L’atelier au magnolia
A l’heure de midi, le soleil est enfin assez haut pour éclairer le magnolia qui pousse derrière le deuxième atelier de Monet à Giverny. Ses rayons viennent chatouiller l’arbre par dessus le faite du toit, donnant des teintes de porcelaine à ses calices roses.
Le magnolia, coincé entre le bâtiment et le grand mur qui borde la route, ne bénéficie pas d’une exposition douillette ni de beaucoup d’ensoleillement. Mais il a l’air de se contenter d’être abrité du vent, et pousse tant qu’il va falloir l’élaguer.
La grande verrière du deuxième atelier est orientée plein nord, selon le voeu du peintre. Elle a été débarrassée de la vigne vierge qui la recouvrait, après avoir colonisé d’abord le quadrillage des carreaux, puis toute la surface vitrée. L’ampélopsis préfère se cramponner à une surface rugueuse, mais avec le temps elle finit par conquérir même le verre, semble-t-il.
A travers la verrière, on aperçoit les fenêtres qui donnent côté sud, au-dessus de la serre et du clos normand. Une double exposition, comme disent les agents immobiliers, qui baigne de lumière le bel atelier du peintre. De l’intérieur, la vue sur le magnolia en fleurs doit être bien jolie en ce moment.
Magnolia
La douceur printanière des derniers jours fait s’ouvrir l’une après l’autre les fleurs les plus précoces, comme les premières étoiles qui s’allument après le coucher du soleil. Chaque jour on peut constater les progrès du printemps. Après les ficaires, les forsythias, les narcisses et les jonquilles, les premiers pissenlits, voici que se mettent à briller les magnolias.
Il y a tant d’espèces de magnolias qu’il n’est pas simple de se retrouver dans la nomenclature. Parmi ceux qu’on voit le plus souvent, on peut distinguer deux constellations, qui gravitent autour du magnolia grandiflora et du magnolia stellata.
Ce latin de jardin est tellement transparent que j’ose à peine insister. Magnolias à grandes fleurs et magnolias étoilés.
Les grandes fleurs du grandiflora ont une apparence étrange, exotique, avec leur forme de tulipe et leurs pétales épais qui ont l’air capables de résister à toutes les agressions, celles des coléoptères pollinisateurs comme celle du froid nocturne, toujours susceptible de surprendre les boutons si pressés de s’ouvrir au sortir de l’hiver. Mais depuis vingt millions d’années que le magnolia est sur terre, on peut supposer qu’il sait ce qu’il fait.
A l’allure altière et singulière du magnolia grandiflora, je préfère l’aspect ébouriffé et bouffon du magnolia stellata.
On dirait des rubans attachés ensemble par un pompon, flottant au vent. Des marottes telles qu’en brandissaient les fous du roi. Les fleurs sont si nombreuses qu’elles s’empilent, se chevauchent et recouvrent totalement les branches, comme sur cet arbre photographié devant l’église de Vernon.
Les premiers visiteurs de Giverny devraient encore profiter de la floraison des magnolias du jardin de Monet. Ils trouveront un grandiflora très imposant derrière le deuxième atelier, visible de la rue, et plusieurs stellata au jardin d’eau. Parmi les arbres qui font la ronde autour du bassin aux nymphéas, ils font partie des rares qui sont déjà passés au vestiaire et ont vêtu leur parure printanière.
Giverny version glam-punk
Kembra Pfahler photographiée par E.V. Day à Giverny
Il faut un peu de temps pour s’habituer. Pour faire cohabiter l’harmonie sereine de Giverny et le look flashy et provocateur de cette beauté sculpturale. Mais une fois le choc visuel passé, les images de cette exposition qui s’ouvre à New-York déploient tout leur pouvoir de fascination.
L’artiste plasticienne new-yorkaise E.V. Day a séjourné en résidence à Giverny pendant l’été 2010. Le travail de Day tourne autour des thèmes de la force féminine et de la culture populaire. En découvrant le jardin estival de Monet, paisible icône de cette fameuse culture populaire, elle a imaginé ce que donnerait la confrontation avec une autre icône, une star du glam-punk, la volcanique chanteuse Kembra Pfahler.
Day qualifie cette confrontation de dissonante et discordante, mais c’est précisément ce qui l’a attirée, puisqu’elle aime explorer « l’énergie propulsive qui résulte de la rencontre de deux entités fortes. » Elle a photographié Kembra dans sa tenue de scène un soir de canicule à Giverny, et dit-elle, tandis qu’elle marchait dans les allées sinueuses perchée sur les talons de ses longues bottes, « elle possédait le jardin comme si elle venait de retrouver son habitat naturel. »
Le plus étonnant, selon ses observations, est qu’une sorte d’harmonie se créait. Alors que la plupart des corps plongés dans le jardin de Monet semblent absorbés par lui, la présence imposante de Kembra et son impact symbolique établissaient un équilibre visuel.
Pourtant, si les images créées par E.V. Day n’ont pas l’air vraies, cela ne tient pas seulement au look de Kembra. C’est aussi parce qu’elles sortent tout droit de Photoshop. Day, inspirée par les reflets dans le bassin, a eu l’idée de symétriser ses images en les dédoublant comme dans un miroir, ce qui leur donne un air un peu artificiel et mystérieux.
Le chêne d’Allouville
On a déjà vu des chênes plus impressionnants. Plus grands, plus majestueux. Mais jamais de plus vieux ni de plus étranges. A Allouville-Bellefosse, en Seine-Maritime, le chêne qui se dresse à côté de l’église mêle son destin à celui des hommes depuis douze siècles.
Dans quelques jours le printemps va une nouvelle fois faire monter la sève dans les branches fatiguées, les feuilles s’ouvriront, témoignage de vie, puis l’arbre se mettra à fabriquer ses glands, pour la mille deux centième fois environ.
Ce qui lui donne son air bizarre et lui confère une certaine célébrité parmi les arbres étonnants de la planète, ce sont les bardeaux dont son tronc est couvert. Au fil des ans l’arbre a perdu son écorce. Il a fallu inventer une protection pour éviter l’agression des intempéries. Tout en haut du tronc mutilé par la foudre, un petit toit lui fait un drôle de chapeau.
Le chêne chenu a aussi droit à des cannes pour le tenir debout. De tous côtés des étais de métal viennent renforcer sa structure défaillante.
On sent dans ces bons soins une intention de préservation. Les êtres vivants qui ont plus de mille ans ne sont pas légion. Un arbre de cinq ou six siècles, comme le platane de Fervaques, c’est déjà beaucoup. Mais ce n’est pas la seule raison. Le chêne d’Allouville, comme d’autres, fait l’objet d’une dévotion mystique.
L’installation d’une chapelle et d’une chambre ermitale dans la cavité de son tronc date de 1696. C’est un curé de la paroisse nommé l’abbé du Détroit qui en a eu l’idée, un nom prédestiné : on accède à la petite chapelle mariale par une fente à peine assez large pour s’y glisser.
C’est une naissance à l’envers. Une fois vaincue la peur de rester coincé, quand on est dans les entrailles de l’arbre, on se sent étrangement bien. Le monde extérieur n’est plus. L’arbre enveloppe le pèlerin de son manteau protecteur. Il règne là un recueillement qui invite à la prière.
Un escalier fait le tour de l’arbre et mène à la petite chambre où vécut en ermite au début du 18e siècle le père du Cerceau, un jésuite lettré qui devait aimer, lui aussi, être encerclé par l’arbre.
Corderie Vallois
Il est toujours intéressant de découvrir comment on fabrique les objets qui nous entourent. Comment, par exemple, on été produits vos lacets de chaussures si impeccablement tressés ? Les embrasses des rideaux, à la torsion parfaite ? La mèche des bougies de votre gâteau d’anniversaire ?
Le plus souvent, aujourd’hui, les méthodes de fabrication des objets nous restent obscures, tenues au secret derrière les murs des usines. L’automatisation les rend d’une complexité telle que le profane ne peut la percer.
Au 19e siècle, ce n’était pas le cas. On a l’impression qu’il suffit d’un peu d’attention et de concentration pour tout comprendre de la façon dont on produisait les objets alors, étape après étape.
C’est ce sentiment de voir dévoilé un monde compréhensible, fruit du génie humain, qui s’impose quand on visite la Corderie Vallois, à Notre-Dame de Bondeville, juste à côté de Rouen.
Cette ancienne filature est devenue une fabrique de cordes en 1880. L’énergie provenait du Cailly, une rivière qui faisait fonctionner 94 usines réparties sur à peine 20 kilomètres. Toutes ces filatures, indienneries, teintureries, corderies, ces tissages avaient un point commun, ils faisaient partie de la filière coton, un matériau qui arrivait à Rouen par bateau.
A partir de la roue à aube, la force hydraulique faisait tourner des arbres de transmission et actionnait toutes les machines de l’usine. A la corderie Vallois, les plus lourdes, en fonte, se trouvaient au rez-de-chaussée.
La corderie Vallois a fonctionné pendant un siècle, jusqu’en 1978. Sa transformation en musée l’a figée dans son état initial, qui plonge le visiteur dans la réalité de la condition ouvrière au temps de Zola ou de Monet. On respire l’odeur de graisse répandue en permanence sur les machines, ont entend leur bruit assourdissant, on perçoit le danger de blessure.
Chaque machine avait sa fonction, tordre les fils, les embobiner, les câbler, en faire des pelotes… Certaines occupent toute la longueur du bâtiment, d’autres ne prennent guère plus de place que votre ordinateur.
Dans un ballet impeccablement réglé, les fils tournent, s’assemblent et composent quelque chose de nouveau qui a un air familier.
Du matin au soir, les ouvrières et les enfants étaient à leur poste, dans la poussière de coton et le vacarme, ce cliquetis de 80 machines lancées au grand galop. Tous les quinze jours, les femmes venaient toucher leur maigre salaire en se présentant au guichet du bureau du directeur. Enfermé dans une cage vitrée dans un coin de l’usine, celui-ci jouissait d’un calme très relatif.
Topinambour
Fleurs de topinambours, Claude Monet 1880, huile sur toile 100 x 73 cm, National Gallery of Art, Washington, D.C. États-Unis.
A la fin de l'année 1880, le paysagiste Claude Monet habite Vétheuil quand il peint plusieurs natures mortes et bouquets de fleurs d'automne : peut-être est-ce l'effet du mauvais temps qui l'oblige à rester à l'intérieur, ou peut-être le désir de se diversifier en proposant autre chose que des paysages, dans l'espoir de réaliser de meilleures ventes. Les temps sont difficiles.
Entre deux averses, Monet va faire un tour dans son jardin de Vétheuil et cueille de pleines brassées des grandes fleurs que celui-ci lui offre en septembre-octobre. Il peint des dahlias, des mauves, des asters, des chrysanthèmes. Et des topinambours.
C'est du moins le nom que porte cette toile, Fleurs de topinambours.
Qui l'a baptisée ainsi, Monet ou un marchand ? Sans aucun doute ce sont des hélianthes, un genre qui regroupe des dizaines d'espèces, mais s'agit-il vraiment de topinambours, alias helianthus tuberosus, les hélianthes cultivées pour leurs tubercules ? Si c'est le cas, alors les topinambours étaient beaucoup plus florifères qu'aujourd'hui.
Je sens que la question vous laisse de marbre. Elle m'importe, car je vous parle d'expérience. Séduite par ce tableau, je me suis mis en tête de cultiver des topinambours l'an dernier dans un coin de mon jardin.
Le topinambour revient timidement sur le devant de la scène culinaire. Soixante-dix ans après la guerre, il a toujours une réputation sulfureuse qui lui colle à la peau, en compagnie de son âme damnée le rutabaga.
Si vous en avez goûté récemment, vous savez que c'est délicieux, un goût qui fait plus que rappeler l'artichaut, qui est exactement semblable au fond d'artichaut le plus délicat. Évidemment, il faut aimer. Et surtout consommer avec modération.
On se lasse vite de certains légumes, c'est peut-être ce qui a causé tant de tort au malheureux topinambour. Non rationné pendant l'Occupation, il revenait trop souvent au menu. En trop grande quantité.
Bien décidée à faire fi de ces préjugés d'un autre âge, au printemps j'ai mis en terre six pieds de topinambours.
J'ai vu les tiges poindre, s'étoffer, grandir, se hisser, se hausser, se hâter de s'élever à n'en plus finir. Quatre mètres, quatre mètres cinquante. Une prouesse technique, un exploit, un numéro de cirque qui méritait des applaudissements, qui faisait s'arrêter les passants. Mais de fleurs, point.
L'automne vint, et tout en haut d'une tige interminable, une corolle timide s'ouvrit. Je retenais mon souffle, espérant toujours un bouquet de soleils en plein ciel.
Il n'y eut pas d'autre fleur. Les feuilles fanèrent et noircirent. Sous les tiges desséchées, un coup de bêche révéla d'étonnants tubercules en forme de fleurs, à la peau rose et ridée.
Les six pieds ont donné des kilos et des kilos de topinambours. C'est donc pour cela qu'on en mange toujours trop ! J'en ai distribué à tout le monde, y compris au livreur de machine à laver. Mais pas deux fois, il ne faut pas abuser des bonnes choses quand il y a du météorisme dans l'air.
Cette année, si les topinambours veulent bien éviter de repousser spontanément, je planterai des hélianthes.
Vernon dans les Misérables
Si votre dernière lecture des Misérables remonte aussi loin que la mienne, vous avez probablement oublié que Victor Hugo situe une partie de l’intrigue à Vernon. Pour faire simple, c’est là que demeure le père de Marius.
Cet épisode nous vaut une description des plus charmantes de la ville vue côté Seine.
Quelqu’un qui aurait passé à cette époque dans la petite ville de Vernon et qui s’y serait promené sur ce beau pont monumental auquel succédera bientôt, espérons-le, quelque affreux pont en fil de fer, aurait pu remarquer, en laissant tomber ses yeux du haut du parapet, un homme d’une cinquantaine d’années coiffé d’une casquette de cuir, (…) se promenant à peu près tout le jour, une bêche ou une serpe à la main, dans un de ces compartiments entourés de murs qui avoisinent le pont et qui bordent comme une chaîne de terrasses la rive gauche de la Seine, charmants enclos pleins de fleurs desquels on dirait, s’ils étaient beaucoup plus grands : ce sont des jardins, et, s’ils étaient un peu plus petits : ce sont des bouquets. Tous ces enclos aboutissent par un bout à la rivière et par l’autre à une maison.
Victor Hugo, Les Misérables, Troisième partie – Marius – Livre troisième – Le grand-père et le petit-fils – Chapitre II – Un des spectres rouges de ce temps-là.
Je ne garantis pas cette vue de Vernon prise sur le motif, car il n’est pas sûr que le grand littérateur s’y soit arrêté. Je crois me souvenir qu’il n’a fait que voir la ville du train, c’est-à-dire fort peu.
Les Misérables sont parus en 1862, une époque où la quasi totalité des fortifications de Vernon était déjà démolie. Y a-t-il eu à leur place, pendant quelques temps, de petits enclos potagers ? Vingt ans plus tard, quand Monet peint la collégiale en 1883, on n’en voit aucun.
Et aujourd’hui, on a du mal à imaginer des terrasses et des enclos le long de la Seine, que ce soit au pied de la collégiale ou de l’autre côté du pont. Mais le niveau de l’eau était plus bas, et s’agissant de mouchoirs de poche…
Photos de Giverny
J’ai enfin rassemblé mes plus belles photos de Giverny dans une galerie en ligne. Elle se trouve à l’adresse giverny-photo.com et présente une sélection de 200 photos de Giverny à travers les saisons, classées par thèmes.
La galerie se compose actuellement de 14 albums sur les aspects les plus emblématiques du jardin et de la maison de Monet, le pont japonais, les nymphéas, la grande allée, le clos normand…
La sélection a été délicate, dans l’intention de retranscrire au plus juste l’esprit des lieux. Elle m’a pris beaucoup de temps, car j’ai passé en revue les 10 000 photos prises en 2011, pour commencer, et fait virtuellement le tour du jardin un nombre infini de fois ! Les années précédentes restent à explorer systématiquement.
Comment choisir ? La question ne m’a pas lâchée pendant tout ce temps. Y répondre, c’est répondre à la question, pourquoi cette galerie de photos de Giverny ?
Les raisons en sont mutiples.
Il y a la joie du partage, car malgré l’espace de publication offert par les deux blogs givernews.com et giverny-impression.com, je n’ai pas le temps en saison de publier les photos les plus belles, juste pour le plaisir des yeux.
Il y a la sécurité, les supports sur lesquels sont stockées les photos numériques sont fragiles, un stockage distant les protège.
Il y a aussi l’envie de professionnaliser cet aspect de mon activité qui me plaît beaucoup, et d’être en mesure de présenter mon travail aux médias à la recherche d’une illustration.
Alors, comment choisir ? J’ai essayé de répondre aux requêtes éventuelles, et pour cela il faut des plans larges, où l’on reconnaît bien le jardin. Et par ailleurs j’ai gardé certaines photos qui m’émeuvent et me donnent une irrépressible envie de me précipiter à Giverny. C’est tellement, tellement beau.
D’autres albums suivront, car pour l’instant j’ai écarté les thèmes qui ne sont pas spécifiquement givernois, tels que les portraits de fleurs. Les photos comme celle de ce pavot un peu théâtral, chef d’orchestre prêt à lancer d’un coup de baguette le premier accord, viendront plus tard. La petite histoire que raconte chaque fleur m’amuse beaucoup, c’est un aspect que j’ai envie de continuer à explorer.
Acheter son billet à l’avance
La Fondation Monet ouvre dans un mois exactement, le 1er avril, et il est d’ores et déjà possible d’acheter son billet d’entrée en ligne. Un lien e-ticket à cet effet se trouve dans la colonne de gauche de ce blog.
C’est une sage précaution de prendre votre billet à l’avance, si vous envisagez de venir à Giverny un week-end de printemps, par exemple, et même en semaine, car la file d’attente à la caisse peut être assez longue, et atteint parfois deux heures. Les jours les plus chargés sont les ponts de mai-juin.
Le billet électronique est à peine plus cher que si vous l’achetez sur place, où il coûte 9 euros cette année pour un adulte, 5 euros pour les enfants et les jeunes entre 7 et 25 ans (c’est gratuit pour les petits jusqu’à 6 ans).
Une fois sur place, muni de votre billet coupe-file, ignorez superbement la queue devant l’entrée des visiteurs individuels et dirigez-vous vers l’entrée des groupes. Elle se situe en bas des jardins, au coin de la grande route qui vient de Vernon (D5), dans la petite ruelle Leroy.
Selon les heures et l’affluence, vous passerez par la porte 1 bis, ou si elle est fermée, par la porte voisine. Un surveillant scannera votre billet, et hop ! vous êtes à l’intérieur, à deux pas du jardin d’eau.
Les billets électroniques peuvent être achetés plusieurs mois à l’avance, ou le jour même.
Le week-end, la meilleure heure pour visiter les jardins de Monet est à l’ouverture. Avec votre billet coupe-file, vous pouvez entrer un peu plus tôt, vers 9h15, alors que la caisse des individuels n’ouvre qu’à 9h30. Cela vaut la peine de faire l’effort d’être là de bonne heure. Ces quelques minutes de quasi solitude, où le jardin s’éveille, sont purement magiques.
Si vous n’êtes pas du genre lève-tôt, le bon plan est de choisir au contraire la fin d’après-midi d’un jour de semaine. Arrivez avec vos billets vers 16h. La dernière heure, entre 17 et 18h, est un régal. Les jardins et la maison sont à vous ou presque, la lumière est chaude et douce. (Cette astuce est moins vraie le week-end, les visiteurs restent plus tard l’après-midi.) Et si vous hésitez sur le jour de la semaine auquel venir, le mercredi est le plus calme.
Pourquoi j’insiste ? Parce que beaucoup de personnes ne s’attendent pas au monde qu’il y a à Giverny. 611 000 visiteurs en 2011, en l’espace des sept mois d’ouverture !
Les allées des jardins de Monet sont étroites, certaines pièces de la maison minuscules. Pour profiter du charme de l’endroit, il vaut mieux être un peu au calme.
Cartes postales anciennes
Les archives départementales de l’Eure ont fait l’effort de scanner un très grand nombre de cartes postales anciennes : 27000 à ce jour, on dirait le code postal d’Evreux, un chiffre symbolique. Les cartes sont non seulement numérisées, mais aussi classées et taguées pour faciliter les recherches par critères.
La production de cartes a été tellement considérable au début du siècle dernier qu’il ne s’agit évidemment pas de la totalité de celles qui existent. Mais on en a tout de même un large panel.
La recherche sur Giverny livre 90 vues. Bien que propriété privée, les jardins de Monet existaient déjà en cartes postales. On y trouve quelques-unes des vues classiques de la grande allée, à l’époque où elle était encore bordée d’épicéas, entiers, puis tronqués.
Impossible de savoir quand la photo a été prise. Les archives ont omis de préciser si la carte avait circulé, et quand. On aurait aimé voir le verso. On aurait aussi aimé pouvoir zoomer davantage. En dépit de ces petites restrictions, tel qu’il est, ce fonds est un cadeau phénoménal offert au public.
C’est émouvant de se promener dans les images des villes et villages d’hier, dans ces vues noir et blanc ou sépia où l’on reconnaît les monuments, inchangés, mais où les personnes mènent une vie qui n’est plus la nôtre.
Les lavandières battent le linge, les fermières traient les vaches, les passagers vont monter dans le train à vapeur. Tout ce monde porte des vêtements qui n’existent plus, s’embarrasse d’ombrelles, de cannes, de chapeaux.
A Giverny, les photos restituent les meules de blé, comparables à celles de Monet, de Blanche Hoschedé-Monet, de John Leslie Breck.
Des vues de rangées de peupliers, qu’on élaguait à l’époque aussi haut que possible pour en tirer des fagots, corvée d’un temps où il fallait faire feu de tout bois.
Et des vues des bords de l’Epte à n’en plus finir, comme si les photographes avaient succombé à la même fascination que les peintres de la colonie américaine de Giverny, dont c’était le motif de prédilection.
Volets peints
D’un côté, c’est un lis épanoui qui pousse dans un pot, une libellule posée sur l’une de ses feuilles.
De l’autre, un gros bulbe fraîchement planté dans un autre pot, prêt à pousser, et un papillon qui volette.
Au-dessus, un seau de bois est suspendu.
A quoi sert-il ?
A offrir force arrosage à l’oignon pour le faire grandir ?
Ou menace-t-il de l’écrabouiller un jour, tel une épée de Damoclès ?
Chacun peut s’inventer sa propre histoire en passant, et se laisser emporter par cette brindille de poésie.
C’est frais comme l’ombre délicate offerte par les deux arbres, dont des branches pendent à la manière des saules pleureurs.
Cette jolie fenêtre toute seule sur son mur se trouve à Chartres, et elle offre plus d’une énigme.
Qu’y a-t-il de l’autre côté des volets ?
Et pourquoi un morceau en est-il absent, privant d’emploi la tête de bergère ?
L’entrée de Giverny en hiver
L’entrée de Giverny en hiver, Claude Monet, 1885, huile sur toile, 65.5 x 85.5cm. Collection particulière.
Les ventes de paysages de neige sont réputées difficiles… surtout à la belle saison. Sotheby’s a opportunément programmé en pleine vague de froid la vente de ce beau Monet enneigé, ce qui a sans doute contribué à enflammer les enchères.
Le marteau est tombé à 9,8 millions d’euros, nettement au-dessus de la fourchette haute de l’estimation.
L’heureux acheteur emporte une petite merveille. (Vous pouvez voir un très grand agrandissement de cette toile en cliquant trois fois sur l’image.) Une petite merveille qui était jusqu’ici jalousement conservée loin des yeux du public par la famille Canonne, héritière du pharmacien parisien du même nom, grand collectionneur des impressionnistes et post-impressionnistes à partir des années 20. L‘Entrée de Giverny en hiver n’a été exposée que deux fois, à Paris, en 1930 et en 1969.
Rien ne dit que les chances de le voir sont plus grandes dorénavant. L’acheteur a conservé l’anonymat, le tableau passe d’une collection particulière à une autre.
Monet habite depuis dix-huit mois à Giverny quand il peint une courte série de quatre vues de ce paysage, l’entrée de Giverny en venant de l’Est, de Sainte-Geneviève-les-Gasny. L’endroit n’a presque pas changé. On voit toujours la courbe de la route, et la rangée de maisons à droite, précédées d’un talus où prospèrent les buddleias sauvages.
Sur cette toile, Monet a saisi les tonalités mauves et roses du coucher de soleil sur la neige. Les traces dans la neige, sur la route, figurées à grands coups de brosse, donnent beaucoup de dynamisme à la composition.
L’iris éclatant de Sophie Peslier
Quelle merveille que cet « iris éclatant » !
L’oeil se régale à se promener dans cette luxuriance, cette débauche de couleurs.
Sophie Peslier est l’auteur de ce pastel inspiré par une photo des iris de Monet publiée sur ce blog.
Elle a magnifiquement rendu le velouté, le brillant, l’épaisseur de chaque pétale pour dégager toute la personnalité de la fleur.
C’était une joie de découvrir son travail, c’en est une encore de le partager avec vous.
Dites-le avec des timbres
Il y avait le timbre en forme de coeur, décliné par les plus grands noms du graphisme ou de la mode, idéal pour affranchir les courriers tendres, un peu ironique pour régler les contraventions. Les Valentins et les Valentines d’aujourd’hui peuvent faire mieux encore : créer leurs propres timbres, en ligne, grâce au service de personnalisation proposé par la Poste.
J’ai été touchée de recevoir un faire-part de mariage orné du timbre ci-contre. Les amoureux ont choisi le pont japonais de Monet comme emblème à leur engagement, c’est une belle image, puisque le mariage unit deux familles, deux êtres qui se rencontrent à mi-chemin, au milieu du pont.
Je connais bien ce jeune couple-là, je me souviens de ce jour de printemps radieux à Giverny, où ils avaient mis spontanément un t-shirt de la même couleur. Rouge passion, au milieu de tout ce vert espoir.
A tous les couples, à toutes les amours naissantes, je souhaite une longue vie d’harmonie.
Et de planer un petit peu, au-dessus de la terre, au-dessus de l’eau.
Le legs Monet dans les archives de l’INA
Pour occuper les longues soirées d’hiver, le site internet de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) recèle des milliers d’heures d’enregistrements d’archives de la radio et de la télé françaises aptes à captiver chaque internaute.
Supposons que vous vous intéressiez à Giverny et à Monet. Il suffit d’aller sur ina.fr et de taper, disons, Monet dans la zone Recherche. De grands moments de télévision vous attendent.
Laissons de côté le premier document en date, l’inauguration de l’exposition du centenaire de Monet et Rodin en 1941, dans le Paris de l’Occupation, et le second, en 1965, qui évoque une vente aux enchères. Le premier reportage à m’avoir scotchée s’intitule « levée des scellés de la collection Claude Monet » à Sorel-Moussel, au domicile de Michel Monet.
Daté de février 1966, il fait suite au legs par Michel Monet de la collection de son père à l’Académie des Beaux-arts. Dans sa grande maison des bords de l’Eure, « les Blondeaux », le fils de Monet conservait ses tableaux préférés. Il avait notamment fait encadrer ensemble les portraits de ses parents Camille et Claude faits par Renoir. De purs chefs-d’oeuvre sont là, et c’est un moment d’une rare émotion de les découvrir en même temps que leurs bénéficiaires. Le singe de Michel Monet suit toute l’affaire des yeux, juché sur une épaule, tandis qu’apparaissent deci-delà quelques objets rapportés d’Afrique par son maître.
Quelques jours plus tard, en mars 66, dans son reportage « Peintures Monet », la télé s’invite à Giverny.
La maison de Monet était alors une propriété tout à fait privée, sans occupant depuis la mort de Blanche Hoschedé en 1947. Après un bref tour dans le jardin, les images nous font entrer dans la salle-à-manger, en compagnie de maître Bourdon, administrateur des biens de Claude Monet. On reconnaît un buffet, encore plein de la vaisselle familiale, les chaises, et les estampes au mur. Partout sont entassées les toiles de Monet qui étaient restées à Giverny, toiles tardives du temps de la cataracte, longtemps dépréciées : 46 tableaux, précise l’administrateur.
Le reportage se poursuit dans le deuxième et le troisième atelier, et c’est une surprise de les découvrir avant leur restauration. Je n’ai pas vu les arbres qui poussaient supposément dedans, en revanche les transformations apportées ultérieurement au deuxième atelier sautent aux yeux.
Le reportage est suivi d’une interview d’Emmanuel Bondeville, qui était alors le secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-arts. En plan fixe devant une fenêtre de l’institut de France qui donne sur le quai de la Seine, il s’exprime sur les conditions de ce legs. Au fil de ses propos, on peut voir les bouquinistes tenir leurs éventaires, et les flots de voitures couler ou s’arrêter au feu rouge. DS, Dauphine, Simca 1000, 2CV, Ami 6, 4L, Vespa, et même le bus vert de la RATP, c’est 1966 qui défile en arrière-plan, et la juxtaposition du discours en termes choisis de l’académicien et de ces voitures miniatures transporte réellement dans une autre époque.
En 1971, tous les tableaux transférés au musée Marmottan sont présentés au public (Reportage « Monet du musée Marmottan« ). A l’occasion de cette exposition, le conservateur du musée Pierre Schneider parle avec beaucoup de sensibilité de la peinture de Monet, de son amour de l’eau, du passage du stable à l’instable, et de sa façon de « hausser le paysage jusqu’à l’épopée ».
Enfin, un amusant reportage de 1972, « Exposition Claude Monet« , commente la popularité toute neuve du musée Marmottan qui, avant le legs Monet, ne recevait paraît-il que 300 visiteurs par an. A se demander s’il était ouvert quelquefois.
Depuis la terrasse
Voici la vue que Monet pouvait contempler depuis les fenêtres de sa salle-à-manger, les jours où il avait neigé à Giverny.
Les ifs se dressent majestueux en haut de l’allée, les arceaux et les pommiers du Japon scintillent de givre, tandis qu’on devine à droite l’atterrissage d’une escouade de soucoupes volantes.
Ce sont les rosiers en arbres, dont les rameaux fragiles sont empaquetés dans du voile d’hivernage.
Au premier plan, les massifs où, dans deux mois, les tulipes roses géantes se dresseront au-dessus d’un tapis de myosotis.
Les bulbes sont déjà là, blottis sous la neige, dans l’attente de jours meilleurs.
La saison du blanc
La maison de Claude Monet vue depuis la volière de son deuxième atelier. D’habitude tout est vert dans ce coin du jardin ombragé par des tilleuls dont certains datent encore de l’époque du peintre. Verts les feuillages, vert le fin gazon qui recouvre l’allée…
A l’arrière-plan, on distingue la silhouette du troisième atelier, et celle d’un séquoia dans un parc voisin, planté quand Giverny était un village de villégiature.
Givre et neige à Giverny
Dans Giverny il y a hiver. Et toutes les lettres du mot neige, et du mot givre.
Pourtant il est rare que l’hiver vienne jeter sur le jardin de Monet sa robe de mariée, et que celle-ci étincelle de perles et de diamants dans les rayons du matin. Pour qu’un velours épais et chatoyant recouvre Giverny, il faut des conditions particulières, beaucoup de neige d’abord, du soleil glacé ensuite, au lieu de l’habituel redoux.
Cet exceptionnel tour de magie a eu lieu ce matin. Après les flocons de dimanche est venu le grand froid : -13° au petit jour. La Seine et l’Epte fumaient une haleine tiède dans l’air glacial, et toute cette humidité devenait cristal aux alentours. Chaque brindille s’est épaissie d’une armure piquante et fragile qui miroitait dans la lumière.
Je n’avais jamais vu le jardin pris par le givre. La beauté de sa métamorphose m’a captivée trois heures durant, le souffle coupé non de froid mais d’émerveillement.
Dans Giverny, il y a « J’y vais ».
La baie du Mont-Saint-Michel
Parcourir à pied la baie du Mont Saint-Michel, c’est une belle balade à faire même en hiver, quand le temps est clément. Si l’on n’est pas du coin, il est indispensable de prendre un guide pour déjouer les pièges mortels que cette zone entre mer et terre tend aux imprudents.
Les guides de la Baie ne font pas que vous accompagner, ils proposent une analyse du milieu qui permet de comprendre les spécificités de l’écosystème local.
A la base de tout, il y a la tangue, un sédiment composé de sable et de vase. La mer apporte des sables et des débris de coquillages, les rivières (pardon, les fleuves) qui se jettent dans la baie charrient des argiles, tout cela se mélange à chaque marée, pour se déposer ou repartir au large, au gré des flots.
La tangue est un terrain fertile, dans la région du Mont elle sert d’amendement aux sols acides. Au sud du Mont, depuis longtemps des polders ont été gagnés sur la mer.
Plus on s’avance vers le nord, vers le Mont, plus les terrains sont susceptibles d’être visités par les vagues. Leur pente imperceptible laisse monter l’eau plus ou moins loin, selon le coefficient de marée. La fréquence avec laquelle l’eau salée recouvre le sol varie, de même pas une fois par an à deux fois par jour. La végétation varie en conséquence.
Juste au-dessus de l’estran, dans des zones que la mer recouvre régulièrement mais pas tous les jours, on trouve les fameux prés salés. Ces herbus sont colonisés par des plantes halophytes, c’est-à-dire qui supportent le sel. Certaines sont délicieuses, croquantes et savoureuses, comme la salicorne ou l’obione, alias faux pourpier. D’autres sont appréciées des moutons, comme la puccinellie, une graminée de bord de mer qui a l’apparence de l’herbe la plus banale. Au total 70 espèces se partagent ce domaine instable et menacé.
Car la cartographie de ces terrains change d’une année sur l’autre, selon les fantaisies des cours d’eau, qui serpentent dans la baie et balaient la tangue sur leur passage. Pour l’instant, les herbus gagnent du terrain. Mais cela devrait changer bientôt, grâce au vaste programme de restitution du caractère maritime du Mont.
Au Mémorial de Caen
A la cafétéria du Mémorial de Caen, la jeune femme qui vous sert un café aussi noir que sa peau s’appelle Pacifique. Un prénom prédestiné pour travailler dans ce musée « Cité de la Paix ». Quand on le lui dit, son rire éclate, éclaboussant de gaieté les idées sombres.
Ce n’est pas gai de visiter le Mémorial de Caen, « le » musée français de la Seconde Guerre mondiale. Oppressant même de parcourir ce grand livre d’histoire où l’architecture est au service du propos pour faire comprendre et ressentir les évènements, les causes du conflit, son évolution, ses suites.
Mais le Mémorial se veut aussi un espace où plaider pour les droits de chaque être humain. C’est dans cet esprit que chaque année depuis quinze ans, a lieu le concours de plaidoiries pour les Droits de l’Homme.
Ce concours s’adresse en priorité aux lycéens, mais aussi aux élèves avocats et aux avocats. Jeunes ou ténors du barreau choisissent eux-mêmes une cause qu’ils souhaitent défendre.
Plus de 800 lycéens y ont participé cette année. Après avoir franchi la sélection régionale, les meilleurs se départageaient ce week-end au Mémorial de Caen.
C’est réconfortant de voir tous ces jeunes s’indigner. Prendre fait et cause pour la corne de l’Afrique, contre la répression en Syrie, pour la liberté d’expression en Russie, ou plus près de nous pour le droit à une fin de vie digne et heureuse.
Je suis repartie du Mémorial avec dans le coeur l’espoir offert par leurs messages de refus de l’inacceptable, leur jeune éloquence contre l’indifférence.
Et le rire de Pacifique.
Le cimetière monumental de Rouen
On est souvent un peu déçu par les tombes des gens célèbres. On s’attendait à quelque chose de grandiose, à l’image de leur talent ou de leur aura, on se retrouve devant une dalle banale qui pourrait être celle de n’importe qui.
A Rouen, le grand cimetière qui domine la ville se nomme, en toute simplicité, le cimetière monumental. Au 19e siècle, cela devait ressembler à une ville pour les fantômes, un alignement de chapelles familiales ornées de vitraux et de fer forgé. Aujourd’hui, beaucoup de ces monuments funéraires souffrent du manque d’entretien, jusqu’à offrir parfois l’image d’un chaos de dalles, bousculées, basculées en tous sens, comme si l’aube était venue figer l’ouverture des tombeaux pour quelque sabbat nocturne.
Je ne sais pas ce qui se passe la nuit, mais en pleine après-midi, l’atmosphère est paisible et la balade agréable, le long des allées rectilignes animées par les silhouettes des ifs et des pins.
La vue, surtout, est splendide. On a offert aux morts un belvédère d’où ils peuvent contempler à loisir les vieux quartiers hérissés de clochers, tapis autour de la cathédrale, et le sillon argenté du fleuve enjambé par les ponts.
C’est déjà une bonne raison pour venir flâner dans ce Père-Lachaise normand, à goûter la mélancolie du temps qui passe. Une autre est d’aller se recueillir sur la tombe du plus célèbre hôte de ces lieux : Gustave Flaubert.
De là-haut, s’il se penche un peu, le grand romancier peut presque apercevoir le musée Flaubert, pardon, l’ancien Hôtel-Dieu où il est né et a passé les vingt-cinq premières années de sa vie, en tant que fils du chirurgien-chef. De sa maison natale à sa dernière demeure, c’est un tout petit parcours pour quelqu’un qui a tant transporté ses lecteurs.
Le flaubertien du dimanche franchit donc la porte du cimetière monumental de Rouen et se met en quête de la signalétique vers la tombe illustre. Et là, surprise, Flaubert a de la compagnie. Sépultures Louis Bouilhet et famille Flaubert, suggère la pancarte.
Le flaubertien du dimanche s’étonne. Qui est donc ce Louis Bouilhet qui a le culot de voler la vedette au génie du roman réaliste ? Comment s’y est-il pris pour figurer sur le même panneau ?
En fait, ce n’est pas si étrange que cela, et simplement l’effet de l’ordre alphabétique. Car si Louis Bouilhet a sombré dans l’oubli, sauf pour les flaubertiens à plein temps, il a pourtant compté beaucoup pour son grand ami Gustave. Tous deux se sont connus au collège, pour devenir intimes à 24 ans.
Bouilhet a d’abord fait des études de médecine, avant de se tourner vers la littérature. Il écrit, des vers, des pièces, bien accueillis et pour lesquels Flaubert a beaucoup d’estime. A sa mort, son succès n’est pas assez éclatant cependant aux yeux du conseil municipal de Rouen pour justifier l’édification d’un monument à sa mémoire. Flaubert, qui est le mandataire de la souscription, s’énerve de ce refus. Sa lettre à la municipalité est un bijou de raillerie et de férocité.
Flaubert devait bien cet engagement à son « accoucheur ». Cent cinquante ans plus tard, on ne lit plus Bouilhet, mais son influence sur l’oeuvre de son ami se sent encore, lui que Flaubert nommait « ma conscience littéraire, mon jugement, ma boussole ».
La Prairie
Si vous aimez les jardins de graminées, il en est un à ne pas rater à Giverny. Il s’appelle très justement la Prairie : c’était le nom de la parcelle, et pour une composition d’herbes, on ne pouvait mieux trouver.
C’est en fin de saison que la Prairie est au faite de sa beauté, quand ses panaches plumeux s’entremêlent, que les feuilles se dorent, quand chaque variété forme d’énormes coussins doux, animés par la brise.
Au loin, de grands arbres marquent le cours de l’Epte, dont un bras traverse la Prairie. Au printemps, le ruisseau glougloute entre les iris jaunes. Puis il accueille la danse des patineurs de bassin, tandis que de longues algues y ondulent.
La masse mauve du coteau creusé par la Seine borne l’horizon.
Aucune haie, aucun grillage n’enserre la Prairie, qui se fond avec naturel dans les cultures. En été, parfois, un champ plein de coquelicots, jadis peint par Monet, la prolonge.
On peut pique-niquer sur les parties herbues, ou à l’ombre dans le bosquet près de la rivière.
Ce jardin presque sans fleur a été créé par une femme, Florence Robert, à la demande de la mairie de Giverny. Architecte-paysagiste, Florence Robert est une collaboratrice du cabinet d’architecture Reichen et Robert, les créateurs du musée des Impressionnismes.
J’ai fait cette photo le 1er novembre, à 18h, en allant chercher une dernière fois ma voiture. Eh oui ! La Prairie, c’est le nom du grand parking de Giverny. Trois cents places où laisser vos chevaux vapeur brouter tranquilles, les roues dans l’herbe.
Emile Verhaeren
Cette paire de moustaches à la gauloise n’appartient pas à quelque chef de tribu du temps des Véliocasses ou des Eburovices, mais à un esprit très raffiné de la fin du 19e siècle : le poète belge Émile Verhaeren.
Son buste se dresse dans les jardins de l’abbatiale Saint-Ouen de Rouen. C’est en effet à Rouen que le poète a trouvé la mort en 1916.
Émile Verhaeren a l’honneur d’avoir écrit, à côté de magnifiques vers pour lecteurs adultes, quelques poèmes qui s’apprennent encore dans les écoles primaires. Peut-être celui-ci, tout à fait de saison, vous rappellera-t-il des souvenirs :
Monsieur le vent
Ouvrez les gens, ouvrez la porte,
Je frappe au seuil et à l’auvent,
Ouvrez les gens, je suis le vent
Qui s’habille de feuilles mortes.
Entrez monsieur, entrez le vent,
Voici pour vous la cheminée
Et sa hotte badigeonnée.
Entrez chez vous, monsieur le vent.
Émile Verhaeren a eu aussi une intense activité de critique d’art, défendant les peintres modernes, et parmi eux Claude Monet. Bien que, né en 1855, le poète soit de quinze ans le cadet du peintre, en 1885 rien n’est encore acquis pour les impressionnistes. Dans Le Journal de Bruxelles, à l’occasion d’une exposition d’oeuvres impressionnistes, Émile Verhaeren ne mâche pas ses mots :
L’homme qui le premier s’est improvisé paysagiste impressionniste, c’est Claude Monet. Plus que personne il est le superbe révolutionnaire et pour l’instant le principal bafoué. C’est de règle. Voyant de manière plus parfaite, plus profonde, plus délicate, il est nécessaire qu’il subisse tous les lazzis des daltoniens de la peinture et de la critique, des immobilisés de tout âge et des retardataires de toute arrière-garde.
Je ne sais pas si Verhaeren a rencontré le maître de Giverny. En revanche, il était un ami de Maximilien Luce, qu’il fait venir en Belgique où Luce va se faire le chantre du Pays Noir.
Verhaeren aura été l’une des gloires de son temps, un homme de lettres ami des têtes couronnées, traduit en vingt langues. Quand la Première Guerre mondiale éclate, le poète met sa célébrité au service de la paix. Il est sollicité pour des conférences. C’est au lendemain de l’une d’elles, en 1916, à Rouen, que l’accident arrive. A la gare, la foule autour de lui est dense. A-t-il été bousculé ? Tente-t-il de monter dans le train alors que celui-ci roule encore ? A l’instant où la locomotive entre en gare, Verhaeren chute et est écrasé par le convoi.
Si cette mort stupide a quelque chose de révoltant, cette fin est étonnamment chargée de symbole. Le critique qui a défendu Monet s’éteint dans la ville que le peintre a célébrée, dans une gare, symbole de la modernité.
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