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Claude Monet à Giverny
La Fondation Claude Monet vient de publier une toute nouvelle mouture de son best-seller incontesté, la brochure qui présente la maison et les jardins de Monet à Giverny. Elle s’intitule « Claude Monet à Giverny, la visite et la mémoire des lieux ».
L’ouvrage en est à sa troisième édition. La toute première, « Une visite à Giverny », était signée Gérald van der Kemp, le directeur à qui l’on doit la restauration de la propriété de Monet, ce qui en faisait un témoignage précieux. Son épouse avait réalisé l’édition suivante.
Comme le temps passe, le moment était venu de rafraîchir la publication. Cette fois-ci, c’est Claire Joyes, Givernoise, liée à la famille Monet, et spécialiste du peintre, qui a rédigé les textes, d’une plume dynamique et vivante.
L’iconographie a aussi été repensée, avec beaucoup d’images d’archives, de tableaux, et bien sûr des photos du jardin et de la maison.
En complément des vues du photographe Jean-Marie del Moral, j’ai la joie d’avoir apporté ma contribution à cette nouvelle édition en fournissant 42 photos !
Voir son travail imprimé est un moment émouvant pour tout auteur, mais surtout, je suis heureuse de participer par le biais d’un livre à la diffusion de l’image de la Fondation Monet. C’est une action qui me tient à coeur depuis quinze ans, au moyen d’internet jusqu’à présent.
J’aime les livres, cela me fait plaisir d’imaginer celui-ci, traduit en quatre langues, présent sur les tables de nuit ou les étagères de Lille à Marseille, de New-York à Tokyo, de Montréal à Berlin. Et de toucher des personnes qui, peut-être ne surfent pas, afin de partager avec elles mon amour pour ce petit coin de nature et de beauté pure.
Claude Monet à Giverny, la visite et la mémoire des lieux, Claire Joyes, éditions Claude Monet Giverny. 80 pages, 9 euros.
Aurore
C’était l’heure qu’aimait Monet. Debout avant l’aube, il était à pied d’oeuvre pour voir se lever la brume sur le fleuve ou sur son bassin, dans cette caresse orangée et rose des premiers rayons du soleil.
J’ai eu la chance la semaine dernière de pouvoir venir photographier les jardins de Claude Monet dès sept heures du matin.
Dans la lumière mauve de l’aube, l’étang semblait une cassolette fumante d’où s’échappaient des vapeurs fantomatiques. Les arbres inversés dessinaient des ogives dans les reflets argentés.
Puis le soleil est arrivé, et la brume s’est mise à danser, mue par d’insensibles courants de l’air.
J’avais le souffle coupé. Ce jardin réserve des beautés à l’infini.
On comprend que Monet n’ait plus eu envie de chercher ailleurs.
Avril à Giverny
Du jaune de chrome, du vermillon, du bleu cobalt, du vert émeraude… Avril dépose ses couleurs dans le jardin de Monet à Giverny comme un peintre sur une palette.
« C’est irréel tellement c’est beau ! » s’exclame une visiteuse émerveillée.
La grande floraison des bulbes de printemps fait rayonner des centaines de variétés de narcisses, de fritillaires, et surtout de tulipes aux formes et aux teintes les plus étonnantes et les plus variées.
Des tapis de pensées étalent leurs petites têtes vibrantes partout.
Des coussins d’aubriètes gonflent de mauve le bord des allées.
Nulle autre saison n’est plus colorée que celle-ci.
Il flotte autour de ce tableau des senteurs suaves, des parfums mêlés de jacinthes, d’oranger du Mexique, de laurier-tin et de spirée.
Dans le petit matin, les tulipes ont la tête encore fermée sur leurs rêves nocturnes. D’ici peu, elles les laisseront s’échapper pour ouvrir leurs pétales à la curiosité des insectes.
Pour l’heure, c’est le grand concert des oiseaux. Et puis voici le coq, soudain, qui claironne son chant de campagne, quand le soleil paraît au coin du grand atelier.
Arrosage
La Normandie n’est plus ce qu’elle était : voilà qu’il fait sec en avril !
Dans les jardins de Monet, les rampes d’arrosage ont repris du service un peu plus tôt que d’habitude, en renfort des gouttes à gouttes et de l’arrosage manuel.
Un voile de gouttelettes s’élève dans la lumière du matin, puis retombe sur les plantes assoiffées qui courbent l’échine sous la douche, un peu sonnées, vite redressées.
C’est un rideau de perles que l’on n’ose franchir, des perles qui s’éparpillent bientôt avec prodigalité pour venir rouler, hésitantes, le long des tiges et des feuilles, et s’accrocher aux pétales soyeux en colliers de lumière.
Cygne
Qu’est-ce qui peut bien passer dans la tête d’un cygne pour qu’il vienne faire son nid à Giverny sur les bords du Ru, à quelques mètres de la route, sous le regard étonné des touristes ? Les voitures, les autocars et les camions sillonnent la départementale 5 à longueur de journée, les joggers trottinent sur le petit chemin de la berge, mais rien ne paraît pouvoir déranger l’oiseau, imperturbable quand il est en train de couver.
Le ruisseau n’offre qu’une protection symbolique, sans doute illusoire. Mais le cygne a renoncé à se cacher. A moins qu’il neige, pas la peine d’espérer passer inaperçu quand on porte un plumage aussi blanc.
Je crois que le cygne compte sur sa corpulence et ses coups de becs pour tenir en respect les prédateurs. Les véhicules à moteur l’indiffèrent, et les bipèdes sont assimilés à des lanceurs de pain. Aucune raison d’avoir peur !
J’espère que tant d’inconscience n’aura pas de conséquence fâcheuse, et qu’on verra bientôt les petites boules de duvet gris sortir de l’oeuf et se presser autour de leurs parents. En espérant que ceux-ci se montrent vigilants et leur évitent toute rencontre fâcheuse. Au moins, dans le Ru, il ne doit pas y avoir de brochet.
L’heure du printemps
La discussion fait rage dans les allées du jardin de Monet à Giverny : le printemps est-il en retard ? Ou bien était-il en avance ces dernières années ? Selon les jardiniers, les pendules sont à l’heure cette année. Enfin.
Certains signes ne trompent pas : les narcisses, d’habitude déjà en train de défleurir dès le début avril, rayonnent encore de tous leurs blancs, offrant une image presque insolite du clos normand. Ils s’étendent par nappes au milieu des pelouses, où de petites tulipes botaniques les accompagnent.
L’image de leurs îlots clairs au milieu du vert des gazons évoque comme une réminiscence une autre vue familière à Giverny, celle des radeaux de nymphéas à la surface du bassin, au coeur de l’été. Deux compositions qui se répondent, se superposent dans la rétine, accompagnées d’impressions opposées, la fraîcheur printanière d’avril pour l’une, la chaleur estivale tempérée par le bord de l’eau pour l’autre.
L’effet des narcisses est si joli qu’il vaut la peine de venir dès maintenant à Giverny.
Une autre discussion enflamme les jardiniers amateurs séduits par la composition, qui se verraient bien avec la même chose dans leur jardin. Que faire quand les fleurs fanent ? Car tout le monde le sait, il faut laisser aux bulbes le temps de se régénérer pour qu’ils refleurissent l’année prochaine. Ceci impose de laisser les feuilles en place jusqu’à ce qu’elles jaunissent. Non seulement il faut habilement manier la tondeuse pour faire le tour des narcisses, mais encore l’effet, cette fois, est-il loin d’être charmant.
Tout à fait entre nous, voici le truc trouvé à Giverny : des bordures de fleurs sont installées autour des pelouses, avec des fleurs un peu hautes. A peine les narcisses fanés, voilà l’inesthétique tableau qu’ils laissent derrière eux caché par un écran de superbes floraisons de lunaires ou de juliennes des dames, qui en ont profité pour pousser entre-temps.
Accord parfait
C’est tout l’art des jardiniers de Giverny de marier les fleurs à la perfection.
Dans chaque massif, des camaïeux de pensées déclinent en ce moment toutes les nuances de violet, de bleu, d’orange…
Petites et grandes têtes s’agitent dans la brise, habillées de couleurs presque semblables, qui se répondent et se rehaussent les unes les autres.
Parfois, l’harmonie ton sur ton se propage aux espèces voisines.
Au bout du pont japonais, le visiteur attentif des jardins de Monet remarquera, par exemple, cette association délicate d’une primevère sauvage jaune pâle et d’une mini pensée aux teintes assorties.
Elles me font penser à un couple quand, après des années de vie commune, l’homme et la femme finissent par se ressembler.
La vie de château
Pour un guide, il n’est pas difficile de savoir si son auditoire apprécie sa prestation : une écoute attentive, des rires, une ambiance détendue, sont déjà de bons signes. Si le groupe reste groupé pour ne pas perdre une miette des commentaires, c’est encore mieux. La visite se terminera dans des remerciements chaleureux, souvent accompagnés de généreux pourboires.
Au contraire, si tout le monde bâille à tour de rôle, que l’humour tombe à plat, et que les participants commencent à s’égailler dans la nature, c’est mal parti. On finira piteusement la visite avec une poignée de personnes qui n’ont pas osé s’échapper, peut-être par courtoisie ou par pitié.
Je crois que l’un et l’autre scénario sont déjà arrivés à tous les guides. Et autant il est agréable d’entendre des éloges, autant il est difficile de constater les échecs.
Quand ces deux expériences diamétralement opposées se succèdent à quelques jours d’intervalle, comment ne pas s’interroger sur leurs causes ? Celles-ci, pourtant, ne se laissent pas facilement cerner. Elles n’ont en tout cas pas grand chose à voir avec la visite elle-même, car le même guide, avec le même discours, dans les mêmes conditions de public, de météo, d’horaire, peut très bien passer parfaitement des dizaines de fois, et soudain déplaire.
Cela tient, il me semble, à l’effet de groupe, cette bizarre alchimie qui s’établit entre des personnes au bout de quelques temps. A l’attente des participants. A cette très légère inflexion qui va faire du guide, non pas un conteur, mais un prof, ou une madame je-sais-tout fatigante. A une toute petite erreur de timing, un défaut d’attention à la lassitude de l’auditoire.
J’essaie de cerner les écueils, pour tenter de les éviter. Les échecs m’affectent. Mes collègues qui ont derrière eux une ou plusieurs décennies de guidage sont plus philosophes.
Les succès ne sont pas moins mystérieux. A quoi tiennent-ils ?
J’ai improvisé cette semaine une visite de Vernon et du château de Bizy qui avait tout pour finir en casse-pipe.
Il faisait un froid de canard dans le petit matin. Je n’avais pas une idée précise du temps nécessaire à chaque étape. Certaines personnes marchaient avec une canne, il fallait être attentif à aller tout doucement, alors qu’en dix minutes nous étions tous glacés jusqu’aux os.
En dépit de tout cela, ce petit tour de ville s’est révélé très agréable. J’aime ma ville, comme tout le monde, c’est une joie de la faire découvrir. Et, contre toute attente, la visite du château de Bizy qui a suivi a été un moment extraordinaire.
C’était la première fois que je guidais au château, au pied levé, et j’étais bien loin d’être au point. Je me suis embrouillée dans les propriétaires successifs, je ne me rappelais d’aucune date précise, il me manquait des mots en anglais, un guéridon, un pédiluve… J’accumulais les périphrases. Mais nous étions seuls dans ce beau château privé richement meublé, avec le sentiment d’un privilège d’être là.
Et puis, il y a eu un moment de grâce. Je venais de présenter le piano Erard décoré au vernis Martin, quand la charmante gardienne des lieux nous a fait la surprise de proposer à quelqu’un d’en jouer.
Pendant quelques secondes, la question a flotté dans l’air. Qui allait oser se lancer devant les autres pour faire sonner la précieuse antiquité ? Enfin, une dame s’est avancée. Penchée au-dessus du cordon de sécurité, elle nous a interprété une petite étude. Que dire ? Dans ce décor somptueux, le moment a été magique, et je crois que je n’étais pas la seule à avoir la chair de poule.
Après cela, tout le groupe était dans un état second, heureux de se trouver là.
A l’arrivée, chaque participant est venu me dire à quel point cette matinée avait été merveilleuse. En particulier, que c’était bon d’avoir eu le temps de voir tranquillement les choses, sans se presser.
La leçon que j’en tire ? L’humilité. Sur les visites que je connais bien, j’ai peut-être tendance à parler trop, ou trop vite. Une guide qui a une longue expérience derrière elle me disait que plus le temps passe, moins elle en dit.
Toute la difficulté consiste à trouver le bon compromis entre laisser parler les choses, et les faire parler.
Pas japonais
La clarté printanière donne à l’étang de Claude Monet des reflets soyeux.
A la surface du bassin tiré à quatre épingles, les feuilles des nymphéas nouvellement ouvertes dessinent des chemins virtuels sur l’eau.
L’oeil saute de feuille en feuille, tel une grenouille, zigzagant à travers l’étendue bleue et verte grâce au soutien de ce fragile support.
Dans un gazon, les pierres plates affleurant le sol qui jouent ce rôle de repose-pied sont nommées des pas japonais.
Voici donc les nymphéas élevés au rang de pas japonais dans un jardin japonais pas si japonais que ça.
A l’ombre des cerisiers en fleurs
Parmi les fleurs qu’on peut voir au tout début de la saison dans les jardins de Giverny, et qui disparaissent définitivement par la suite, on compte le somptueux cerisier du Japon, dont le rose répond au rose de la façade de la maison de Monet. C’est en ce moment qu’il éblouit les visiteurs dès leur arrivée sur le parking, et sème en leur absence des pétales sur leur pare-brise.
Les touches jaune vif des forsythias étincellent aux abords du pont japonais, elles qui deviendront banalement vertes par la suite.
Autour de l’embarcadère, les roses de Noël durent jusqu’à Pâques, mais guère au-delà. Elles fleurissent encore ces jours-ci en bouquets pourpres ou blancs.
Et puis, au milieu des pétasites encore minuscules – mais cela non plus ne durera pas – je guette les cônes chargés de pinceaux blancs de leur floraison.
Toutes ces fleurs réservées aux tout premiers visiteurs de la saison seront bientôt passées, remerciées de leurs bons et loyaux services, remplacées par les suivantes en troupes de plus en plus nombreuses et fournies. Mais les plus précoces ont quelque chose de vaillant qui attendrit, messagères fidèles des premiers jours de printemps.
Musée des Impressionnismes
Gustave Caillebotte, Partie de bateau, dit Canotier au chapeau haut-de-forme, vers 1877-78, 90x117cm, collection particulière.
On croyait tout savoir de l’impressionnisme, le style de peinture le plus populaire qui soit. Et pourtant, tout le monde apprendra quelque chose en visitant l’expo qui vient d’ouvrir au musée des impressionnismes Giverny, et qu’on peut voir jusqu’au 18 juillet (« L’impressionnisme au fil de la Seine, de Renoir et Monet à Matisse » tous les jours de 10h à 18h).
Les organisateurs ont pris le parti d’une exposition didactique, ce qui n’est pas si courant. Au fil des cinquante-cinq toiles signées Corot, Monet, Pissarro, Sisley, Renoir, Gauguin, Bonnard, Matisse, Seurat, Signac… on suit un parcours chronologique, des précurseurs jusqu’aux post-impressionnistes.
Au milieu du 19e siècle, en un laps de temps très bref, quarante ans, la peinture connaît une révolution extraordinaire qui la mène de l’école de Barbizon aux fauves et à l’abstraction. Une révolution qui se joue dans un espace lui aussi réduit, axé sur la Seine, de Paris au Havre.
Le fleuve concentre les mutations de l’époque. Ses rives s’industrialisent, se couvrent d’usines aux cheminées fumantes, ou au contraire deviennent espace de loisirs pour des citadins en mal de campagne. C’est tout naturellement qu’elles attirent aussi les peintres à la recherche de sujets de leur temps, et non plus tirés de l’histoire sainte ou de la mythologie.
A force de peindre les ponts ou les parties de canotages, presque tous les impressionnistes finissent par s’installer le long de la Seine. Monet ne manque pas de collègues et amis dans les environs de Giverny, comme Bonnard à Vernon ou Pissarro à Eragny-sur-Epte.
Ils sont proches, mais isolés en même temps. A partir du moment où chacun prend sa résidence près du fleuve, les routes se mettent à diverger.
Les recherches picturales mènent au divisionnisme de Seurat, au fauvisme de Vlaminck, aux Nymphéas quasi abstraits de Monet.
Que tant d’artistes de génie soient nés dans un intervalle de temps si court, avec une telle concentration géographique, voilà qui ne cesse d’étonner en visitant la belle exposition de Giverny.
Sous le soleil
Après le sommeil, le soleil. Pour l’ouverture des jardins de Monet et du musée des Impressionnismes, Giverny s’est réveillé ce matin sous un beau ciel tout bleu, agrémenté de quelques nuages à la Magritte. Oubliées, la pluie et la grêle des derniers jours ! Tout brille, jusqu’à l’air encore froid qui est d’une incroyable transparence.
Rien d’impressionniste dans ce jardin de début de saison où les contours se dessinent avec netteté, si ce n’est la promesse des fleurs à venir, et la brise qui donne du flou aux reflets de l’étang.
Dans les allées, les graviers blancs sont tout neufs, parfaitement ratissés. Les pensées sont à la fête en grandes nappes colorées, bien peu d’autres fleurs viennent leur voler la vedette. Les visiteurs se penchent pour observer les modulations de leurs velours et de leurs satins.
Les cerisiers du Japon si hâtifs tendent leurs bouquets rose pâle contre le bleu du ciel.
Tout près, le musée des Impressionnismes offre une autre fête pour les yeux : sa somptueuse exposition retrace toute l’histoire de l’impressionnisme, avec la Seine pour fil conducteur.
L’expo rassemble une bonne cinquantaine de toiles de Monet, Sisley, Pissarro, Renoir, Caillebotte, Boudin, jusqu’aux néo-impressionnistes comme Seurat et Signac, Matisse, Bonnard, Luce, et d’autres un peu moins connus. C’est superbe !
Et cette année, on peut acheter un billet couplé pour la fondation Monet et le musée des impressionnismes, ce qui évite de faire deux fois la queue. Comme quoi, tout arrive !
Premiers jours de printemps
Quelles fleurs seront au rendez-vous du premier avril dans les jardins de Monet ? A trois jours de l’ouverture il paraît acquis que le rideau se lèvera sur un décor très semblable à celui de l’année dernière.
Les saules ont secoué leur tristesse hivernale et viennent d’ouvrir leurs bourgeons, les pensées, après mûre réflexion, ont décidé qu’il était temps de s’épanouir, les prunus voient la vie en rose, les jonquilles et les narcisses trompettent dans les massifs.
En dehors des saules toujours pressés, peu d’arbres ont l’inconscience d’offrir leurs tendres petites feuilles nouvelles à la morsure du froid nocturne. Ce sont encore des silhouettes nues qui se reflètent dans le bassin, des squelettes d’arbres que le courant fait frissonner.
Les premières feuilles de nénuphars flottent à la surface. Il a fallu casser la glace cet hiver pour libérer les plus précoces, quand le gel de la nuit succédait au soleil de la journée. Auront-ils bien supporté le chaud et froid ?
C’est cette année que l’on va vraiment mesurer l’impact de la disparition des peupliers à l’arrière du jardin d’eau. Les grands arbres donnaient trop d’ombre au bassin, mais ils avaient le mérite de stopper le vent. Comment l’écosystème va-t-il se rééquilibrer ? Les nénuphars si sensibles vont-ils exulter de toute cette lumière, ou grelotter sous la bise ?
La réponse s’inscrira à la surface du bassin de Monet d’ici peu. En attendant, je me réjouis de retrouver bientôt la sérénité des premiers jours, la netteté des parterres au tout début de leur cycle de floraison.
L’hiver fait un grand nettoyage par le vide. Le printemps, habile décorateur, va venir mettre de la couleur partout.
Festival Normandie Impressionniste
C’est une première qui va faire du bruit : de juin à septembre, la Normandie va vivre à l’heure de l’impressionnisme. Tout au long de l’été, des centaines d’évènements vont animer la région autour de ce thème, dans le cadre du premier festival Normandie impressionniste.
L’idée a germé dans la tête des politiques il y a quatre ans. Selon ses dires, Jacques-Sylvain Klein, directeur du service de l’économie et de l’évaluation scientifique à l’Assemblée nationale et proche de Laurent Fabius, a soufflé le concept à l’ancien Premier ministre socialiste. Tous deux ont de fortes attaches haut-normandes et un vif intérêt pour la peinture : la fortune des parents de Laurent Fabius est issue du marché de l’art, tandis que Jacques-Sylvain Klein a longuement étudié l’impressionnisme normand.
Les collectivités locales ont rapidement été embarquées dans le projet, qui leur coûte au total 5 millions d’euros. Les conservateurs des musées normands ont joué le jeu en organisant des expositions impressionnistes qui seront les manifestations phares du festival.
Mieux encore, l’originalité de Normandie impressionniste est de ne pas s’en tenir aux expos des musées. Le principe est de fédérer les initiatives autour du thème retenu. Le comité du festival a lancé un appel à projets, dont le résultat a dépassé ses espérances. Plus de deux cents manifestations ont été labellisées, organisées par des institutions, des associations ou même initiatives privées.
En laissant les projets venir d’en bas et pas seulement d’en haut, les politiques ont insufflé beaucoup de dynamisme au festival, qui promet d’être très populaire. L’inventivité des acteurs a suscité une infinie variété d’évènements. En plus de voir de la peinture impressionniste, on pourra déjeuner sur l’herbe, danser dans des guinguettes, écouter les chansons de Bruant, admirer les monuments normands sous des feux d’artifices, écouter des lectures de correspondances d’artistes, faire des croisières sur la Seine, assister à des colloques et des conférences, découvrir des oeuvres d’artistes contemporains, participer à un concours de vidéos, etc.
Si le festival est un succès, et il semble parti pour, il devrait être pérennisé avec une nouvelle édition tous les trois ou quatre ans. A Rouen, on pense tout de suite à l’Armada et ses millions de visiteurs. Reste à savoir si l’impressionnisme est aussi populaire que les grands voiliers.
Platane
Pas la peine de jouer à deviner à qui appartient ce tronc : il a beau porter une tenue de camouflage, tout le monde reconnaît le platane, si courant le long des boulevards et si bienvenu sur les places du Midi à l’heure de l’apéro.
Le platane s’identifie instantanément par son tronc qui pèle avec chic, tandis que ses larges feuilles ombreuses évitent à votre nez d’en faire autant sans aucune classe.
L’écorce qui se détache par petites plaques forme des dessins fascinants. On dirait les courbes de niveau d’une carte d’état-major, une sorte de puzzle mystérieux qui se régénère sans cesse, un nouveau genre pictural tachiste en camaïeu du meilleur goût.
A force qu’on le fréquente le long des trottoirs, le platane bénéficie d’une notoriété hors du commun. Son taux de reconnaissance spontanée ferait pâlir de jalousie les marques en quête d’image. J’ai donc été surprise, lors d’un tout récent cours d’identification des végétaux organisé à l’intention des guides de Normandie, qu’il figure au programme.
C’est que, dès qu’on gratte un peu – et en général ça démange de le faire – on s’aperçoit que la vie du platane n’est pas aussi lisse qu’il y paraît.
Si l’on remonte son arbre généalogique, on découvre que notre platane le plus commun a des parents qui n’étaient pas faits pour se rencontrer : le platanus orientalis, d’une part, et le platanus occidentalis, de l’autre. Le premier pèle, l’autre non.
Le mariage entre l’orient et l’occident s’est déroulé en Espagne il y a fort longtemps. Le faire-part a été égaré, en tout cas la cérémonie remonte à plus de trois siècles. Il en est résulté la souche vigoureuse du platanus hispanica, appelé à une très large descendance.
Notre professeur d’horticulture avait aussi une autre raison pour donner la vedette au platane. La formation se déroulait à Bayeux, une ville qui est fière d’en posséder un magnifique spécimen de la fin du 18e siècle.
Ce platane, un authentique « arbre de la liberté », a été planté par les Révolutionnaires sur une place derrière la cathédrale. Les sans-culottes ont eu un peu de mal à l’acclimater, les deux premières tentatives ont échoué. Enfin, en 1797, le troisième arbre de la liberté a été le bon. Aujourd’hui, il trône, majestueux, insinuant ses racines sous les murs de la cathédrale voisine fondée au 11e siècle par Guillaume le Conquérant.
Plus de deux siècles, c’est déjà un bel âge, pourtant le platane de Bayeux peut espérer vivre beaucoup plus vieux encore. Certains de ses congénères sont réputés avoir dépassé les mille ans. De quoi concurrencer les cathédrales.
Un bouquet de nymphéas
Combien de temps nous reste-t-il à vivre ? Comment allons-nous employer ce temps-là ?
Il y a cent ans, en 1910, Monet était dans sa 70e année. Il avait une immense carrière derrière lui, et pourtant il lui restait à peindre ses plus grands chefs d’oeuvre, le cycle des Nymphéas. S’en doutait-il, alors qu’en mars il se lamentait au bord de son bassin dévasté par la crue de la Seine ?
L’étang aux nymphéas est un lieu propice à la méditation, métaphore de la vie et de l’apparence des choses. Il me manque, aujourd’hui où je suis allée accompagner une vieille dame dans son dernier voyage.
Elle s’appelait Simone. Douce, discrète, aimante. Nos roses faisaient un horrible bruit sourd en tombant sur le cercueil.
Au même instant, ou presque, une autre Simone entrait sous la coupole. Forte, ardente. La sixième académicienne, en lutte pour les femmes jusqu’au bout.
Peut-être qu’on lui a offert des roses, à cette occasion. Que lui reste-t-il à accomplir, elle qui a déjà tant oeuvré ?
Il y a des questions qui n’ont de réponses que dans les profondeurs du bassin où se mire le saule agité par le vent.
A tous ceux qui trouvent qu’il y a des jours plus difficiles à passer que d’autres, et que celui-ci en était un, permettez-moi d’offrir, par la présente, un bouquet de nymphéas.
Giverny Capital
Malgré sa petite taille, le village de Giverny est souvent associé au mot capitale. De l’impressionnisme, ça va de soi. Plus rarement à capital au masculin.
Des financiers canadiens ont pourtant choisi l’appellation « Giverny Capital » pour nommer leur société de conseil en placements boursiers. Hommage à Monet, certes, qui compte beaucoup d’admirateurs dans le monde, mais pas seulement.
Selon le président de la société, François Rochon, l’art de la gestion de portefeuilles a de nombreux points communs avec le jardinage. Il faut comprendre les conditions environnementales, le sol, la température, l’orientation du terrain, etc. Et prendre soin sans relâche de ses plantations.
Mais surtout, selon lui, le placement requiert, comme le jardin, une bonne dose de patience. Les meilleurs profits se font sur le long terme, de même qu’un arbre met des décennies à pousser.
La société canadienne vient de s’implanter à Princeton, aux États-Unis, et j’ai le plaisir de voir une de mes photos illustrer son beau site internet tout neuf. Depuis le temps que je les connais par Google, cela m’amuse beaucoup.
Monet derrière les volets verts
L’idée était de faire une sorte de coffret cadeau, comme cela a fait fureur à Noël dernier : un livre, en guise d’écrin, accompagne un DVD sur Claude Monet à Giverny.
Le réalisateur Olivier Duhamel est passionné par les ambiances que dégagent les maisons où des artistes ont vécu longuement, et qui sont comme imprégnées de leur présence. Il a voulu restituer l’atmosphère d’une journée à Giverny dans la propriété de Monet.
Le tournage a eu lieu en 2008 à différentes saisons. Le film, un documentaire-fiction, mêle un peu bizarrement des reconstitutions dans lesquelles des acteurs interprètent Monet (frappant de ressemblance !) ou Blanche, et des interviews de personnalités telles que le chef jardinier Gilbert Vahé et l’écrivain historienne d’art Claire Joyes, comme toujours très intéressantes.
Par petites touches, comme autant d’impressions, on entre donc dans le quotidien de la famille Monet. Pour les habitués du musée, c’est étonnant de voir la maison aux volets verts reprendre vie à la faveur du film.
Le rythme lent laisse le temps d’admirer les très belles images du jardin et de l’intérieur de la maison tournées par Stéphane L’Hôte. Il y a bien quelques longueurs – je ne m’explique pas, par exemple, les plans sur les tapis de la maison, qui ne doivent rien à Monet mais sont là pour protéger les planchers du piétinement des visiteurs – mais l’atmosphère sereine des lieux est bien rendue.
Le livre écrit par Grégoire Mabille, bien fait et d’une lecture aisée, permettra à votre belle-soeur de mettre tout de suite le nez dans son cadeau. Elle risque fort, après avoir vu aussi le film, d’avoir une irrépressible envie de venir ou de revenir à Giverny.
Kim En Joong
Après Chartres, Rouen : le père Kim En Joong exposait au centre du vitrail de Chartres cet hiver, ses oeuvres seront à voir à la cathédrale de Rouen du 26 mars au 26 septembre 2010 dans le cadre du festival Courant d’Art.
D’origine coréenne, Kim En Joong s’est converti au catholicisme, a émigré en Suisse puis en France, et il est devenu dominicain.
Artiste de grand talent, il crée des peintures et des vitraux. Son travail, fortement inspiré de spiritualité, reflète l’influence de la calligraphie, mais c’est surtout la couleur, vibrante, fulgurante, qui frappe. Elle jaillit, magnifiée par la lumière quand les vitraux sont en place.
L’exposition au centre du vitrail de Chartres se tenait en sous-sol, on ne pouvait donc pas apprécier les oeuvres à la lumière naturelle. En revanche, elle permettait de découvrir le splendide cellier de la grange dîmière de Loëns, qui date paraît-il de Philippe-Auguste, c’est-à-dire du début du 13e siècle, comme la tour des Archives ou le château des Tourelles à Vernon.
En ce temps-là, le clergé percevait une redevance en nature sur les récoltes, la dîme. La Beauce était déjà couverte de céréales, mais aussi de petits vignobles aujourd’hui disparus. Le blé et l’avoine collectés étaient stockés dans la grange dîmière à l’étage, tandis que les caves de celles-ci recevaient le vin.
La magnificence de ces celliers étonne, avec leurs trois nefs à voûtes en ogives dont les nervures retombent sur des chapiteaux ouvragés. Rien n’était trop beau pour conserver le vin des hommes d’église…
Peigne fin
Bientôt les premiers bourgeons, les petites feuilles, c’est si mignon quand c’est petit.
La nature a de la tendresse dans ses ébauches.
Et de l’ordre.
Dans la plaine des Ajoux qui s’étend au pied de Giverny, les futurs épis de blé sont alignés comme à la parade, les champs bien peignés.
Ce sont les semoirs mécaniques qui produisent ce joli paysage strié.
Autrefois, quand on semait du geste ample de la semeuse du franc, les grains tombaient n’importe comment, implantés en vrac comme les cheveux sur la tête.
Ça devait ressembler à une espèce de grande pelouse, les champs de blé en herbe.
Hôtel de Bourgtheroulde
A Rouen, l’hôtel de Bourgtheroulde (les Normands prononcent Bourtroude) fait l’objet d’une rénovation soigneuse dont l’objectif est de rendre à ce magnifique hôtel particulier de la Renaissance sa splendeur passée, et de le convertir en hôtel de luxe.
La façade côté place de la Pucelle, une de ces charmantes placettes entourées de hautes maisons à colombages dont Rouen a le secret, et dont on croyait autrefois qu’elle était le lieu du supplice de Jeanne d’Arc, a déjà fière allure, alors que le chantier se poursuit à l’intérieur, toujours inaccessible.
Il a fallu déployer beaucoup d’efforts pour faire oublier l’ancienne agence bancaire installée naguère dans les lieux. Autour du porche, les bas-reliefs ont été remis en valeur, on jurerait qu’ils sont d’époque, alors qu’ils datent du 19e siècle.
Qu’importe ! Le porc-épic couronné de fleurs de lys continue d’intriguer les passants. C’est l’emblème de Louis XII, roi de France au moment de la construction du bâtiment, au début du 16e siècle.
Le porc-épic était connu en Europe, mais mal, et l’on a longtemps cru qu’il avait la faculté de lancer ses piquants sur ses ennemis. D’où l’idée du grand-père de notre Louis XII de l’adopter comme animal fétiche. Et pour ceux qui n’auraient pas compris le rapport, la devise servait de sous-titre : « de près et de loin ». Ça sonne mieux en latin : Eminus & cominus. Les ennemis n’avaient qu’à bien se tenir, et de préférence à bonne distance !
Ses prétendus pouvoirs extraordinaires faisaient de la bête un porc-épique à ranger dans la catégorie des animaux fabuleux, tels que la licorne, la salamandre ou le phoenix, autres emblèmes célèbres.
Aujourd’hui encore, le porc-épic ne nous est pas très familier. J’ai pu en voir un récemment au zoo, de la taille d’un chien moyen, et j’ai trouvé que le terme de porc est bien mal choisi. Les cochons devaient être bien petits au Moyen Âge…
Le goût des années cinquante
J’ai trouvé dans une brocante cet exemplaire des « Impressionnistes » paru en 1956, et la signature m’a convaincue de le lire. Claude Roger-Marx a été un grand critique et historien d’art de l’après-guerre. Il est le fils de Roger Marx, lui-même critique influent du tournant du siècle et admirateur de Monet, Rodin ou Cézanne.
L’ouvrage, paru chez Hachette et destiné sans doute à un large public, est pourtant loin des livres de vulgarisation d’aujourd’hui : écrit par un érudit dans une langue soutenue, il s’adresse à un milieu social privilégié. Dans les années cinquante, l’art n’est pas encore aussi populaire que de nos jours.
Le livre de Roger-Marx est une synthèse, qui évoque en moins d’une centaine de pages des artistes aussi importants que Monet, Degas, Renoir, Sisley, Pissarro, Morisot, Manet, Cézanne, et les post-impressionnistes. Ce n’est donc pas là qu’on en apprendra long sur tous ces maîtres, même si l’auteur a quelquefois de merveilleuses formules. Il décrit Impression, soleil levant, comme « un soleil saignant dans les brumes« . De Renoir, il dit que son nom seul fait penser « au soleil criblant de clarté jusqu’aux pénombres« .
Roger-Marx s’en tient à une analyse stylistique, donc, et livre du même coup un état des lieux étonnant sur la façon dont étaient perçus les impressionnistes dans les années cinquante. Monet, porté au pinacle de son vivant, dans les années 1890-1910, a été sévèrement rejeté avant de regagner sa place actuelle. « Monet devait connaître dans ses ultimes années des incompréhensions plus cruelles encore qu’à ses débuts. La critique d’après la Grande Guerre (…) devait, par une réaction facile et injuste, faire de Cézanne l’anti-Monet (…). Si ces contrevérités furent longtemps monnaie courante c’est que chaque génération a besoin de déboulonner des gloires avant de les remettre sur leur piédestal. »
Dans les années cinquante, la rentrée en grâce des impressionnistes n’est pas achevée. Beaucoup d’amateurs continuent de les trouver has been. Il faut donc de la diplomatie à Roger-Marx pour aborder le sujet, et donner à son livre l’apparence de l’objectivité. On est surpris aujourd’hui d’y trouver des critiques négatives virulentes sur Monet.
Selon lui, « la plus belle époque de Monet est incontestablement antérieure à la quarantième année. » Roger-Marx juge le peintre meilleur avec l’eau et l’air qu’avec les solides, « on le sent moins à l’aise sitôt qu’il se heurte à la pierre, à la falaise ou à la montagne« . Surtout, il estime qu’à la fin de sa vie, Monet s’est fourvoyé. « A force de ne vouloir exprimer que le fluide, sa palette s’amollit parfois. » Sa production devient « plus systématique, plus inégale » non dénuée de « brusqueries » et de « vulgarités« . « L’excès de clarté finit par tout éteindre : la toile à force de se vouloir lumineuse paraît presque décolorée. »
Roger-Marx est certainement sincère en attaquant ainsi l’oeuvre tardif de Monet, pas encore réhabilité par la lecture « moderne » qu’allaient en faire les jeunes américains de l’époque.
Aujourd’hui où Monet a atteint le rang de génie, ces critiques peu flatteuses sonnent comme de la provocation, une sorte de crime de lèse-majesté, la marque d’une liberté de pensée audacieuse.
Mais dans les années cinquante, le courage n’était pas là. Le courage était de défendre les impressionnistes, au risque de passer pour ringard. La dernière phrase du chapitre consacré à Monet révèle le désarroi de Roger Marx, certainement sincère admirateur du maître de Giverny. « Curieux retour des choses qui fait que pour défendre l’impressionnisme contre ses détracteurs il faille encore de nos jours presque autant d’indépendance et de courage qu’en 1876 ! »
L’ange au cadran
Ce cadran solaire fait face au sud sur un contrefort de la cathédrale de Chartres. Seul le dais est d’origine, l’ange et son cadran sont tous deux des copies. Les originaux, assez endommagés, se trouvent dans la crypte du sanctuaire.
Le cadran porte la date de 1528. C’est l’année de l’installation de l’horloge astronomique dans la cathédrale : la Renaissance se passionne pour les instruments de mesure. Le cadran est là pour vérifier le bon fonctionnement de l’horloge.
L’ange lui-même a une histoire curieuse. Selon les spécialistes, son style presque roman, son aspect longiligne de statue colonne, laissent à penser que c’est en fait le réemploi d’une statue de saint Jean ou de saint Jean-Baptiste, qui se trouvait à l’origine au trumeau du porche central du portail ouest.
Le trumeau a été détruit, la statue déplacée vers le contrefort et affublée d’ailes et d’un nimbe. Et voilà saint Jean transformé en ange !
Le visage, toutefois, est bien angélique et fait pencher pour l’apôtre. Auréolé de cheveux bouclés, le regard sans expression, il frappe par la douceur extatique de son sourire.
Bientôt le printemps
Ça y est, on est en mars ! En mars, en Normandie, après le sommeil hivernal, la nature a la tête de quelqu’un qui sort du lit : ébouriffée et souriante certains jours, grognon et peu amène certains autres.
Le vent de ce week-end a dégagé le ciel. Le soleil brille sur les premières fleurs, les tapis de nivéoles, les crocus, les petites touffes de cyclamens, les ellébores, les bruyères… Une harmonie jaune et violette qui se marie bien avec la première herbe vert tendre.
Partout, les jardiniers sont dans les jardins, heureux de pouvoir s’y activer à nouveau.
A Giverny, le compte à rebours s’accélère. Plus qu’un petit mois avant l’ouverture, avant de revoir les arbres en fleurs !
La photo, quant à elle, n’a que l’apparence du printemps. Elle a été prise en décembre, certains arbres exotiques ayant la bonne idée de fleurir deux fois.
Les déchargeurs de charbon
21 mars 2010 / 11 commentaires sur Les déchargeurs de charbon
Cette toile a déjà deux titres, les Charbonniers ou les Déchargeurs de charbon. On aurait pu lui en inventer un troisième : les Coltineurs. C’est en effet le nom que l’on donnait aux dockers et aux débardeurs, chargés de se coltiner les cargaisons sur le dos. Dur métier.
En cette fin de 19e siècle, on ne sait plus se passer du charbon, l’énergie principale de la révolution industrielle. Les usines, dont Claude Monet a figuré les cheminées fumantes à l’arrière-plan, le dévorent. Le charbon est extrait dans le Nord de la France, ou importé de Belgique, d’Allemagne et de Grande-Bretagne. Il est transporté par péniches le long des rivières et des canaux. Des montagnes de charbon font route vers la région parisienne.
Arrivé à bon port, il faut le décharger. Le plus souvent, pas de grues : on est en 1875, et le recours à la force musculaire reste très courant. Les déchargeurs posent sur leur épaule un panier conique empli de charbon, marchent en équilibre sur des planches qui relient la barge au quai, et vont vider les paniers dans des charrettes qui conduiront le combustible jusqu’aux usines. Au retour, les charbonniers posent le panier renversé sur leur tête, par dessus leur chapeau. Ils détendent leurs bras et leurs épaules pendant un instant.
Par le thème traité, cette toile est tout à fait unique dans l’oeuvre de Monet, au point qu’on pourrait douter qu’elle est de lui, le peintre des paysages riants et des loisirs bourgeois. Quelle mouche l’a piqué de faire dans la peinture sociale ? Veut-il dénoncer la condition ouvrière, à la manière de son ami Zola ?
Les couleurs mornes du tableau, sa construction fermée semblent mettre en avant la pénibilité du travail. Les hommes, réduits à l’état de bêtes de somme, cheminent comme des fourmis. Ils marchent en cadence, tous du même pas. Pas d’échappatoire : l’arche du pont écrase l’horizon, la barge bloque l’accès au fleuve.
Le motif présente des similitudes avec certaines estampes japonaises que Monet collectionne avec passion depuis plusieurs années déjà. Dans les paysages d’Hiroshige ou d’Hokusai, on retrouve des portefaix ployant sous le fardeau, franchissant des passerelles ou des ponts.
Pourtant, à bien y regarder, il n’est pas certain que Monet se soit laissé émouvoir. La scène est prise au pont routier d’Asnières, tout près du pont ferroviaire emprunté fréquemment par Monet pour se rendre d’Argenteuil, où il réside à l’époque, jusqu’à Paris, un petit trajet de onze kilomètres.
Il est probable que Monet a été frappé par les silhouettes sombres des charbonniers se détachant dans le contre-jour. Par la monumentalité de la scène. Les ponts sont un de ses motifs favoris, dès Argenteuil, un goût qu’il gardera longtemps puisqu’il représentera 45 fois la passerelle de son jardin d’eau. L’arche des Charbonniers évoque d’ailleurs la courbure des ponts japonais des Bassins aux Nymphéas.
Monet reste avant tout le peintre de la lumière. Il est permis de croire qu’il n’a vu dans le motif du port d’Asnières qu’un jeu d’éclairage intéressant, hors de toute considération sociale. Sinon, pourquoi cet unique tableau ? Il porte le numéro de catalogue 364. Dès le suivant, le « Coin d’appartement » qui se trouve lui aussi au musée d’Orsay, Monet délaisse la peinture sociale et revient à de paisibles scènes d’intérieur, tout empreintes d’harmonie familiale.