas peu dire. Il y avait quelque chose de la corrida dans leurs charges déterminées.
On dirait que cette énergie est communicative, qu’il en passe dans le public. Bien sûr il y a l’enjeu du jeu, mais tout aussi sûrement l’effet du rassemblement de dizaines de milliers de personnes autour d’un spectacle de joutes physiques. On doit ressortir galvanisé, j’imagine.
Et dans cette grand messe du sport, on chante. Le stadium résonnait des cuivres des bandas, de la Marseillaise entonnée par des cohortes de supporters, toute une foule qui se levait en houle pour de puissantes olas.
Ce sont les prières ferventes de notre temps, ce désir de victoire porté par toute une nation.

Les goûts et les couleurs

Roses d'IndeQuelle est votre couleur préférée ? Je doute que vous me répondiez le jaune, ou même l’orange. C’est pourtant une couleur lumineuse, chaleureuse, comme celle de ces belles roses d’Inde dans les jardins de Claude Monet.
Alors que la Chine ou l’Inde le placent en tête de leurs préférences, le jaune est mal aimé chez nous. Notre civilisation occidentale préfère le bleu, symbole de paix, neutre et consensuel.
Michel Pastoureau a consacré en 2000 une étude passionnante à la couleur bleue, qui a détrôné le rouge au Moyen-Age, grâce à la montée en puissance du culte marial (le bleu était la couleur associée à la Vierge Marie). Il y montre à quel point nos goûts pour les couleurs sont dictés par l’époque à laquelle nous vivons.
Nous croyons nous déterminer en toute liberté, en fonction de quelque chose que nous pensons subjectif et individuel, alors que sans le savoir nous sommes totalement sous influence.
Quelle indépendance d’esprit il faut pour se détacher de cette symbolique sous-jacente et considérer les couleurs pour ce qu’elles sont, comme le faisait Monet dans son travail de décorateur !
Je pensais à cette histoire de rejet du jaune en entendant une fois de plus une visiteuse me dire dans la salle à manger de Monet, où les murs et les meubles sont entièrement peints de deux tons de jaune de chrome : « C’est beau, ce jaune, mais je n’en voudrais pas chez moi. C’est trop jaune pour moi. »

Les chevaux domptés

Les chevaux domptés, Frederick MacMonniesCette année les journées du Patrimoine sont consacrées aux métiers liés à la conservation des oeuvres et monuments. A Vernon, une paire d’importants bronzes est en cours de restauration, le public était invité aujourd’hui à s’entretenir avec le restaurateur.
Ce spécialiste est chargé de retirer toutes les parties pulvérulentes à la surface du bronze, sans en enlever la patine. Il procède à un sablage en douceur qui retire la corrosion et les poussières mais laisse à la pièce la couleur vert de gris que lui a donnée le temps. Les deux pièces sont âgées d’une centaine d’année.
Les chevaux domptés de Frederick MacMonnies, le grand sculpteur de la colonie américaine de Giverny, ornent la cour d’honneur du musée de Vernon depuis près de trente ans. Ils étaient l’une des pièces majeures de l’exposition inaugurale de la Fondation Monet, en septembre 1980. Le grand atelier accueillait cette année-là une sélection d’oeuvres d’artistes de la colonie.
Il faut lire l’oeuvre de MacMonnies comme une allégorie, la victoire de l’esprit sur l’animal. Le cavalier est d’une échelle inférieure à celle des chevaux, ce qui les fait paraître géants. Les montures dégagent beaucoup de fougue et de force, l’homme parvient néanmoins à les dompter.
En regardant attentivement, j’ai toutefois noté une petite incongruité dans le chef-d’oeuvre de MacMonnies. Les sabots des chevaux sont ferrés. Pour celui que le cavalier chevauche, passe encore, mais celui qui se cabre, on se demande comment le maréchal ferrant a bien pu faire son office…

Ovalie

Monet Les NympheasLes horloges ne tournent plus tout à fait rond ces jours-ci. Les aiguilles fonctionnent en ellipse, à des vitesses différentes selon que c’est bientôt l’heure du match, le match, ou la troisième mi-temps.
Ne comptez pas sur moi pour vous parler rugby, mais il est assez curieux de penser que Monet a consacré dix ans de sa vie à une oeuvre ovale.
Il semble que le projet des Grandes Décorations, qui se trouvent depuis 1927 au musée de l’Orangerie à Paris, ait été un ovale dès le début. Pour que la toile englobe le spectateur et lui donne l’illusion d’un tout sans fin, il faut qu’elle soit incurvée, qu’elle vienne s’incrire dans la vision périphérique. Un cercle aurait aussi bien fait l’affaire, de ce point de vue, mais Monet trouve que ça fait vraiment trop « cirque ».
L’idée de départ était de bâtir un pavillon spécialement pour les Grandes Décorations dans le jardin de l’hôtel Biron à Paris, devenu musée Rodin après la guerre de 14-18.
D’après l’éminent architecte chargé des plans, Louis Bonnier, il est beaucoup plus difficile – et donc coûteux – de bâtir ovale que rond, et rond que rectangulaire. « Dépenses formidables à prévoir pour le pavillon », estime-t-il dès les premières mesures des toiles. Après bien des tergiversations, le projet avorte en raison de son prix, ou peut-être de sa modernité.
On se rabat sur un bâtiment déjà existant, l’Orangerie des Tuileries, place de la Concorde, dont il « suffit » d’aménager une partie.
La valse hésitation se poursuit pendant des années, de novembre 1918, date à laquelle Monet décide de donner des panneaux à l’Etat pour fêter la victoire, jusqu’à leur installation définitive neuf ans plus tard.
Au final, d’une salle on est passé à deux. Le chef-d’oeuvre qui a coûté dix ans d’efforts à Monet occupe deux vastes pièces ovales, sur les cimaises desquelles se déploie l’univers enchanté des Nymphéas.

Helianthus

HelianthusCela vous est-il déjà arrivé de vous sentir tout petit devant des fleurs ? L’helianthus est de celles qui vous regardent de haut, comme pour mieux se détacher sur le bleu du ciel.
Il fait partie de la famille du tournesol, une famille où tout le monde est grand et jaune. Semé en pleine terre après les gelées, il pousse à toute vitesse pour éclater de couleur en septembre. Il est splendide dans le plein soleil de ces jours-ci comme dans la brume du petit matin.
C’est le moment de venir à Giverny ! Le jardin de Monet est somptueux. La lumière tamisée du matin met en valeur la maison et les avalanches de fleurs répandues partout.
Au bassin, les reflets sont à couper le souffle, et vous verrez les nymphéas s’ouvrir au soleil de l’après-midi.

Style Louis XV

hotel particulier Louis XVCe bel hôtel particulier de Verneuil sur Avre, dans le sud de l’Eure, décline les caractéristiques du style Louis XV. Les plus évidentes : des fenêtres hautes et cintrées, des balcons tout en courbes savantes, un toit à la Mansart orné de lucarnes (ici des oeil de boeuf).
En regardant attentivement, on note aussi les bandeaux de séparation d’étages et la corniche moulurée, ainsi que les refends façon Louis XIV, encore très présents à l’époque suivante, qui rythment la façade de chaque côté de la porte.
Invisible sur la photo, le heurtoir très travaillé de la porte cochère était déjà une indication. On aurait pu s’attendre aussi à un décor un peu plus fourni en mascarons et autres blasons aux clés des fenêtres. Cet hôtel du milieu du 18ème siècle reste d’une certaine sobriété.

Perron

Entree de la maison de MonetC’est tout un art de rendre un perron accueillant. La maison y révèle son âme, se montre invitante ou au contraire hostile.
Voici la petite porte d’entrée qui était réservée à Monet dans sa maison de Giverny, par où il faisait entrer les visiteurs venus voir ses dernières toiles.
On y accède par un bref escalier. D’en bas, les yeux donnent sur ce gros pot chinois débordant de fleurs.
Monet ne craignait pas le heurt des couleurs franches, le bleu du pot, le rouge des géraniums sur le vert omniprésent des boiseries, qui donne une unité de ton.
Tout un jeu de lignes droites structurent l’espace. Ces droites sont heureusement adoucies par le flou de la potée et la courbe si gracieuse du voilage, qui semble faire la révérence.

Nymphéa

NénupharC’est comme au théâtre : on ne voit que le devant de la scène. Le nénuphar cache toute une vie en coulisse, le cordon ombilical qui le relie au fond de l’étang, qui lui permet de se nourrir de vase. Par courtoisie, il dissimule ces contingences matérielles, il feint le pur esprit. Cette plante aquatique aime se prélasser dans le bleu du ciel.
Le nénuphar observe le monde depuis la surface des choses. A peine émerge-t-il de l’eau qu’il a l’air de poser, étonné de se voir si beau en ce miroir. Il est une nature morte à lui tout seul.
Et comme dans les natures mortes des peintres flamands, il y a la mouche. Elle est posée sur la corolle parfaite. C’est le péché originel. La pureté n’est pas de ce monde.
Et il y a les vers. Ils creusent leurs sillons dans l’épaisseur de la feuille. La mort nous guette, rappellent-ils, hâtons-nous pendant que nous sommes vivants.
Se hâter, mais de quoi ? C’est à vous de savoir ce qui vous paraît important. Le transi de Gisors est assorti de ce commentaire :

Fay maintenant ce que tu vouldras
Avoir fait quant tu te mourras

 

Colchique

ColchiqueSeptembre marque le début de l’arrière saison. La fin de l’été est là, les colchiques fleurissent dans les pelouses de Giverny… Leur mauve pâle est du plus bel effet sur le vert des gazons.
La fleur du colchique rappelle un peu celle du crocus – qui annonce la fin de l’hiver, chacun sa mission ! – en plus haut sur patte, en plus gracile.
Pourquoi en voit-on si rarement dans les jardins, alors que le colchique est facile à faire pousser, qu’il croît spontanément dans les prairies humides ?
On pourrait en planter pour animer les pelouses à l’automne, mais la plupart des jardiniers s’en méfient. Les colchiques sont furieusement toxiques, pas la peine d’aller tenter le diable. Très peu de colchicine suffit à intoxiquer mortellement les animaux domestiques ou les humains.
Dans les jardins de Monet, les colchiques sont plantés dans des endroits inaccessibles au public.

La tour de Piseux

Chateau d'eauJe sais, c’est un jeu de mots facile. Quoiqu’on puisse en penser d’après la photo, la tour de Piseux, elle, est droite comme un I. Normal quand on contient de l’eau !
Piseux se trouve dans le sud de l’Eure, tout près de Verneuil sur Avre, une région de plaine riche en châteaux d’eau. Certains sont décorés de magnifiques fresques, comme celui-ci. On peut y voir une biche dans une clairière à l’automne, tandis qu’un cerf décore l’autre côté de la tour.
Les scènes bucoliques sont fréquentes, c’est le genre qui veut ça. Cet après-midi j’ai aperçu un autre château d’eau du côté de Marcilly la Campagne qui représentait la moisson, et vous vous souvenez peut-être du geste auguste du semeur sur celui de Caillouet Orgeville.

Statues mutilées

tympan de l'église Saint-Taurin d'EvreuxA chaque fois, l’impression est navrante : on lève les yeux pour admirer le porche d’une église, et on s’aperçoit que les statues sont mutilées ou ont carrément disparues.
Ce vandalisme ne date pas d’hier. Il a sévi à deux siècles d’écart, lors des Guerres de Religion puis à la Révolution.
1562 a été une année noire pour les monuments religieux normands. Au printemps, en avril-mai, des fanatiques huguenots, « des hommes armés, aussi furieux que des chiens enragez » ravagent les églises de Rouen, Lisieux, Dieppe… Leur folie destructrice sévit plusieurs jours dans chaque cathédrale.
A la Révolution, vers 1789-90, les dégradations recommencent. Non seulement certains iconoclastes veulent faire disparaître les témoins de la dévotion « ridicule » des générations précédentes, mais les monuments sont souvent vendus comme biens nationaux et réduits à l’état de carrières de pierres ou de locaux industriels.
A l’église Saint-Taurin d’Evreux, le tympan du portail sud n’est plus que l’ombre de lui-même après les dégâts subis à la fin du 18ème siècle. Il remontait à 1253. Les sculpteurs, ou plutôt les ymaginiers, pour employer le beau nom qu’on leur donnait en Normandie au Moyen-Age, y avaient représenté une scène qu’on devine encore aujourd’hui : un Christ assis sur un trône, entouré des symboles des quatre évangélistes, aigle, lion, boeuf, homme. Au-dessous, sur le linteau, la vie de Saint-Taurin se développait en cinq scènes. Là, les vandales ont martelé toutes les têtes des personnages.

Peste

aître saint maclouDifficile aujourd’hui d’imaginer ce que purent être les épidémies de peste du Moyen-Age. A Rouen, l’aître Saint-Maclou est un vestige tangible de ce fléau.
L’aître (du latin atrium, entrée de l’église, et par extension cimetière) se présente comme un jardin entouré de galeries. Les poutres de ces galeries sont décorées de symboles macabres : crânes, tibias, outils de fossoyeurs…
Dès 1348, des milliers de corps ont été ensevelis dans les fosses communes de l’aître. Cette année-là, une terrible épidémie de peste noire ravage Rouen. Plus de la moitié, peut-être les trois quarts des habitants périssent. Rouen était à l’époque la deuxième ville du royaume après Paris. « De la dernière semaine d’août jusqu’à Noël, le nombre des morts dépassa cent mille dans la ville de Rouen », selon la Normanniae Nova Chronica. C’est peut-être un peu exagéré, les historiens pensent que la population rouennaise oscillait entre 50 000 et 100 000 personnes.
Ce ne fut malheureusement pas la dernière épidémie, d’autres vinrent faucher des vies par milliers tout au long des deux siècles suivants.
aitre saint maclou, rouenEn 1526, une nouvelle peste impose de faire de la place dans le cimetière. On construit des galeries tout autour de l’aître, on vide les fosses communes des siècles précédents, et les ossements sont placés dans les combles des galeries transformés en ossuaires.

La vie ne tient qu’à un fil, constate l’homme du Moyen-Age confronté aux épidémies, qui voit mourir ses proches les uns après les autres. La peste a une influence profonde sur les mentalités. Les chrétiens deviennent mystiques, devant l’omniprésence de la mort ils se réfugient dans la foi. C’est ce peuple désireux de faire à tout prix son salut, tout entier tourné vers l’au-delà, qui va élever les immenses, les magnifiques, les incroyables églises gothiques.

Mosaïculture

MosaïcultureIl n’y a pas que Monet qui peignait avec des fleurs. Comme son nom l’indique, la mosaïculture se sert des plantes comme éléments d’une mosaïque pour former un dessin.
Pour que le résultat soit réussi, on essaie de trouver des végétaux qui sont bien denses et qui peuvent se contrôler facilement. Il ne faut pas qu’ils aient tendance à faire des petits de tous les côtés.
On plante serré pour bien recouvrir le sol, comme en mosaïque, mais ici les tesselles sont vivantes et il faut tout de même penser à l’expansion future des plants.
Les oeuvres réalisées selon cette technique sont vouées à l’éphémère d’une saison, et donc bien adaptées à la célébration d’un évènement particulier. Mais on peut aussi décider de replanter chaque année le même dessin, blason, papillon ou autre.
mosaïculture La tendance actuelle est plutôt à la mosaïculture en trois dimensions, un art où les Canadiens sont passés maîtres.
La technique est encore plus compliquée, puisqu’il faut installer un substrat à l’intérieur d’une structure métallique et y planter les jeunes pousses, tout en veillant à leurs besoins en eau et en éléments nutritifs. Mais le résultat, spectaculaire, en vaut la peine, comme ici aux Andelys où un Philippe-Auguste monté sur un fier destrier semble prêt à donner l’assaut à Château-Gaillard, la forteresse de Richard Coeur de Lion.

Rentrée

Jean-Pierre Hoschedé et Michel Monet dessinant, Claude Monet
Jean-Pierre Hoschedé et Michel Monet dessinant, Claude Monet

Parmi les oeuvres et documents ayant appartenu à son père que Michel Monet a légués au musée Marmottan figurent plusieurs carnets de croquis. Monet les utilisait pour se souvenir d’une composition intéressante, ou pour saisir rapidement une scène.
Le voici, père et beau-père, croquant les deux plus jeunes de la maison, qui ne le regardent pas. Ils sont tout à leurs dessins, absorbés par la tâche.
Peindre d’autres peintres, dessiner d’autres dessinateurs, la mise en abîme est classique, surtout à cette époque. Monet lui-même est pris par Renoir ou Manet en train de peindre, il peindra plus tard Blanche devant son chevalet.
Comme Monet quand il est au travail, la concentration des enfants est totale. Ils sont penchés en avant pour mieux voir. Il ya de l’innocence dans leurs joues rondes, et une complicité fraternelle qui s’exprime dans leur proximité : les deux enfants sont assis si près l’un de l’autre qu’ils se touchent.
Lequel des deux est Jean-Pierre, lequel Michel ? Qui est le gaucher de la famille, à une époque où cela était contrariant, et contrarié ?
« Carnets de croquis destinés à de futurs tableaux », note en légende Daniel Wildenstein dans son catalogue raisonné de l’oeuvre de Monet, à propos de ces dessins. Mais Monet n’a jamais peint d’huile inspirée par ce croquis des enfants. Peut-être voulait-il simplement capter l’atmosphère particulière de cet instant. Un parfum de rentrée des classes.

Style Louis XVI

Maison style Louis 16Ce n’est en général pas difficile de reconnaître au premier coup d’oeil une maison d’époque Louis XVI. Le style qui prédomine dès 1760, quinze ans avant l’arrivée du roi sur le trône, et perdure jusqu’en 1790, a la bonne idée de présenter un trait incontournable : de fines lignes horizontales qui parcourent toute la façade.
Au dessus des fenêtres très hautes, d’autres lignes s’ouvrent en éventail.
Ce jeu de lignes s’observe surtout sur les façades plâtrées. Sur celles qui sont en pierres de taille, il faut être attentif à d’autres éléments architecturaux : les consoles toutes simples qui soutiennent les appuis de fenêtres, les décors issus de l’antiquité grecque qui font alors fureur, les modillons cubiques sous la corniche, la présence de dais au-dessus de fenêtres, des guirlandes de fleurs ou de lauriers…
Sur cette maison, les persiennes sont sans doute un ajout postérieur. La façade Louis 16 n’en possède pas.
Le style Louis XVI s’inscrit en rupture avec le style Louis XV, tout de grâce et de courbes. On retrouve la ligne droite et sobre, de la rigueur, mais une rigueur moins froide que celle du style Louis XIV.

La serre de Monet

La serre de MonetJuste devant le second atelier de Claude Monet s’élève sa serre. C’est un bâtiment de taille confortable, dans lequel il cultivait des plantes exotiques. Monet était particulièrement amateur d’orchidées dont il collectionnait de multiples variétés.
Il produisait lui-même ses annuelles à partir de graines. Les godets étaient ensuite replantés dans les plate-bandes du jardin fleuri.
Monet s’impliquait beaucoup dans son jardin. La construction de sa serre l’a empêché de travailler tout le temps qu’elle a duré.
L’installation du chauffage a nécessité une nuit de veille de toute la famille. Monet avait décidé de passer la nuit dans la serre pour surveiller le bon fonctionnement de la chaudière. Alice a insisté pour lui tenir compagnie, ses filles ont renchéri, tout le monde a fini assis dans la serre jusqu’au matin. Heureusement que la chaudière marchait comme une horloge !
Cette photo date du début du printemps. Pendant tout l’été, la serre est protégée de la chaleur par une grande toile verte.

Nature morte, poires et raisin

Nature morte aux poires et au raisin, Claude Monet, 1867, huile sur toile 46x56 cm, collection particulièreEst-il retenu à l’intérieur par la pluie ? Est-ce une intention commerciale, une demande exprimée par quelque collectionneur ? A l’automne 1867 Claude Monet peint plusieurs natures mortes de fruits ou de gibier.
Il a 26 ans, et il n’est pas encore vraiment fixé sur le genre qu’il préfère. Sous son pinceau on trouve alors aussi bien des portraits que des paysages urbains, des marines, des scènes de genre.

La composition est rigoureuse. Une ligne horizontale partage la toile en deux parties égales, une moitié sombre en haut, une moitié claire en bas. Une fine ligne brune indique le bord de la table.
Sur une nappe blanche dont l’étoffe renvoie la lumière comme un tissu damassé, sont disposés d’appétissants fruits de septembre : une corbeille chargée d’autant de poires qu’elle en peut contenir, et des fruits qui n’ont pas trouvé place dans la corbeille, poire surnuméraire, pommes, grappes de raisin.
La scène est baignée d’une belle lumière qui vient de la gauche et qui dessine des ombres nettes. Sur le fond neutre se détachent les poires à la peau dorée. Leur corbeille a été ornée de feuilles de vigne d’un vert profond.

Quand l’oeil s’éloigne de la corbeille, il perçoit ce que la scène a d’apprêté. Les grappes et les pommes ont été placées selon une disposition qui ne doit rien au hasard, comme si Monet avait cherché longtemps pour trouver un équilibre des masses et des couleurs qui le satisfasse. La grappe de raisin noir répond aux ombres du mur, de la corbeille et de la pomme. Entourée des grappes de raisin blanc, elle dessine une sorte de papillon.
Les deux pommes rouges, dont le nom n’est pas dans le titre, viennent apporter la touche de couleur vive qui réveille le tableau. Monet évite la monotonie de la surface blanche en l’animant d’obliques formées par des plis soigneusement repassés. Pourquoi exigera-t-il plus tard, à Giverny, que les nappes soient roulées plutôt que pliées, et ne fassent aucun pli ?

L’enfance de l’art

Deininger Claude Monet, source inépuisable d’inspiration pour les artistes contemporains ! Que pensez-vous de ce pont japonais ? Sympa, n’est-ce pas ?
Mais il ne faut pas s’en tenir aux apparences. Monet utilisait les fleurs de son jardin comme des touches de peinture, ici l’artiste emploie… Chut ! Une surprise vous attend en cliquant sur l’image.
Vous avez vu ce qui compose les touches de couleur ? Du pur délire, non ? Je reste bluffée, complètement fascinée par ce tour de passe-passe de l’oeil, cet incroyable sens de la couleur.
Ce créateur extraordinaire s’appelle Tom Deininger, il vit aux Etats-Unis.
Il y a de la fantaisie, de la poésie dans l’utilisation qu’il fait de ces matériaux. Et aussi quelque chose de vaguement dérangeant. Une critique douceureuse de notre société de consommation qui ensevelit l’enfance sous des tonnes de jouets, tous plus ou moins horribles. On a l’impression de jeter un coup d’oeil dans le cerveau d’un gamin gavé de télé, obsédé par les héros des dessins animés, sans le moindre interstice pour autre chose.
Puis on prend du recul, et l’harmonie, la gaieté reviennent. L’impressionnisme, un jeu d’enfant ?

Paradis artificiel

Louviers plageAoût est fini. On range la plage, quai des Lavandières à Louviers…
La pelle mécanique entasse le sable dans le camion, le balai de cantonnier en fait disparaître les derniers grains. Une plage, où ça ?
La semaine dernière encore il y avait là les taches de couleur des jouets en plastique pour les bambins, des crêpes et des gaufres aussi fameuses que fumantes, des locations de barques pour se promener sur l’Eure au nez des ragondins, par delà le pont chargé de fleurs, le long des berges où s’alignent les belles demeures des patrons du 19ème siècle.
Sous le ciel gris, le saule balance ses branches en essuie-glace fugace comme pour effacer les dernières traces de l’été. Allez ! Il est temps d’oublier la plage et de préparer les cartables.

Bouffon

Office de tourisme de LouviersQuelquefois l’argot des cours de récréation a le génie de déterrer un mot oublié venu du fond des siècles, pour le propulser sans crier gare dans le 21ème. Comme les Visiteurs, le mot se sent tout bizarre dans sa nouvelle époque.
Il y a la maille, l’argent, qui était resté figée dans l’expression maille à partir, et qui a retrouvé une nouvelle jeunesse récemment, tous rhumatismes envolés, bondissant de bouche en bouche avec vivacité. C’est aussi le cas du mot bouffon.
Ce n’est pas qu’on avait oublié ce que ce mot voulait dire, mais ce qu’il désignait n’existe plus. Et le voilà qui revient tout fringant en épithète peu amène.
Pourquoi pas troubadour ou trouvère ? C’était quelqu’un de bien, le bouffon. A Louviers, on se souvient du bouffon du roi Henri IV. Il habitait ici, dans cette maison qui est aujourd’hui l’Office de tourisme. Une belle maison cossue, n’est-ce pas ?
Il s’appelait Guillaume Marchand, ou Lemarchand. Maître Guillaume, s’il vous plaît. L’homme était respecté : il était apothicaire. Pharmacien, pour parler moderne.
Amis pharmaciens qui me lisez, aviez-vous songé à cette reconversion ? Quitter votre officine pour suivre pas à pas un des grands de ce monde et tenter de l’égayer par vos traits d’esprit ?
Maître Guillaume a eu cette étonnante façon de rebondir. L’armée d’Henri IV a pris la ville de Louviers, a capturé l’apothicaire, mais ses bons mots ont su dérider le roi, qui en a fait son bouffon. Pardon : son Bouffon. Et sa maison a pris le nom de Maison du Fou du Roy. Elle vient d’être repeinte dans des couleurs qui n’inspirent pas la mélancolie.

Le Bonhomme Louviers

Le Bonhomme LouviersCe petit personnage qui apparaît sous le porche de l’église de Louviers n’a rien de biblique. On le surnomme le Bonhomme Louviers, ou le « maqueu d’soupe », le mangeur de soupe, car il tient une écuelle à la main.
Sur le sens qu’il faut donner à cette sculpture, les avis divergent.
L’explication la plus répandue est qu’il s’agirait d’une référence à un épisode de la guerre qu’Henri IV livra en 1591 pour reconquérir son royaume. Henri IV s’assura les services d’un prêtre qui remplaçait le guetteur à l’heure de midi au sommet du beffroi, et qui ne donna pas l’alerte lorsque les troupes s’avancèrent. Le bonhomme signifierait que les Lovériens ont préféré manger leur soupe plutôt que de défendre leur ville.
Mais certains historiens remettent cette explication en cause, pour eux la sculpture du portail est antérieure à 1591 de près d’un siècle.
le maqueu d'soupe Autre hypothèse, les Lovériens portaient le surnom de mangeurs de soupe parce qu’ils étaient assez riches pour manger de la soupe plusieurs fois par jour.
Enfin, il pourrait s’agir d’un message adressé par le maître sculpteur à son commanditaire pour lui faire comprendre qu’il tarde à payer son dû à l’artiste !

On retrouve le Bonhomme Louviers à l’intérieur de l’édifice, sur le dernier pilier de droite près du choeur, mais il a le visage moins avenant. Il a la tête de quelqu’un qui vient de découvrir que son assiette est cassée. Au prix des objets à l’époque, c’est l’équivalent aujourd’hui de tout un plateau de vaisselle qu’on aurait fait tomber. Il y a des chances qu’on ferait triste mine, nous aussi.

Serre

SerreC’est une beauté secrète : on ne visite plus la serre du jardin public d’Evreux, longtemps en accès libre. Des plantes ayant été subtilisées, il a fallu fermer à clé. Cet endroit merveilleux continue de vivre sa vie, mais pour lui seul.
J’ai eu la chance de me trouver devant la porte close, toute désappointée, à l’instant où arrivait le jardinier chargé de fermer les fenêtres pour le soir. Il m’a très aimablement laissé faire un tour au milieu des crottons, des strelitzias, des fougères arborescentes et de quantités d’autres plantes dont j’ignore le nom, au feuillage dru et découpé.
Comme dans toutes les serres tropicales, l’ambiance est envoûtante. Humidité, chaleur, on s’attend à voir surgir des feuilles quelque serpent interminable ou insecte venimeux. C’est rassurant de savoir qu’on ne risque rien dans cette enclave de forêt amazonienne.
On aimait beaucoup les serres au 19ème siècle, à l’âge d’or du fer et de l’acier. Il en a poussé partout, en même temps que s’ouvraient des jardins botaniques. En Normandie, la ville de Cherbourg présente de vastes serres à la température variée, où l’on voyage aussi bien dans le désert que dans la forêt équatoriale.
Quel âge peut avoir la serre du jardin d’Evreux ? Est-elle contemporaine de la mise à disposition de la Société d’Agriculture et la Société de Médecine de l’Eure du jardin des Capucins, en 1814 ? Elle a un délicieux air vieillot, mais de là à la dater…

Franchissement de la Seine

MonumentLe franchissement de la Seine par les troupes britanniques en août 1944 à Vernon est resté dans les annales de l’art de la guerre comme un modèle du genre. Les Alliés ont réussi l’exploit d’établir un pont flottant, sous le feu ennemi, en six jours à peine.
Un monument commémore cet acte de guerre, et le sacrifice de centaines de jeunes gens tombés pour la Libération. Il s’élève à l’endroit précis d’où partait le pont provisoire installé par le Génie.
On peut voir plusieurs symboles dans cette stèle réalisée par un sculpteur local, Daniel Goupil. Une colombe de la paix semble jaillir d’un V. Celui de Vernon ou celui de la victoire ? Ses ailes touchent chaque côté du V, comme le pont qui relie les rives du fleuve.

Le couvent des Pénitents

cloîtreC’est le monument le plus étonnant de Louviers : le couvent des Pénitents présente un étrange cloître bâti sur l’eau.
D’habitude, les cloîtres sont des endroits fermés, au calme propice à la méditation. Ils entourent un petit jardin qui offre une image terrestre du paradis.
Celui-ci rompt avec cette tradition. Deux de ses côtés étaient des ponts, et les religieux avaient le spectacle de l’eau courante de la rivière sous les yeux, plutôt que de paisibles parterres de buis taillés.
Qu’est-ce qui a bien pu pousser les Franciscains à cette solution architecturale originale, et qui sait, unique ? L’étroitesse de leur terrain rue de l’Isle ?
C’est en 1646 qu’ils commencent la construction de leur couvent de Louviers. Les bâtiments frappent par leurs dimensions considérables. Pourtant, les religieux n’y seront jamais plus de douze, ils n’en ont pas le droit. Ils se consacrent à l’enseignement et au soin des malades.
A la Révolution, l’Etat leur confisque le couvent, qui revient à la Ville. Que va-t-on en faire ? La chapelle sert d’abord de salle de réunion politique, puis de grange, avant de s’écrouler. Le bâtiment principal, quant à lui, est transformé en prison dès 1793.
Les détenus à la maison d’arrêt et de correction de Louviers étaient condamnés à des peines de moins d’un an. Mais ils ont été nombreux à souffrir de maladies dans cette geôle, et à y mourir. L’humidité due à la rivière d’Eure aggravait l’insalubrité.
La prison a fonctionné jusqu’en 1928. Aujourd’hui, ce passé douloureux est presque effacé des mémoires. Le couvent des Pénitents a trouvé une nouvelle vocation qui lui sied mieux : il sert d’école de musique.

Asclepia

AsclepiaComment s’appelle cette fleur ? demande Madame. Oh, elle porte un nom à coucher dehors…
Il exagère un peu, le visiteur des jardins de Monet dont j’ai surpris la réponse évasive. Ce n’est pas bien compliqué, Asclépia. C’est une jolie fleur d’un mètre de haut qui a des feuilles allongées rappelant la verveine, et dont les boutons floraux orange s’ouvrent en petite étoiles jaunes.
La belle vient d’Amérique et peut se cultiver en pots dans les vérandas. Il faut la rentrer en hiver, elle n’aime pas les températures inférieures à 10°.

Je fais la maligne, mais j’ai appris son nom récemment, et je me le répète chaque fois que je passe devant les asclépias, histoire de ne pas l’oublier. Et pour la joie secrète de saluer les fleurs en les appelant par leur nom. Il y a une jubilation à connaître et reconnaître, à savoir distinguer. C’est ce sentiment là qui nous pousse à apprendre même là où il n’y a pas grand chose à comprendre.

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Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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