Marquise
Les auvents vitrés qui protègent les perrons portent un bien joli nom, marquises. Ils ont été très populaires au siècle dernier avant de passer de mode. C’est pourtant pratique de pouvoir chercher sa clé sans se faire tremper, et courtois de ne pas laisser les gens qui sonnent chez vous attendre sous la pluie.
Les marquises sont presque toujours aussi jolies que leur nom. Certaines ont des vitrages festonnés, d’autres s’ouvrent en éventail. Les ferronneries les plus simples n’oublient jamais d’être gracieuses et légères, les plus sophistiquées donnent un cachet ancien et cossu à la maison.
Vernon a connu une belle expansion à l’époque où Monet vivait à Giverny. Des rues entières ont surgi des champs. Dans ces quartiers devenus anciens, mais qui ne sont pas moyenâgeux, les marquises se déploient à l’avant des façades sur la plupart des maisons, et se laissent collectionner du regard.
La maison de Monet à Vétheuil
Des dimensions modestes, des volets verts toujours fermés qui tranchent sur une façade ocre : avec cet air banal et abandonné, la maison que Monet et sa famille ont occupée à Vétheuil n’aurait rien de bien extraordinaire, hormis sa plaque commémorative. Mais c’est sa petitesse même qui étonne. Comment ont-ils fait pour y vivre aussi nombreux pendant plusieurs années ?
Faisons l’appel. Deux familles vivent ici. Claude Monet et Camille, très malade, leur petit Jean et leur nouveau-né Michel. Et puis les Hoschedé, Ernest et Alice, et leurs six enfants, le dernier tout bébé. Ajoutons encore une nourrice, une institutrice, une cuisinière.
Quinze personnes ! Elles s’entassent dans une maison qui fait peut-être cent mètres carrés. Une pièce à gauche, une pièce à droite, la cuisine au fond. A l’étage, même disposition de trois pièces, sous les combles une dernière chambre. Monet occupe la pièce à droite de la porte, il y dort et y stocke ses toiles. A gauche, c’est sans doute la salle commune, avec peut-être un lit pour Camille. Au-dessus, la chambre des Hoschedé et celles où les enfants s’entassent, jouent et chahutent.
C’est dans cette petite maison surpeuplée qu’ils vont, les uns et les autres, passer les années les plus noires de leurs vies.
Le lycée de Vernon
C’est presque les vacances… Les établissements scolaires s’apprêtent à entrer dans leur sommeil estival.
Au lycée de Vernon, voilà déjà plusieurs jours que le grand campus de 14 hectares est déserté, juste au moment où il est le plus beau avec ses grands arbres qui semblent échappés de la forêt toute proche.
Cet après-midi, pourtant, le lycée Dumézil a connu un petit sursaut d’animation avant de s’endormir pour l’été. On voyait des cohortes de jeunes à la mine anxieuse se presser vers la caféteria et se pencher, les sourcils froncés, sur de longues listes de noms. Et puis, le plus souvent, le soulagement, les cris de joie, les rires au bout des portables. Et parfois, l’amertume, et des pas qui s’en vont pressés loin de toutes ces démonstrations bruyantes.
C’est la vie comme elle va, doit se dire de là où il se trouve le grand philologue Georges Dumézil, cet érudit de l’histoire des religions et des civilisations indo-européennes qui maîtrisait une vingtaine de langues aussi improbables que l’ossète, le gallois, le persan et le turc.
S’il revenait aujourd’hui, je crois qu’il trouverait cela très bien que son nom ait été donné à un établissement où les jeunes se consacrent à l’étude, mais qu’il ne lui déplairait pas non plus d’y retrouver le calme propice à la réflexion.
Demain le silence sera retombé sur le lycée Georges Dumézil. Le grand totem de pierre qui, du milieu de la pelouse, veille sur les 2100 élèves, va pouvoir baisser la garde, et se contenter de servir de perchoir aux petits oiseaux.
Le jardin des arts, vue plongeante
Un plaisir dont on ne se lasse pas quand, comme moi, on habite au rez-de-chaussée : monter tout en haut d’une tour et regarder en bas.
L’avouer vous donne immanquablement un côté provincial, tout comme reconnaître que vous trouvez encore cela ludique de prendre des escalators, un tapis roulant, voire, honte absolue ! l’ascenseur.
A l’inverse, remarquer le calme, s’étonner de la présence d’une vache vous désigne comme citadin.
C’est la merveille d’un oeil neuf, de sensations dont on n’est pas blasé. Du haut de la tour des Archives, à Vernon, le jardin des Arts dévoile toute la finesse de sa géométrie. Le regard s’attarde à détailler les bicyclettes abandonnées, les flâneurs étendus sur la pelouse, les enfants qui jouent avec les jets d’eau…
La distance idéalise la scène, lui donne cette abstraction intemporelle des illustrations de livres pour enfants. Les personnes deviennent personnages, des Playmobils sortis tout droit de la boîte « jardin public ».
Pourquoi ? Est-ce de la voir de l’extérieur qui permet de mieux s’y projeter ? Faut-il prendre ce recul ?
Depuis le sommet des tours, le monde cesse d’être un lieu où l’on vit, il devient un tableau que l’on contemple.
Maison bizarre
Ce bâtiment est en train de devenir une star de l’internet dans les sites qui recensent les maisons les plus étonnantes à travers la planète.
A force d’être tous les jours sous leurs yeux, il n’épate plus du tout les habitants de Vernon. Pourtant, sa curieuse position à cheval sur deux piles de pierre a de quoi intriguer. Pourquoi avoir construit cette maison en équilibre à cet endroit ?
Claude Monet, qui l’a peinte depuis son bateau-atelier l’année de son installation à Giverny, en 1883, devait ignorer son nom, puisqu’il a simplement appelé le tableau qui la représente « Maisons sur le Vieux Pont à Vernon » (New Orleans Museum of Art, Louisiana).
Tout devient logique quand, comme les Vernonnais, on connaît son nom et son ancienne fonction : le Vieux Moulin.
Avant l’invention de la machine à vapeur, l’eau était l’une des sources d’énergie les plus abondantes et les plus faciles à utiliser. On bâtissait des moulins partout, le long de la moindre rivière, mais aussi sur la Seine. La présence d’un pont était une aubaine qui facilitait la construction du moulin. Celui de Vernon daterait du 16e siècle.
On peut encore voir à Andé ou à Muids de très anciens moulins sur le fleuve avec leur roue pendante, capable de s’adapter à la hauteur variable du niveau de l’eau. Celle du moulin de Vernon a hélas disparu, ce qui lui donne cet air bizarre et énigmatique.
Les oisillons tombés du nid
C’est à croire que leurs parents ne leur ont pas appris à se méfier des inconnus : les jeunes oiseaux font preuve d’une merveilleuse innocence. Ils restent quelquefois de longues minutes posés dans l’herbe à la merci de tous les prédateurs, et se laissent photographier sans fausse modestie.
Cette petite mésange avait l’air de reprendre son souffle après un gros effort ou une forte émotion. Etait-ce son premier vol ? Son bec était encore tout teinté de jaune. Un oisillon qui découvrait le vaste monde, sans doute, un vrai béjaune à l’oeil rond.
Comme les humains doivent apprendre à marcher, les oiseaux ont besoin d’entrainement avant de savoir bien voler. Les débutants se reconnaissent au premier coup d’oeil à leur façon désordonnée et trop rapide d’agiter les ailes. Ils ont le côté affolé des apprentis nageurs qui s’élancent pour la première fois sans bouée.
On les voit passer par fratries de plusieurs mâles et femelles, battant l’air d’une manière frénétique. Cela ne dure pas très longtemps. Au bout de quelques heures de vol, ils sont devenus de vrais pros.
(J’ai emprunté le nom d’un groupe bordelais pour titrer ce post. Si vous ne connaissez pas, vous les trouverez ici, et peut-être que vous apprécierez leur humour au troisième degré.)
Kitagawa, un Giverny japonais
Monet était fasciné par le Japon sans y être jamais allé, son immense collection d’estampes et son jardin japonisant en témoignent. La fascination s’est exercée aussi, dès son époque, en sens inverse : les Japonais ont toujours fait bon accueil à l’art de Monet.
En 1999, le village de Kitagawa, une station réputée pour ses sources thermales, a rendu un hommage exceptionnel au maître de l’impressionnisme en recréant de l’autre côté de la terre ses jardins de Giverny.
Surfer sur le site des jardins Marmottan Monet de Kitagawa permet de se laisser fasciner à son tour par l’expertise des Japonais en matière de jardinage. Pour que l’illusion soit parfaite, la Fondation Monet y a prêté la main. Le chef-jardinier de Giverny, Gilbert Vahé, s’est rendu sur place afin de donner de précieux conseils.
Le résultat est magnifique et saisissant. je suis sûre que Monet aurait été ébloui par tous ces nénuphars merveilleux ; le fameux Nymphéa bleu a l’air de prospérer à Kitagawa.
Bien sûr, vous le verrez à travers les photos du site, il a fallu faire quelques entorses. La pente du terrain a l’air d’être plus prononcée, en tout cas des escaliers assez longs mènent à la maison. Je ne crois pas qu’on ait restitué l’intérieur. Le plan des jardins n’est pas tout à fait identique non plus. Mais l’ambiance a l’air d’être bien la même.
Je ne me lasse pas de faire le tour des sites qui parlent de Kitagawa. Cela a quelque chose de surréaliste de voir des lieux qui paraissent familiers tout entourés de caractères illisibles et bizarres. On cherche à comprendre ce que les photos racontent. Et tout à coup, on tombe sur la reproduction d’un article de Paris-Normandie, en français dans le texte. Voilà qui doit faire tout drôle aux internautes japonais.
Astilbe
L’Astilbe ne manque pas de classe, avec ses inflorescences toutes douces qui font penser à des plumes d’autruches (des plumeaux, prétendent certains esprits chagrins que nous préférerons ignorer).
Rose, rouge ou blanche, l’astilbe orne les bords de bassins, comme ici à Giverny, car elle aime être au frais au bord de l’eau. L’exposition lui importe moins que l’humidité, on la voit réussir aussi bien à l’ombre qu’au soleil, à condition de lui éviter les ardeurs de midi.
C’est une plante de culture facile même pour les débutants en jardinage. En peu d’années le pied se développe, à tel point qu’il faut diviser les souches tous les quatre ou cinq ans. On en a alors pour prolonger la bordure ou pour donner à ses amis.
Jardin secret
A une vingtaine de kilomètres de Giverny, à côté de Gaillon, le château de Jeufosse possède un magnifique parc qui recèle un joyau discret : un jardin à la française endormi à l’ombre des grands arbres.
Il suffit de soulever le loquet d’un autre âge, et l’on entre dans un labyrinthe vert de buis taillés égayés de lupins et de roses. Pas âme qui vive. On glisse à petits pas dans les allées, avec le plaisir qu’on goûte à être seul dans les eaux calmes d’une piscine. Tout semble suspendu hors du temps dans ce jardin secret. Quelqu’un viendra-t-il se délasser dans les grottes de verdure, contempler les bouquets de pierre ?
Là-bas, en point de fuite, le château dresse sa belle façade, son escalier monumental. Mais ici, le clos quasi monacal a la taille d’un grand potager, des dimensions humaines et familières.
Le jardin est une propriété privée, il appartient aux propriétaires du château, les visiteurs de passage qui résident dans les chambres de la maison d’hôtes y sont les bienvenus. C’est un lieu à découvrir si vous cherchez un endroit calme et plein de charme où dormir pas très loin des jardins de Monet.
L’embarcadère aux roses
Voici l’embarcadère aux arceaux fleuris vu de la berge en face, presque de l’endroit où Monet l’a peint. L’effet est très différent : de nos jours, le fond du paysage est empli de grands arbres.
A l’époque de Monet, sur le tableau du musée de Phoenix, on n’aperçoit ni la peupleraie du fond, ni tous les arbres qui bordent aujourd’hui l’étang et qui ont eu le temps de parvenir à maturité.
Vu du pont japonais, le bassin ressemble aujourd’hui à une clairière en pleine forêt.
Bons baisers de Russie
Le déjeuner sur l’herbe, Claude Monet, musée Pouchkine, Moscou
Voyages par procuration : après des Suédois vendredi, des Danois samedi, ma semaine s’est finie avec des Russes.
C’est toujours étonnant d’entendre des étrangers se parler entre eux. Au milieu de tout un tas de mots qu’on ne comprend pas, parfois il en ressort tout à coup un ou deux qui sont transparents et qui permettent de suivre un tout petit peu le fil de leur conversation, comme les cailloux du Petit Poucet disséminés de loin en loin. En suédois, téléphone mobile se dit cell phone, par exemple. Ca peut toujours servir.
Les Suédois m’avaient demandé une visite en français, les Danois en anglais. Ce matin deux des ingénieurs moscovites en week-end parlaient très bien anglais et traduisaient au fur et à mesure en russe pour leurs collègues.
C’était un vrai bonheur d’entendre mes phrases se métamorphoser comme par magie en cette langue douce et chantante, en retrouvant deci-delà un nom propre, un nom de fleur en latin, un mot français passé au russe.
Je me demande bien ce qu’ils ont pensé des explications que je leur ai données. Monet menait à Giverny une vie de grand bourgeois à la campagne. J’essayais de me projeter dans une mentalité russe (exercice certes difficile et périlleux) et je m’entendais partout souligner ce côté classe sociale élevée de Monet, ses relations prestigieuses, ses moyens pour faire détourner la rivière et goudronner devant chez lui, sa grande serre, sa voiture, ses tailleurs élégants, ses repas fins, ses six jardiniers… Et les dames et leurs problèmes d’oiseaux d’ornement, de château, d’ombrelle et de broderie… Que pense-t-on de cela quand on est Russe, qu’on a vécu le socialisme puis la chute du rideau de fer ?
C’était un peu délicat de leur poser cette question d’appréciation politique, et ils n’en ont pas soufflé mot. Mais le climat normand les a étonnés.
– Quelle température fait-il en hiver ? m’a demandé l’un d’eux.
– Nous avons eu deux heures de neige et quelques nuits de gel !
– Du gel ?
– Oui, quand la température descend au-dessous de zéro.
– N’importe quelle température négative ? Même – 1°, c’est du gel ?
– Oui, ça fait une grande différence pour les plantes qui sont pleines d’eau.
Il secoue la tête, méditatif.
– Et à Moscou, il a fait quelle température cet hiver ?
– Oh, pas très froid cette année, seulement -25° ou -30°.
Nous avons ensuite devisé de la culture des capucines (nasturtia en russe, je vous le dis, ça peut toujours servir), et puis est venu le moment de se quitter.
Le baise-main, c’était la première fois qu’on me faisait le coup. Il n’y a pas à dire, c’est un truc qui marche. C’est aussi surprenant que charmant, encore plus de la part d’un homme dont je n’avais pas entendu le son de la voix.
Ca m’a fait penser à Sarkozy en voyage officiel en Allemagne le jour de son investiture, vous vous rappelez ? Comment il avait embrassé comme une vieille copine Angela Merkel, et que la chancelière allemande ne savait plus où se mettre ? L’ère de Chirac et du baise-main était révolue, c’était clair.
– Mon collègue est un peu vieux jeu, a glissé l’interprète comme pour l’excuser, tout en me donnant une virile poignée de main.
Combien coûte un Monet ?
Plusieurs toiles de Monet ont changé de main cette semaine. Cela n’était pas arrivé depuis longtemps et permet de mesurer la cote d’amour du chef de file de l’impressionnisme auprès des investisseurs.
Le feu d’artifice a commencé lundi chez Christie’s, à Londres. Les arceaux de roses, Giverny (1913), ont été adjugés pour 8 millions de livres. C’est une vue du débarcadère du bassin aux nymphéas prise au moment où les rosiers grimpants sont en fleurs, exactement comme maintenant. Elle ressemble beaucoup à celle-ci, qui se trouve au Phoenix Art Museum, dans l’Arizona.
Un autre Monet, Waterloo bridge, temps couvert (1901) a triplé son estimation en atteignant 17,9 millions de livres sterling (26,5 millions d’euros). En 1899 et en 1901, Monet séjourne à Londres au Savoy Hotel d’où il peint la vue sur le pont Waterloo qui s’offre à lui par la fenêtre. Il est pris d’une frénésie de série, cet ensemble de toiles compte plus d’une quarantaine de tableaux du même motif, retraçant les variations de la lumière et des conditions atmosphériques.
Mais le record de vente était encore à venir. Mardi, le concurrent de Christie’s, Sotheby’s, mettait en vente un Nymphéas qui n’avait pas été montré au public depuis 1936.
Devinez combien il s’est vendu ? 18,5 millions de livres. Soit 27,4 millions d’euros, ou si vous trouvez ça plus parlant, 180 millions de francs.
C’est le deuxième Monet le plus cher de toute l’histoire de la peinture.
Je ne sais pas si ça vous cause, tous ces chiffres, personnellement quelle que soit la monnaie je n’arrive pas à imaginer une pareille somme d’argent. A la louche, ça représente une centaine de maisons au prix moyen de l’immobilier à Vernon. Ou plus d’un millier de voitures flambant neuves. Ou plusieurs vies de labeur.
Vous voulez que je vous dise ? Ca fait cher. Faudrait voir à faire attention, la prochaine fois au musée, de pas rayer la peinture.
La couleur des Nymphéas
On trouvait vraiment de tout dans les Expositions Universelles du 19ème siècle. Monet s’est procuré beaucoup de nénuphars en fréquentant l’Exposition Universelle de Paris de 1889 et celle de 1900. C’est là qu’il a découvert les nombreux hybrides obtenus par Joseph Bory Latour Marliac, un pépiniériste de Temple sur Lot, près de Bordeaux.
Les contemporains de Monet ont décrit tous les merveilleux nénuphars qu’ils avaient vus à Giverny : certaines années, le peintre fou de fleurs parvenait à faire pousser des espèces exotiques, purement tropicales, de nymphéas roses. Il possédait d’étonnantes variétés bleues venues d’Amérique du sud, ou encore le Nymphea aurora, jaune au début de sa floraison, et qui virait au rouge ensuite. Il en avait aussi d’autres, d’origine égyptienne, au coeur blanc entouré de pétales roses. (in Monet the Gardener, Robert Gordon et Sydney Eddison, Ed. Universe)
Claude Monet recherchait la plus grande variété de couleurs possible. A la création de son bassin, le choix des premiers nénuphars avait été vite fait : il avait tout simplement commandé tous ceux qu’il avait trouvé dans le catalogue Vilmorin, une douzaine au total.
Monet plantait ses nénuphars dans des pots immergés dans la vase, ce qui lui permettait de retirer les espèces fragiles en hiver.
Aujourd’hui, on peut en voir des roses, des jaunes et des blancs de différentes sortes à Giverny, en ce moment dans tout l’éclat de leur floraison.
Bain de mer
Aujourd’hui, en l’honneur de l’été, allons au bord de la mer. Ce n’est pas très loin, Giverny est à seulement une heure trente du littoral de la Manche.
En partant de la vallée de la Seine, il faut choisir si l’on ira au sud-ouest de l’estuaire ou au nord-est, ou si vous préférez à gauche ou à droite de l’embouchure. La différence de paysage est assez marquée : au nord-est, c’est la Seine-Maritime, avec ses belles falaises d’Etretat, de Varengeville, de Dieppe, célébrées par Monet. Au sud-ouest, dans le Calvados, les plages de sable ont favorisé l’émergence de stations balnéaires, avant d’entrer dans l’Histoire comme plages du Débarquement.
Ici aussi, Monet a peint, mais surtout au début de sa carrière, à Honfleur et à Trouville. Avec ses parents, il habitait le Havre, de l’autre côté de l’estuaire.
Le tableau ci-dessus date de l’hiver 1882. Monet est parti pour une longue campagne de peinture à Dieppe, puis à Pourville, cinq kilomètres plus à l’ouest, où il reste deux mois. Les vagues déferlent le long de la côte. Le soleil couchant teinte la plage de Pourville de rose, mêlé au bleu du ciel qui se reflète sur le sable mouillé.
Mais alors, vous répétez toujours la même chose ?
Les lysimaques, ces belles vivaces jaunes d’un mètre de haut, sont en fleurs à Giverny. J’avais oublié leur nom appris l’an dernier. A force de passer devant le massif, il m’est revenu tout seul. La vue de la plante a dû solliciter la bonne case dans la mémoire, je suppose. Au bout de quelques jours le nom de lysimaque s’est imposé aussi clairement qu’une étiquette.
Pour les guides, la mémoire est aussi essentielle que la voix. J’explore, en même temps que ce métier, le fonctionnement mystérieux du souvenir.
Parler sans notes devant un public a une façon particulière de solliciter la mémoire. C’est un peu s’élancer sans filet pour un numéro de trapèze volant, le risque physique en moins. On vient d’exécuter une figure, le temps d’une respiration et il faut enchaîner pendant que le public est attentif. Qu’est-ce qui vient après, déjà ? Des groupes de mots ou des images apparaissent, évoquant une anecdote, un point à expliquer. Des enchaînements logiques permettent de poursuivre sans effort. Une idée en appelle une autre. Des formulations heureuses trouvées lors de visites précédentes ressurgissent spontanément.
Quand j’évoque mon métier, une phrase revient souvent chez mes interlocuteurs : « mais alors, vous répétez toujours la même chose ? » Bizarrement, ils ont tous un ton un peu horrifié pour dire cela.
Nous vivons dans un monde qui abuse de la répétition – les mêmes chansons, les mêmes informations, les mêmes publicités, les mêmes sketches, les mêmes conseils inlassablement répétés, nous la subissons sans penser à nous en plaindre, et pourtant redire la même chose deux fois de suite nous fait peur.
C’est étrange à quel point nous sommes programmés pour ne pas nous répéter. Combien cela nous met mal à l’aise de nous apercevoir que nous avons déjà dit cela tout à l’heure, même si c’était à d’autres personnes. J’imagine que cela doit avoir un sens profond vraiment important, évoquer le gâtisme du grand âge et de la proximité de la mort, peut-être, ces vieillards qui radotent à n’en plus finir…
S’il n’y avait ce malaise, je trouverais cela très confortable de répéter toujours la même chose. Peut-être qu’il finira par disparaître. J’imagine que les profs qui ont des classes de même niveau, ou les médecins en cas d’épidémie de grippe, finissent par s’habituer à ce ronron du rabâchage. Pour l’instant je louvoie. Certaines parties bien rôdées, bien ficelées, je n’y touche plus. Mais entre elles il y a une marge d’improvisation, du discours à construire au fur et à mesure. Cela me permet de ruser, de ne pas faire deux fois de suite la même visite. Et de ne pas répéter toujours la même chose.
Rodin et Monet
Le vernissage de l’exposition était fixé au 21 juin. C’était l’été 1889, celui de l’exposition universelle et de la Tour Eiffel. Monet et Rodin exposaient ensemble à la galerie Georges Petit.
Rien ne paraît plus naturel aujourd’hui que de voir réunis sur une même affiche ces deux monstres sacrés de la peinture et de la sculpture. Pourtant, en 1889, cela ne va pas de soi.
Monet et Rodin ont exactement le même âge : ils sont nés à deux jours d’écart, Rodin le 12 novembre 1840, Monet le 14. Ils s’estiment et ils s’admirent mutuellement. Mais leurs carrières parallèles ne se sont pas déroulées à la même vitesse. Rodin a démarré plus lentement, mais il a eu la chance de voir son talent reconnu très vite. Il est un artiste « arrivé », il reçoit des commandes officielles, il fait partie des jurys d’exposition.
En revanche, à 49 ans, Monet attend toujours son heure de gloire. Il est apprécié par un cénacle d’amateurs, soutenu par son marchand Paul Durand-Ruel, mais la critique et le public tardent à lui porter l’admiration qu’il mérite.
Rodin sert donc, un peu, de caution officielle à Monet dans la grande exposition projetée. Ce n’est pas une mince affaire. 36 Rodin voisineront avec 145 toiles de Monet. Oui, 145 ! Une énorme rétrospective de 25 ans de carrière qui restera sur les cimaises de la galerie Petit pendant trois mois !
Des semaines de préparation, des dizaines de lettres pour convaincre ses collectionneurs de prêter telle ou telle toile, et nous voici à la veille du grand jour. Rodin expose ses Bourgeois de Calais au complet pour la première fois.
Mais il attend la dernière minute pour les placer, et, aux yeux de Monet, le 21 juin, c’est une catastrophe :
Je suis venu ce matin à la galerie où j’ai pu constater ce que j’appréhendais, que mon panneau du fond, le meilleur de mon exposition, est absolument perdu, depuis le placement du groupe de Rodin. Le mal est fait… C’est désolant pour moi.
Les sculptures de Rodin le sculpteur reconnu font de l’ombre aux oeuvres de Monet, qui une fois de plus est en proie au doute. Arrivera-t-il à convaincre cette fois-ci ?
Monet a vu juste. La presse fait la part belle aux oeuvres de Rodin, mais se montre moins diserte et moins unanime sur les siennes. Il faudra attendre encore un an et le choc des Meules pour faire enfin taire les donneurs de leçons.
Pavot
Ca bourdonnait dans les pavots ce matin, au point que les fleurs en tremblaient. Dans le soleil radieux, des abeilles, des bourdons venaient à plusieurs visiter les grandes corolles, se rouler dans les étamines. A contre-jour leurs silhouettes mouvantes se dessinaient en ombres chinoises.
Le pavot a des pétales si fins et si froissés qu’on dirait du papier crépon, prêt à se transformer en jupons d’un jour pour le spectacle de fin d’année des petites classes. Roses ou rouges, tournent les robes des petites filles déguisées en fleurs…
Le pavot est l’as du pliage, il pourrait donner des cours aux aspirants parachutistes. Comme un magicien sortant des foulards de son gant, il fait jaillir de son bouton des surfaces insensées de pétales.
Les insectes ont bien fait de se dépêcher ce matin. J’ai repensé aux pavots ce soir en dépliant mon parapluie. Son tissu fin était tout froissé, on aurait dit un grand pavot rose, à l’envers.
La maison rose
Dimanche dernier, à l’occasion de l’anniversaire de ses quinze ans, le musée d’art américain de Giverny a ouvert exceptionnellement au public les jardins de trois maisons d’artistes.
La Maison Rose est l’une de ces demeures qui a vu passer des hôtes de marque pendant plusieurs décennies, des peintres américains, puis de nombreux artistes à partir de 1909, quand elle est devenue une auberge. La danseuse Isadora Duncan y a séjourné.
Blanche Hoschedé, la belle-fille de Monet, venait souvent peindre dans le jardin.
La maison appartient aujourd’hui à la Fondation Terra, qui y accueille des artistes en résidence d’été, ainsi que des chercheurs en histoire de l’art.
Les jardins sont une création contemporaine. Le paysagiste n’a pas cherché à restituer le jardin d’il y a cent ans, qui paraîtrait peut-être un peu ennuyeux aujourd’hui, à en juger d’après les cartes postales d’époque. Il a préféré imaginer des allées gazonnées autour de parterres à la végétation exubérante. Mon seul regret : qu’un massif de bambous devant l’ancienne porte du jardin le cache à la vue depuis la route. Ce serait si agréable de l’apercevoir en passant.
Dimanche dernier, il faisait bon se promener presque solitaire dans ces beaux jardins méconnus de Giverny, en découvrant d’autres aménagements, d’autres styles, d’autres idées, d’autres plantes que chez Monet.
Les portes se sont refermées, elles se rouvriront pour les groupes de visiteurs qui en feront la demande.
Les tilleuls de Hyde Park
Certaines personnes sont plus que d’autres sensibles aux sons, elles vous font remarquer les appels du coucou même quand il faut tendre l’oreille pour les percevoir. D’autres portent toute leur attention sur les parfums qui embaument le jardin de Monet.
Ou plutôt qui devraient embaumer. Il pleut un peu souvent ces temps-ci pour que les senteurs les plus capiteuses se développent. La semaine dernière encore, l’air était plein de fragrances de chèvrefeuille, de rose et de tilleul. Le voilà lavé, tout propre et tout frais, mais les parfums fleuris sont partis.
Des visiteurs londoniens ont approché leur nez des tilleuls de Monet, pour constater un peu déçus que le pic de leur floraison est déjà passé. « La semaine dernière, ceux de Hyde Park étaient tous en fleurs, » m’ont-ils rapporté avec un peu de nostalgie.
L’espace d’un instant, je me suis promenée avec eux dans Hyde Park la semaine dernière, humant à pleins poumons la brise au parfum de tilleul. Un parfum qui franchissait allégrement le Channel, rejoignant celui des mille tilleuls de Vernon en pleine floraison au même moment, et sans doute aussi celui de beaucoup d’autres tilleuls ailleurs sur la planète.
Les amoureux séparés décident parfois de regarder la lune à la même heure, pour se sentir plus proche l’un de l’autre. J’aime bien l’idée que la semaine dernière, tandis que je humais avec délectation le parfum des tilleuls de Vernon et de Giverny, d’autres personnes se réjouissaient de cette même senteur dans Hyde Park ou ailleurs. Il me semble que cette expérience concomitante, si fugitive soit-elle, nous rapproche, tisse comme un lien secret entre nous, des êtres humains éloignés, différents, mais qui sentent et ressentent de la même façon.
Fleur bleue
Autant le colza est incontournable au printemps, avec son jaune acide omniprésent qui vous saute à la figure, autant le lin joue la discrétion. Pour peu que la pluie vous tienne à l’écart des chemins de campagne pendant une ou deux semaines, et vous ratez la courte mais si jolie période où il est en fleur.
Si le colza fait masse, le lin est mousseux et léger. Sa floraison saupoudre les champs d’une traînée de petites étoiles bleues tombées du ciel et accrochées au sommet de courtes tiges toutes fines.
Comment quelque chose de si délicat peut-il produire une fibre aussi solide ? Le processus de transformation est long et un peu mystérieux, comme celui qui fait naître les papillons, ou les bons petits plats en cuisine.
Beauté éphémère : vous apercevez un champ qui ressemble à celui-ci à deux heures de l’après-midi, vous le retrouvez tout vert à six heures du soir, toutes ses fleurettes fanées.
C’est une beauté qui s’offre et se refuse en même temps. Vue de près, la fleur de lin ne paie pas vraiment de mine, toute petite et toute simplette. Ce n’est qu’en portant le regard au loin qu’on la voit devenir cette nappe d’azur. De près, même pas de quoi être tenté de faire un bouquet.
Matinée sur la Seine
Toute sa vie Monet a vécu au bord de l'eau, celle de la Seine ou celle de la Manche. Cette passion pour l'élément liquide n'est pas étrangère au fait qu'il ait jeté son dévolu sur Giverny : le fleuve n'est qu'à un kilomètre environ de sa maison.
En 1896, il explore le procédé de la série depuis plusieurs années déjà quand il se lance dans un nouveau thème, celui des Matinées sur la Seine. Son but est d'étudier les variations de la lumière et de l'atmosphère sur la rivière aux premières heures de la journée.
Debout avant l'aube, après avoir pris son habituel bain froid, il déjeune copieusement puis part au bord de l'eau. Il s'installe à l'endroit où l'Epte se jette dans le fleuve, et où il possède une cabane qui lui permet de stocker ses toiles sur place.
Peu de tableaux sont achevés cette année là en raison du temps exécrable qui dure une bonne partie de l'été. Il les reprend en 1897. Il y en aura une vingtaine au total.
Tout est vaporeux dans celui du Mead Art Institute de l'Amherst College, dans le Massachusetts. Avec une courte palette de dégradés de mauves et de violets, Monet s'est attaché à rendre la brume du petit matin qui s'élève de la Seine. Monet peint qu'il ne voit pas, selon le mot de Proust.
Comme tous les tableaux de la série, la toile présente une symétrie selon une horizontale qui la coupe en son milieu. Tôt le matin ou en soirée, la Seine est souvent lisse comme un miroir, le vent qui la ride ne se lève qu'avec le soleil. Monet se passionne pour les reflets des arbres, pour la coulée claire qui sépare ceux de la berge de ceux de l'île aujourd'hui disparue. La composition comme le sujet préfigurent les vues du bassin aux nymphéas. Les premières datent de l'année suivante, 1898.
L'une de ces Matinées sur la Seine, celle du musée de Boston, est exposée jusqu'au 1er juillet au Musée d'Art Américain de Giverny.
Daniel Terra, fondateur du Musée d’Art Américain Giverny
La vie de Daniel Terra est un roman. Le fondateur du Musée d’Art Américain Giverny incarne le rêve américain, cet espoir que la possibilité de réussir et de devenir millionnaire est offerte à tous.
Daniel Terra est né en 1911. Il a commencé comme marchand de journaux dans la rue à Philadelphie, en Pennsylvanie, puis il a été danseur et chanteur, tout en poursuivant des études de chimie à l’université. Après la crise de 1929, il se lance dans la recherche en chimie et parvient à mettre au point un procédé de séchage rapide de l’encre d’imprimerie. Succès foudroyant qui coïncide avec le lancement de Life, un magazine consacré aux actualités.
En 1940, à 29 ans, Daniel Terra crée sa propre société de produits chimiques pour les arts graphiques. Vingt ans plus tard, Lawter Chemicals est cotée en bourse. Aujourd’hui, elle est présente dans 17 pays à travers la planète.
Voilà Daniel Terra riche à millions. Il consacre une partie de cette fortune à sa passion, la peinture. Daniel Terra se met à collectionner les oeuvres d’artistes américains, de 1750 jusqu’aux années 1950. Au total, un millier d’oeuvres parmi lesquelles bon nombre de toiles magnifiques signées des plus grands noms de l’art américain, Morse, Cassatt, Robinson, Homer ou Hopper, pour n’en citer que quelques-uns.
Daniel Terra milite aussi en politique aux côtés de Reagan. En 1980, le Président nouvellement élu le remercie de son soutien en créant un titre sur mesure pour lui : « Ambassadeur extraordinaire des Etats-Unis chargé des Affaires culturelles ».
Daniel Terra voyage alors beaucoup, se faisant le défenseur de l’art américain.
En même temps, il lance une fondation et travaille à la création de musées pour montrer ses collections, de chaque côté de l’Atlantique. Le musée Terra de Chicago voit le jour en 1987, celui de Giverny en 1992.
Daniel Terra a eu le temps de voir le musée givernois prendre son essor. Il est mort en 1996. Il aurait sûrement aimé la grande exposition de cette année qui célèbre plus que jamais l’influence de l’école impressionniste française sur plusieurs générations d’artistes américains.
Henry Moore et les silex
J’ai guidé une guide cette semaine, une expérience étonnante qui s’est avérée merveilleuse. Mrs. H. venait du Texas où elle travaille au musée des Beaux-Arts de Dallas.
Le Dallas Museum of Art est un grand musée généraliste qui balaie 5000 ans d’art à travers la planète. Il possède quatre Monet, dont ce magnifique Nymphéas rond, le petit frère du tondo du musée de Vernon. Avant d’arriver à Dallas, ce tableau-ci, comme celui de Vernon, a été offert par Claude Monet, cette fois au profit de la Fraternité des Artistes. Fichu caractère, mais généreux.
Plus les visiteurs sont réceptifs, plus c’est un bonheur de les guider. Chacun arrive à Giverny avec ses propres attentes. Et en conséquence, se trouve satisfait, comblé ou éventuellement déçu. Imaginons ce que c’est de commenter un tableau des Nymphéas jour après jour, et de voir enfin le bassin en vrai…
Je crois que c’est un des aspects de mon métier que je préfère, être à côté des gens qui vivent l’émerveillement, partager ces instants magiques. Quand en plus ils sont avides d’explications, d’analyses, d’éclairages, le bonheur est total.
Parfois les explications données rebondissent, produisant par ricochet des effets inattendus. Chez Monet, les murs du clos normand et le souterrain qui permet de passer d’un jardin à l’autre sont faits de moellons de calcaire et de silex. Le calcaire se taille bien, tandis que le silex n’accepte que d’éclater sous l’effet d’un percuteur, comme c’était déjà le cas au paléolithique. Dans les champs ou dans les carrières de calcaire, on trouve beaucoup de silex. Entiers, ils ont des formes arrondies un peu bizarres, on dirait des têtes d’os. Comme nos ancêtres ne perdaient rien, les moellons de silex sont largement utilisés dans les murs anciens de la région.
J’aime bien montrer les petits morceaux de silex insérés dans le calcaire de la pierre de Vernon. « Ah bon, c’est du silex ? » s’est étonnée Mrs. H. Elle avait remarqué une bordure de plate-bande faite en rognons de silex dans les rues du village, sans savoir de quelle pierre il s’agissait. « Nous avons à Dallas une sculpture de l’artiste minimaliste Henry Moore qui s’appelle Vertèbres Numéro 3. Il raconte qu’il s’est inspiré d’une pierre pour créer cette sculpture, mais je ne voyais pas quelle pierre pouvait avoir cette forme-là. C’était donc du silex ! «
La Seine à Lavacourt
4 juillet 2007 / Un commentaire sur La Seine à Lavacourt
En face de lui, sur l’autre rive, le peintre aperçoit les maisons du petit village de Lavacourt – guère plus qu’un hameau perdu à la pointe de la presqu’île formée par le méandre. Le lit du fleuve est parsemé d’îlots où poussent des saules.
Monet s’installe pour peindre. Il est probable qu’il choisit de s’asseoir dans son bateau-atelier toujours amarré au bas du jardin.
C’est en 1878 que Monet peint ce paysage pour la première fois. Il y revient l’année suivante pour une série de quatre vues, puis à nouveau en 1880 avec ce tableau-ci. (Lavacourt, Claude Monet, 1880, Dallas Museum of Arts, Texas).
Selon le catalogue raisonné, cette oeuvre de grandes dimensions, 100×150 cm, représentant une vue estivale a été exécutée dès le mois de mars d’après la série de toiles plus petites de 1879.
Les îles ont changé de place en 127 ans. A l’époque de Monet, le regard glisse le long de la Seine en direction de l’amont. Le fleuve s’avance vers le spectateur qui ne sait pas par quel miracle il n’est pas noyé. Rien, au premier plan, ne permet de savoir si l’on a les pieds au sec, exceptée une touffe ambiguë de roseaux.
Mais quelle sérénité dans ces bleus et ces verts pâles, réchauffés de quelques touches de rose presque chair !
Monet place la ligne d’horizon au milieu de la toile. A l’ouverture du premier plan répond l’étendue du ciel tout pommelé de nuages, qui vient se refléter dans les eaux mouvantes. C’est le matin, le paysage baigne dans une lumière douce et tamisée. Les façades des maisons éclatantes de soleil se mirent dans le fleuve qui fait danser les couleurs.