Bourdon
Tant qu’il fait beau et tant qu’il y a des fleurs, les butineurs butinent. Tant qu’il ne gèle pas, les sauges sagement continuent de fleurir.
J’ai de la tendresse pour ces ouvriers de la dernière heure. J’admire cette synergie entre les insectes et les plantes, cette foi des sauges dans la présence des bourdons et des abeilles pour venir les visiter, même si tard en saison, les féconder et poursuivre le cycle de vie.
Dans le tourisme aussi les clients deviennent rares, mais pour les visiteurs de novembre les guides disponibles ne sont pas si faciles à trouver. Cet après-midi j’avais une visite de Vernon, et la pluie nous a accompagnés tout du long. Comme toujours dans ces cas-là je me suis débattue avec le dilemme de vouloir faire court pour ne pas maintenir les personnes sous la pluie, mais en même temps de ne pas faire trop court car c’est mon rôle de raconter, de commenter et d’expliquer.
Quand le temps n’est pas très coopératif, quelle est la dose exacte de discours nécessaire et suffisante, la durée maximale de la visite avant que les clients ne se mettent à détester leur guide ? Eux aussi font face à un dilemme, entre leur envie de rester au chaud et leur engagement dans le voyage. Ils sont venus voir, découvrir, s’émerveiller et peut-être apprendre, au prix d’un trajet long et éprouvant. Quand il pleut, ces attentes sont plus vite satisfaites…
Je me demande si les insectes connaissent les dilemmes. Je pense que non. Quand il pleut, les bourdons ne sortent pas. Je ne crois pas qu’ils se forcent à faire ce qu’ils n’ont pas vraiment envie de faire. Et à mon avis, ils ne craignent pas le regard des autres, leurs sentiments ni leur opinion, ce qui doit rendre leur vie beaucoup plus simple. Ils n’ont pas eu besoin d’inventer le parapluie.
N’empêche, peut-être bien qu’à eux aussi, la pluie leur donne le bourdon.
Don de l’artiste
Le cartel ne le précise pas, mais j’en suis presque sûre, les oeuvres qui ornent le souterrain de Giverny sont un don de l’artiste. Pas moins de trois créations numériques de grand format ont été réalisées par Michel Debully, plasticien givernois, à la demande de l’association des Amis de Giverny. La mise en place s’est faite en mars dernier.
Egayer ce passage obscur tout en restant dans l’esprit du village était un vrai challenge, en même temps qu’une nécessité. La réalisation évoque un tryptique contemporain.
Au bout de chaque rampe du souterrain, un tableau de Monet réinterprété par pixellisation est un hommage aux séries peintes par Monet tout près de là. D’un côté des peupliers, La Prairie, de l’autre une meule, Le Clos Morin. L’effet optique rappelle celui produit par les tableaux impressionnistes : on voit mieux l’oeuvre de loin. De près, c’est une juxtaposition de touches colorées.
Dans la partie la plus sombre, Michel Debully a voulu faire sentir Le souffle du printemps grâce à une vaste peinture murale aux tons clairs et frais. Sur 14 mètres de long par 1,25 m de haut, des lignes droites colorées rythment les pas des visiteurs.
A Giverny, d’autres artistes ont fait don d’oeuvres importantes à la communauté. Claude Cambour a offert un spectaculaire tableau du Christ en croix à l’église de Giverny, Daniel Goupil le buste de Monet qui se trouve dans la Prairie, Blanche Hoschedé-Monet une toile présentée au musée des impressionnismes…
C’est une longue tradition, partout, parmi les artistes. Vernon a eu la bonne fortune de recevoir des oeuvres de Claude Monet, des MacMonnies ou plus près de nous, d’Olivier Gerval.
Ce n’est pas dans toutes les professions qu’on pratique si généreusement le don. On peut s’interroger sur la récurrence des dons d’artistes. Ils ont sans doute des motivations variées. Pour ma part, j’y vois celle-ci : quand on a reçu, nul ne sait d’où ni par quel miracle, un talent, un don, on se sent un peu débiteur. On a besoin de donner de son oeuvre pour rétablir l’équilibre.
Pendule
Depuis que les visiteurs l’ont déserté, le jardin d’eau de Monet poursuit son rêve intime.
La vie continue de battre à l’insu.
Le vent arrache les feuilles une à une, ça bruisse et ça souffle.
Les frondaisons plient et ploient.
Les bambous s’entrechoquent.
Les étoiles rouges des liquidambars, les lanières dorées des saules, les petites flèches des peupliers dégringolent de leurs cimes et finissent leur course, parfois, à la surface du bassin.
Elles hésitent un instant, comme étonnées d’être là, puis le vent s’en saisit à nouveau et les fait glisser, frêles esquifs, au ras de l’eau.
Il arrive qu’elles tournoient dans une chorégraphie inattendue, en artistiques patineuses.
Elles finissent par s’accrocher quelque part, dans des ports insoupçonnés où elles s’entassent par centaines.
A la limite entre l’air et l’eau, là où les nuages viennent se mirer en rose et gris, les rameaux du saule s’entêtent à dessiner des calligraphies secrètes.
Leur stylet griffe la surface qui aussitôt se referme, effaçant le message au fur et à mesure.
Tel un pendule, la pointe du saule passe et repasse.
Le regard se laisse happer par cette correspondance mystérieuse, questionner par l’indéchiffrable.
Devant cette cible mouvante, on oublie le temps.
Le pendule a gommé la pendule.
Philippe Auguste de Bruno Galland
A Vernon, le centre culturel s’appelle l’Espace Philippe Auguste. Il est bâti dans l’enceinte du château de Philippe Auguste, dont il reste de beaux vestiges. C’est là que Bruno Galland est venu, non sans une pointe d’émotion, présenter son ouvrage consacré au fameux monarque.
La salle était archi-comble, et vraiment cela valait la peine d’assister à cette conférence : Bruno Galland parle avec flamme de son sujet. Son livre, lui aussi, est facile à suivre, écrit dans une langue agréable et claire.
Dans la nébuleuse que constitue pour beaucoup de nos contemporains la succession des rois de France au Moyen Âge, si la figure de saint Louis émerge en premier, celle de Philippe Auguste n’est pas encore complètement oubliée.
C’est par cette phrase (où j’entends une pointe d’autodérision, mais y est-elle vraiment ?) que commence l’ouvrage. Bruno Galland est archiviste-paléographe, ce qui lui permet de travailler directement sur les sources.
Le corpus documentaire dont dispose l’historien qui s’intéresse à Philippe Auguste est exceptionnel. Son règne est le premier pour lequel nous disposions vraiment d’archives centrales : registres de la chancellerie, layettes du Trésor des chartes et même quelques fragments de comptes. S’y ajoute un nombre élevé de chroniques de provenance diverse – les oeuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, bien sûr, mais aussi les chroniques anglaises de Benoît de Peterborough, Roger de Hoveden, Gervais de Canterbury et Roger de Wendover, la chronique flamande de Gilbert de Mons et l’Histoire des ducs de Normandie commandée par Robert de Béthune, et les chroniques bourguignonnes de Robert d’Auxerre et d’Albéric de Trois-Fontaines…
Grâce à toutes ces informations de première main, le portrait du roi de France que dessine le médiéviste diffère sensiblement de celui que j’ai pu lire ailleurs.
Au physique, Philippe Auguste était, selon les chroniqueurs, « très beau » et non point le petit rabougri qu’on oppose volontiers à l’athlétique Richard Coeur de Lion. Au moral, loin d’être le roi avisé dont se souvient la mémoire collective, Philippe Auguste était impulsif, coléreux, excessif et souvent très dur, en particulier pendant la première moitié de son règne. L’âge l’a rendu plus posé, sans toutefois lui faire perdre complètement son tempérament. Mieux conseillé dès lors qu’il s’appuie sur des sages et non plus des nobles, et servi parfois par les circonstances, Philippe Auguste fait montre d’une volonté obsessionnelle d’agrandir son domaine. Et il y parvient, affirmant toujours davantage sa puissance.
Malgré toutes les sources, il reste tout de même des zones très mystérieuses dans l’histoire de Philippe. Les chroniqueurs sont un peu embarrassés pour raconter le sort fait à Ingeburge, la deuxième épouse du roi. (Galland prononce à la française, « ainjeburje ». C’est un prénom danois.) Le roi épouse la jeune fille, et dès le lendemain la répudie. Il n’a jamais voulu dire pourquoi. Il va garder la malheureuse reine captive pendant 19 ans, en dépit des pressions du pape qui place le domaine royal sous interdit. Philippe Auguste était sujet à des effrois extraordinaires, comme lorsque, tombé malade à Saint Jean d’Acre, il a interrompu brutalement sa croisade. Il est bien difficile d’expliquer la cause de ces revirements désavoués par tous.
Choir, puis gésir
L’automne, comme la guerre, conjugue les verbes défectifs. Les feuilles choient. Les feuilles gisent. Elles cherront encore demain, mais il n’y a pas d’avenir à gésir. Quand on gît, c’est pour longtemps. Le temps s’efface. Gésir, c’est mourir un peu.
De même que l’automne escamote les feuilles, la conjugaison escamote une partie des possibles. Des pans entiers des variations du verbe font défaut.
Il manque des personnes, il manque des temps. Est-ce le temps qui va nous manquer cet hiver ? Ou seront-ce les personnes ?
Quand la nuit tombe, quand les températures chutent, la vie se rétracte et rentre sous terre.
Le coeur se serre un peu face à la sourde mélancolie des feuilles mortes.
Il est temps d’allumer la lumière.
Dépouillement
Les jardiniers de Giverny ont travaillé dur toute la semaine dernière. Ils ont déjà presque fini de dépouiller les massifs du clos normand.
Pour eux, dépouiller n’a rien à voir avec les résultats d’un vote. Il s’agit de faire place nette, d’arracher les annuelles et de rabattre les vivaces en enlevant tout ce qui a fleuri, et ce n’est pas une mince affaire.
Dans leurs brouettes s’entassent les verveines, les sauges, les sedums. Les dahlias sont coupés à ras, retirés à la bêche, et placés dans des cagettes. Une étiquette de couleur indique leur variété. Ils seront stockés à l’abri jusqu’en mai.
Aussitôt libérée, la terre est bêchée. On répand les granulés de fertilisant, un compost végétal. Et puis, déjà, on plante. C’est un va-et-vient de fleurs qui arrivent et d’autres qui s’en vont.
Dans la grande allée, les bisannuelles sont déjà en place, et certaines giroflées se mêlent même de fleurir. Les myosotis dessinent leurs couronnes de feuilles arrondies. Dans les espaces libres, les bulbes disséminés par poquets attendent d’être enfouis dans la terre, les plus gros au plus profond. Un bâtonnet de bambou rappellera leur emplacement.
Certains sont monstrueux, gros comme le poing. On devine des beautés à venir, quand le printemps allumera tous ces feux d’artifices. Mais pour que cela marche, il faut d’abord qu’il fasse froid.
Le tigre et l’ours
Je suis allée voir « La Colère du Tigre » au théâtre Montparnasse à Paris. La pièce signée Philippe Madral met en scène Georges Clemenceau et son grand ami Claude Monet, au soir de leurs vies.
Quand je suis arrivée, Claude Brasseur, qui incarne Clemenceau, était assis en terrasse à fumer une cigarette. Sa voix magnifique porte la marque de cette tabagie. Michel Aumont, le Monet de la pièce, a le timbre presque trop clair en comparaison.
Ils ont tous deux le même âge, 78 ans. On ne peut qu’être ébloui par leur performance. En ce sens, ils sont fidèles à leurs modèles : Clemenceau et Monet n’ont jamais décroché du boulot non plus.
Pendant la représentation, j’entendais rire autour de moi. Je ne suis pas la bonne personne pour faire une critique de la pièce : ses personnages et son argument me sont trop familiers, les effets de surprise n’agissent pas.
J’ai eu un peu de mal à entrer dans l’illusion théâtrale, ce pacte qui lie l’auteur, les comédiens et leur metteur en scène avec les spectateurs. Accepter l’idée du rôle, qui nous vient de si loin : on dirait qu’on serait le Tigre et l’Ours de Giverny…
Ces êtres de chair et de sang sur la scène, comment pourrais-je les prendre pour Clemenceau et Monet ? Dès les premières phrases, l’auteur prend ses distances avec la réalité historique : il fait dire à Monet des formules qui sont celles de Clemenceau. C’est le Tigre qui taquine son ami en l’apostrophant d’un « Cher vieux crabe », et non l’inverse. Bon. On n’était pas à une lecture de correspondance non plus.
Si la pièce m’a tout de même captivée, c’est par l’interrogation qu’elle suscite pour moi sur le théâtre. Comment peut-on porter à la scène des êtres qui ont vraiment existé, et non pas seulement des « types », comme Monsieur Jourdain est le type du bourgeois pour Molière ? Qu’est-ce qui fait qu’une personne devient un personnage ? Quelle légitimité le théâtre offre-t-il à imaginer ce que nous ne savons pas, à remplir les blancs ?
J’ai été intéressée par le rapport du fictif au plausible. Par les contraintes du théâtre qui imposent qu’il se passe quelque chose, d’où la fameuse « colère », et une amusante bataille à coups de cannes. Au final, si je n’ai pas été emportée par la magie du théâtre comme d’autres fois, et même si l’émotion m’a passablement désertée, cela valait tout de même la peine de faire le déplacement. Pour me confronter à toutes ces questions.
Au-dessus des méandres
Quand elle arrive au pied de Château-Gaillard, la Seine change brusquement de direction en oubliant sa destination ultime, la mer. Sans doute effrayée par l’imposante forteresse de Richard Coeur de Lion, elle rebrousse chemin, cap au sud-ouest. Ce n’est qu’une fois parvenue à bonne distance qu’elle réalise la gaffe, à force que son GPS lui serine « faites demi-tour dès que possible ». Elle recalcule enfin son itinéraire et repart en direction de Rouen.
Ces méandres du fleuve ont creusé des falaises dans la roche tendre, cette craie blanche barrée de lits de silex caractéristique du val de Seine. D’en haut, la vue porte loin, en un gigantesque amphithéâtre, et offre cette impression de se détacher du sol.
Pour voir Château-Gaillard se dessiner à l’arrière-plan, il ne faut pas aller trop loin. Le belvédère du Thuit est idéal. Mais celui de Notre-Dame de Belle-Garde, d’où j’ai pris cette photo, est plus élevé, et ne se gagne que par une petite marche dans les bois.
Une émouvante Vierge à l’Enfant de 1946 s’y dresse, telle un ex-voto de l’après-guerre. La présence de cette statue sur le promontoire donne à la contemplation du paysage quelque chose de particulier, dû peut-être à l’élan mystique de ceux qui l’ont souhaitée et réalisée là.
Comme un Monet
Il reste une dizaine de nymphéas en fleurs sur l’étang de Monet.
Si tard dans la saison, c’est presque un exploit, favorisé par la douceur du dernier week-end.
Dans les reflets dorés des frênes et des noisetiers, leur rose fait une apparition à contre saison.
La brise d’automne vient brouiller la surface pour y tracer des coups de brosse.
Les feuilles de nénuphar, comme des coupelles, recueillent assez d’eau pour que les arbres s’y mirent, mais trop peu pour que le vent y soulève des vaguelettes.
Comme à l’accoutumée, les qualités picturales du bassin frappent les visiteurs.
Si on avait des pinceaux, on se mettrait à peindre.
On se croirait devant un Monet.
Pomologie
Cette science, je n’en avais jamais entendu parler avant de vivre en Normandie. Ici la pomologie concerne le plus souvent les pommes. On est donc enclin à croire qu’elle se limite à elles et par conséquent tenté d’écrire ‘pommologie’ avec deux m, mais le mot n’en prend qu’un. C’est l’étude des fruits, du latin pomus, le fruit.
Une exposition pomologique vient de se tenir à Giverny, dans l’ancienne gare transformée en salle des fêtes. Dans ce lieu qui fut fréquenté par Monet, les fenêtres dessinent des tableaux de ses paysages.
A peine la porte franchie, on est assailli par une puissante odeur de pomme issue de dizaines de variétés mêlées. Cultivées par le verger-conservatoire de Saint-Clair-sur-Epte, des pommes de toutes espèces, couleurs, formes et aspect sont présentées dans des assiettes étiquetées.
Combien y en a-t-il ? Peut-être une centaine de variétés, et cela a déjà de quoi faire tourner la tête, mais ce n’est pourtant qu’un échantillon des quelque 20 000 cultivars que la nature a inventés.
On parcourt les tables, on lit les noms des fruits. C’est tout un voyage. Rien à voir avec l’étal du marché : ici les pommes sont des individus, avec des têtes, des personnalités, une histoire, et non pas des clones interchangeables. Il y a en elles cette complicité de l’humain et de la nature qui date d’avant l’ère des machines et des engrais. Elles ont été nommées comme on nomme un enfant, et non pour mieux se vendre. Pigeon blanc d’hiver, pigeon commun, croquet, reinette parmentier, gros vert, cramoisie de Gascogne, grand Alexandre, glacée d’hiver… Voici l’api étoilé à la si jolie forme pentagonale. Et voici les reinettes, goûteuses et sucrées, mais défense de toucher !
Quelques passionnés s’attachent à conserver les variétés qui ont régalé nos aînés mais qui ont depuis déserté les étals. Outre le fabuleux réservoir de gènes qu’elles représentent, elles ont de multiples qualités, la première étant d’être parfaitement adaptées au terroir. A leur aise dans l’écosystème, elles résistent à tous les temps et toutes les maladies sans traitement. Ce sont les pommes commerciales qui sont les plus fragiles.
Pontederia
Cette belle plante qui pousse les pieds dans l’eau, c’est le pontederia.
Je l’ai photographiée tout près du pont japonais de Monet, en face des bambous, comme vous pouvez le voir en cliquant sur l’image.
Pour me souvenir du nom du pontederia, je pense au pont, et la suite vient toute seule.
A Giverny, cette aquatique prospère en plusieurs points du bassin, notamment près des petites marches de l’embarcadère.
L’été, elle fleurit en épis bleu pâle. Le reste du temps on aime son feuillage décoratif d’un beau vert dense.
Une autre plante aquatique souvent associée à la pontédérie orne la pièce d’eau de Claude Monet : le thalia.
Cette vivace est plus grande que le pontederia.
Ses inflorescences violettes s’élèvent à hauteur des yeux des visiteurs qui se trouvent sur la berge.
Les feuilles, par leur port et leur forme, rappellent le strelitzia.
Mais pas d’oiseau de paradis dans l’éden de Giverny : il ne fait pas assez chaud pour les plantes tropicales.
La maison de Ravel
Geneviève Bailly, propriétaire de la belle maison de Lyons-la-Forêt dite « maison de Ravel », a eu la bonne idée d’écrire un petit livre sur la vie du compositeur. Elle y décrit les liens qui unissent Maurice Ravel à cette demeure.
La maison elle-même date du 18e siècle, mais elle a été remaniée dans le style balnéaire anglo-normand entre 1910 et 1914 par ses propriétaires de l’époque, les Dreyfus. « Les toitures sont modifiées, des lucarnes percées et ornées d’épis de faîtage en céramique vernissée : hiboux, perroquets, chats… qui feront en 1940 une belle cible pour les soldats allemands. »
En 1914, Ravel, de constitution peu robuste, est réformé. Mais incapable de supporter l’idée de ne pas participer à la guerre, il parvient à être enrôlé en 1915, comme conducteur de camions. Madame Dreyfus devient sa marraine de guerre. Elle est la mère d’un ami de Ravel qu’il fréquente depuis 1911.
En 1916, Ravel a 41 ans quand il perd sa mère. Son chagrin est immense. Malade, il est définitivement réformé en 1917 et se réfugie à Lyons-la-Forêt chez Madame Dreyfus.
Sa chambre est située « au premier étage au-dessus de l’actuelle plaque commémorative ». Il y compose « Le tombeau de Couperin », dans lequel on peut entendre un hommage à ses amis morts à la guerre.
Ravel revient à Lyons-la-Forêt en 1922 et y compose l’orchestration des « Tableaux d’une exposition » de Moussorgski. C’est son dernier séjour. Par la suite la famille Dreyfus va vendre la maison du Frêne.
Geneviève Bailly, « Ravel à Lyons-la-Forêt », éditions Freylin
Alpaga
A Giverny, les alpagas du moulin des Chennevières ont un petit !
Toute la famille reste groupée dans le grand pré, le jeune au milieu des adultes.
Les alpagas (alpacas en anglais, Alpakas en allemand) peuvent avoir un petit par an, au terme d’une gestation de 11 mois.
Elevé pour sa laine très fine et chaude, l’alpaga est aussi un animal de compagnie et d’ornement, comme dans le petit zoo privé de Giverny.
On dirait un gros mouton au long cou, avec des oreilles en forme de lance, tandis que les lamas, les vrais, sont plus grands et ont des oreilles en parenthèses.
Fascine
La technique des fascines a quelque chose de fascinant, comme on peut s’en rendre compte sur la page du site de l’N7 consacrée à la restauration végétalisée des berges d’un cours d’eau. J’ai été un peu surprise de voir cette école d’ingénieurs de Toulouse s’intéresser à la question, avant de me souvenir que le H d’ENSEEIHT signifie hydraulique.
A Giverny, on est beaucoup aux prises avec l’hydraulique, que ce soit du côté du Ru ou du côté du bassin aux nymphéas, dont l’équilibre subtil tourne parfois au casse-tête. Chaque année, une portion des fascines qui retiennent les berges du ruisseau est renouvelée. Ce travail se fait plutôt l’été quand il fait chaud car c’est déjà bien assez pénible comme ça.
Debout dans l’eau courante, les jardiniers changent les pieux et les entrelacs de branches de châtaignier mis en place le long des rives. Derrière, un géotextile empêche la terre de glisser entre les branches. On peut ainsi planter le long de l’eau, et les racines des plantes servent elles-mêmes à contenir la terre.
La tendance d’un cours d’eau, m’a expliqué l’un des jardiniers, est de grignoter les berges qui s’effondrent et viennent combler partiellement le fond. Le ruisseau s’étale et perd en profondeur ainsi qu’en courant.
Pour conserver au Ru de Monet sa taille initiale et la force de son courant, il faut le canaliser. La technique des fascines est esthétique et naturelle, elle n’a même pas l’air (hélas !) de gêner les rats musqués qui nichent dans les berges. Mais les changements du niveau de l’eau accélèrent la dégradation des bois, ceux-ci ne résistent que quelques années seulement.
Les yeux dans le vide
Ca ressemblait à du rien. Non pas que cela ne ressemblait à rien, c’était même tout le contraire : cela aurait pu être n’importe où. Dans la brume qui finissait par se lever à 11 heures du matin et qui gommait les lointains, le paysage des champs de Giverny près de l’Epte était si vide que j’ai hésité à faire la première photo. Cela valait-il la peine de saisir le rien ?
Le regard cherche un motif où s’accrocher. Quelque chose de joli. Quelque chose d’anthropomorphique, comme un arbre tout seul nous évoque la solitude, ou une rangée de peupliers fait songer à une farandole.
J’ai pensé à Monet, combien il aimait ces heures de brume. La dissolution du motif si fréquente dans ses toiles, sa banalité, son inimportance. Ce qui compte : les valeurs de couleurs, la lumière qui baigne le paysage, l’air qui enveloppe les choses. Tant de toiles de Monet ne donnent rien à voir d’autre que, nous semble-t-il, un morceau de peinture. Le motif n’est qu’un prétexte à peindre.
En plein milieu des champs que Monet a représentés, sur les chemins qu’il a dû parcourir, j’essaie de sentir ce qu’il ressentait. L’air encore doux de l’automne emplit les poumons. Il y a cette qualité de silence particulière à la nature, un silence plein de souffles, de bruissements, d’appels émis par des êtres dont nous ne comprenons pas la langue, et le ronronnement de la route au loin. Je tends l’oreille, et le silence se peuple de sons.
J’admire l’audace de Monet à se lancer dans le vide. Monet donne à voir le presque rien, et bien entendu, il y voit quelque chose. C’est mon regard habitué à ce paysage qui le trouve vide. Ailleurs, bien loin, là où l’homme s’acharne à cultiver des lopins dans les pentes les plus folles, cette terre à blé fraîchement labourée, riche et plate, donnerait sans doute à rêver…
Le Festival de Giverny
A Giverny, terre de peinture, on aime la musique. Le week-end dernier avait lieu le Festival de Giverny, une série de concerts autour de la chanson française. Le week-end prochain se tient au même endroit le festival Rock in the Barn, qui programme des groupes de musiques actuelles.
L’endroit en question, c’est une ferme au bord de la Seine, tout au bout d’un chemin de terre à travers les cultures. On passe un pont sur un bras du fleuve et on se retrouve dans Grande Ile. Au loin, le chapiteau rouge brille comme une promesse.
La ferme de Grande Ile est désaffectée depuis des années. Le bâtiment le plus grand, la grange, abrite maintenant une scène et des gradins, pour des spectacles intimistes. Tout autour de la grange, la buvette et le resto de plein air donnent au lieu un air de guinguette.
Le Festival de Giverny en est à sa 16e édition, et repose sur le talent de programmateur et l’entregent d’un habitant de Giverny : Eric Carrière, entouré d’une solide bande de bénévoles. Le succès de l’évènement doit beaucoup à son flair pour repérer les stars montantes – Yann Tiersen l’année d’Amélie Poulain, Vincent Delerm à son premier album – et faire venir des pointures, comme l’ex Supertramp John Helliwell. On y croise les artistes qui habitent le coin, tels que Yolande Moreau, Lény Escudéro ou Florent Vintrignier.
Ce dernier était là dimanche, avec la Rue Kétanou. Quand le groupe a commencé, cela faisait déjà plusieurs heures que le public était debout. Au chaud et au sec, les pieds dans la paille, confort rustique du festival normand ou l’on ne s’amuse pas à parier qu’il va faire beau.
Aux premières notes, on aurait dit que quelqu’un venait de monter le thermostat. La Rue Kétanou jouait devant une salle pleine de fans qui connaissaient les paroles des chansons par coeur. On chantait, on tanguait, on battait des mains. C’est pour ces instants de bonheur collectif qu’on vient, et les festivals ont encore de beaux jours devant eux.
Le site des pétasites
A quoi vous font penser ces feuilles de pétasites ? J’ai entendu des centaines de fois à de la rhubarbe. A des feuilles de nénuphar. A des palettes de peintre. J’ai même entendu à des pizzas, un jour où l’heure du déjeuner approchait. Mais jamais on ne m’avait dit : « Des pétasites ! Tiens ! Nous, on a des péta octets. »
Ce rapprochement inédit était venu à l’esprit d’un spécialiste des réseaux de télécommunications, et une nouvelle fois, j’ai pu m’émerveiller de la diversité des visions du monde propre à chaque visiteur de Giverny.
Un pétaoctet, donc, c’est mille tera. Un million de giga. Un milliard de Mo. Ca commence à faire un peu.
J’étais heureuse d’apprendre l’existence du pétaoctet, donc, qui vaut 10 puissance 15 octets, et dont la racine grecque ne vous aura pas échappé. Et en même temps je me suis demandé dans quelle classe on enseignait ces unités, de nos jours. Au collège ? Au lycée ? Et j’ai pensé que celle-ci devait avoir son petit succès auprès des élèves, dans la veine du grand lac péruviano-bolivien.
Les questions en suspens
Je viens d’avoir la réponse à une question que je me suis posée il y a douze ans. Une de ces innombrables questions sur le sens des mots qui traversent l’esprit en permanence quand on est petit. L’avantage d’apprendre des langues étrangères, c’est que ce questionnement continue tout au long de la vie.
Je me souviens de la première fois où ce mot est entré, avec ses points d’interrogation, dans mon vocabulaire. On m’avait recommandé les qualités des peintures Farrow and Ball, une marque anglaise au nuancier très raffiné. Parmi les noms donnés aux teintes, souvent associées à des pièces de la maison, figurait un ‘drawing room blue’.
To draw, c’est dessiner. Le bleu de la pièce à dessiner ? J’imaginais un vaste manoir victorien débordant de chambres et de salles aux attributions diverses, j’imaginais la vie des dames de la bonne société qui trompaient leur ennui par des occupations acceptables. Je n’étais qu’à moitié convaincue, mais pas assez dubitative pour faire une recherche.
Et puis hier, en parlant du petit salon d’Alice dans la maison de Monet, une dame anglaise m’a soufflé que c’était son ‘drawing room’. « Cela vient de with-drawing room, la pièce où l’on se retire », a-t-elle précisé. Quelle révélation !
S’agissant du petit salon bleu, qui fut un temps violet paraît-il, on ne saurait parler de boudoir – qui se dit ‘Boudoir’ in English, mais oui. Un boudoir, c’est une pièce intime, féminine, pas une sorte de passage au sol carrelé, avec les livres de jardinage de Monsieur sur les étagères.
Quand on se lance dans la nomenclature des pièces de la maison, on entre dans un domaine aussi compliqué que passionnant. Les usages que les gens faisaient de leur habitation n’ont cessé de varier, en même temps que les modes de vie. Selon les classes sociales, les habitudes changent, les affectations des pièces aussi. Plus on est logé grand, plus l’utilisation des pièces est codifiée. Une pièce pour recevoir le matin, orientée à l’est, une autre pour l’après-midi. Une salle pour le petit déjeuner, une autre pour le dîner. Des pièces réservées au maître de maison, d’autres aux enfants, d’autres à Madame. Cela doit encore être le cas dans les maisons très spacieuses, je suppose.
L’usage donc, à l’époque victorienne, voulait qu’en fin de repas les dames se retirent dans un salon pour papoter, tandis que les messieurs traînaient un peu à table et parlaient de politique, d’affaires et autres sujets masculins. Puis les hommes venaient rejoindre les femmes au salon. On voit que l’égalité des sexes a fait des progrès depuis cent cinquante ans.
Il reste à Giverny des traces de cette division des espaces qui prévalait aussi en France, mais la bâtisse est trop petite pour compliquer les choses à l’excès. Ainsi, le côté gauche de la maison est réservé à Claude Monet, avec l’atelier au rez-de-chaussée, sa chambre et son cabinet de toilette au-dessus, et le privilège d’une entrée privative avec escalier personnel. Comme un petit duplex. Au calme, le plus loin possible des allées et venues de la maisonnée.
Une rose bleue pour y dormir
Il y aurait lieu de s’étonner de la couleur de cette rose, qui tire tellement sur le bleu qu’elle a été baptisée « Rhapsody in blue ». Mais, et je le regrette pour les obtenteurs qui se sont donné tant de mal, ce n’est pas cela qui ravit les visiteurs de Giverny. C’est le petit escargot aux motifs de coquillage, tendrement niché au coeur de la fleur pour y rêver jusqu’à la prochaine pluie.
On ne peut s’empêcher de penser aux bébés endormis dans les fleurs mis en scène par l’Australienne Anne Geddes. L’image a quelque chose de doux qui fait plaisir à voir.
De nombreux visiteurs pointent avec amusement les escargots. Je n’ose leur demander ce qui les étonne. Est-ce qu’il n’y en a pas chez eux, parce que le terrain est trop acide, et que les escargots ont besoin de calcaire pour se faire une coquille ? Ces personnes vivent-elles dans un milieu si urbain qu’on n’y croise jamais de gastéropodes ? Ou sont-elles comme moi fascinées par leurs couleurs et leur lenteur, en un mot leur philosophie de la vie ? Ou est-ce de les voir en hauteur, et non pas au ras du sol comme on se les imagine ?
Curieusement, à force de planter des fleurs exotiques partout sur la planète, à climat égal on trouve à peu près les mêmes partout. Mais la faune reste locale. Ainsi, les visiteurs américains cherchent en vain des colibris dans les jardins de Monet. Quand je leur dis qu’il n’y en a pas en France, ils n’en reviennent pas. « Je vais vous en envoyer des miens, ils vont être ravis dans un jardin comme celui-ci ! » proposait une Californienne ce matin.
Pas de colibris, ni de papillons monarques non plus. Les asclépias, plante hôte des monarques, sont très peu butinés à Giverny. En Floride où ils poussent de façon spontanée, il paraît que les papillons les adore, toutes espèces confondues.
Des moteurs plein le pré
Faire tourner à nouveau des moteurs d’un autre âge, c’est le pari des passionnés de mécanique ancienne. A Giverny, ces derniers ont rendez-vous chaque année le premier week-end de septembre dans le pré en face de l’hôtel Baudy.
Alignées pour la parade, les machines imposantes ronronnent. Les moteurs parfaitement réglés tournent comme des horloges sans faire beaucoup de bruit : un cliquetis régulier, des pouf pouf paisibles. Il émane une douceur de leurs murmures conjugués. Ca sent l’huile chaude et le carburant, à peine les gaz d’échappement.
Pourquoi ce rassemblement de moteurs anciens à Giverny ? Parce que le village récèle un musée très particulier, qui n’a rien à voir avec la peinture : le Muséum de mécanique naturelle.
Au 2 rue Blanche-Hoschedé-Monet, non loin de la mairie, cette collection privée ouverte au public tous les jours de 14h à 18h présente des machines effarantes conçues il y a cent ans ou davantage. Dans une débauche de volants, de pignons, de courroies et de pistons, ces engins avaient tous une fonction bien définie qui libérait les hommes d’harassantes tâches agricoles. C’était la révolution industrielle et agricole. Le progrès.
Pour qui a le sens de la mécanique, ces machines agricoles du passé sont des merveilles. Pour tout le monde, elles sont un témoignage étonnant de l’inventivité humaine. Elles offrent aussi un plongeon dans le passé en suggérant les conditions du travail aux champs autrefois. C’est un peu ce que l’on ressent devant une locomotive à vapeur, en plus insolite.
C’est dingue !
Devant la maison de Claude Monet à Giverny, la grande allée qui dévale jusqu’au portail se laisse envahir chaque année par les capucines. De chaque côté, une frise de dahlias simples rose foncé fait le lien avec les massifs plus hauts installés sur les buttes latérales, où l’on reconnaît cosmos, dahlias cactus, impatiences, glaïeuls, cléomes, soleils, et même le bleu des delphiniums.
Le chef jardinier James Priest s’est inspiré des toiles de Monet pour choisir les couleurs et les volumes des fleurs plantées dans l’allée, avec la volonté de se rapprocher le plus possible de l’esprit du maître. Les bouquets de salicaires ont été fortement réduits pour diminuer l’impact de leurs masses couleur lilas. L’effet est plus lié et plus doux.
En fin d’été, la végétation atteint des tailles extravagantes à Giverny. Le jardin ne se dévoile que petit à petit à mesure que l’on avance. Quand soudain l’allée centrale apparaît dans tout son apparat, les visiteurs, qui jusque-là répétaient « C’est beau !« , se mettent à employer un autre vocabulaire.
Que diriez-vous, vous-mêmes ? Les anglophones s’exclament « Awesome! » ce qui équivaut à peu près à énorme, incroyable, génial ou effarant. Une dame allemande m’a ravie en répétant « Wahnsinn! » (folie) que je me suis traduit par « c’est dingue ! »
J’adore que les visiteurs soient sensibles à la folie horticole de la fin de saison. Leurs visages émerveillés. Les étoiles dans leurs yeux, parce que c’est encore bien plus beau que ce à quoi ils s’attendaient. « J’ai déjà visité beaucoup de jardins, me confiait une visiteuse aujourd’hui, mais quelque chose comme ça, CA !!!, je ne l’avais jamais vu… »
C’est l’époque de la plénitude pour les jardins, et c’est aussi une expérience de plénitude pour les gens qui découvrent celui-ci.
Assister chaque jour à cette rivière de bonheur qui dévale la pente et vient éclabousser de joie les visiteurs, voilà qui me comble moi-même. C’est l’un des enchantements du fait de travailler dans les jardins de Monet.
Et si on se rencontrait ?
Je ne sais quelle photo choisir parmi celles prises début octobre pour vous donner envie de découvrir la furie florale de Giverny au commencement de l’automne. Quand les massifs ont l’air d’exploser de couleurs. C’est la corne d’abondance répandue, l’orgie de fleurs de toutes formes et de toutes textures. C’est tellement beau, cette opulence…
D’ici un mois, j’atteindrai le 1500e billet sur ce blog. Pas mal, non ? Je voudrais vous remercier d’être là depuis huit ans et demi, de l’autre côté de l’écran, à vous émerveiller avec moi de la magie des jardins de Claude Monet.
Chers lecteurs de Giverny News, le samedi 4 octobre après-midi, je vous propose une visite guidée des merveilleux jardins impressionnistes de Monet à Giverny. Il suffit de vous inscrire en me laissant un commentaire sur ce blog, que je ne publierai pas. Un nom ou un pseudo, un email, un portable, et si vous le souhaitez quelques mots de vous. Je vous préciserai l’horaire en retour. Si vous êtes guide, merci de me l’indiquer.
La visite guidée est offerte, mais l’entrée à la Fondation Monet reste payante. Vous pouvez acheter votre billet à l’avance en ligne ici.
Je me réjouis d’avance de cette rencontre ! A très bientôt.
Square Gérald et Florence Van der Kemp
Je crois que c’est la municipalité de Giverny qui en a lancé l’idée, mais tout le monde était d’accord, naturellement : il fallait rendre hommage au couple Van der Kemp en baptisant une voie ou une place de Giverny à leur nom. Après avoir accompli des prouesses à Versailles, le couple franco-américain a réalisé des miracles à Giverny en faisant revivre le petit paradis de Claude Monet.
De 1977 à 2008, Gérald puis Florence van der Kemp ont été les conservateurs de la maison et des jardins de l’artiste. Ils ont créé la Fondation Claude Monet, convaincu des mécènes en France et aux Etats-Unis, compulsé les archives, transformé un domaine à l’abandon en propriété de rêve, et propulsé le site parmi les jardins les plus visités au monde. Le Giverny d’aujourd’hui leur doit tout.
Le souci était ne de pas débaptiser un lieu existant, par respect pour la mémoire du village et pour ne pas changer l’adresse de certains habitants. Le choix a fini par se porter sur le joli parking fleuri et complanté situé juste en face de la maison Monet.
Autrefois, un champ de blé s’étendait là. « Le terrain a été acquis par les van der Kemp parce qu’il fallait un espace pour les voitures, rappelle Hugues Gall, directeur de la Fondation Monet. Ils ont pris le taureau par les cornes. Nous sommes dans un champ qui a peut-être d’ailleurs vu paître quelques-uns de ces bovins, » s’amuse-t-il. L’académicien à la tête de la Fondation Monet est personnellement attaché au couple. « Quand je revêts mon habit d’académicien, c’est l’habit de Gérald van der Kemp que je porte ; Florence van der Kemp a souhaité qu’il me fût attribué, » confie-t-il avec cette aisance dans la concordance des temps et la conjugaison de l’imparfait du subjonctif qui caractérise les Immortels.
Parking van der Kemp, alors ? Pour un couple si féru de jardinage, l’expression n’envoie pas franchement du rêve. La mairie a eu l’idée du mot square « parce que le terrain est carré » selon le maire Claude Landais. Abstraction faite des véhicules, il est vrai que ce lieu plein de roses et d’arbres d’ornement a quelque chose d’un parc municipal.
Mais la fille de Florence van der Kemp a une autre interprétation : « J’ai pensé que le maire de Giverny avait eu la délicatesse de choisir un mot en anglais en mémoire de ma mère », dit-elle avec finesse et émotion. Il n’a fallu à Barbara de Portago que très peu de phrases prononcées avec un délicieux accent américain pour se mettre dans la poche la petite assemblée réunie pour l’occasion. La grâce même… Pour Alix de La Rochefoucauld, petite-fille de Gérald van der Kemp, le couple de ses grands-parents était « l’emblème de l’amitié franco-américaine. » Elle en est sûre, le geste de la municipalité de Giverny leur aurait plu.
Au pas du cheval
Il n’en faut pas beaucoup pour embellir sa vie, il suffit d’oser dire oui plutôt que non. Hier, à l’instigation de l’office du tourisme, la voiture à cheval de Jean-Yves Bigarré était à nouveau à Giverny, attendant patiemment d’emmener les vacanciers de la maison Monet jusqu’à l’église, et retour.
Costumé en Normand, Jean-Yves aborde les passants d’un « Vous ne voulez pas faire un tour ? » souvent décliné. Pourquoi pas ? Moi je veux bien. Une famille nous rejoint, à la grande joie de la petite Jade.
« Marcher! » ordonne le maître. J’admire la façon dont Odilon, le cheval breton, obtempère sur le champ. De quoi faire rêver n’importe quel parent, comme devant les étonnantes facultés de la fleur obéissante.
Clipiclop, clipiclop. Au passage devant l’Office de Tourisme, Claire monte pour assurer le commentaire. Musée des Impressionnismes, Hôtel Baudy, la rue Claude-Monet défile. Dans la pente, Jean-Yves lance « Trotter ! » Instantanément, nous filons à belle allure. Cette impression de vitesse d’il y a cent ans, comme à vélo…
Stop stop stop ! La petite Jade est en larmes, elle a perdu une ballerine. Vite on arrête le cheval, vite on court rechercher le soulier de Cendrillon, qui reprend sa place et miracle lui va comme un gant. Jade a retrouvé le sourire.
On repart. Je poursuis ma conversation avec Jean-Yves sur les joies qu’on éprouve à exercer un métier qui donne du plaisir aux gens. Odilon et sa carriole bâchée font le bonheur des résidents des maisons de retraite, on peut même faire monter un fauteuil roulant. Une autre calèche, plus chic, sert pour les mariages. La nôtre emmène 14 personnes pour un poids de deux tonnes au total avec le véhicule.
« Reculer ! » A l’église, on fait demi-tour. La rue Claude-Monet repasse en sens inverse. Clipiclop, clipiclop. Stop stop stop ! Le cheval a perdu un fer, sans doute par sympathie pour Jade. Pas grave, dit son maître. Ca porte bonheur… Que de péripéties pendant cette paisible balade !
Bras de Seine
Il m’a fallu du temps pour comprendre le réseau hydrographique de Giverny, qui compte la Seine, son affluent l’Epte, et de multiples bras et dérivations, mais cette fois je suis sûre de moi : ce coin d’eau quasi stagnante où poussent des nénuphars, c’est un bras de la Seine. Je le sais de source sûre car je l’ai suivi de bout en bout, dimanche dernier où il faisait presque beau, depuis l’endroit où il prend naissance à Giverny jusqu’à celui où il rejoint la route. Après, il n’y a plus de mystère. Le bras finit d’enserrer Grande Ile, et retourne à la Seine.
Tandis que j’avançais solitaire le long des maïs sur un chemin impeccablement tondu, les pieds trempés, avec la vague inquiétude qu’il puisse m’arriver quelque chose, je ressentais un sentiment d’aventure oublié depuis longtemps. Comment est-il possible qu’il y ait des lieux si près de chez soi qu’on puisse y aller à pied, des chemins, des rues, des bois, que nous n’ayons jamais explorés ? On n’y pense pas. On peut y aller n’importe quand, alors on n’y va jamais. On creuse inlassablement les mêmes sillons, cent, mille, dix mille fois, et ces sillons nous empêchent de dévier vers d’autres lieux juste à côté.
Il a fallu un petit papier du journal local le Démocrate vernonnais sur la « plage de Giverny » (les guillemets ne sont pas de trop) et le souvenir d’un compte-rendu paru dans le journal municipal du village sur le nettoyage du bras de Seine pour m’aiguillonner. Changer d’aiguillage. Enfin piquée au vif de ne pas connaître ces endroits. Une heure et demie de marche dans la nature, ça donne le temps de s’interroger sur ces étonnantes oeillères qui nous poussent si on n’y prend garde. Je ne sais pas tout de Giverny et de Vernon, loin de là, et je constate même que beaucoup d’informations m’échappent. Mais cette année j’ai décidé d’explorer ce qui est là devant, juste à ma porte, à ma portée. Ce n’est pas aussi exotique que de remonter vers les sources du Nil pour finir par un mémorable « Mister Livingstone, I presume ? » – aujourd’hui mon client m’a abordée par un « Ariane, I assume? » qui m’a fait penser à cette salutation mythique – mais tout le monde n’est pas taillé pour affronter les crocodiles.
En descendant le bras de Seine j’ai repensé à la première fois où j’ai longé sa partie ultime, de Manitôt jusqu’à la confluence avec le fleuve. Ce jour-là les animaux se montraient. Héron, rats musqués, grenouilles, canards… une vraie fête. De la vie partout.
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