Le pont de Mantes
Quand on franchit la Seine de Mantes-la-Jolie à Limay, l’élégant pont de pierres qui subsiste presque intact sur un bras du fleuve attire le regard. Avec sa pittoresque petite maison à l’extrémité, il a un air familier : c’est le modèle d’un célèbre tableau de Corot conservé au Louvre, popularisé par la philatélie.
Le tableau se nomme Le pont de Mantes, mais pont de Limay serait plus juste. C’était l’autre partie du pont, entre l’île et Mantes-la-Jolie, qui s’appelait le pont de Mantes. Passons. Corot, dont on a déjà du mal à savoir s’il se prénommait Camille ou Jean-Baptiste, n’est pas entré dans ces subtilités.
Mantes-la-Jolie se trouve en Île de France à une cinquantaine de kilomètres de Paris, assez près pour que soit organisée depuis 1935 une marche nocturne Paris-Mantes qui réunit plus de trois mille sportifs le dernier dimanche de janvier.
Et Mantes se trouve bien loin de Nantes, en Bretagne, sur la Loire, à qui le tableau de Corot est parfois attribué, par contagion sans doute avec la fameuse chanson « Sur le pont de Nantes, un bal y est donné ». Mais Mantes n’est pas davantage Avignon, pas de bal donné sur le pont, pas de chanson et pas de tragédie, non.
C’est paisible, Corot, c’est pour ça qu’on l’aime. Pour cette lumière argentée qui enchante le paysage, pour ses arbres brumeux, fumeux, pour ses architectures solides et douces. Et pour ses petits personnages à bonnets rouges qui viennent donner de la vie au paysage, à la manière classique.
La photo n’est pas prise sous le même angle que le tableau. Le peintre devait se trouver en diagonale par rapport au pont, sur l’île aux Dames. On reconnaît tout de suite la curieuse maison du passeur. Le bâtiment du milieu, sans doute un moulin, a disparu. Le pont lui-même a été endommagé par le Génie français en 1940 et n’a pas été reconstruit.
Les arches paraissaient plus hautes quand Corot les a peintes. C’est que le niveau de la Seine, depuis qu’elle est aménagée, canalisée presque, a monté. On peut se figurer sous la surface les belles arches de pierre, ce qui donne une idée de la profondeur actuelle du fleuve, autour de cinq ou six mètres me semble-t-il. Difficile aujourd’hui d’imaginer que nos lointains ancêtres pouvaient, en été, trouver des endroits pour passer à gué.
Mais revenons au tableau. Corot a séjourné fréquemment à Mantes, et il aimait tellement ce paysage qu’il l’a peint plusieurs fois. Mais pourquoi s’installer sur l’île plutôt que sur la berge de Limay, où la vue sur le pont est plus dégagée ?
Mon hypothèse est que c’est à cause des arbres, justement. Le vrai sujet du tableau, si je peux hasarder cette interprétation, ce n’est pas le pont, ce sont les deux arbres au premier plan, en plein milieu de la composition. Regardez comme celui de droite, plus fin, moins massif que celui de gauche, ondule langoureusement.
On dirait un couple qui se rapproche de plus en plus, et on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a une histoire d’amour là-dessous, peut-être entre Corot et la tante d’un de ses amis d’enfance, une certaine Madame Osmond qui habitait Mantes et portait un prénom à faire rêver : Parfaite.
Les îles fantômes
En juillet, après la fenaison, les prés qui s’étendent dans la vallée de la Seine entre Vernon et Giverny laissent apparaître un réseau de lignes d’un beau vert, autour de zones plus sèches. Sur place, on voit qu’elles correspondent à des fossés où le sol reste humide même au coeur de l’été. Ce sont des bras asséchés du fleuve, qui entouraient jusqu’au 19e siècle tout un puzzle d’îles.
Les cartes anciennes révèlent que ces petites parcelles de terrains ceints par la rivière portaient toutes des noms, tout comme les îles qui subsistent encore à Vernon dans le lit du fleuve : l’île Corday, l’île du Talus, l’île Saint-Jean…
Parmi celles qui ont disparu figurait l’île aux Hortils. Hortil vient du latin hortus, le jardin, un lieu clos où l’on fait pousser fruits et légumes. On maraîchait beaucoup sur les îles, où le sol est riche, meuble, et où on a sous la main toute l’eau nécessaire à l’arrosage. A Amiens, les célèbres Hortillonnages sont toujours cultivés.
De nos jours, les anciennes îles ont été reconverties en prés à vaches, en terres à maïs. Là où elles sont hélas devenues des friches, les mauvaises herbes prospèrent sur ces sols fertilisés et riches en nitrates. Surtout les orties, qui peuvent y atteindre des tailles impressionnantes.
Je n’ai pas de certitude quant à l’étymologie, mais il ne serait pas étonnant que la fameuse île aux Orties de Monet, où il possédait un hangar à bateaux, ait été à l’origine une île aux Hortils. Ceci expliquerait cela.
Les rois, les mages
C’est entendu, les rois mages n’étaient pas rois. S’ils portaient sans doute un turban, il est vraisemblable qu’ils n’avaient pas de couronne par-dessus.
J’ai quand même bien cru reconnaître deux d’entre eux à Louviers, en pleine rue. Ils ont laissé de côté les calculs astronomiques et servent… avez-vous deviné à quoi ?
Oui, ce sont des arrêts de volets !
Sans doute cette fonction prosaïque habituellement dévolue aux bergères n’est-elle pas du goût de nos importants personnages. Regardez comme ils ont l’air de faire la tête.
Celui de gauche surtout est très renfrogné, orbites sombres, moustache de travers. Celui de droite paraît plus pensif. Il médite, paupières baissées.
Ce qui me fascine, c’est de voir à quel point les objets d’autrefois gardaient chacun une personnalité, même ceux produits en série. Ils avaient toujours un petit quelque chose d’artisanal.
On gomme aujourd’hui toutes ces infimes différences. Les objets sont identiques à l’excès, jusqu’à devenir des clones, un peu ennuyeux de monotonie.
La petite porte
Voici l’interprétation de Zach d’une photo de la maison de Monet, avec la petite porte d’entrée réservée au peintre.
C’est l’époque de la floraison spectaculaire des massifs de tulipes roses géantes au-dessus d’un tapis de myosotis.
En avril-mai, Giverny est plus rose et vert que jamais.
J’aime bien toute cette fraîcheur qui transparaît dans la touche de Zach.
Vous pouvez découvrir d’autres oeuvres de Zach dans sa galerie, et notamment plusieurs toiles inspirées par Claude Monet et Giverny.
La photo qui a servi d’inspiration est aussi celle de la page d’accueil du site giverny.org.
Des roses à Noël
Bien sûr, elles n’ont pas l’opulence de celles qui embaument le printemps. Mais les roses qui décident de fleurir fin octobre, comme celles de cette photo devant le deuxième atelier de Monet tout couvert de vigne vierge rougie par l’automne, ou en plein décembre, tandis que le houx, le sapin et le gui sont à l’honneur, ces roses-là donc ont quelque chose de spécial.
Vaillantes et fragiles, elles affrontent les nuits fraîches en y laissant souvent quelques pétales roussis de froid. Dessous, le bouton est intact, et ne demande qu’un peu de douceur pour s’épanouir.
A Giverny, les jardins offrent quelques-unes de ces téméraires, à la faveur d’un début d’hiver qui n’a rien fait encore pour être pris au sérieux. 15° cet après-midi !
Dans la douceur ensorcelante de ces jours les plus courts de l’année, il était tentant de cueillir un petit bouquet des roses de la Noël et de faire entrer, à côté des étoiles scintillantes et des flocons de papier, un éphémère printemps dans la maison.
Des photos à peindre
Cette photo d’un coin du jardin de Monet sous la neige, au pied de la colline aux arbres déplumés par l’hiver, n’avait à mes yeux rien qui méritât qu’on la publie.
Je ne sais ce qui a décidé mon amie Veronika Stark, pastelliste, à la sélectionner pour s’en servir de modèle.
Elle a transcendé cette photo médiocre et voici la jolie image que j’ai reçue.
Le pastel gras donne un moelleux et une douceur magnifiques au paysage.
Veronika a fait beaucoup d’autres dessins et tableaux de la maison et des jardins de Monet à Giverny.
Plusieurs fois par an, des artistes me contactent pour me demander l’autorisation de peindre d’après les photos de givernews. C’est une grande joie pour moi de voir leur talent et leur sensibilité opérer leur magie, et transformer le plomb en or.
Si vous aussi souhaitez vous inspirer de mes clichés du jardin de Monet, je donne avec plaisir mon autorisation pour les arts graphiques (mais pas pour les retouches par ordinateur). Même si vous n’êtes qu’à moitié satisfait du résultat, je serai toujours ravie de voir votre travail. Et de le publier, ou non, selon votre souhait.
Si vous ne trouvez pas la photo que vous aimeriez sur givernews, n’hésitez pas à m’expliquer ce que vous voudriez. Je peux peut-être la trouver, ou aller la faire.
Bonne création à tous ceux qui dessinent et qui peignent, qui aiment les fleurs, et les jardins de Giverny !
Giverny im Winter (Giverny en hiver), pastel sur papier, Veronika Stark, 2010.
Le pan de bois normand
Vernon compte encore 233 maisons à pans de bois, groupées à proximité de la collégiale ou du musée, ou disséminées dans les quartiers plus éloignés du centre ville. Dans le val de Seine, leur style est très sobre : très peu de sculptures, de motifs décoratifs viennent rompre l’alignement régulier des rayures.
Les visiteurs habitués aux pans de bois plus aérés ou plus compliqués d’autres régions de France s’étonnent de cette abondance de verticales. C’est qu’en Normandie, pour ceux qui en avaient les moyens, le chic du chic a longtemps été le tant pour tant.
La règle du tant pour tant est simplissime : il s’agit de voir autant de brun que de blanc, autant de colombes que d’hourdis.
En Normandie, c’est étrange, les colombes sont brunes. Rien à voir avec de paisibles oiseaux. Ces colombes-là cousinent avec les colonnes, elles ont le même aïeul latin columna.
Tout comme les colonnes, donc, la colombe est destinée à se tenir debout. Pour l’aider, on la bloque entre deux pièces de bois horizontales, les sablières. Voilà beau temps qu’on ne pose plus les sablières sur du sable pour mieux leur faire prendre leur place, mais le nom est resté.
Contrairement aux apparences, la colombe ne supporte rien, et surtout pas la sablière haute dans laquelle elle s’encastre par tenon et mortaise. La douce colombe est là pour faire joli et remplir en partie le mur. Le gros costaud qui soutient tous les étages et le toit de la maison, c’est son poteau le poteau.
Enfin, même si on a la folie des verticales, il est vivement conseillé de ne pas omettre quelques pans de bois obliques, sauf si on tient à voir toutes les verticales le devenir, obliques, et la maison se pencher inexorablement vers les voisins.
Ces obliques se nomment soit des décharges, soit des écharpes, selon qu’elles ont un rôle ou non dans la répartition des charges. Pour les distinguer, il faut un oeil de spécialiste, et si comme moi vous ne faites pas la différence, vous préférerez peut-être (surtout quand il fait froid) le terme d’écharpe, plus coquet que décharge, qui a un parfum de scandale dans sa forme sauvage.
Sous les fenêtres, des croix de Saint-André font une heureuse diversion.
Donc, supposons qu’on décide de bâtir en tant pour tant. On prend de belles grosses pièces de bois qu’on va placer verticalement, les poteaux et les colombes, et on les écarte de leur largeur, ou un chouïa à peine plus.
Quand l’ossature de bois est en place, il reste à combler les vides par un hourdis. Le matériau de remplissage importe peu puisqu’il sera masqué. Il varie selon ce que l’on a sous la main. A Vernon, à cause des carrières de pierre, ce sont souvent de petits triangles de calcaire coincés grâce à un lattis de châtaignier, et noyés dans un mortier à base de terre.
Une alternative traditionnelle est le torchis, mélange à base d’argile, de paille et d’eau. Si vous avez l’intention de mettre la main à la pâte, le torchis vous remerciera en vous faisant les mains douces, argile oblige. Les formules modernes d’hourdis à base de chanvre et de chaux ont de merveilleuses qualités, mais elles ont ourdi un complot contre vos mains. Même éteinte, la chaux brûle encore.
Lorsque l’entre-colombage est bien sec, on le protège avec un enduit de sable et de chaux, soigneusement appliqué en trois couches. En plus de protéger la façade des agressions du mauvais temps, l’enduit a la bonne idée de venir combler les jours qui se sont sournoisement formés le long des pans de bois, à mesure que le matériau de remplissage se débarrassait des litres et des litres d’eau qu’il contenait. Un régime amincissant qui fait flotter le hourdis dans ses vêtements, et ménage des espaces entre lui et les colombes, par où le vent ne demanderait qu’à s’engouffrer.
Un millénaire et demi
Un millénaire et demi, un tel anniversaire n’arrive pas tous les jours. Et pourtant on vient de célébrer les mille cinq cents ans de la mort de Clovis dans l’indifférence quasi générale, hormis à Soissons où Clovis est une star, bien entendu.
L’affaire remonte, donc, au 27 novembre 511. Après une vie trépidante et un règne mené au grand galop, le roi des Francs décède à 45 ou 46 ans. Il est inhumé dans une église qu’il a fait construire avec son épouse la pieuse Clotilde, l’église des Saints-Apôtres. Elle ne tardera pas à devenir l’abbatiale Sainte-Geneviève, dans l’actuel quartier latin. Geneviève est contemporaine de Clovis : la patronne de Paris, si déterminée face à Attila et ses Huns, meurt en 512.
Il s’en passe des choses en quinze siècles. L’abbatiale a disparu, de l’abbaye il reste une tour dénommée la tour Clovis, juste derrière le Panthéon. C’est un hommage posthume : la tour elle-même ne date que du 12e siècle.
Cette tour Clovis règne aujourd’hui sur le lycée Henri IV, et c’est un privilège d’être autorisé à y monter. Le lycée lui-même s’élève rue Clovis, c’est bien le moins.
Si la mort de Clovis n’émeut guère, en revanche son baptême a marqué les esprits. Son mille cinq centième anniversaire avait lieu à la Noël 1996.
Et oui, c’était hier ou presque. Un rapide calcul rappelle que pour une fois, la date du baptême ne correspond pas à celle de la naissance. Clovis, païen, s’est converti au catholicisme à l’âge adulte.
Une verrière de la collégiale de Poissy rapproche dans ses trois lancettes le baptême de Clovis, celui du Christ et celui de Saint-Louis. A gauche, on voit le roi franc, les pieds dans une piscine, en train d’obéir à l’injonction de saint Rémi, à Reims : « Courbe la tête, fier Sicambre ! »
Au milieu, c’est Jésus baptisé par saint Jean-Baptiste dans le Jourdain.
A droite, bébé Louis IX est porté sur les fonts baptismaux en l’église de Poissy.
Un tel rapprochement donne à méditer. A première vue, il me choque. Si je peux comprendre la présence de Louis IX, canonisé, aux côtés de Jésus – et déjà avec réticence quand on pense à son intolérance à l’égard des juifs – que Clovis, ce roi brutal, sanguinaire, opportuniste soit élevé à cette dignité, voilà qui surprend !
C’est que Clovis, par son baptême, a été le premier roi des Francs à appuyer le pouvoir monarchique sur le pouvoir ecclésiastique. Saint-Louis s’inscrit dans cet héritage. Son prénom même, Louis, est dérivé de Clovis.
Monet à Poissy
Claude Monet a habité la ville de Poissy, dans les Yvelines (on disait alors la Seine-et-Oise) de décembre 1881, date où il quitte Vétheuil, à avril 1883, où il emménage à Giverny.
Poissy est situé sur la rive gauche de la Seine à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Paris. La ville est célèbre pour avoir vu en 1214 la naissance et le baptême du roi Louis IX, autrement dit Saint-Louis. Aujourd’hui, le bon roi est toujours omniprésent dans la cité où son nom est utilisé par toutes sortes de commerces.
La maison que Monet loue à Poissy pour y vivre avec ses deux fils, sa compagne Alice Hoschedé et les six enfants de celle-ci s’élève au bord du fleuve, face à une île. Elle s’appelle inévitablement la villa Saint-Louis.
C’est une demeure bourgeoise typique de l’époque, presque aussi large que longue, couverte d’un toit d’ardoises percé de lucarnes.
Elle porte une plaque discrète sur laquelle on peut lire : « Je ne veux que peindre la beauté de l’air. Ici vécut le peintre Claude Monet de décembre 1881 à avril 1883. Hommage de la Ville de Poissy. »
Quand on voit cette belle et vaste bâtisse admirablement située au bord de l’eau, sur une placette à deux pas du centre ville et de la gare, on se dit que Monet a bien choisi sa maison. Lui qui aimait tant l’eau et la nature, il avait tout pour être heureux ici. Les motifs ne devaient pas manquer, la Seine et l’île en face, le pont, la belle église et ses deux clochers romans… On imagine les quatre bateaux de la famille amarrés en bas du talus, prêts à servir pour partir peindre.
Mais en fait, Monet va très peu produire à Poissy. Quand on a des tourments, aucun séjour ne saurait être agréable. Malgré le charme du lieu, Monet passe le moins de temps possible dans la maison, il fuit « cet horrible Poissy » où il se sent de trop.
La situation est devenue très ambiguë depuis qu’Alice et lui ont quitté Vétheuil. Vivre sous le même toit est très compromettant. S’il est maintenant veuf, elle est toujours la femme d’Ernest Hoschedé, et tiraillée entre son devoir d’épouse et ce que lui dicte son coeur. Monet, qui vit dans une douloureuse incertitude, passe donc beaucoup de temps à peindre sur la côte d’Albâtre, à Pourville ou à Etretat.
Et puis, bientôt, il faut quitter Poissy. Fidèle à son habitude, la famille y vit au-dessus de ses moyens. Monet est incapable de payer le loyer de cette maison cossue, et ce sera encore son marchand Paul Durand-Ruel qui devra le secourir pour lui permettre de déménager à Giverny.
Vue de Vétheuil
A vingt kilomètres de Giverny en direction de Paris, voici le village de Vétheuil, vu au mois de mai depuis le hameau de Lavacourt sur la rive gauche de la Seine.
Monet s’y retire en 1878, dans une petite maison en location qu’il partage avec la famille Hoschedé.
Quand Monet jette son dévolu sur le village de Vétheuil, c’est l’été, il cherche de jolis motifs à peindre et un endroit où vivre à bon marché. Les trois années passées à Vétheuil, si elles sont difficiles sur le plan financier et affectif, vont être très productives. L’église, le fleuve, les îles, Lavacourt, les champs de coquelicots offrent à Monet une multitude de motifs, puis se seront les glaçons sur la Seine gelée.
On aperçoit sur la photo le toit de la maison de Monet, c’est la deuxième en partant de la gauche. Elle se trouve au pied du manoir à tourelle qui appartenait à la propriétaire de la maison, et qui fut habité plus tard par la peintre américaine Joan Mitchell.
Plusieurs autres artistes ont aussi séjourné à Vétheuil, sans pour autant que le village ne devienne une colonie.
Entre la route et la Seine, s’étendait le jardin en pente où Monet cultivait des tournesols, et qu’il a peint à plusieurs reprises. De là il n’avait plus que quelques pas à faire pour retrouver son bateau amarré au ponton.
Angelot
C’est dans l’église de Giverny que l’on peut admirer cet adorable angelot accroché dans les airs au-dessus des fidèles. Le visage grave, il semble avoir tenu quelque chose dans ses mains, peut-être le manteau de la Vierge dans une Assomption ?
La Renaissance et la période baroque ont raffolé de ces petits anges potelés tous plus craquants les uns que les autres.
Leur mode, arrivée d’Italie, puise dans la mythologie grecque et romaine. Ce sont d’abord des Cupidon, avec flèches et carquois pour viser les mortels et les rendre follement amoureux.
Quand on redécouvre ces angelots malicieux au 15e siècle, ils plaisent tant qu’on en met partout. Ils quittent les scènes mythologiques pour s’inviter dans l’art profane mais aussi sacré. Figurés sous forme de bébés joufflus de sexe masculin, les bambins ailés ou non prennent le nom de putti et dansent, jouent de la musique, ou se livrent sous le pinceau de Nicolas Poussin à d’étranges bacchanales.
Les petits putti sont si mignons qu’ils ne tardent pas à entrer en religion. Cette fois, ce sont bel et bien des anges, parfois nommés à tort des chérubins (aux dires des personnes averties, les chérubins sont plus grands et ressemblent à des hommes éternellement jeunes).
On apprend tout sur les anges dans le Traité d’Iconographie Chrétienne de Mgr Xavier Barbier de Montault. Le paragraphe consacré à la représentation angélique dans l’art est très éclairant.
L’ange est soit figuré en entier, mais souvent sans pieds, ou les pieds cachés, ce qui le « dégage de la terre ». Soit il est peint ou sculpté en partie seulement, sans jambes et même sans buste.
De la sorte il est de moins en moins matériel et réduit à l’élément indispensable pour représenter une créature vivante et intelligente.
L’église de Giverny présente de telles têtes d’anges dans la voûte de son choeur en cul de four. Aux dires des artisans qui ont procédé à leur restauration l’année dernière, ces « anges chauves-souris » ne sont pas des merveilles, mais auraient pu être peints par le bedeau au 19e siècle… Peut-être un effet de la fièvre picturale qui régnait alors à Giverny ? L’église étant classée, les angelots ont tout de même été ressortis de l’oubli où les avait plongés une couche de badigeon. Même si ce ne sont pas des oeuvres d’art, ils émeuvent par leur naïveté et la foi de la personne inconnue qui les a peints.
Ceratostigma
Si vous êtes un peu fleur bleue, vous avez sûrement remarqué cette vivace couvre-sol qui fleurit à la fin de l’été. Elle affectionne les expositions ensoleillées, celles où les chats aiment paresser en fin d’après-midi dans la douceur de septembre.
Comme son nom de baptême est un peu compliqué, ceratostigma, on lui en fait porter un autre : faux-plumbago. Et ce n’est pas si faux que ça, puisque le ceratostigma appartient à la même famille, et partage avec la liane méditerranéenne la joliesse de ses fleurettes azurées, qu’on dirait découpées à l’emporte-pièce tant leur patron est sobre, sans froufrous.
Les fleurs sont piquées par petits bouquets dans un feuillage dense. Contrairement aux couvre-sol printaniers qui forment des coussins de couleur, chez le faux-plumbago les feuilles sont bien présentes, vertes d’abord, puis de plus en plus rouges, jusqu’à former une masse pourpre parsemée de bleu du plus bel effet.
Le plumbago, vrai ou faux, a un je-ne-sais-quoi de familier, un air d’avoir déjà été croisé quelque part. Un indice : cela concerne la santé.
Vous avez trouvé ? Non, le plumbago ne soigne pas les lumbagos, dommage ! Mais on lui attribue des vertus contre le saturnisme (plumbago viendrait de plomb). Il paraît qu’il soulage aussi les mots de dents, d’où un surnom supplémentaire, dentelaire du Cap.
Surtout, le plumbago connaît une célébrité thérapeutique nouvelle grâce à l’engouement pour les élixirs floraux de Bach. Il est réputé aider les personnes indécises et découragées. Vendu sous l’appellation Cerato / Plumbago, il me semble que l’élixir est produit à partir de notre petite vivace herbacée et non de son altière cousine sarmenteuse, bien que ce soit cette dernière qui illustre la fleur dans les différents sites sur les fleurs de Bach. Je l’avoue, j’ai bachoté un peu, sans arriver à une certitude. Alors Cerato ou Plumbago ? N’est pas bachelière qui veut !
Cathédrale de Coutances
Parmi toutes les cathédrales normandes, Rouen est la plus grande, Bayeux peut-être la plus riche, et, sans vouloir froisser personne, Coutances l’une des plus belles, pour sa pureté et sa luminosité.
La cathédrale de Coutances telle que nous la voyons date du 13e siècle, elle a donc été bâtie en style gothique rayonnant. L’édifice roman qui préexistait a été englobé dans la maçonnerie, une pratique qu’on retrouve ailleurs, par exemple au Mont Saint-Michel ou, plus près de Giverny, à Vétheuil.
On n’aura pas trop de regrets, car si l’église romane était peut-être fort belle, la cathédrale gothique est une pure merveille.
Quand le remodelage de Coutances commence, c’est le début du 13e siècle, et depuis que Philippe-Auguste a annexé la Normandie après la prise de Château-Gaillard en 1204, la région traverse une période de paix et de prospérité qui va durer jusqu’à la guerre de Cent ans, cent cinquante ans plus tard. Partout, on construit, on agrandit, on remanie les églises.
La ville de Coutances se trouve dans le sud du Cotentin, la presqu’île qui s’avance dans la Manche comme un bras désignant l’Angleterre. Le style gothique s’impose dans toute la France, mais on décèle des variations locales. Celles qui caractérisent le gothique normand sont réunies à Coutances.
La magnifique tour lanterne a fait la réputation de l’édifice. Sa voûte culmine à plus de 40 mètres du sol. A mesure que l’on s’élève, on passe du plan carré des quatre piliers qui la soutiennent au cercle, au sommet de la voûte : le carré symbolise la Terre, le cercle représente le Ciel. Entre les deux, un octogone, image de la Résurrection. Les baies de la tour lanterne, qui créent un puits de lumière à la croisée du transept, s’alignent sur cet octogone. Leur forme longiligne évoque celle de cierges sur les candélabres en forme de roue qui éclairaient autrefois les églises.
Avec l’élévation à trois niveaux, les coursières sont une autre caractéristique du gothique normand. Voyez-vous les fenêtres hautes de la nef et du transept ? La coursière est l’étroit passage bordé par un balcon qui permet de marcher devant les fenêtres hautes. Les chanoines pouvaient y accéder pour certaines célébrations.
Normande encore (la liste n’est pas exhaustive), la multiplication des moulures des piliers. L’idée est de renforcer la verticalité, support à l’élévation spirituelle : de nombreuses lignes verticales soulignées par le jeu de l’ombre et de la lumière comme par un trait de crayon noir accentuent l’impression de mouvement ascensionnel.
Deuxième atelier
A quelques pas de sa maison de Giverny, Claude Monet a fait construire un vaste atelier en 1899, une fois l’aisance venue.
Le premier atelier se trouvait dans la maison principale, sous sa chambre à coucher. Ancienne grange, mal éclairé et trop petit, il n’était pas très fonctionnel. Il est devenu le salon-fumoir de Monet, décoré des oeuvres que le peintre se réservait pour lui-même.
En faisant bâtir un second atelier, Monet souhaite un espace assez grand pour répondre à ses besoins. Le beau volume est la première chose qui frappe en entrant dans la pièce. Et l’immense verrière, qui donne tout son charme au lieu.
Depuis la rue, le vitrage recouvert de vigne vierge se devine plus qu’il ne se voit. De l’intérieur, le végétal forme un rideau. La pièce reste néanmoins baignée de lumière. Elle bénéficie d’une double exposition, avec des baies côté sud, vers le jardin.
Toute cette luminosité plaît beaucoup aux ficus qui atteignent des tailles imposantes et donnent aujourd’hui à l’atelier un air de jardin d’hiver.
L’escalier conduit à une mezzanine sur laquelle s’ouvre la porte d’une chambre à coucher. C’était celle du premier conservateur de Giverny, Gérald van der Kemp. Florence, son épouse, avait sa suite derrière la bibliothèque du peintre, conformément à l’usage en vigueur quelques décennies plus tôt chez les Monet de faire chambre à part.
Du temps du peintre, le deuxième atelier regorgeait de toiles, un peu comme le premier. C’est là que Monet conservait Femmes au jardin et les parties rescapées du Déjeuner sur l’herbe, trop grands sans doute pour s’harmoniser avec les autres oeuvres dans le salon-atelier.
Le duc de Trévise accompagné du photographe Pierre Choumoff a rendu visite au patriarche de Giverny en 1924. De cette entrevue datent les rares clichés publiés de ce deuxième atelier.
Difficile de reconnaître sur ces photos l’agencement d’aujourd’hui. Escalier, mezzanine, bibliothèque y sont invisibles.
Les van der Kemp ont arrangé la maison à leur goût, pour y demeurer une partie de l’année. Ils n’avaient pas l’intention de l’ouvrir au public, et à l’heure actuelle, ce n’est pas d’actualité non plus. L’atelier sert seulement de salle de réunion ou de réception.
Lambrequin
Le lambrequin a fait fureur au 19e siècle, avant de passer de mode. Ces frises de bois découpé longent les extrémités des toits, les bords de lucarnes en suivant habilement leur pente pour donner l’illusion d’une frange qui pend.
Sur la Côte fleurie, les lambrequins sont caractéristiques des chalets.
Dans les années 1860-70, les plages du Calvados se sont transformées en stations balnéaires. Tout un style architectural était à inventer pour un mode de vie nouveau, la villégiature de bord de mer, et pour une population nouvelle, de riches bourgeois qui avaient l’aisance modeste.
Les architectes de l’époque se sont montrés très inventifs. Une des solutions trouvées, c’est le chalet.
Aujourd’hui où la zone de diffusion du chalet se réduit aux abords des pistes de ski, on a du mal à l’imaginer en bord de mer. D’ailleurs, les chalets de Villers-sur-Mer, Cabourg, Houlgate ou Deauville n’ont pas grand chose à voir avec leur « modèle » alpestre.
Comme toutes les villas construites à cette époque, ils revendiquent une source d’inspiration, sans en proposer un pastiche. Des chalets de montagne, les architectes ont retenu la situation isolée – et les leurs seront entourés de jardins -, les larges toits qui débordent de la façade, les balcons, et les bois découpés.
Pour Gilles Plum, spécialiste des Villas balnéaires du second Empire (éditions Cahier du Temps), ces choix déterminent un nouvel espace architectural :
Le débordement des toits délimite un espace extérieur protégé qui crée un intermédiaire entre l’extérieur et l’intérieur de la maison. Cet espace est occupé et enrichi par les projections vers le dehors de la surface habitable que sont les balcons et les bow-windows.
C’est l’esprit du temps, un nouveau rapport entre l’homme et la nature. Pas tout à fait dedans, pas tout à fait dehors, l’estivant a le choix de jouir du paysage dans cet entre-deux qui le protège des éléments.
Sur le plan plastique, les bois découpés marquent la limite de cet espace intermédiaire, « en descendant sous forme de lambrequins depuis l’extrémité du toit ou en montant sous forme de garde-corps depuis les balcons ». L’effet en est très subtil, car ils créent « un second niveau de façade très léger qui ombre ou cache en partie celle en maçonnerie ».
Quand le soleil brille sur les lambrequins, il projette leur ombre à trous-trous sur les murs. L’auteur y voit un lien avec l’intérêt des impressionnistes pour le jeu de l’ombre et la lumière à travers les arbres. L’air du temps, encore.
Monts et Monet
Qu’a pu ressentir Claude Monet en découvrant la Suisse à 70 ans passés ? Pour ce normand habitué à la douceur des paysages du val de Seine, qui aimait la confrontation avec les falaises du pays de Caux, le face-à-face avec la montagne a dû être une révélation. Plus encore qu’ailleurs l’éclairage y évolue au fil des heures. La course du soleil illumine des pans entiers de la montagne, ou au contraire les plonge dans l’ombre, une ombre vaporeuse et bleue qui silhouette les cimes.
Monet aurait aimé Martigny. Son nom s’y étale partout pour quelques jours encore, au travers des rues, sur les affiches, et dans les vitrines de tous les commerçants, jusque sous le grand M vert d’une chaîne de restauration rapide.
J’admire la détermination avec laquelle l’équipe de la Fondation Pierre Gianadda s’emploie à faire connaître son musée, créé en 1978 dans cette petite ville de 15 000 habitants perdue au bout d’une vallée, sur la route des cols parmi les plus vertigineux des Alpes. C’était une gageure d’en faire un grand rendez-vous culturel. A force d’énergie et de volonté, les collections se sont enrichies, les expositions sont toujours plus prestigieuses, les concerts aussi. Monts et merveilles.
Comment attirer le public ? La question s’est posée, identique, à l’ouverture des jardins de Monet en 1980. Ce n’est pas facile de lancer un site culturel. Les réponses se lisent dans l’après-coup. Bien sûr, il faut communiquer, beaucoup. Mais pas seulement. L’important est d’avoir quelque chose à offrir.
A Martigny, l’option choisie a été de proposer des axes différents : non seulement les expos de peintures et de photos, mais aussi des collections permanentes de sculptures du 20e siècle, des vestiges gallo-romains, des voitures anciennes, des maquettes d’engins de Léonard de Vinci… C’est la technique des cadeaux bonus des bonimenteurs, à la fin on ne peut pas résister.
A Giverny, en 1980, on avait un jardin encore jeune, une maison refaite à neuf, mais pas de tableaux. On comprend que le directeur Gérald van der Kemp ait décidé de montrer toutes les estampes japonaises dont il disposait, histoire d’ajouter des attraits à la mariée.
Aujourd’hui où les visiteurs affluent, on a moins besoin des gravures sur les murs de la maison de Giverny. Quatre douzaines des estampes collectionnées par le peintre sont présentées à Martigny, dans le cadre de l’exposition Monet.
Curieusement, la différence de style entre les toiles impressionnistes et les gravures japonaises est si radicale que même le visiteur averti n’arrive pas à faire le lien. L’idée que les deux expos n’ont rien à voir s’impose, par contagion des autres sections.
Le jardin de Pierre Corneille
De la maison de ville de Pierre Corneille, en plein coeur de Rouen, à sa maison des champs de Petit-Couronne, il y a huit kilomètres, une distance qui se parcourt en dix minutes quand la circulation est fluide.
Combien de temps mettait Corneille à rejoindre sa campagne, et dans quel équipage s’y rendait-il, avec sa nuée d’enfants ? C’était sans doute une expédition, qu’on n’entreprenait pas tous les week-ends.
Sur place, dans cette maison aux dimensions modestes – deux pièces en bas, trois pièces en haut – l’imagination hésite encore. Où dormait tout ce monde ? Thomas, l’inséparable petit frère de dix-neuf ans plus jeune que Pierre, était-il aussi de la partie, comme le suggère une gravure accrochée au mur ?
La maison récemment restaurée a un air si pimpant qu’il est difficile de s’imaginer quels sont les éléments d’origine. Les meubles, d’époque, ont tous été rapportés. Mais même si l’authenticité est absente, l’esprit des lieux est bien là et vaut la peine d’être ressenti.
Dans le jardin, plus petit qu’autrefois, beaucoup de fleurs et de légumes résistent encore vaillamment à la fraîcheur de l’automne. Il n’a pas gelé ici. L’orange des capucines vibre. Sur le gazon, les pétales de roses se mêlent aux feuilles rougies du cerisier.
Entièrement recréé il y a une quinzaine d’années, le potager obéit au même principe de restitution que l’ameublement de la maison. Seuls les végétaux qui étaient déjà cultivés au 17e siècle y ont droit de cité. Exit les tomates, on récolte ici des cives, des panais, du poireau perpétuel et des carottes blanches, du chou, des herbes aromatiques, des pommes, des cerises, des noix…
Les plates-bandes impeccables s’alignent à côté du four à pain, et ce voisinage entre les futurs légumes du potage et les miches odorantes qui pourraient sortir du four met l’eau à la bouche.
La maison des champs de Pierre Corneille est une enclave de vie rurale calme et lente, une petite bulle de nature et de 17e siècle tout à la fois.
Corneille devait y puiser l’harmonie de ses vers. C’est un endroit où plonger ses racines.
Racine… j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ?
Monet à l’heure suisse
Claude Monet, Nymphéas, vers 1914, 135x145cm, collection particulière
L’exposition Monet de la Fondation Gianadda à Martigny, qu’on peut encore se dépêcher d’aller voir d’ici le 20 novembre 2011, se compose à la fois d’oeuvres venues de France et de toiles issues des collections suisses, publiques et privées.
Les premières, des tableaux du musée Marmottan et des estampes japonaises de Giverny, ont été prêtées par l’Institut de France. C’est un prêt entre amis : Léonard Gianadda est lui-même membre de l’Institut.
Les secondes permettent de se faire une idée de l’intérêt des collectionneurs suisses pour Claude Monet.
C’est un art délicat que de composer une collection de tableaux. Affaire de goût personnel, affaires tout court.
Faut-il parier sur l’avant-garde ? Miser sur les valeurs montantes ? Préférer les peintres reconnus ? Être moteur de l’histoire, ou attendre que le temps ait trié le bon grain de l’ivraie ?
Le temps, qui fait et défait les cotes, est une donnée cruciale. Et le temps, en Suisse, on connaît. On sait le mesurer, on sait aussi le prendre.
Lukas Gloor, qui dirige la Fondation Bührle à Zurich, a contribué au catalogue de l’expo de Martigny, dans lequel il livre une passionnante analyse des fluctuations de la réception suisse de Monet.
Alors que le chef de file de l’impressionnisme séduit dès 1886 aux États-Unis, il va mettre beaucoup plus de temps à franchir les Alpes que l’Atlantique.
Les raisons en sont multiples. A la fin du 19e, les villes suisses « ne disposaient pas du rayonnement suffisant pour susciter la collaboration de partenaires de l’étranger. » Ce n’est qu’à partir de 1908 qu’apparaissent les premières collections privées faisant une large place à l’impressionnisme français. Mais les oeuvres de Monet n’y sont « que modestement présentes. » Trop chères maintenant.
Et puis, il y a autre chose. Les Suisses doutent que Monet soit le bon cheval. Un influent critique d’art allemand le considère comme un artiste de second plan. Pour Meier-Graefe, il n’y a que Manet, Cézanne, Degas et Renoir qui vaillent, les quatre piliers de la peinture moderne. Les premières années de Monet, passe encore, il y voit une certaine poésie vivante, mais après, tout est à jeter, surtout les séries bâties sur une stupide théorie chromatique.
Monet rhabillé pour l’hiver, il faut une certaine indépendance d’esprit aux acheteurs pour l’intégrer tout de même, timidement, dans leurs collections.
Tout va changer à partir de 1949. Cette année-là, la Kunsthalle de Bâle présente une exposition de paysages impressionnistes français. On y voit pour la première fois les immenses panneaux surnuméraires des Nymphéas, ceux que Claude Monet n’a pas retenu pour l’Orangerie. Ils arrivent tout droit de Giverny, prêtés par Michel Monet.
Deux ans plus tard, le collectionneur Emil Bührle se rend à Giverny, et il achète au fils du peintre deux panneaux de six mètres du cycle des Nymphéas.
Michel Monet, qui désespérait de les vendre, cède ces douze mètres linéaires pour environ 40 000 euros. Considérés comme de simples « décorations », ces panneaux sont alors moins chers que les tableaux de chevalet.
Bührle est en avance sur son temps. En 1955, les grands Nymphéas entrent au Moma de New-York. Le Monet tardif est promu précurseur de l’expressionnisme abstrait. Ce nouveau positionnement dans l’histoire de l’art suscite un nouvel intérêt pour ses dernières oeuvres. Cette fois, les collectionneurs suisses sont bien là.
Le cartel de Monet
Cette jolie pendule posée sur une console se trouve dans la chambre à coucher de Monet à Giverny.
Placée comme elle est dans l’encoignure du mur à côté de la fenêtre, derrière la porte qui mène au cabinet de toilette, il faut être un visiteur attentif pour la remarquer.
Son raffinement surprend, dans cette chambre au lit et à l’armoire tout simples.
Je ne me souviens pas d’avoir lu quelque chose sur cette pendule, elle gardera donc son mystère. Si un horloger ou un antiquaire passe sur cette page, j’aimerais bien avoir son avis.
A première vue, il me semble que c’est un cartel de style Louis XV, que Monet pourrait s’être acheté à la fin du 19e siècle, à moins qu’il ne l’ait reçu en cadeau. Le cadran, orné de deux très belles aiguilles, ne porte pas de signature apparente.
Je ne crois pas non plus avoir jamais entendu sonner ce cartel, j’ignore s’il fonctionne, à l’inverse de l’horloge du salon bleu qui rythme les heures et les demies de son timbre aigu tout simple.
On passait beaucoup de temps autrefois à remonter les montres, les pendules et les horloges. On a oublié cette servitude aujourd’hui.
Mais demain, il faudra faire le tour de tout ce qui donne l’heure dans la maison pour remonter le temps de soixante minutes, sauf bien sûr les appareils qui sont assez malins pour se mettre à l’heure d’hiver tout seuls.
Derniers jours de l’expo Clark
Vite ! Il ne reste plus que jusqu’à lundi soir pour voir l’exposition Clark au musée des impressionnismes Giverny. Le dernier jour est le 31 octobre 2011.
Après, tous ces sublimes Renoir, ces somptueux Monet (l’Aiguille d’Etretat, les Oies dans le ruisseau…) ces fascinants Corot vont reprendre la route, non pas tout de suite vers le Francine and Sterling Clark Institute de Williamstown, au Massachussetts, mais vers Barcelone dans un premier temps.
Jamais une expo n’aura fait à ce point l’unanimité à Giverny, comblé autant les visiteurs, qui ressortent éblouis par tant de toiles exquises.
Quel rassemblement de premier ordre ! Un exemple : l’oeuvre de Renoir que l’on aperçoit à gauche sur la photo, la jeune fille endormie avec un chat sur les genoux, a fait partie de la collection personnelle de Paul Durand-Ruel, le marchand des impressionnistes, qui l’avait accrochée dans son grand salon. C’est un signe qui ne trompe pas.
Bref, vous ne pouvez pas rater cette expo. Dépêchez-vous !
Octobre à Giverny
Fermeture annuelle des jardins de Monet à Giverny : 1er novembre 2011 à 18h
Ça y est ! L’automne s’annonce à Giverny. Chaque année j’attends avec impatience la deuxième quinzaine d’octobre, la cerise rouge sur le gâteau de la saison. Le grand embrasement des arbres. Et les reflets chauds dans l’étang de Monet.
Du côté du clos normand, le jardin de fleurs est sur le déclin. Il a fait -2°C cette nuit, il ne faut pas s’attendre aux merveilles qui rayonnaient partout début octobre, les dahlias somptueux, la rivière de capucines, le festival de sauges, de soleils et d’asters. Mais tandis qu’annuelles et vivaces tirent leur révérence à la belle saison, la magnificence s’est décalée vers le jardin d’eau.
Lui d’habitude si paisible et serein sort de sa méditation.
L’automne, ce peintre fauve, y fait voltiger ses invisibles pinceaux, et chaque jour le tableau change, toujours plus flamboyant.
C’est le moment où il faut voir le bassin, dans la lumière de midi, quand il tend des reflets de bleu pur qui se mêlent à l’or des frondaisons.
Autour des derniers boutons de nymphéas, qui ne s’ouvriront plus, leurs feuilles vertes et mauves éclaboussées d’ambre offrent des mondes en réduction.
Miroir parfait dans l’air immobile, la surface est le terrain de jeu préféré de la brise, qui vient la chatouiller de temps en temps. Dans le flou des éclats de lumière qui s’emmêlent, on entendrait presque ses éclats de rire.
Les jardins d’Angélique
Pour ceux qui ont envie de prolonger la visite de Giverny par celle d’autres jardins, plusieurs endroits enchanteurs les attendent en direction de Rouen : le jardin plume, le parc du château de Vandrimare, et les jardins d’Angélique sont tous trois situés dans le même secteur en pleine campagne, à quelques kilomètres de la capitale normande.
Vandrimare est un jardin puissant, tout en arbres majestueux. Plume, un endroit sensuel et tactile, où la vue invite au toucher. Les jardins d’Angélique sont un rêve de jardin, un paradis doux et poétique à la touche très féminine.
Angélique était la fille des propriétaires. Elle a rejoint les anges, mais son souvenir flotte partout au coin des massifs : harmonies tendres blanches ou de tons pastels, statuettes d’angelots disposées deci-delà, délicat mobilier…
Le jardin a été créé par les parents pour tromper leur deuil, travailler le vivant. Ce sont aujourd’hui la mère et la soeur d’Angélique qui l’entretiennent avec une énergie et un goût admirables.
Il faut sans doute voir ces jardins à la saison des roses, partout présentes. En ce début d’automne, un air de mélancolie les gagne, qui leur va bien.
Au centre de la propriété, un manoir du 17e siècle est précédé d’une vaste pelouse. Derrière la bâtisse, on découvre un jardin de buis taillés entourant des carrés de vivaces. Une grande fontaine affirme le classicisme du lieu.
Devant le manoir, on entre dans la partie la plus magique, des ruelles de gazon donnant sur des massifs de fleurs aux accords subtils. Madame Le Bellegard est là, occupée à jardiner mais disponible, prête à renseigner. Encore plus qu’ailleurs chez d’autres passionnés, on sent que son jardin est l’objet de sa tendre attention.
On prend le temps de flâner pour découvrir toute la finesse de ses compositions, la rareté de certains spécimens, les surprises ménagées ça et là. Rien de plus simple : on n’a pas envie de partir…
Jardins d’Angélique Hameau du Pigrard 76520 Montmain (10km à l’est de Rouen)
02 35 79 08 12, ouverts toute l’année de 10h00 à 19h00.
Du 1er juillet au 15 octobre, fermés le mardi.
Entrée 5€, gratuit pour les enfants de moins de 12 ans.
Les mises en scène de la visite guidée
La visite guidée, objet d’études par des chercheurs en communication ? En 2005, Michèle Gellereau, maître de conférences à l’université de Lille, a publié un essai aux éditions l’Harmattan, Les mises en scène de la visite guidée, communication et médiation. Grâce à une enquête de terrain qui l’a amenée à suivre une centaine de visites guidées, elle s’est attachée à dégager les points communs des pratiques de guidage, considérées sous l’angle de la communication.
Michèle Gellereau n’a pas rédigé son ouvrage pour les acteurs concernés, guides ou public, mais pour ses pairs chercheurs en communication. C’est dire qu’il faut un peu s’accrocher pour s’approprier aussi bien le vocabulaire (pourquoi la « scène » de la visite et non le « cadre » ?) que les concepts.
Quelques titres de chapitres au hasard, dans la 2e partie :
De l’interprétation à l’appropriation : la triple mimèsis
Pré-compréhension, configuration et reconfiguration
La capture du temps
Du préconstruit à l’horizon d’attente : deux exemples
On est à mille lieues de notre métier qui consiste tout au contraire à rendre les choses accessibles.
Malgré tout, et sans prétendre avoir tout assimilé, c’est une lecture intéressante pour qui est concerné par le travail de guide. Michèle Gellereau met le doigt sur nombre de nos préoccupations, et formule tout haut des questions essentielles qu’on oublierait presque de se poser. Quel est l’objectif stratégique de la visite guidée ? Quelle est la fonction du guide ? Quelles sont les attentes du public ? Comment donner du sens ? Quelle doit être la place du dialogue dans la visite ?
Chaque guide se fait implicitement une certaine idée de ces questions, et adapte son discours en conséquence.
On ne trouvera pas dans le livre de Michèle Gellereau de réponse définitive, davantage un recensement de différents cas de figures puisés dans des contextes très divers. C’est un point de départ pour s’interroger sur sa propre pratique.
Aux collègues qui me font l’amitié de me lire : je vous prêterai avec plaisir ce livre s’il vous intéresse.
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