Adieu Leny !
La triste nouvelle a fait le tour de Giverny comme une trainée de poudre. Leny Escudero a rendu son dernier souffle ce matin. Le chanteur s’est éteint à 82 ans des suites d’une insuffisance respiratoire sévère, a fait savoir Céleste, son épouse.
Je suis heureuse d’avoir eu la chance de connaître cet homme hors du commun. Jusqu’au bout, il est resté un indigné. Sur la photo il serre le poing, et c’est bien ainsi qu’il a traversé la vie, prompt à jouer du poing mais aussi à le lever haut. Toute injustice, toute compromission lui étaient insupportables.
C’était un lecteur passionné, amateur d’auteurs rudes, Céline, Henry Miller… qu’il défendait avec tant de passion qu’il donnait envie de les lire. Proust l’ennuyait. Comment ? Proust à l’ironie ravageuse, à la syntaxe magnifique ? C’était mon tour d’être enflammée. Je ne crois pas que je l’ai convaincu.
C’est un peu par hasard qu’il a jeté l’ancre à Giverny, à l’écart du village, au milieu des bois. Aux confins de la Normandie, le lieu était facilement accessible, mais aussi suffisamment rural et retiré, surtout en haut de la colline, où les touristes ne mettent pas les pieds.
Et très vite la star est devenue l’un de ces Givernois atypiques comme le village en compte plusieurs. On voyait Leny assis au bistrot Baudy, qui buvait un coup avec des amis. On allait l’écouter quand il chantait au profit de l’école du village ou du festival de Giverny. Il y a tout juste un an, Leny signait encore son dernier livre aux Automnales de Giverny. Pour les photos avec ses lecteurs, il avait la coquetterie de retirer son assistance respiratoire.
Son autobiographie « Ma vie n’a pas commencé » décrit le parcours de cet écorché vif depuis son arrivée en France jusqu’à ses derniers succès. A peine l’ouvrage paru, Leny s’est mis à en écrire un second, « Le début… La suite… La fin… ». Il aura eu la joie de le voir achevé et publié.
Giverny début octobre
Les mots me manquent pour décrire l’envoûtante beauté du jardin de Giverny en ce moment. La pluie de mi-septembre avait un peu terni son éclat. On s’imaginait déjà que c’était le début de la fin, l’adieu à la belle saison marqué par la rouille des feuilles et la chute des pétales. Et puis non. Il a suffi d’une semaine de soleil pour qu’un nouvel élan vienne ranimer les fleurs d’automne. Surgies de leurs boutons comme des diables de leurs boîtes, elles n’attendaient que ça. Et d’un coup de rayon, le jardin de Monet se pare de couleurs plus étincelantes que jamais.
Pour qui sait déambuler avec lenteur dans les allées, c’est un parcours très sensuel qui s’offre. Les fleurs devenues gigantesques s’épanouissent à hauteur des yeux, débordant des massifs jusqu’à frôler les visiteurs, tandis que des odeurs acides de feuillages et de terre mouillée se répandent. Les arbres fruitiers du jardin, pommiers et poiriers, exhibent leurs beaux fruits mûrs avec la fierté de jeunes mères promenant leurs enfants au parc. Je ne sais si certains se laissent tenter, mais c’est probable. Dans les allées ouvertes au public, tous les fruits ont disparu.
C’est la lumière qui fait tout
Il reste des nénuphars sur le bassin de Monet, une trentaine peut-être, des roses surtout. Encore assez pour capter les rayons du soleil dans leurs pétales, tandis que leurs corolles flottantes s’environnent de l’éclat aveuglant des feuilles, petites gouttes d’argent en fusion sur le miroir moelleux du ciel.
P.S. Si vous avez envie de musique douce sur des images printanières de Giverny, allez voir cette vidéo sur youtube. Adrian Bell a composé spécialement la musique de ce duo de violoncelle et guitare. Ca change de Debussy… Et c’est délicieux, tout comme le petit dessin fait par son épouse à la fin de la vidéo.
Reflets
En automne, les massifs qui bordent le bassin aux Nymphéas ont pris de l’ampleur.
Ils reflètent leurs différents tons de vert dans l’étang, tout autour des radeaux de Nymphéas.
Tout ce vert est réveillé par les petites touches de couleur des fleurs : mauve des asters, blanc des anémones du Japon, qui font écho au rose des nénuphars.
C’est un « bassin aux Nymphéas, harmonie verte » traité en petites touches vibrantes et variées, pour un rendu très impressionniste.
Historial Jeanne d’Arc
Juste derrière la cathédrale de Rouen, dans l’ancien palais de l’archevêque, eut lieu en 1431 le procès de Jeanne d’Arc qui la condamna au bûcher, puis en 1456 son second procès en réhabilitation. Depuis mars dernier, c’est là qu’est installé l’Historial Jeanne d’Arc.
Ce n’est pas vraiment un musée, puisque les collections sont assez limitées, plutôt un lieu de mémoire et d’interprétation consacré à la Pucelle. De la cave au grenier, le public assiste de salle en salle à des animations vidéos projetées sur les murs, qui rappellent les spectacles son et lumière qui animent chaque soir d’été le parvis de la cathédrale.
Comme le parcours se veut un flash-back – il prend pour prétexte le procès en réhabilitation, qui réexamine aussi bien les conditions du premier procès que les éléments biographiques – il vaut mieux avoir une connaissance préalable de la vie de Jeanne pour bien suivre. Mais on se prend à la magie de l’évocation, à la découverte de salles variées, et les séquences passent vite.
En fin de parcours, l’Historial propose de s’interroger sur la récupération de Jeanne à travers les documents conservés dans la « mythothèque ».
Si l’on comprend bien les enjeux politiques, et la façon dont l’histoire s’écrit, en revanche pas un mot sur le « cas » Jeanne d’Arc. Pour une étude psychiatrique détaillée, il vaut mieux aller voir ici. Avec cette conclusion inédite : la Pucelle était peut-être juste en train de faire sa crise d’adolescence… Pas plus que sorcière, elle n’était folle.
Septembre dans le calendrier DuMont 2015 de Giverny
C’est déjà presque la fin de ce mois de septembre si fleuri encore à Giverny.
Le jardin clos de Monet regorge de belles annuelles d’été, dahlias, tournesols, cosmos, qui atteignent des tailles impressionnantes.
Par contraste, les massifs devant la maison de l’artiste paraissent bien sages et ordonnés, avec leurs parterres de géraniums.
Il faut dire que côté couleur, le pélargonium n’a pas son pareil.
Tout près de l’entrée, il déroule son tapis rouge aux visiteurs dont les yeux clignent devant tant de luminosité.
On reconnaît dans ce décor la touche du peintre impressionniste fou de fleurs.
Le banc sous les pommiers
Deux rondins et deux planches, en matière de banc on ne fait pas plus simple ni plus rustique. Mais comme on s’assiérait bien là, avec juste à tendre le bras pour croquer dans ces pommes qui ont l’air si bonnes !
J’ai pris cette photo hier dans le verger de la commanderie de Chanu, à une vingtaine de minutes de Giverny, en attendant que le propriétaire des lieux nous conte avec légèreté et moult détails la vie des Chevaliers du Temple.
Peut-être les pommes étaient-elles un peu plus petites à l’époque, mais à part ça rien de changé depuis le 12e siècle dans cette image.
Cet immuable qui dure depuis des temps immémoriaux, on peut le ressentir aussi devant des vues de montagne ou de mer. Il vient toucher en nous quelque chose de profond, d’enraciné. Nous sommes peut-être faits de racines et d’ailes, à coup sûr de racines et de fruits.
La voûte aux oiseaux
La chose la plus adorable que j’ai découverte à l’occasion des Journées du Patrimoine, c’est cette voûte en bois à décor d’oiseaux. Elle orne la petite église de La Boissière, dans l’Eure, à 26 kilomètres au sud de Vernon. La précision a son importance : c’était la longueur d’une étape pour les pélerins du Moyen Âge en route vers Saint-Jacques-de-Compostelle, qui avaient franchi la Seine grâce au pont de Vernon. Ils n’étaient pas rendus : depuis La Boissière, il leur restait plus de 1500 km à parcourir. Et autant pour rentrer, s’ils y parvenaient.
La petite église est dédiée à Saint-Jacques-de-Compostelle. Nul ne sait quelle fantaisie a présidé à son ravissant décor où coq, héron, colombe alternent avec des vases renaissants d’où s’échappent des branchées de fin feuillage. L’harmonie composée par le gris vaporeux des oiseaux et l’ocre chaleureux des bandes qui les séparent est délicieuse. Dans ce quadrillage apparaissent encore quelques fleurs de lys royales. C’est si peu classique, et même disons-le si peu religieux que cette voûte fait de la petite église de la Boissière l’une des plus intéressantes et originales de l’Eure.
Les fresques viennent d’être restaurées avec délicatesse, et l’on regrette simplement qu’il y ait des manques dus à un obus malencontreux.
L’église tout entière a fait l’objet d’un programme de restauration exemplaire conduit par une équipe de passionnés. Le fait qu’elle ne soit pas classée leur a facilité la tâche, car le classement impose des contraintes en matière de travaux. Dans le choeur, l’abside plate présente d’autres fresques : un retable peint qui s’ornait de statues sur des socles gougeonnés. Cela aussi, je ne crois pas l’avoir vu ailleurs.
Christ aux liens
A l’occasion des Journées du Patrimoine, de nombreuses petites églises de campagne habituellement fermées sont ouvertes ce week-end. Saluons au passage l’abnégation des bénévoles qui assurent des permanences et des visites guidées gratuites pour le seul plaisir de faire connaître les trésors de leur paroisse, parfois hélas à bien peu de visiteurs.
Ce qui frappe dans ces églises de village à l’architecture sobre et simple, c’est l’extraordinaire beauté, souvent, des statues. Sortis pour un instant de leur pénombre, leurs visages nous contemplent, tels que les ont voulus les artistes d’il y a quatre ou cinq siècles. C’est une collection de portraits et de regards étonnants, à l’expressivité dérangeante, doux, illuminés, pensifs ou souriants.
Je suis restée scotchée devant ce Christ aux liens – par prudence je préfère ne pas divulguer où il se trouve. Pieds et poings liés, vêtu du seul périzonium, il est assis la tête tournée de côté, et son visage aux yeux ouverts m’a paru bien plus bouleversant que celui d’un Christ en croix. Perdu dans sa méditation, il émane de lui une compassion tendre, une acceptation totale, un amour infini. Je souhaite à tous ceux qui sont dans la souffrance, l’impuissance et la peur, de sentir ce regard se poser sur eux.
Un coup de projecteur
A 9 heures, le soleil se lève enfin derrière l’imposante colline qui surplombe Giverny.
Le pinceau de son phare touche d’abord les arbres du bout du bassin, qu’il éclaire par en-dessous comme les feux de la rampe dans les tableaux de Degas.
Les feuillages qui sommeillaient dans des tons gris-verts se réveillent sous ce baiser.
Dans cette brève ivresse matinale ils s’illuminent des couleurs chaudes des vins, verts acidulés des frênes, rouge boisé des prunus.
A côté du petit pont, le grand gunnera s’avance sur la scène, dans des vapeurs dorées que le soleil fait naître.
Bientôt ce sera tout le jardin qui rayonnera dans la gloire du matin.
L’étole sous les étoiles
Dans la prairie qui s’étend derrière le bassin aux Nymphéas, la brume est apparue avec l’aube.
Elle s’élève du sol, fantomatique, juste assez pour avaler les vaches qui sont déjà en train de vaquer en toute indifférence à leur occupation principale : paître. A croire qu’elles n’ont fait que ça toute la nuit.
On dirait un Monet, tant le peintre aimait l’atmosphère vaporeuse de cette heure à la lumière si douce, bleue, mauve, où perce la première pointe de rose.
Il aurait fait une image soyeuse de cette étole légère posée sur les épaules de la Terre, tandis que le froid tombe des étoiles.
Comment les fleurs dorment
C’est juste avant le lever du soleil qu’il fait le plus froid.
En ce moment, par temps clair, le thermomètre affiche un petit six degrés au point du jour à Giverny.
Tout comme les Nymphéas, beaucoup de fleurs se protègent en se refermant pendant la nuit.
Pas un seul aster qui ressemble à une petite étoile avant la douceur des premiers rayons.
Tout à l’heure, au grand jour, quand la dernière planète sera effacée du ciel, les corolles s’ouvriront enfin.
Les feuilles disparaîtront sous une myriade de petites fleurs laiteuses, comme un hommage végétal à la voie lactée.
L’étoile du berger
La rue Claude Monet à Giverny à 7 heures du matin, en direction de l’est.
A droite, à côté du deuxième atelier de Monet, la silhouette du grand magnolia se découpe en ombre chinoise.
Dans le ciel très clair brillent l’étoile du berger et la lune, aussi fine et recourbée qu’un cil.
C’est l’heure où les jardiniers de la Fondation Monet commencent leur travail.
Aube
La rue Claude Monet de Giverny toute mauve à 7 heures du matin, quand l’aube pâlit le ciel.
Fin d’été
Déjà la fin de l’été. Ce matin j’ai vu la première feuille de liquidambar tombée sur les nymphéas.
Chaque jour amène son lot de signes. Ce sont, un beau matin, les colchiques qui dardent leurs pousses mauves au milieu du vert des pelouses. Un autre jour, les premiers asters, les plus simples à l’air presque sauvage, qui déploient leurs toutes premières étoiles. Et puis viennent les fleurs couvertes de duvet, les leonotis, les sauges leucanthas. Et timidement, les oiseaux se remettent à chanter.
C’est encore l’été, mais un peu moins qu’avant. Le thermomètre ne fera plus de folies. Dans ses sauts de trampoline entre le jour et la nuit, il rebondit de moins en moins haut. Il fait encore doux mais tiède, l’équinoxe approche, c’est le moment qu’attendaient les fleurs de fin d’été pour entrer en scène.
Comme au sortir de l’hiver, le sortir de l’été a ses éclaireurs, ses plantes qui se hasardent quand il n’est pas encore tout à fait l’heure pour elles. Celles du printemps nous emplissent de joie. Elles annoncent les beaux jours. Mais voir dès la mi-août s’ouvrir le premier hélianthe me pince le coeur. Déjà, déjà ! Retourne te coucher, c’est trop tôt ! Attends octobre !
Je n’ai pas envie de me réjouir de leur audace. Est-ce qu’on saute de joie de voir se dessiner une première ride ?
Dans l’abondance de l’été, tandis que l’orchestre de la nature joue avec brio la grande symphonie des fleurs et des fruits, perce déjà une note, ténue encore, de mélancolie en puissance, de nostalgie à venir.
Allée monumentale
En ces temps de rentrée, voici une petite escapade au vert. C’est à Heudicourt, près de Gisors, dans l’Eure, que l’on peut admirer cet exceptionnel alignement d’arbres. Sur quatre rangées et un bon kilomètre de long, platanes et tilleuls s’élèvent vers le ciel comme les piliers d’une cathédrale. Les deux rangées d’arbres de chaque côté de la route figurent la nef. Les rangées extérieures forment les bas-côtés, un mot commun au vocabulaire des églises et à celui des routes. Du côté des champs, les branches des platanes s’étirent et retombent vers le sol. Elles évoquent des arcs-boutants.
La comparaison n’est pas de moi mais des concepteurs du spectacle « Gothique frémissant », un son et lumière projeté l’an dernier sur les voûtes de l’abbatiale Saint-Ouen de Rouen. Françoise Jolivet et Roy Lekus ont eu l’idée de photographier l’allée d’Heudicourt à travers les saisons et d’adapter ces images à l’architecture gothique de l’église. Le résultat était envoûtant.
L’allée est une route de campagne qui vient buter contre les grilles du château d’Heudicourt. Celui-ci est entouré d’un parc intéressant ouvert ponctuellement à la visite. Je pense que ce sera le cas pour les journées du Patrimoine. Le village d’Heudicourt lui-même ne manque pas de charme, autour de l’église Saint-Sulpice bâtie en moellons de silex.
Plectranthus, coleus et hypoestes
Plusieurs plantes qu’on voit plus souvent en intérieur sont cultivées en pleine terre à Giverny. C’est le cas des plectranthus, des hypoestes et des coleus, histoire de les prendre au mot avec leurs noms à coucher dehors.
Le jardinier m’a raconté que des semis spontanés se forment dans les serres, si bien qu’il ne reste plus qu’à les récupérer, leur prodiguer quelques bons soins et les replanter dans le jardin. Alors pourquoi s’en priver ?
Le plectranthus n’est pas le plus coloré mais il est très charmant avec ses festons. Une petite fantaisie de la nature dont on se demande à quoi elle sert, si ce n’est au plaisir des yeux des humains.
Il existe des centaines de plectranthus différents, et peut-être que dans la nature ils ne sont pas tous aussi portés sur les finitions féminines de leur toilette, mais les variétés présentées dans les jardins de Monet ont l’air d’avoir toutes ce trait de personnalité, qu’elles soient argentées, panachées ou vertes. La fleur a un vague air de sauge, mais il ne faut pas s’y fier, il paraît que c’est avec le coleus qu’il cousine.
Le coleus, on le repère beaucoup plus vite. Il affectionne les tenues ultra voyantes, les associations de couleurs limite mauvais goût genre bordeaux, violet, vert et jaune. Il faut oser, mais pas de problème, il ose, et c’est assez bluffant de découvrir son dressing extravagant.
Plus discrète, l’hypoestes paraît toute douce à côté. C’est la plante aux taches de rousseur, ou plante à pois (polka dot plant) en anglais. Elle paraît familière avec ses nervures vertes qui tranchent sur des tons rose, rouge ou blanc. Oui oui, on l’a déjà vue dans des potées. La voici promue au rang de couvre-sol sous les ifs de la grande allée en remplacement des impatiences, une mission dont elle s’acquitte avec panache, on peut le dire.
Noir – Histoire d’une couleur
Ce qu’il y a de bien avec Michel Pastoureau, c’est qu’on n’est jamais déçu. Chacun de ses livres allie une érudition sans faille à un talent didactique. Bref, avec « Noir », nous ne restons pas dans les ténèbres. Pastoureau est même très éclairant.
Le plus frappant, finalement, c’est de voir à quel point tout est affaire de culture et complètement subjectif. Nous faisons nôtre la façon de voir de notre époque.
A travers les siècles, le rapport au noir évolue. Il fait peur, il séduit, il impressionne. Et comme rien n’est simple, il peut même être négatif et positif à la fois.
Cette ambivalence se retrouve jusque dans le lexique. Le latin disposait de deux termes pour désigner le noir, tout comme pour parler du blanc d’ailleurs. Ater est le noir mat, niger le noir brillant. Cette opposition existe aussi en ancien haut allemand (swarz/blach) et ancien anglais (swart/blaek).
Encore plus fort : « le paramètre de luminosité est plus important que celui de coloration ». Le noir-black et le blanc ont une étymologie commune qui vient de briller, blik-an.
On ne peut s’empêcher de penser au contraste de brillance et de matité dans les oeuvres de Pierre Soulages, que ce soit ses Outrenoirs ou les blancs des vitraux de Conques. A Rodez, j’ai été fascinée par la toile ci-contre.
Dans la lumineuse brillance des noirs, j’ai retrouvé le bassin aux Nymphéas, les jours où il se métamorphose et s’habille haute-couture comme celui-ci ou celui-là.
Pierre Soulages, Peinture 300 x 236, 9 juillet 2000 (détail) Huile et acrylique sur toile, musée Soulages, Rodez
Août dans le calendrier DuMont 2015 de Giverny
C’est l’époque de l’année où la grande allée présente cette délicieuse coulée de capucines, encadrée par toute une rangée de dahlias simples pourpres.
Plus haut, les énormes pompons de dahlias aux couleurs éclatantes s’avancent en bouquets généreux.
Voici passé le milieu de l’été : les fleurs ont eu le temps de s’installer, d’ouvrir leurs éventaires et d’étaler leur marchandise, toutes ces soies, ces satins, ces velours grisants patiemment mis au point, spécialement conçus pour ensorceler les abeilles.
Même nous qui sommes dépourvus d’antennes et de trompes, nous nous y laissons prendre.
Avez-vous déjà marché dans un bouquet ? Tel est Giverny en août.
On a des fleurs des pieds jusqu’à bien au-dessus de la tête, et on les butine du regard.
Le moulin de Cossy
Depuis le coteau au-dessus de Giverny, la vue s’étend sur la plaine née du confluent de la Seine et de l’Epte. Nichée dans le vert, une grande bâtisse à colombage s’élève près de la route qui mène à Limetz-Villez. C’est le moulin de Cossy.
On parlait autrefois du moulin de Cossé, également dénommé l’usine, ce qui marque assez son importance. C’était au 19e siècle une minoterie qui comptait deux moulins côte à côte, alimentés par l’Epte. Elle fonctionnait encore à la veille de la Première Guerre mondiale. Le propriétaire de l’époque était d’ailleurs le maire de Giverny.
Le moulin de Cossy est aujourd’hui encore occupé par un maire, celui de Levallois-Perret. Pour les Givernois, il est devenu le « Moulin Balkany », une propriété cossue qui défraie parfois l’actualité et où l’on n’entre pas comme dans un moulin.
En bateau
En photo comme en peinture, cadrer, c’est limiter. Ce n’est pas seulement choisir. Souvent, aussi, c’est couper.
Dans la vraie vie, face au motif, l’oeil balaie le paysage et analyse ce qu’il voit grâce à tous les éléments à sa disposition, tellement vite qu’on ne s’en rend même pas compte.
En revanche, quand nous percevons la réalité à travers le regard subjectif de quelqu’un d’autre, regard qui en a volontairement subtilisé des morceaux, il nous faut nous servir d’indices pour compenser ce qui se dérobe hors du cadre.
Je parie que sur la photo ci-dessus, la mince zone floue qui figure la barque, c’est ce que vous avez repéré en dernier. C’est pourtant elle qui vous a révélé la clé de l’énigme : il s’agit du reflet d’un jeune jardinier de la Fondation Monet debout sur la barque au milieu des nénuphars du bassin, et qui se sert de son épuisette pour avancer. Il s’en va couper l’herbe, comme il dit, c’est à dire les plantes aquatiques autres que les Nymphéas, sous ses pieds. Si j’ai eu la malice de ne cadrer que le reflet, c’était pour vous mener un tout petit peu en bateau…
A l’arrache
Les massifs débordants de fleurs d’été offrent ce spectacle ébouriffant en ce moment à Giverny : une débauche d’annuelles de coloris proches mais de tailles, formes, textures, variétés différentes subtilement associées, de façon à ce qu’elles se répondent et se mettent en valeur les unes les autres. Les pétales sont utilisés à la façon de touches de peinture sur la toile, pour donner cette illusion de tableau impressionniste chatoyant.
Les couleurs chantent dans la chaleur estivale, comme autant de petites soleils en écho au grand. Pas deux fleurs semblables côte à côte, pour éviter toute impression de régiment et pour un maximum de naturel. Mais tout est planté, bien sûr, et plutôt trois fois qu’une.
Cette façon d’organiser les massifs si différente de ce dont on a l’habitude déroute, désarçonne et dérange. J’ai surpris ce commentaire d’un visiteur qui avait une idée bien arrêtée sur la façon de travailler des jardiniers de Giverny : « C’est planté à l’arrache.«
Petite perle linguistique, d’un surréalisme involontaire. Visualisez-vous l’étrange méthode qui consisterait à essayer de mettre un plant en terre tout en l’arrachant, comique et absurde à la fois.
C’est planté à l’arrache, admettons, encore faut-il s’entendre sur le sens à donner à cette assertion. C’est le problème avec cette locution apparue récemment, et peut-être aussi l’avantage, chacun lui donne un peu le sens qu’il veut. Signifie-t-elle « rapidement et grossièrement, sans chercher à peaufiner » ? « Fait dans l’urgence et avec peu de moyens » ? Ou encore « sans préparation, sans précaution » ? Quoi qu’il en soit ces définitions recouvrent l’idée d’improvisation. Et c’est là tout le tour de force des jardiniers de Giverny, l’aboutissement de leur recherche : parvenir à recréer un aspect de naturel qui ait l’air totalement spontané. Tout est pensé, planifié, peaufiné, et pour finir on a l’impression que les fleurs ont poussé là comme par enchantement.
Cela va sans dire, si on les fourrait dans le sol telles que tombées de la brouette, on n’obtiendrait pas du tout le même rendu. Mais que certains visiteurs aient la naïveté de le croire, tout compte fait, c’est un compliment.
Lavande
Quand la lavande est fanée en Provence, elle fleurit encore à Giverny. Ses touffes compactes bordent la jolie allée surnommée la boîte de couleurs, où les teintes des massifs forment un arc-en-ciel de chaque côté du chemin.
Après la pluie
J’aime bien me promener dans le jardin de Monet après la pluie. Sous la pluie, même, si elle est douce et tiède comme ces derniers jours. Sinon, dès qu’elle s’arrête.
Les dernières gouttes font des ronds dans l’eau, ou glissent encore le long des feuilles et des branches, finissant de laver les végétaux tout luisants de propreté. L’air sent le frais. Les oiseaux se remettent à chanter.
Dans cette lumière douce d’après la pluie, quand les nuages se font moins épais, les couleurs brillent. Un rayon perce. Il fait plus doux soudain.
Après être resté fermé tout l’après-midi dans la fraîcheur de l’averse, le nymphéa hésite. Est-il raisonnable de se déployer maintenant, si près de l’heure du coucher ? Pour lui c’était un dimanche de paresse, toute une journée sans faire l’effort de s’habiller. Tant qu’à faire, autant rester en pyjama : des nuages ont déjà ravalé le soleil.
Ce mouvement lent des plantes me fascine. Une amie qui vit dans le désert m’a envoyé il y a quelques jours des images animées de la floraison des cactus, en accéléré. C’est une vraie danse que nous ne savons voir, car nous ne percevons que des images arrêtées de la transformation des plantes.
Je les regarde le long des allées, toutes ces fleurs de l’été, ces dahlias, ces rudbeckias dans leur époustouflante variété. De l’un à l’autre, selon leur degré d’épanouissement, on devine le mouvement en train de se faire. Tel pétale incurvé va s’ouvrir, à en juger par la fleur d’à côté, telle corolle dressée comme les mains au-dessus de la tête finira en jupon autour du coeur.
Et puis, il y a toutes ces dissemblances, comme autant de cadeaux. Regarde-nous ! disent les fleurs. Elles font les belles, après la pluie, elles se redressent pour être admirées. Regarde-nous !
J’obéis. Je les admire, je les compare. Tiens ! Celle-ci a un coeur marron. Celle-là est très double, quelle pile de pétales ! Et cette autre, toute simple et légère… Elles font les coquettes dans leurs robes qui tournoient.
Il n’y a plus de visiteurs dans le jardin mouillé. Les corolles des derniers parapluies ont disparu. Dans le calme revenu, la présence des végétaux se fait à nouveau perceptible, et elle me tourne un peu la tête.
Juillet dans le calendrier DuMont 2015 de Giverny
Quand arrive juillet, c’est la couleur verte qui domine au jardin d’eau. Les fleurs font ce qu’elles peuvent pour donnner quelques touches de couleur. C’est peine perdue : on ne les voit guère au milieu des assauts de la chlorophylle. Les astilbes, les roses, les hémérocalles arrivent tout juste à adoucir un peu la verve verdoyante des feuilles, qui se gorgent de l’énergie de l’air et de l’eau.
C’est cette image du bassin de Monet à la végétation foisonnante, moins paisible que d’habitude qu’ont choisie les éditions DuMont parmi mes photos pour illustrer le mois de juillet 2015 de leur calendrier de Giverny.
J’aime bien cette période où les rosiers grimpants du bassin s’épanouissent enfin, bons derniers de la classe, juste à l’orée de l’été, et se reflètent dans l’étang. A peine seront-ils passés que les premiers rosiers remontants se mettront à refleurir. Ca ne chôme pas du côté des roses.
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