GiVerNet a dix ans
On ne lèvera pas nos verres, on ne soufflera pas les bougies, mais c’est une date que je voulais partager avec vous, les internautes : l’association GiVerNet a dix ans. Le 3 décembre 1996, ses statuts étaient déposés à la préfecture de l’Eure.
Ce n’était guère plus qu’une idée alors qui avait germé dans nos têtes, une idée généreuse comme il y en a tant sur la toile : faire connaître la région de Giverny et Vernon par l’internet, en donnant la parole à ceux qui y vivent.
Nous ne savions pas que nous étions en train de nous embarquer pour une aventure au long cours. Nous avons construit une caravelle avec trois allumettes.
La création de l’association était l’aboutissement de six mois de travail, autour de la conception d’un embryon de site, nommé giverny.org. Nous y avons mis tout ce que nous aimions dans la région, la maison et les jardins de Monet, les peintres, les moulins, les châteaux, les musées, les sites archéologiques, et tout ce qui nous a paru utile pour les visiteurs, moyens de transport, restaurants, hôtels, gîtes, chambres d’hôtes…
Internet balbutiait en France, il fallait expliquer le web et l’e-mail. Mais internet intriguait. Nous avons rapidement été vingt, trente, cinquante dans l’association.
Le vrai succès de Givernet, ce sont les internautes qui l’ont fait, en venant nombreux, très vite. Au cours de la seule année 2006, vous aurez été un million à surfer sur giverny.org.
Le succès crée des obligations, infléchit des carrières professionnelles. C’est une aventure enthousiasmante, un défi quotidien qui demande technicité, créativité et vista. Il entraîne un bouillonnement de projets, capable de nous occuper quelques décennies encore…
Mais l’aspect le plus exaltant de cette aventure, c’est l’ouverture qu’elle donne sur le monde. C’est ce sentiment d’ouvrir virtuellement nos bras et d’y accueillir la terre entière. L’encouragement des milliers d’internautes qui ont écrit des messages chaleureux dans le livre d’or du site. Autour de nous, le soutien de tant de bonnes volontés, à commencer par la ville de Vernon.
Pour ces dix ans de partage, à tous, merci.
Aller à Rouen en train
Depuis Vernon, rien n’est plus facile que d’aller visiter Rouen par le train.
A force de prendre la voiture, on en oublierait comme c’est agréable de se laisser conduire, de regarder le paysage défiler, de somnoler et de rêvasser. Et de ne pas avoir à stationner.
Les trains les plus rapides mettent 28 minutes. En semaine, il y en a quatre le matin, mais il faut se lever tôt, le dernier de la matinée part à 9h04.
Sur le quai de la gare de Vernon, on a un peu l’impression d’être à contre-courant, comme un saumon qui remonte la rivière : des centaines de voyageurs se pressent en face pour aller travailler à Paris. Ils se ressemblent tous un peu, air sérieux, vêtements sérieux, attaché-case. Vernon, la porte normande, est-ce déjà la banlieue ?
En direction de Rouen, les voyageurs sont moins nombreux et plus jeunes, beaucoup d’étudiants eurois fréquentent les universités et les écoles de la capitale haut-normande.
En arrivant à Rouen, n’oubliez pas de vous retourner vers la façade de la gare. Inaugurée en 1928, c’est un magnifique bâtiment art déco, oublié des circuits touristiques, parce que, bien sûr, Rouen regorge de monuments et qu’il faut bien faire un choix. 250 bâtiments classés ! Vous en verrez quelques dizaines, et c’est déjà une orgie de gothique flamboyant et de pans de bois.
Le train est vraiment le moyen de transport idéal pour aller découvrir Rouen, parce que la gare est située en plein centre ville. Vous traversez la place et déjà, voici le donjon de Philippe-Auguste où fut enfermée Jeanne d’Arc. Il suffit de suivre la pente naturelle de la ville vers la Seine pour rejoindre la cathédrale, cette flèche qui dépasse au-dessus des toits. En face, à l’office de tourisme, on vous proposera des circuits à faire à pied. Si vous vous en tenez au centre historique, les distances sont courtes, et les richesses innombrables.
Récolte des betteraves
De loin, c’est un nouveau plissement de terrain, une petite chaîne montagneuse apparue soudainement à la lisière des champs. De près : un amoncellement de racines charnues, beiges, qui s’entassent en un terril végétal long parfois de plusieurs centaines de mètres.
La récolte des betteraves sucrières bat son plein dans l’Eure. La France est le premier producteur mondial de sucre de betteraves, une culture concentrée dans le nord du pays. Elle occupe une bonne place dans les terres agricoles de Haute-Normandie.
On doit son essor à Napoléon, qui cherchait un moyen de remplacer le sucre de canne lors du blocus de la France par l’Angleterre. C’est un Français, Benjamin Delessert, (pour un peu, il s’appelait Dessert…) qui a réussi à extraire le sucre de la betterave en 1812. Depuis, la betterave sucrière est devenue la première culture industrielle en France.
La récolte va durer plusieurs mois. Les racines sont arrachées, effeuillées et séparées de leur collet, puis stockées au bord des champs où les camions viennent les chercher à mesure des besoins de la raffinerie. La plus proche est celle d’Etrepagny, à une vingtaine de kilomètres de Giverny et Vernon.
Si vous trempez dans votre café un sucre Saint-Louis, il a peut-être été produit ici…
Fuchsia
Les fuchsias sont encore couverts de fleurs le long des rues de Giverny. Ils tiennent compagnie aux dernières roses qui s’entêtent à fleurir.
Ce Fuchsia de Magellan pousse dans la bordure fleurie devant le Musée d’Art Américain. On le reconnaît à ses longues fleurs effilées. Il vient de la Terre de Feu, ce qui en fait une plante très rustique, qui passe l’hiver en pleine terre sans problème.
La société horticole britannique du fuchsia recense plus de deux cents cultivars susceptibles de résister à cinq hivers consécutifs et refleurir fidèlement l’été.
L’entretien se limite alors à attendre le printemps, où on coupe les brindilles sèches. Si le gel a été rude, on rabat tout au ras du sol, et normalement, ça repousse vigoureusement.
Tous les fuchsias ne sont pas aussi faciles à vivre. La plupart descendent d’aïeux subtropicaux. Ils aiment être rentrés l’hiver, ce qui impose de les cultiver en pots.
La grande allée fin novembre
Fini, les splendeurs colorées des jardins de Monet à Giverny, les flots de capucines dans la grande allée… En un clin d’oeil, tout a disparu.
Il n’a pas encore gelé pourtant, ce qui est inhabituel si tard en saison. Mais les jardiniers de la Fondation Monet ont profité du temps clément pour nettoyer les plates-bandes, tailler les rosiers, diviser et replanter les vivaces, mettre en terre les bulbes…
D’autres équipes s’occupent de repeindre les bancs du jardin et les ponts japonais.
Le temps presse pour préparer le jardin en vue du printemps. Le travail ne manque pas, d’ici l’ouverture le 1er avril prochain.
Boules de Noël
Le vent a soufflé toutes les feuilles, mais il a laissé les dernières pommes, celles qui étaient trop haut perché dans les arbres pour qu’on les récolte. Rouges ou jaunes, elles pendent comme des boules de Noël oubliées.
Il y a quinze jours j’ai aperçu dans une vitrine un premier sapin. Ciel ! Déjà ? C’était un éclaireur. Le gros de la troupe est en train de suivre. Depuis que Noël est à moins d’un mois, des forêts jaillissent des trottoirs, d’autres remplissent les boîtes aux lettres.
L’offensive est lancée.
Je voudrais trouver des images moins guerrières, mais la perspective de la Fête m’évoque, chaque année, un combat à livrer, qui demande une préparation minutieuse. Il y aura, dans la maison familiale transformée en camp retranché contre le froid et l’hiver, des lits pliants partout, et assez de provisions pour soutenir un siège.
Et j’ai peur de cela, car je suis un piètre général.
Mais il y aura aussi des princesses, des princes, des chevaliers, et la perspective de leurs rires et de leur émerveillement me comble de joie d’avance et me donne l’énergie de partir à l’assaut.
Je vais faire entrer un bout de forêt dans la maison, le sapin sera tellement grand qu’il touchera le plafond.
Topiaire
Quand il ne monte pas la garde à l’entrée des cimetières, l’if est un végétal des plus accommodants qui se laisse tailler sans faire de façons.
Avec le buis, il est l’incontournable des jardins à la française, auxquels il apporte la rigueur géométrique jusque dans le végétal.
A Versailles, on en trouve partout dans le parc. Le long du grand canal, des topiaires sont intercalées entre les arbres. Leur taille évoque alternativement un monsieur et une dame, et c’est tout un peuple de courtisans qui semble attendre le passage du roi.
Devant le château, de plus traditionnels alignements de cônes soulignent des perspectives, tandis que des banquettes délimitent les parterres.
Mais ce sont les topiaires les plus fantaisistes qui arrêtent les visiteurs. Au bout de l’esplanade, les Martiens ont débarqué. Les petits hommes verts paraissent immobiles, mais il ne faut pas s’y fier. Leurs cinq sphères décroissantes dressées le long d’une antenne, ils marquent un temps. Ils s’orientent. La nuit, c’est sûr, ils doivent décoller et explorer les environs. Qui sait, vous les verrez peut-être atterrir dans votre jardin…
Mariage à Giverny
Il se passe des choses à Giverny que les gens du cru ignorent. Un mariage très médiatique vient d’y être célébré dans la plus stricte intimité. Il n’en met pas moins l’Amérique en émoi.
Lorelai et Christopher se sont dit oui après un bref et romantique séjour à Paris. Enfin ! Mais que va en penser Luke, qui est secrètement amoureux de Lorelai depuis toujours ?
Sur internet, on se déchaîne dans les forums. Les avis sont partagés. Un mariage à Giverny entre deux citoyens américains est-il valable ? Les époux ont-ils vraiment compris ce que disait l’officiant dans cette langue exotique, le français ?
On peut s’attendre à la prochaine annulation de la noce givernoise, car la vie de Lorelai et Christopher se nourrit de rebondissements. En effet, le couple n’existe que dans l’imagination des téléspectateurs de la série Gilmore Girls et de ses scénaristes.
La scène aurait pu être jolie, tournée à Giverny ou dans un autre village, mais le producteur n’a pas déboursé un dollar pour ce mariage : il s’est déroulé « hors écran ». Bref, on ne risquait pas d’entendre carillonner à Giverny.
Pourtant la nouvelle n’est pas aussi anodine qu’elle en a l’air. Elle révèle quelque chose de l’image que les Américains se font de Giverny. Le village de Monet est devenu un mythe d’un romantisme extrême, au point de supplanter Venise dans un tel scénario.
A quoi doit-on ce phénomène récent ? Aux « jolis » tableaux de Monet, au « joli » jardin mondialement connu, au côté petit village si bien préservé ? A la proximité de Paris ?
Quand on quitte le monde de la fiction pour celui de la vraie vie, se marier à Giverny devient très difficile si on n’y habite pas. Pour un mariage civil, il est obligatoire d’y résider depuis au moins 40 jours. D’ailleurs, il faudra bien tout ce temps pour effectuer les démarches nécessaires, et faire traduire les documents officiels…
Un mariage religieux à l’église catholique demandera encore une bonne dose de détermination pour constituer le dossier préalable. Et si les amoureux ne sont pas catholiques, il faudra qu’ils viennent avec leur propre officiant : le mariage à la chaîne à Giverny n’est pas pour demain.
Couleurs d’automne
« Avez-vous des arbres qui changent de couleur à l’automne ? » demande mon amie Marie, avec son charmant accent de Montréal. Il faut bien faire une réponse de Normand. Oui, par chez nous, les arbres changent de couleurs avant de perdre leurs feuilles, mais c’est loin d’être aussi spectaculaire qu’au Canada.
La palette de l’automne normand est plus impressionniste que fauve, elle décline les roux, les jaunes mêlés de vert, comme dans le tableau La Chasse de Monet. Vue de loin, la forêt moutonne en bruns orangés pleins de douceur.
C’est dans les parcs où se mêlent les essences d’ici et d’ailleurs, comme ci-contre à Vernon dans le quartier de Bizy, que l’on trouve les plus jolies couleurs d’automne.
Parmi les arbres indigènes, le cerisier se distingue par une parure plus somptueuse que les autres. On le voit au bas de cette photo, habillé d’orange et de rouge lumineux. Ces derniers jours, il réchauffait de ses tons chauds les journées les plus grises, et s’enflammait dans le moindre rayon de soleil.
Mais le feu d’artifices tire à sa fin. Ce matin, un grand coup de vent a semé la débandade dans les feuillages desséchés. Les hélicoptères des érables tourbillonnaient, emportés au loin. Des bataillons de feuilles roussies s’enfuyaient devant le grain. Les tourterelles secouées par la bourrasque en oubliaient de savoir voler.
Il fait bizarrement doux, seize degrés ce matin, le vent souffle du sud. Dire que dans un mois c’est Noël.
Ecureuil
Ce matin, j’ai aperçu un écureuil. C’était tôt, peu après l’aube. Il a déboulé de la colline et il a sautillé à travers le chemin, sa longue queue en panache bondissant derrière lui. Il a semblé hésiter un moment, puis il s’est enfoncé dans un buisson et je l’ai perdu de vue.
La dernière fois que j’ai vu un écureuil, c’était dans le parc du château de Versailles. Pas farouche, celui-là, habitué aux promeneurs. Il sautait de branche en branche dans un bosquet, je l’ai suivi des yeux très longtemps, j’ai même réussi à le photographier, mais j’étais tellement fébrile que l’image est floue.
Chaque fois, j’éprouve une joie enfantine. J’aborde les passants, Vous avez vu l’écureuil ? Ils sourient, ils restent impassibles, Où ça un écureuil ? demandent les plus polis.
Ce sont les mammifères sauvages qui sont les plus craquants. Les biches, les chevreuils, même les sempiternelles petites souris.
Leur fourrure a l’aspect de la peluche, ils ont des yeux doux et craintifs.
Nous éprouvons des réactions irrationnelles et extrêmes devant les animaux, de l’enthousiasme puéril au dégoût total, en passant par l’indifférence, l’admiration, la crainte. Pourtant tous les animaux méritent une égale considération. Il faudrait éduquer les enfants dans ce sens, très tôt.
Je n’ai pas peur des chauves-souris parce que j’en ai tenu dans les mains quand j’étais petite.
Tous les animaux se valent. Et les humains, se valent-ils tous aussi ? Les jugeons-nous sur la mine, eux aussi ?
Le musée Marmottan-Monet
Le musée Marmottan-Monet se trouve dans le 16e arrondissement, à l’ouest de Paris, près des jardins du Ranelagh et de la porte de la Muette. Excentré par rapport au pôle muséographique Louvre-Orsay, il est méconnu. C’est injuste et dommage.
Pas de longue file d’attente ici : les gardiens sont parfois plus nombreux que les visiteurs. C’est donc dans le calme qu’on peut se laisser éblouir par les oeuvres exposées.
Il y a d’abord la collection de tableaux de Monet, au sous-sol, la plus large au monde en collection publique. Des Monet et rien que des Monet, les uns à côté des autres, ceux auxquels il tenait et qu’il n’a pas vendus, la vue de Vétheuil « un peu trop blanche » pour le baryton Faure, une cathédrale de Rouen nimbée de soleil, un Parlement de Londres émergeant de la brume… Et tout à coup, vous voilà face à face avec le célèbre « Impression, soleil levant ».
Evocation de l’Orangerie, une pièce ronde présente des déclinaisons de nymphéas et de bassins. Et puis, de magnifiques ébauches de tableaux, une Glycine tracée en quelques coups de pinceau, des Iris aux gracieuses courbes très Art Nouveau, dévoilent l’oeuvre en train de se faire.
Le musée Marmottan est issu des legs de plusieurs collections privées, notamment celle de Monet lui-même. Outre les oeuvres achevées dont il ne s’est pas séparé, elle comportait son fond d’atelier et les tableaux de ses amis impressionnistes.
C’est à Marmottan que l’on peut voir la palette de Monet encore couverte de peinture, ses premières caricatures, ses carnets de croquis…
Habituellement, le musée présente aussi au premier étage les tableaux donnés ou vendus à Monet par ses amis impressionnistes, qui ont pour noms Renoir, Cézanne, Pissarro, Sisley, Manet, Morisot… Plusieurs de ces oeuvres représentent le peintre ou sa femme Camille. Cet hiver, elles ne sont pas visibles. Jusqu’au 25 février 2007, elles sont remplacées par une exposition temporaire de la collection d’estampes japonaises de Monet.
La visite se termine par les collections de meubles et objets d’art de style Empire du rez-de-chaussée, des pièces exceptionnelles qui évoquent les fastes du 19e siècle. Enfin, à l’opposé des dorures et des aigles, la salle Wildenstein plongée dans la pénombre révèle une rare collection d’enluminures extraites de manuscrits du Moyen-Age.
Les sentes de Bizy
C’est un quartier où la ville se croit à la campagne. A Vernon, la colline qui grimpe jusqu’à la forêt de Bizy était couverte de vignes et de vergers autrefois. Il en reste des noms de rues et quelques fermes, d’antiques bâtisses trapues en pierres et colombages.
Quand la ville s’est développée, à la belle époque des machines à vapeur, des constructions de loisir ont commencé à fleurir au milieu des pâtures, pour cause de vue magnifique sur la vallée de la Seine. Ce furent des chalets, des maisons de style anglo-normand, des pavillons en meulière.
Aujourd’hui, le quartier de Bizy est resté résidentiel. Les terrains y sont chers, on y construit des maisons cossues. Le mélange des époques donne une physionomie particulière au quartier, un air amical et bonhomme qui semble dire que chacun est libre de vivre comme bon lui semble.
Depuis quelques années, une signalisation très bien faite a mis en valeur les sentes qui parcourent le quartier. En limites de propriétés, des chemins d’un ou deux mètres de large permettent de circuler à travers la colline, à l’écart de la circulation. De temps en temps, on se retrouve dans une petite rue paisible, d’où part bientôt une autre sente.
Flâner à l’aventure dans ces chemins réserve bien des surprises. Des potagers, des vergers bien plantés, des basses-cours qui gloussent, des jardins d’agrément soignés, des sources, des ruisseaux qui chantent, et tout à coup un petit temple grec en guise de belvédère, une échappée sur la vallée, la ville tapie au fond. Et puis encore : des friches ou fleurissent l’églantine et la mûre, des pies qui s’envolent… Le chemin herbeux sera couvert de pâquerettes et de fleurs de pissenlits au printemps prochain. Une balade pas très longue et amusante, qu’on peut faire avec des enfants qui marchent déjà bien.
Kiosque à musique
Autrefois, ce devait être un endroit charmant. Vernon possède encore un kiosque à musique du plus pur style rocaille, ce faux bois en ciment armé qui a fait fureur il y a un bon siècle.
Le kiosque est coiffé d’un grand toit en forme de chapeau pointu, qui lui donne l’air de fêter Halloween toute l’année. Ce toit est soutenu par des piliers imitant les tilleuls. Les artisans qui les ont exécutés ont reproduit chaque détail de l’écorce, inventant des cicatrices, des moignons de branches et des crevasses. C’est un travail soigné, appliqué, si bien que les poteaux semblent s’être échappés de la rangée de tilleuls qui fait tout le tour de cette grande place pour venir se mettre à l’abri sous le chapeau pointu.
Les bâtisseurs ont poussé le souci du détail jusqu’à imiter, pour la charpente, des branches en guise de poutres, et entre elles, des planches avec de pseudo veines de bois. On est chez Blanche-Neige, au moins.
Autrefois, les musiciens s’installaient sur la plate-forme, garantis de la chute par une balustrade en croisillons de faux-bois. Le toit les protégeait du soleil et des intempéries, tout en servant à rabattre le son.
Que va devenir ce kiosque ?
La place de la République est devenue un grand parking gratuit, envahi par les voitures. Plus de fanfare ni de violons sous le kiosque, aujourd’hui on préfère voir les musiciens sur des estrades, on a trouvé d’autres lieux en ville pour des aubades, les abords de la mairie, le jardin des arts, le parvis de l’Espace Philippe-Auguste…
Sous la pression du stationnement aux abords du centre-ville, le kiosque occupe une surface indécente. Combien de temps résistera-t-il ?
Ce témoin d’un temps révolu est devenu inutile. Il ne sert plus qu’aux amoureux de Peynet, qui aiment encore s’enlacer sous ses ramures factices.
Lever de soleil sur la Seine
J’envie les mariniers pour le spectacle de l’aube sur la Seine. Ils ont tout leur temps pour se repaître de la beauté du ciel et de l’eau.
Les automobilistes qui franchissent le pont de Vernon au petit jour ne peuvent jeter que de brefs coups d’oeil, à moins qu’il y ait de providentiels encombrements.
Pour éviter les rappels à l’ordre des conducteurs coincés derrière vous, tandis que vous ne parvenez pas à détacher les yeux de cette symphonie de bleus et d’ors, il est préférable de traverser le pont à pied. En trois cents mètres, cela laisse le temps de faire provision de magnifique.
L’effet se renouvelle, différent, tous les jours, comme si le fleuve et le ciel, pour célébrer leur union matinale, essayaient une infinité d’atours.
Le marché de Vernon
Tous les samedis matins, au marché de Vernon, c’est la grande fête des yeux avant celle des papilles. Aux petites heures de la matinée, les légumes et les fruits sont à la parade, tellement beaux qu’on a envie de tout acheter.
J’aime le sens artistique de ce marchand, qui fait chanter les formes et les couleurs.
Voici donc, dans l’ordre de leur entrée en scène, les poireaux, les choux-fleurs, les potirons, les blettes, derrière lesquelles se devine une cagette de topinambours. En plein milieu, de délicates pommes de terre rates en provenance d’Israël. Et à l’arrière-plan, les choeurs : tomates grosses ou moyennes, endives, choux de Bruxelles.
Tous ces produits splendides viennent d’ailleurs, de loin parfois, en passant par Rungis. On trouve aussi au marché de Vernon des fruits et des légumes qui n’ont parcouru que quelques kilomètres depuis leur verger ou leur champ. Les producteurs locaux ne font pas dans le tape-à-l’oeil. Ils entassent les salades en piles, les pommes dans des cageots profonds. Chez eux, on achète des produits de saison pleins des saveurs du terroir.
If
Deux ifs montent la garde tout en haut de la grande allée, devant la maison de Monet à Giverny. Quand il a remanié le jardin, le peintre a supprimé les épicéas et les pommiers, il a conservé les ifs. Qui irait porter la hache sur un tel arbre ?
La journaliste botaniste Patricia Beucher parle de sa « noblesse » et de sa « présence indéniable ». L’if remplace le cyprès dans les cimetières du nord de la Loire. Symbolique, cet arbre de vie toujours vert avait pour fonction de repousser les bêtes sauvages et domestiques, les empêchant de profaner les lieux.
Tout comme l’olivier, l’if est capable d’une longévité hallucinante. On en connaît qui seraient âgés de 1400 ans.
Plus vieux que les cathédrales gothiques, plus vieux que les plus anciennes églises romanes, ils datent d’avant les invasions vikings. Dans l’Eure, le plus célèbre est celui de la Haye de Routot. Une chapelle a été aménagée dans son tronc creux.
Contempler ces arbres qui traversent les millénaires nous remet à notre place, nous les humains si imbus de nous-mêmes, capables que nous sommes d’inventer des armes de destruction massive, de modifier génétiquement les organismes, d’aller regarder les Martiens sous le nez, de bouleverser les paysages et de modifier le climat. Toute cette agitation devient dérisoire face à un if.
Mille ans de silence, à veiller sur les morts et accueillir les vivants, les racines enfoncées dans le sol, les branches dans le vent, la tête dans les nuages…
Exposition d’estampes japonaises de Monet au musée Marmottan
Hier s’ouvrait à Paris l’exposition des estampes japonaises de Monet, venues de la maison de l’artiste à Giverny. Elles seront présentées au musée Marmottan-Monet jusqu’au 25 février.
Monet possédait 231 gravures dont il avait décoré la plupart des pièces de sa maison. L’accrochage des estampes sur les cimaises de Marmottan permet de les voir autrement. A Giverny, certaines d’entre elles passent inaperçues : suspendues trop haut ou dans un recoin, trop nombreuses, éclipsées par des éléments du décor plus spectaculaires… A Marmottan, elles sont toutes à égalité, à hauteur des yeux.
L’exposition se déploie sur plusieurs salles, les estampes ont été logiquement regroupées par auteur. Cette présentation fait ressortir le style de chaque artiste, ses motifs préférés, son coloris, en même temps que l’attraction qu’il exerçait sur Monet.
On devine facilement ce qui pouvait plaire au peintre dans les paysages bleutés d’Hiroshige, dans la représentation de la nature d’Hokusai. Mais quand on pénètre dans la salle consacrée à Utamaro, l’étendue de la collection de Monet de cet artiste étonne.
Des femmes, des femmes, des femmes, dessinées avec sobriété, presque sans couleur, dans des tons chamoisés. Elles cueillent des fleurs, elles pêchent, elles jouent avec leur enfant, elles s’habillent, elles se regardent dans un miroir… A la vérité, elles vivent, et c’est ce qui devait séduire Monet, surtout si l’on pense aux portraits guindés qui étaient la règle à l’époque en Europe. Selon le récit d’un de ses visiteurs à Giverny, le peintre croyait voir « la chair qui palpite » dans les gravures d’Utamaro.
Alchimie d’automne
Hier, l’automne faisait l’arrogant. Il flamboyait de tous ses ors, qu’il jetait avec prodigalité.
Aujourd’hui, par une bourde de l’apprenti alchimiste qui s’est mêlé de la couleur du ciel, voici que l’or est changé en plomb. Le vent souffle, il arrache des feuilles jaunies qui ne sont plus qu’un souvenir de leur splendeur de la veille.
Quand le soleil reviendra, les feux de l’automne seront éteints. Il faudra attendre l’année prochaine pour retrouver cette magie éphémère, si courte qu’elle nous en semble plus précieuse encore.
Avec l’hiver, avec le gel, c’est le temps de l’argent qui succèdera à celui de l’or.
Dilection
Ce doit être l’effet de la fréquentation quotidienne de chefs d’oeuvres, le raffinement de l’art qui rejaillit sur la prose de celui qui les côtoie : les commissaires d’exposition ont parfois un langage si choisi qu’il faut le dictionnaire pour les comprendre.
J’ai appris un mot – ce qui, toujours, m’enchante – en parcourant le dernier communiqué de presse du musée Marmottan. Il annonce l’ouverture aujourd’hui de l’exposition des estampes japonaises de Monet dans le musée parisien.
Monet « sut choisir avec dilection des oeuvres d’une grande qualité technique et esthétique. » Dilection ? est-ce que ça s’apparente à prédilection ?
Renseignement pris, il s’agit d’un « amour pur et pénétré de tendresse spirituelle ». On peut parler de dilection du prochain, de dilection de Dieu pour ses créatures.
Ce communiqué s’adresse à des journalistes, des gens qui, comme moi, ont la modeste ambition de parler comme tout le monde. Alors je m’interroge : pourquoi un mot aussi rare pour qualifier l’art, le goût, le flair, le raffinement, la sensibilité, la passion avec lesquels Monet a su composer sa collection d’estampes ?
Cette dilection nous met sur la piste du lien entre Monet et la spiritualité. Il faut se représenter la communion de Monet avec la nature, au fil des heures et des jours passés à peindre le paysage. Chez cet homme indifférent à la pratique religieuse, le lien au monde qui l’entoure est certainement empreint de dilection.
Naissance de Monet
Bon anniversaire, Monsieur Monet !
Le 14 novembre 1840, c’est la date de naissance d’Oscar Claude Monet, pour citer les prénoms dans l’ordre de son acte de baptême. Il voit le jour à Paris, au sud de la butte Montmartre, au numéro 45 de la rue Lafitte. Monet est baptisé le 20 mai 1841 à l’église voisine de Notre-Dame-de-Lorette.
Sa mère se nomme Louise-Justine, Aubrée de son nom de jeune fille. Elle a épousé Adolphe Monet en 1835. Quand Monet vient au monde, la famille compte déjà un frère aîné, Léon, né en 1836.
Pour l’instant, celui qui passera à la postérité sous le nom de Claude Monet se prénomme plutôt Oscar. C’est la tradition dans la famille paternelle, le prénom Claude vient d’un aïeul du début du 18e siècle, et peut-être d’encore plus haut. Papa Monet se nomme en réalité Claude Adolphe.
Dix-huit ans plus tard, le jeune Oscar signe ses premiers dessins O. Monet. On ignore pour quelle raison il abandonne un jour ce prénom au profit de Claude. Faut-il y voir un signe de rébellion à l’égard d’une famille qui veut le faire entrer dans un moule ? En choisissant Claude comme prénom usuel, Monet s’inscrit dans la lignée à laquelle il doit, peut-être, son don exceptionnel.
Oscar ou Claude, dans le fond peu importe, puisque bien peu de personnes étaient amenées à faire usage de son prénom. Alice parle de lui à sa fille comme de « Monet ». Clemenceau le nomme le plus souvent « cher ami », mais aussi « cher homme des bois », « pauvre vieux maboul », « mon vieux coeur », « cher vieux frère » et autre affectueux « pauvre vieux crustacé ». Pas la femme, pas les amis, alors qui ?
Je ne suis pas assez fine pâtissière pour avoir réalisé le fameux gâteau « vert-vert » avec lequel la cuisinière de Monet régalait les convives de Giverny, et pour le décor, vous voudrez bien me pardonner ce scorpion au titre de la licence poétique. Car même si le 19e siècle s’est passionné pour l’ésotérisme, je suis convaincue que l’astrologie laissait Monet totalement indifférent.
La vague
Quel est vraiment le sujet de cette estampe d’Hokusai, qui figurait dans la collection de Monet ? On voit d’abord une vague énorme, un véritable monstre qui avance des bras armés de griffes. Comme une bouche gigantesque, la vague s’apprête à engloutir tout ce qu’elle pourra trouver. Instant suspendu, juste avant la catastrophe.
Le titre de l’estampe attire l’attention vers le bas de la gravure : « Sous la vague au large de Kanagawa ». On remarque alors deux esquifs, qui paraissent désespérément fragiles face à la montagne liquide sur le point de s’effondrer sur eux. Ils sont à moitié cachés par d’autres vagues menaçantes.
Les pêcheurs sont prostrés sur les barques. Ils détournent la tête, n’osant affronter le danger du regard.
« Sous la vague au large de Kanagawa ». Il y a une certaine ironie dans ce titre au ton détaché, avec son indication géographique superflue dans cet instant dramatique. Ou alors, peut-être qu’il s’analyse en termes rassurants : il n’y a pas lieu de s’inquiéter, les marins s’en sortiront comme à l’accoutumée ?
Le titre paisible vient contrebalancer l’impression de danger dégagée par l’estampe. Il ramène vers le seul élément paisible de la gravure : au centre, « sous la vague » on aperçoit le Fuji-Yama couvert de neige, dont les couleurs se confondent avec celles de la mer déchaînée. C’est la clé de cette estampe : elle fait partie de la suite « Les trente-six vues du mont Fuji. »
Cathédrale de Beauvais
Voilà une cathédrale qui ne ressemble à aucune autre. Dès l’entrée, elle désoriente. On cherche les repères habituels, la nef, le choeur, les bas-côtés : rien n’est à sa place. Pourtant il se dégage une impression de gigantisme. Le regard monte, monte, avant de rencontrer, tout là-haut, la voûte.
A quelle hauteur peut-elle bien culminer ? Dans nos maisons, le plafond se trouve à environ trois mètres du sol. Ici, combien ? 25, 30 mètres ? Allez, vous n’y êtes pas. 35, 40 ? Plus haut ! Quand même pas 45 mètres ? Encore plus haut ! 48 mètres des croisées d’ogives au sol du choeur !
J’imagine la stupéfaction des habitants de Beauvais qui ont assisté à la construction de la cathédrale Saint-Pierre. Les murs s’élevaient, s’élevaient, s’élevaient encore. Quand allait-on s’arrêter ?
La cathédrale de Beauvais fut un temps (de 1567 à 1573) l’édifice religieux le plus haut de la chrétienté. Saint-Pierre de Beauvais dépassait Saint-Pierre de Rome ! Avant même de bâtir la nef, l’architecte s’était hâté de doter l’édifice d’une grande tour lanterne surmontée d’une croix de fer.
Ce péché d’orgueil allait coûter cher : Le jour de l’Ascension 1573, la tour s’écroula, heureusement sans faire de victime.
Depuis, la cathédrale de Beauvais a été réparée, consolidée, mais jamais achevée. Telle qu’elle est, c’est un monument stupéfiant de beauté, qui invite à la méditation.
Onze novembre
Journée de souvenir, qui donne lieu à jour férié et cérémonies solennelles dans toutes les villes, notamment à Vernon.
C’était au début du siècle dernier, une guerre absurde, longue et meurtrière. La mémoire directe s’en perd. Les combattants sont morts, ceux qui étaient enfants à cette époque s’éteignent à leur tour. Bientôt, il ne restera que le souvenir du souvenir.
Dans ma mémoire vivante se mêlent deux mémoires aujourd’hui disparues. Un être cher de chaque côté du front.
Je me rappelle ma grand-mère, née en Alsace en 1901, donc née Allemande. Pendant la Première Guerre Mondiale, elle avait tricoté des chaussettes pour les soldats. On lui avait appris à l’école. Elle a gardé ce savoir-faire toute sa vie. C’était la reine de la chaussette, celle qui se tricote à quatre aiguilles réversibles dans une laine défiant tous les hivers. Quinze ans après sa mort toute la famille en a encore, de ces chaussettes inusables.
Je me rappelle le grand-père de mon mari, né en 1908 en Normandie, donc Français. De la Première Guerre Mondiale, il racontait l’Armistice. Sa mémoire d’enfant a été marquée à jamais par les cloches de la cathédrale sonnant à toutes volées, interminablement.
Le jour de l’Armistice a été choisi comme date de commémoration. Fin de la guerre, heure du bilan. Honneur aux morts. Mais le 11 novembre 1918, d’autres sentiments animaient les coeurs. Chaque année, je repense à ce souvenir de cloches.
« Elles ont sonné pendant des heures et des heures »… La sonnerie n’était pas motorisée, en ce temps là. Il fallait tirer sur les lourdes cordes. Il a dû se trouver des dizaines de tout jeunes gens, de vieux messieurs, de femmes peut-être, pour venir le faire à tour de rôle, dans une ambiance de joie folle que l’on ne peut même pas se figurer. Quand le cauchemar prend fin, que l’avenir à nouveau peut exister, quel meilleur exutoire y aurait-il à l’envie de bouger ses muscles et de crier sa joie que de faire sonner les cloches, à s’en crever les tympans ?
Brume
L’automne nous tricote des matinées de brumes… La lumière est irréelle, tout est nimbé d’un voile de douceur et de mystère.
Ce matin, au bord de la Seine, il soufflait un petit vent aigre qui engourdissait les doigts et berçait les toiles d’araignées transformées en bouliers.
Le pont Clemenceau se prenait pour le Golden Gate, l’autre rive perdue dans le brouillard. En dessous, le fleuve infini devenait une mer. Les îles surgissaient du flou, en silhouettes légères et pâles.
J’ai marché longtemps dans cet univers cotonneux, dans la griserie de photographier ces instants magiques.
Il paraît que le soleil va l’emporter cet après-midi, comme disent les prévisionnistes qui voient tout en termes de bataille. Pourvu qu’il y ait de la brume demain…
Perles de rosée
Instant d’émerveillement devant les perles de la rosée sur une feuille de capucine. Les fleurs aussi portent des parures.
Dans mon jardin les capucines, au demeurant si gracieuses, se sont transformées en mégères qui s’agrippent à tout ce qu’elles trouvent. Elles étouffent les dahlias, les cosmos, et menacent mes chers hellébores… Chaque jour j’ai envie de leur faire entendre raison. Mais à quoi bon ? Un coup de gel les anéantira. Ce n’est plus qu’une question de jours.
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