Harmonie de couleurs
De loin, on ne voit que du jaune. De près, en regardant en détail, on s’aperçoit que cette plate-bande des jardins de Monet à Giverny mêle des fleurs très variées : rudbéckia, oeillet d’Inde, souci…
Monet concevait son jardin avec des yeux de peintre : de la couleur avant toute chose. Le même esprit règne aujourd’hui dans ce lieu de mémoire qu’est la Fondation Claude Monet. Les plates-bandes les plus frappantes sont conçues en un ou plusieurs tons voisins de jaune, de rose, de blanc…
Tout l’art consiste à harmoniser les couleurs sur le papier, quand le massif n’est encore qu’un projet, à bien calculer les périodes de floraison, les hauteurs des unes et des autres… Un travail d’artiste qui mérite qu’on s’y attarde en visitant les jardins de Monet.
Vitrail
Les vitraux des églises gothiques sont fabuleux, mais ils ont deux défauts : ils sont souvent installés à des hauteurs où l’on ne distingue plus leurs détails, et leur sens nous échappe trop souvent.
Une paire de jumelles permet de mieux voir les vitraux des églises. Et si une visite guidée est proposée, c’est l’occasion d’apprendre à voir. Mais comme ces conditions sont rarement réunies, quelle joie quand la disposition des lieux offre les vitraux à la vue presque à hauteur des yeux, et que de plus on saisit ce qu’ils représentent !
Voyez toute la délicatesse de celui-ci, visible à l’église Notre-Dame du Grand Andely. Les plis somptueux des étoffes, l’expression du pêcheur, la naïveté des poissons.
Je crois deviner que c’est Pierre (Simon) dans sa barque. Jésus est debout à côté de lui et l’interpelle en lui disant « tu es pêcheur, je ferai de toi un pêcheur d’hommes ».
Le maître verrier a pris soin de faire des mains larges à Pierre et son frère André, des mains habituées au dur labeur, tandis que celles de Jesus sont toutes fines et douces.
C’est un vitrail du 16e siècle. Il devait parler aux habitants des Andelys, qui étaient certainement nombreux à pêcher dans la Seine.
Le rouissage du lin
Tout est singulier dans la culture du lin. En ce moment, les champs de lin de l’Eure sont en train de rouir : après avoir arraché, et non pas fauché la tige de lin, on la laisse étendue sur place en longues bandes, les andains, ce qui donne un aspect très graphique aux champs.
Le soleil, la rosée et la pluie sont chargés de faire évoluer la fibre. Des micro-organismes présents dans les racines se développent et décollent la couronne fibreuse du bois central.
Les tiges changent de couleur, elles deviennent rousses. Comme les crêpes, il faut les retourner pour qu’elles fassent bronzette des deux côtés. Vous trouverez tous les détails sur la culture du lin sur le site les 100 jours du lin.
Sculptures en plein air
Elles sont arrivées au début de l’été, surprenant le regard : plus de trente sculptures monumentales ont soudain fleuri à Vernon, surgies des trottoirs et des espaces verts comme des champignons.
C’est petit, Vernon : 25 000 habitants, et un centre ville qui a gardé ses dimensions du Moyen-Âge. Alors imaginez tout-à-coup la densité de sculptures, réparties sur un parcours d’un kilomètre et demi !
Les oeuvres d’art sont là pour tout l’été. Elles ont été prêtées par les artistes dans le cadre d’une exposition, « l’Art vous regarde ».
Certaines sont accrochées dans des endroits insolites : un panier tressé est suspendu en plein ciel dans une rue, un poisson se balance sous le pont. Mais la plupart ornent des endroits faciles d’accès, jardins, rue piétonne, esplanades, cour du musée…
Un guide de visite est disponible gratuitement et en plusieurs langues à l’Office de Tourisme de Vernon. Il aide à aborder ces oeuvres d’art contemporain en explicitant quand c’est possible l’intention de l’artiste.
Avec ou sans explication, la promenade est un amusant jeu de piste, où chaque étape est une surprise qui séduit l’oeil par les lignes et les matières.
Les statues sont les bijoux d’une ville. Quand elles repartiront, elles laisseront un vide. Jusqu’aux décorations de Noël.
Jardinier à Giverny
En me promenant dans les jardins de Monet à Giverny, je me suis arrêtée longuement devant la grande allée pour détailler les plantations. Sur la droite, les masses de couleur les plus importantes étaient données par une fleur que je ne connaissais pas. J’étais embêtée : comment faire pour en parler dans mon billet bi-hebdomadaire sur l’évolution de la grande allée ? J’ai attendu un peu, espérant rencontrer quelqu’un féru de botanique, mais les visiteurs présents ne pensaient qu’à se prendre en photo devant la perspective fleurie.
Je commençais le tour du bassin aux nymphéas quand un monsieur qui marchait devant moi a soudain enjambé la frêle barrière de bambou qui sépare les allées des massifs. J’étais stupéfaite d’un tel culot, jusqu’à ce que le monsieur se mette à parler à un jardinier occupé à l’entretien d’une plate-bande en lui donnant des ordres.
L’occasion était trop belle de demander des éclaircissements sur la fleur mystère au chef jardinier. Je lui décris la plante, son emplacement, et c’est à son tour d’être embêté : « Désolé, je ne vois pas de quelle fleur vous parlez : nous avons chacun notre secteur, je m’occupe du jardin d’eau. » Je remerciais déjà, un peu déçue, quand il a ajouté : » Je dois y passer, si je vous retrouve en revenant je vous dirai ce que c’est. »
Quelques minutes plus tard, qui vois-je arriver à ma rencontre, tournant autour du bassin dans le sens inverse de la visite ? Notre chef jardinier, qui me donne la clé de l’énigme de la fleur mystérieuse : il s’agit d’une vivace, la salicaire.
Je suis confondue de tant d’obligeance. Quelle passion anime cette poignée d’hommes qui réalisent jour après jour l’exploit de faire de ce lieu un jardin extraordinaire !
Leur passion se lit dans les massifs, composés avec une infinie recherche, puis entretenus avec sollicitude. Les jardiniers de Giverny sont des virtuoses à qui on a confié un Stradivarius : le domaine créé par Monet. Sur cet instrument enchanté, ils jouent d’infinies variations, avec la contrainte de garder un jardin merveilleusement fleuri tout au long des sept mois d’ouverture.
Non contents de réussir quotidiennement ce tour de force, ils restent sensibles à l’intérêt et à l’admiration des visiteurs. Je ne dis pas qu’il faut les accabler de questions et les empêcher de travailler. Mais que les jardiniers soient aimables, c’est aussi l’un des charmes de Giverny.
Photo infrarouge
Les jardins de Monet à Giverny sont le paradis des photographes. Fleurs, reflets, perspectives s’offrent à leur objectif comme ils s’offraient à l’oeil de Monet. Les variations qu’ont peut obtenir d’un appareil photo quand on s’en sert avec talent sont tout aussi infinies que les séries de Nymphéas.
Près du bassin aux nénuphars, j’ai rencontré un photographe chargé de deux gros sacs pleins de matériel. Profitant du temps radieux, il est venu faire de la photo infrarouge.
Ce film argentique ne capte que les émissions de chaleur, m’explique-t-il. Les feuilles en réfléchissent beaucoup, (c’est pour cela qu’il fait plus frais sous les arbres), la végétation se pare donc de couleurs claires, tandis que le ciel est d’un noir d’encre. Effet inhabituel, onirique. Je grille de voir cela, malheureusement ce professeur d’art en retraite ne montrera pas ses clichés, qu’il réalise pour son seul plaisir. C’est bien dommage !
Pour donner une idée du rendu d’une photo infrarouge de nénuphar, voici le très beau cliché réalisé au jardin botanique de Chicago par Jezlin.
La grande allée fin juillet
Comme sur un plateau de jeu d’échecs, les deux rangées de capucines avancent leurs pions à la conquête de la grande allée.
Les capucines de gauche ont pris une certaine avance. Elles sont exposées à l’est, et sont déjà en fleurs.
Leurs corolles orangées s’harmonisent avec les grandes fleurs violettes qui se dressent derrière la bordure de capucines : à gauche, glaïeuls de couleur fuchsia, dahlias simples et doubles, à droite de gros bouquets de salicaires…
Croix de chemins
C’est comme une présence. A la croisée de deux petites routes, soudain, cette majestueuse croix monolithe.
Elle se trouve en bordure d’un village au nom bien normand, tout près de Giverny : la Queue d’Haye.
La croix paraît mutilée, il semble qu’il devait y avoir une troisième patte en haut.
Telle qu’elle est, elle émeut sous sa parure de lichens. Depuis combien de siècles est-elle dressée au bord de ce carrefour ? Qui l’a érigée ? Qu’elle était sa fonction ?
Certains disent que c’est une croix celte. Avant les invasions romaines, la région était en effet occupée par des peuples celtes, les Véliocasses dans le Vexin.
Portrait d’Ernest Cabadé par Monet
Pour ce centième billet, voici le centième tableau de Monet, Portrait d’Ernest Cabadé. Un portrait sobre et même sévère d’un homme encore jeune. Cabadé deviendra un médecin fameux qui publiera de nombreux ouvrages scientifiques.
On ignore quel était le degré d’intimité qui unissait Claude Monet et Ernest Cabadé. Monet le nomme son ami dans la dédicace du portrait qu’il lui offre « à mon ami Cabadé / Claude Monet / 1867 ».
Cette année-là, Monet a bigrement besoin de cet étudiant en médecine : Camille attend un enfant, et le couple n’a pas un sou pour payer un médecin ou une sage-femme. Le 8 août 1867 à 6 heures du soir, Cabadé accouche Camille d’un « gros et beau garçon », en l’absence de Monet qui se trouve dans sa famille au Havre.
La naissance de Jean Armand Claude a lieu au rez-de-chaussée du 8 impasse Saint-Louis dans le quartier des Batignolles à Paris 17e. Jean porte le nom de son père, qui le légitimera ultérieurement en se mariant avec Camille.
Malgré l’hostilité de son propre père concernant sa vie maritale avec Camille, Claude se garde bien de suivre les conseils paternels d’abandonner l’enfant et sa mère. Au contraire, il se sent envahi d’affection pour ce petit bout de chou. Le tableau 101 représente le bébé dans son berceau.
Les Tournesols de van Gogh et de Monet
« Gauguin me disait l’autre jour qu’il avait vu de Claude Monet un tableau de tournesols dans un grand vase japonais très beau, mais – il aime mieux les miens. Je ne suis pas de cet avis. »
Cette confidence poignante, Vincent Van Gogh la fait à son frère Théo. On est saisi par l’extrême modestie et le doute qu’elle exprime. Van Gogh avait-il vu le Bouquet de soleils dans un vase peint sept ans plus tôt par Monet ? Ou n’est-il « pas de cet avis » simplement parce qu’il admire Monet et qu’il n’est pas satisfait de sa propre peinture ?
On aimerait savoir ce que Monet pensait des Tournesols de van Gogh, s’il les connaissait, et des siens. Etait-il lui aussi plein de doutes, comme c’était souvent le cas ?
Coïncidence étonnante : deux peintres géniaux choisissent par hasard le même sujet de nature morte, un bouquet de tournesols dans un vase.
D’emblée, ils sont confrontés à la même difficulté bien connue des maîtresses de maison : trouver un grand vase. Van Gogh opte pour une poterie rustique vernie dans le même ton jaune que la couleur des fleurs. Monet choisit un vase de couleur complémentaire, en porcelaine bleue.
Nos peintres préparent maintenant leur bouquet. Les fleurs sont difficiles à arranger. Chez van Gogh comme chez Monet, elles ont l’air de n’en faire qu’à leur tête, surgissant dans tous les sens, à toutes les hauteurs.
Et puis les deux artistes préparent leur palette, leurs brosses, et se lancent, chacun avec son style propre. Van Gogh se passionne pour son sujet, qu’il traite de nombreuses fois, en série. Ce seront des chefs-d’oeuvre. Monet abandonne le motif du bouquet de soleils après ce tableau, qui ne marquera pas la postérité.
Tout comme van Gogh, Claude Monet aimait beaucoup les tournesols, fleurs géantes d’un jaune éclatant. On se souvient de l’escalier à travers les soleils dans Le Jardin de l’artiste à Vétheuil, au millieu desquels son fils paraît encore plus petit.
Monet a des tournesols plein son jardin, le choix de ce motif de bouquet, peint peut-être un jour de pluie, n’a rien d’étonnant. Des tournesols épanouis, Monet fait des zones vibrantes, des capteurs solaires. Touche douce et caressante, fond travaillé de rose, de mauve, de violet : malgré les couleurs vives des fleurs jaunes, des feuilles vertes, de la nappe rouge, l’ensemble exhale une beauté comme féminine. C’est le côté yin des tournesols, qui s’exprime dans un tableau à l’ambition avant tout décorative.
La comparaison avec Douze Tournesols dans un vase de van Gogh (Munich) révèle le côté yang du sujet. La vigueur du dessin, les contours nets, expriment la force. Le nombre réduit de couleurs crée une harmonie chromatique et fait ressortir les fleurs sur le fond bleu pâle. Mais derrière cette harmonie de la couleur, le tableau offre tout autre chose que l’aimable bouquet de fleurs de Monet.
Des têtes échevelées et barbues, un oeil, une bouche, des coeurs : les Tournesols de van Gogh interpellent le spectateur comme des représentations humaines.
Le peintre a composé son bouquet avec des fleurs à tous les stades de leur évolution : en bouton, épanouie, fânée, en graines… Chacun peut y voir une image de la vie qui passe, et c’est sans doute ce qui nous touche dans ce tableau, et peut-être nous met un peu mal à l’aise. Vincent pousse un cri de révolte face à la condition humaine, Monet veut oublier le temps qui s’écoule.
Tournesol
Les champs de tournesols sont parmi les plus jolies cultures qui soient, ce qui explique sans doute leur grande popularité. Au moment de la floraison, en juillet, quand le soleil est bas sur l’horizon et qu’il illumine les corolles, le spectacle est magnifique.
Le tournesol est assez rare aux environs de Giverny, et c’est bien dommage. Ceux-ci poussent en vallée d’Eure, formant un joli tableau avec à l’arrière-plan des buissons qui rappelent les Matinées sur la Seine de Monet.
Les feuilles des tournesols sont encore bien vertes, mais les plants vont se dessécher peu à peu, pour atteindre la maturité des graines en septembre.
L’huile de tournesol est la plus consommée en France. La culture du tournesol a de l’avenir : certaines variétés oléiques sont employées comme biocarburants et biolubrifiants.
Cette plante peu exigeante sait aller chercher l’eau loin dans le sol grâce à sa racine pivotante qui plonge à 1m50 de profondeur. Elle permet d’augmenter les rendements du blé semé sur la même parcelle l’année suivante. Enfin, les tourteaux sont appréciés des animaux.
Avec tous ces atouts, pourquoi n’y en a-t-il pas plus ? La région manquerait-elle de la chaleur qui leur est nécessaire ? Messieurs les agriculteurs, faites-nous plaisir, semez du tournesol !
La marche nuptiale
20 juillet 1892 : Suzanne Hoschedé, belle-fille de Monet, épouse un jeune peintre américain rencontré à Giverny, Theodore Earl Butler. Un autre Theodore, ami intime du précédent, va immortaliser l’évènement de la façon qui s’impose, en peinture.
La Marche nuptiale est probablement le tableau le plus célèbre de Theodore Robinson. Il est devenu le symbole des liens entre la colonie de peintres américains de Giverny et le courant impressionniste français.
Le mariage n’est pourtant pas allé de soi. Suzanne a rencontré Theodore lors de séances de patinage sur le marais gelé. « Sur la route », tempête Monet, alors que la bienséance commande d’avoir été présentés l’un à l’autre.
Les doutes assaillent le beau-père, qui rêvait d’un beau parti pour son joli modèle :
« Une si gentille fille que Suzanne mérite mieux qu’un bon garçon. Sacrebleu qu’elle réfléchisse en attendant les renseignements complets, mais épouser un peintre, s’il ne doit être rien, c’est embêtant, surtout pour une nature comme Suzanne. »
Epouser un peintre, c’est embêtant ! Monet sait trop bien comme il est difficile de percer dans l’art, et aléatoire d’arriver à en vivre. La reconnaissance de son propre talent est récente.
L’amour des deux jeunes gens finit toutefois par triompher des réticences parentales. Robinson est en mesure de fournir des renseignements rassurants sur l’honorabilité de la famille Butler.
Le mariage aura donc lieu, mais pas avant qu’Alice et Monet n’aient convolé eux-mêmes. On sait que Monet voulait pouvoir conduire Suzanne à l’autel. Curieusement, ce n’est pas lui qui figure au bras de la mariée sur le tableau de Robinson. Le cortège nuptial vient de quitter la mairie de Giverny, le bâtiment couleur brique sur la droite, et se dirige vers l’église. De même, difficile de reconnaître dans la svelte femme en blanc du second plan la mère de la mariée, Alice Monet. Pourtant, dans son journal, Robinson note :
Le cortège nuptial dans tous ses atours, d’abord la cérémonie à la mairie, puis à l’église. Monet entre en premier avec Suzanne, puis Butler et Mme Hoschedé.
Dans tous ses atours, s’il faisait le même temps qu’aujourd’hui, le cortège devait être au bord de la syncope. Regardez ces vestes boutonnées, ces chapeaux et ces manches longues, un 20 juillet ! Et pas la moindre trace d’ombre ni d’ombrelle !
Robinson, frappé par la vision du cortège nuptial, se décide à le peindre 15 jours plus tard, le 5 août. Il travaille de mémoire. Mais une photographie atteste que l’élégante société était bel et bien boutonnée jusqu’au col.
Aucune photo en revanche pour nous indiquer qui est le moustachu du premier plan. Robinson connaît très bien Monet et sa barbe fournie. L’étonnant personnage sans regard qui donne le bras à la jeune mariée s’avance vers nous auréolé de mystère.
Au bord de l’eau
Le thermomètre fait comme les coureurs du Tour de France : il grimpe. Pendant que les uns gravissent les cols des Alpes, l’autre bat des records.
36,2 ° cet après-midi à Giverny, une telle canicule est rare en Normandie. Par cette chaleur, même la visite de jardins extraordinaires devient éprouvante. On n’a envie que de fraîcheur et d’eau. Direction les bords de l’Epte, la rivière qui se jette dans la Seine du côté de Giverny.
A 10 minutes de la maison de Monet, le moulin de Fourges trempe son antique roue près des remous d’une chute d’eau. Toute une flore d’algues ondule dans le courant. Sur l’autre rive, une prairie parfois broutée par des vaches, bordée de saules et de peupliers, occupe le fond de la vallée.
L’eau chante, les libellules se poursuivent, la brise souffle dans les feuilles. Trempez les pieds dans l’eau et savourez cet instant d’été…
Tout près de vous, le moulin étend les tables de sa terrasse comme une invitation. On prendrait bien un petit quelque chose… Par cette chaleur, pourquoi pas un « Gaspacho de concombre à l’aneth et aux noix accompagné d’un toast au saumon fumé », une entrée légère au bon goût de vacances ?
Cadran solaire
Genève a son horloge fleurie, Vernon son cadran solaire paysagé ! C’est une des curiosités les plus ignorées de la ville, bien que des centaines de voitures tournent autour chaque jour. Il se trouve au milieu d’un rond-point qui dessert un centre commercial entre Vernon et Saint-Marcel.
La raison d’être des chiffres couverts de lierre qui ornent le centre de ce rond-point peut sembler mystérieuse aux passants qui circulent au sol. S’ils pouvaient le survoler comme des oiseaux, tout deviendrait évident.
Au centre, un poteau de lampadaire incliné forme le style d’un cadran solaire. Des lignes de graminées symbolisant les heures rayonnent depuis le poteau. Elles se terminent par les chiffres qui permettent, en suivant l’ombre du style, de lire l’heure. Solaire, bien entendu, c’est-à-dire H moins 2 en été.
On doit cet original cadran solaire de verdure à un ancien responsable des espaces verts de Vernon, un certain monsieur Beauté.
Champ de blé
En Normandie, la moisson bat son plein dans la chaleur de juillet. Les moissonneuses-batteuses tournent sans relâche, soulevant des nuages de poussière.
Les grands plateaux de l’Eure sont des terres à blé ; ce n’est pas la seule culture, mais elle arrive en bonne place.
J’aime traverser ces étendues d’épis dorés, voir toutes ces têtes barbues qui se balancent dans la brise jusqu’à l’horizon.
Certaines cultures vous parlent au coeur. Le blé est de celles-là. La vue d’un champ de blé mûr comble d’une joie inexpliquée, qu’aucun champ de pommes de terre ne produira jamais.
C’est une émotion qui semble venir du fond des âges, cette satisfaction devant l’abondance, cette promesse de pain. Nous sommes une civilisation du blé.
Le mariage de Claude Monet et Alice Hoschedé
« Ce n’est pas une noce, mais simplement un acte, une simple formalité ». Voilà en quels termes Monet parle de son mariage avec sa deuxième femme Alice. Le 16 juillet 1892 à 10h, ils convolent à la mairie de Giverny, puis à l’église voisine.
Ils ne sont qu’eux deux accompagnés de leurs quatre témoins : Caillebotte, Helleu, Léon Monet, et Georges Pagny, un beau-frère d’Alice. Aucun de leurs enfants ni de leurs proches n’assiste à cette régularisation en catimini. Ils portent des vêtements de tous les jours, « vous savez mon peu de goût pour toutes les cérémonies », justifie Monet.
Une cérémonie, il s’en profile une, pourtant. Quatre jours plus tard, le 20 juillet : Suzanne, une des filles d’Alice, épouse Theodore Earl Butler, un jeune peintre de la colonie américaine de Giverny.
C’est cette union qui a précipité le mariage de Claude et d’Alice. « M. Monet a l’intention d’épouser maman, » explique Suzanne à son fiancé, afin qu’il puisse la « conduire à l’autel, et aussi pour que cela le mette plus à l’aise vis-à-vis de notre famille. »
On comprend aisément ces motivations là. L’ambiance avec la parentèle d’Alice, le clan Hoschedé-Raingo, était peut-être assez fraîche du fait de l’ambiguïté d’une situation qui s’est éternisée. Alice vit avec Monet depuis 1878, tout en étant mariée avec Ernest Hoschedé.
La mort d’Ernest le 19 mars 1891 change la donne. Veuve, Alice peut épouser Monet, lui-même veuf de Camille, après un délai d’un an.
Mais pourquoi faire ce mariage si attendu en « grand secret… sans que personne le sache« , dixit Suzanne ? On dirait qu’il y a comme une honte à conclure enfin cette « union projetée depuis longtemps« , selon Monet. Comme si ce mariage tardif était un aveu de l’illégitimité dans laquelle ils vivaient jusque là.
Il n’est pas facile aujourd’hui d’imaginer les règles de morale et de bienséance du XIXe siècle. Ce couple qui les brave pour vivre ensemble sans être marié pendant quatorze ans a pourtant quelque chose d’étonnamment moderne. Il faudrait donc employer un langage moderne pour parler d’Alice. Tout comme Camille, elle est la compagne puis la femme de Monet, tout simplement. Parler d’elle comme d’une liaison, ou d’une maîtresse, c’est faire preuve aujourd’hui de préjugés qui n’ont plus cours.
Livres de voyages
Qu’est-ce qui fait venir les touristes à Giverny ? Par quelle grâce ce lieu façonné par Claude Monet s’est-il hissé au rang envié de « must see », comme disent les Américains, d’endroit à visiter absolument ?
Quand tant d’autres jardins remarquables se créent un peu partout en France, en Normandie, qui sont loin de connaître la même affluence, il y a de quoi s’interroger sur le succès de Giverny.
Bien sûr, le premier ambassadeur du lieu, son meilleur VRP à travers le monde, c’est Claude Monet lui-même. Les innombrables tableaux qu’il a fait de son jardin, présents dans des centaines de musées, donnent forcément envie de découvrir le modèle.
Et puis interviennent les prescripteurs, le bouche à oreille, l’effet boule de neige. Giverny est populaire parce que ce qui est proposé -un jardin fleuri, une promenade au bord de l’eau, une maison de campagne pleine de charme- est susceptible de plaire à un très large public. Comment les touristes ont-ils appris l’existence de Giverny ? Il y aurait des enquêtes à faire sur ce sujet, s’ils s’en souviennent.
Les livres ne sont pas les derniers à donner envie de voir en vrai. Ils créent le désir en faisant rêver. Un jour, leur auteur a visité les jardins et la maison de Monet. Sous le charme, il a eu envie de faire partager son émerveillement. Ecrire, illustrer, est susceptible d’infléchir le cours de la vie des lecteurs. Quel fabuleux pouvoir !
Les livres qui incitent au voyage s’offrent, à tout âge. Et voilà l’étincelle lancée, les yeux brillent, le feu couve.
Interview d’une famille anglaise en visite chez Monet : ils puisent leurs idées de voyages dans un best-seller reçu au dernier Noël, « Endroits inoubliables à voir avant de mourir ». Giverny était un des lieux « mythiques » les plus proches de chez eux, un week-end a suffi. Ils cochent sur leur liste, avec un intense sentiment de satisfaction. Le goût de la collection qui habite chacun de nous, sans doute. Après coup, trouvent-ils justifié que Giverny figure sur cette liste ? Oui, disent-ils, c’est encore plus beau que ce qu’ils avaient imaginé. Surtout, le clos normand en pleine floraison estivale et la maison sont de merveilleuses surprises, ils s’attendaient davantage au jardin d’eau.
Cela peut prendre du temps avant de réaliser les rêves nés des livres. Témoignage d’un couple de jeunes Allemands : leur voyage leur a été inspiré par le livre pour enfants « Linnea dans le jardin de Claude Monet » que la jeune femme a reçu quand elle avait huit ans. Depuis vingt ans, elle avait envie de faire ce voyage, en suivant toutes les étapes du livre, le même hôtel parisien qui existe vraiment, le musée Marmottan, l’Orangerie, Giverny par le train. Sa petite poupée Linnea à la main, la voici en plein émerveillement de concrétiser ce rêve venu du plus profond de l’enfance. C’était donc vrai…
Feu d’artifice
Comme Noël commence le soir du 24 décembre, les feux d’artifice du 14 juillet sont traditionnellement tirés le 13, à quelques exceptions près.
Chaque année la question se pose : où aller admirer la belle bleue et la belle rouge ? Dans nos provinces où chaque ville met un point d’honneur à organiser son spectacle pyrotechnique pour la fête nationale, on peut varier les plaisirs au fil des années en changeant d’endroit et de décor.
Côté cadre, l’endroit le plus spectaculaire aux environs de Giverny, c’est certainement Château-Gaillard.
On arrive à la nuit tombante, on s’installe dans l’herbe sur la colline, qui forme un amphithéâtre face au château-fort. La Seine miroite en contrebas, captant les dernières traces de lumière du ciel.
La forteresse s’éclaire. On a le temps d’admirer ses murailles qui surgissent dans l’ombre, teintées d’orangé.
Peu après 23 heures, il fait nuit noire, et tandis que les feux d’artifice des villes voisines éclatent au loin, en version lilliputienne, l’explosion colorée commence, dans un déploiement de corolles scintillantes au-dessus du monument.
Ici, ni musique de film intempestive, ni bain de foule, mais un grand calme induit par la majesté du lieu. On est si bien que, lorsque le bouquet a embrasé une dernière fois le ciel, et que la nuit d’été retombe comme un rideau, on resterait bien jusqu’au matin, couché dans l’herbe sèche, à regarder s’allumer les étoiles.
Herbes et graminées
Comment paysager le grand parking de Giverny ? Aux portes des jardins de Claude Monet, difficile de renchérir dans la note fleurie.
Les concepteurs de l’aménagement paysager ont donc pris le parti de trancher résolument. En référence aux prés humides qui s’étendaient là à l’origine, ils ont décliné toute la palette des herbes et des graminées.
Cela donne un jeu de matières duveteuses, fibreuses, lisses ou pelucheuses magnifiées par les rayons du soleil, des couleurs qui passent par tous les verts et les jaunes, et des masses de différentes hauteurs qui créent des volumes évoquant les topiaires.
En été, on peut regretter le manque d’ombre, mais il n’y avait pas d’arbres ici autrefois. Difficile en tout cas de faire mieux en matière d’intégration dans le paysage. Le parking se fond dans son environnement, jusqu’à son nom qui lui va comme un gant : la Prairie.
Le beffroi des Andelys
A 20 km de Giverny, la ville des Andelys est un pôle touristique bien plus ancien que les jardins de Monet, ouverts au public depuis 1980 seulement.
On vient aux Andelys depuis au moins deux siècles pour admirer les ruines de Château Gaillard, le château-fort de Richard Coeur de Lion, d’où l’on a un magnifique panorama sur la vallée de la Seine.
Les touristes aiment aussi se promener le long des berges du fleuve et dans les rues moyenâgeuses du Petit Andely, aux charmantes maisons normandes en colombages et briques roses.
Toutefois, peu d’entre eux savent que les Andelys sont la patrie du grand peintre classique Nicolas Poussin. Que c’est ici que Clotilde, l’épouse du premier roi chrétien franc Clovis, fit bâtir le premier monastère du royaume près d’une source miraculeuse.
Mais le monument des Andelys le plus méconnu est certainement le beffroi. Il se cache dans une rue à flanc de colline, à l’écart du centre ville.
Son origine n’est pas très claire. Les historiens locaux hésitent sur son ancienneté. La Tour de l’Horloge date pour certains du XVIème siècle. D’autres croient le beffroi postérieur à la destruction d’une église en 1798. On aurait récupéré le mécanisme d’horlogerie sur le clocher de l’église, et la tour aurait été construite avec les bois de démolition pour abriter l’horloge, bien utile aux tisserands du quartier.
Quoi qu’il en soit, ce curieux édifice mérite un petit détour, pour son essentage d’ardoises, son architecture sans prétention et son côté délicieusement vieillot. On découvre en s’approchant qu’on peut passer sous la tour. Le beffroi est construit à cheval au-dessus d’une venelle qui dévale la colline et relie deux des rues principales.
La grande allée début juillet
Le lundi est jour de fermeture à la Fondation Monet à Giverny. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a personne dans le jardin. Les jardiniers en profitent pour travailler à leur aise. On remarque les traces de roues laissées par leur matériel dans le sable d’habitude si bien ratissé de l’allée.
Le lundi, la porte des jardins est entrouverte aux artistes. Ceux qui en ont fait la demande – et pas plus d’une dizaine – peuvent venir peindre ou faire de la photo dans le jardin, en toute tranquillité.
Côté floraison, c’est encore le temps des roses, et déjà celui des dahlias. Et voici enfin les toutes premières capucines. Au milieu de la photo à gauche, on en voit qui s’aventurent dans l’allée, en éclaireurs. Toute la troupe va bientôt leur emboîter le pas.
Clos normand
Le jardin fleuri qui s’étend devant la maison de Claude Monet à Giverny s’appelle le clos normand. Ce nom désigne généralement un verger de pommiers entouré de murs. C’était l’apparence d’origine de cette partie du jardin, avant que Monet n’y plante une profusion de fleurs.
Les habitants de ce petit coin de France ont l’habitude de s’entourer de murs de pierres assez hauts pour faire obstacle aux regards. Ici, on aime le « bien chez soi ». Ce n’est pas le goût du secret, mais une façon de se ménager un espace de liberté.
Alice et Claude, à la situation longtemps ambigu (si si ! c’est comme je vous le dis ! Ils ne sont pas mariés ! Elle a quitté son mari pour se mettre en ménage avec un artiste ! Et avec six enfants, vous vous rendez compte ? ) ont certainement apprécié de pouvoir s’isoler des curieux. Plus tard, quand de très nombreux artistes américains se sont installés à Giverny, Monet a préservé ses séances de travail des fâcheux en fermant sa porte.
Mais son clos fleuri est resté visible depuis la route et la voie de chemin de fer. Les contemporains décrivent le ballet des voitures ralentissant devant cette vision d’Eden. Cela n’a pas beaucoup changé aujourd’hui, les touristes tentent toujours d’apercevoir le jardin par un trou de la clôture.
Dans la rue Claude Monet, tout près de la Fondation, une maison porte encore son ancienne plaque émaillée. Ses propriétaires du début du siècle ont baptisé leur villa des champs « le clos normand », dans un curieux mélange de terminologie rurale et de mode bourgeoise, celle de donner un nom à son lieu de villégiature.
Le bus pour Giverny
Il est possible et même facile de visiter Giverny en utilisant les transports en commun.
La gare SNCF la plus proche se trouve à Vernon, à quelque six kilomètres de la Fondation Monet, soit une heure de marche. En saison, une navette est mise en place. Elle relie la gare de Vernon au grand parking de Giverny.
A la sortie des principaux trains venant de Paris, un bus attend les voyageurs à destination de Giverny. Le billet (3 euros en 2006) permet d’effectuer autant d’aller-retours qu’on le souhaite dans la journée.
La seule difficulté consiste à bien se renseigner la veille sur les heures de départ des trains de Saint-Lazare, au risque de devoir patienter plusieurs heures, car ils sont rares dans la journée.
Chambre d’hôtes au château
Admirez ce magnifique lit de parade derrière sa petite balustrade. On se croirait dans un musée, mais pas du tout : il est possible de dormir dans ce lit ! Il se trouve au château de Bonnemare, à une trentaine de kilomètres de Giverny.
Bonnemare, c’est un château du dix-septième siècle habité par une famille d’agriculteurs. Les propriétaires louent les plus beaux appartements du château en chambres d’hôtes.
En fait de chambres, ce sont plutôt de merveilleuses suites où vous vous croyez dans les châteaux de la Loire, à Chantilly, à Vaux-le-Vicomte, à Versailles…
Salon de musique, boudoir, luxueuses salles de bains, partout des fresques, des stucs, des tapisseries, des rideaux qui dégringolent depuis le plafond, à quatre mètres de haut.
Un week-end à Bonnemare est un bien joli cadeau, qui demande tout de même de casser sa tirelire : 246 euros la nuit et le petit-déjeuner pour deux personnes. Mais c’est un moment privilégié de parcourir le château avec la maîtresse des lieux, qui a grandi là et connaît sa demeure sur le bout des doigts. D’anecdote en historiette, de détail architectural en meuble remarquable, on s’aperçoit soudain que la visite dure depuis deux heures et qu’on n’a pas vu le temps passer.
Au réveil, on prend son petit déjeuner dans l’ancienne cuisine du château. Dans la cheminée qui peut accueillir quatre personnes debout, un tournebroche est entraîné par des poulies mises en mouvement par la convection thermique du foyer. L’inventeur de cet ingénieux système aujourd’hui encore en parfait état porte un nom de code : Leonardo da Vinci.
Le Jardin aux iris, Giverny
8 juillet 2006 / 7 commentaires sur Le Jardin aux iris, Giverny
De retour de Londres, Monet retrouve avec bonheur le printemps givernois. Il peint quatre toiles dans cette partie de son jardin. C’est d’abord (Le Printemps, Giverny, w1620) une vue des pommiers en fleurs se découpant sur du ciel bleu, avec un horizon placé un peu au-dessous du milieu de la toile. Les touffes d’iris se confondent avec l’herbe au pied des arbres.
Puis (Pommiers en fleurs, w1621) Monet introduit la petite allée à la droite du tableau.
Dans son troisième tableau illustré ici, Monet change le cadrage pour placer l’horizon très haut. La floraison des pommiers a cédé la place à celle des iris. Le chemin semble sortir de nulle part. Les fleurs l’ont-elles envahi ? Cachent-elles un de ses détours ? L’allée permet en tout cas d’entrer dans le tableau, et de marquer la profondeur du verger.
La touche vibrante, très impressionniste de Monet se retrouve dans le traitement des feuillages et des massifs de fleurs. Ils apparaissent comme des masses colorées. Pour restituer l’impression printanière, Monet a employé des couleurs fraîches et claires, dans une harmonie de verts tendres et de mauves.
Dans son quatrième tableau (Allée de jardin, w1623) Monet monte encore l’horizon afin de diminuer l’importance des pommiers et augmenter celle des iris en fleurs. L’évolution de ses cadrages préfigure celle des Nymphéas. Au bord de son bassin, Monet donnera progressivement de moins en moins de place aux berges pour se concentrer sur les nénuphars flottant sur l’eau.