Premiers nymphéas
Après un début mai bien frileux, les premiers nymphéas viennent de s’ouvrir à la surface du bassin de Monet. Le plus audacieux a pointé le bout de ses pétales dès le 14 mai. Leur nombre se multiplie de jour en jour. Pour l’instant ils sont tous blancs, comme toujours, les colorés suivront.
Sur les berges et dans les reflets, la symphonie des verts joue sa mélodie apaisante et joyeuse. Les fleurs et leurs couleurs se cachent dans les bordures. Elles pétillent d’orange, de rose ou de violet.
C’est l’époque délicieuse de la floraison des glycines, plus tardives ici qu’en ville. Tous les jours quelqu’un me confie : « j’adore la glycine ! » C’est si joli et si bref, il faut être là au bon moment.
Une grande roue à Vernon
Une grande roue est installée à Vernon jusqu’au 19 mai. Tout en douceur, elle emmène voir la ville d’en haut…
C’est un panorama qui rappelle celui depuis la tour des Archives, sans avoir à en monter les cent marches : les toits des vieux quartiers, la collégiale, la mairie, et de l’autre côté le pont sur la Seine et les collines de Vernonnet.
Les erreurs de livraison
Même aujourd’hui, à l’heure de la traçabilité et des codes-barres, les livraisons de végétaux récèlent encore parfois des surprises. Ce n’est pas fréquent, peut-être une fois sur mille. « Vous ne vous étonnerez pas de voir des tulipes rouges près de l’entrée de la maison, » me dit Rémi Lecoutre, chef-jardinier adjoint de Giverny. « On en avait commandé des roses, pour aller avec la teinte des murs, mais celles que le fournisseur nous a envoyées sont rouges. »
Le dépit des jardiniers de ne pas avoir reçu ce qu’ils attendaient a été de courte durée. « C’est un très beau rouge », estime Rémi Lecoutre. « Le problème, c’est que si on voulait en avoir pour recréer cette scène l’année prochaine, on ne sait pas quoi commander, puisqu’on ne connaît pas son nom. » Telle une espionne, la somptueuse tulipe d’un rouge profond a voyagé avec de faux papiers.
Il se raconte que Monet lui-même a composé avec une erreur de livraison. Ses capucines rampantes qui tapissent la grande allée et la transforment en rivière de fleurs auraient dû être des capucines naines. C’est la marque d’un jardinier averti de savoir évaluer l’effet produit de façon fortuite.
La primevère des marais
Au bord du bassin de Claude Monet, cette jolie fleur aux couleurs étonnantes attire l’oeil. Qu’est-ce que cela peut bien être ? Les feuilles ressemblent beaucoup à celles des primevères, quoique plus longues : elles dépassent parfois les vingt centimètres.
Une petite recherche sur « primevère originale » plus tard, voici la nouvelle venue identifiée. C’est une primevère des marais, une vivace venue de Chine qui se plaît en zone humide et un peu acide. On l’appelle aussi primula vialii (primevère de Vial) en l’honneur du père Vial, qui était missionnaire dans la région du Yunnan où cette plante a été découverte.
La floraison commence par le bas et remonte le long de l’épi, et une bonne partie du charme de cette fleur tient à son audacieux contraste de couleurs entre le mauve tendre et l’orange vif.
Dolceacqua
La ville de Bordighera et le village de Dolceacqua, en Italie, s’apprêtent à vivre un évènement culturel : deux toiles de Claude Monet peintes en 1884 vont revenir sur les lieux où elles ont été exécutées. A en juger par la publicité faite autour de cette exposition, il s’agirait d’une vue du pont de Dolceacqua qui sera présentée dans le château qui domine le village, et d’une toile peinte dans la vallée du Sasso, à découvrir à Bordighera dans la villa Regina Margherita. La double exposition s’intitule ‘Claude Monet Ritorno in Riviera’ (30 avril – 31 juillet 2019).
Le plus remarquable, c’est que les lieux ont très peu changé. On peut tout à fait éprouver la même admiration que Monet en découvrant le site de Dolceacqua.
La différence, c’est que Monet se demandait où se mettre pour avoir le meilleur point de vue, tandis que maintenant, le passant cherche l’angle précis sous lequel le tableau est peint.
Capter le regard
Ce matin-là, la visite des jardins de Monet avait commencé un peu poussivement. Je guidais une petite famille avec deux enfants, deux garçons de 9 et 13 ans qui avaient l’air assez ennuyés d’être là. Ils fixaient obstinément leurs pieds, façon de dire que les fleurs, la peinture et Claude Monet les laissaient indifférents, qu’ils n’étaient là que par la volonté de leurs parents, et qu’ils n’avaient guère envie de coopérer. J’ai mis aussitôt leur bouderie sur le compte des écrans. Quand on est plongé avec passion dans un monde virtuel, c’est dur de revenir platement au monde réel.
De bon gré ou non, il fallait bien faire cette visite. Quand il y a des enfants, je m’adresse à eux et non à leurs parents, sinon les plus petits décrochent. Il faut les faire participer, leur raconter des histoires à leur portée, trouver des analogies qui leur parlent, leur montrer des images. Petit à petit, l’aîné à bien voulu répondre à mes questions. Le petit continuait à faire le timide. Et puis tout à coup, alors que je leur présentais dans un livre un tableau des nymphéas, la remarque a fusé :
– On l’a vu hier au musée !
Parmi les centaines de toiles de nymphéas de Monet, le hasard avait voulu que l’éditeur ait choisi les Nymphéas bleus du musée d’Orsay, où ils étaient allés la veille en famille. Quel oeil ! Après ce coup d’éclat du benjamin, l’atmosphère est devenue plus joyeuse.
Au bout d’une heure, pourtant, la maman m’a prise à part. « Ils souffrent d’autisme tous les deux », m’a-t-elle révélé. « L’un va dans une école spécialisée, l’autre à l’école du quartier avec une assistance. »
J’étais stupéfaite. Tout a pris sens d’un coup, la difficulté que j’avais à capter leur regard, leur difficulté à formuler des réponses à mes questions… Ce que j’avais mis sur le compte de la bouderie était un trouble du comportement. Alors que je pensais qu’ils n’avaient pas envie de coopérer, ils faisaient tout leur possible.
« Je ne m’en serais jamais doutée, ai-je dit à cette maman, et pourtant j’ai quatre garçons. Ils sont bien ! » Nous nous sommes regardées toutes les deux, dans un moment d’intense communion. On pouvait lire dans ses yeux l’amour qu’elle portait à ses enfants, et le poids au quotidien du défi que la vie lui avait envoyé. Tout à coup j’ai réalisé la générosité folle d’offrir à ces deux enfants un voyage en Europe, de l’autre côté de la planète : ils arrivaient d’Australie. J’avais devant moi l’Amour Maternel. « Vous aussi, vous êtes bien », ai-je ajouté en lui touchant le bras. Quand je me suis tournée à nouveau vers la grande allée pour enchaîner sur les futures capucines, je me suis aperçu que j’avais des larmes plein les yeux.
Le lendemain c’était la journée de l’autisme, ce qui m’a poussée à partager ceci. Ces troubles du comportement sont encore peu familiers de ceux qui ne sont pas directement touchés. Nous avons du chemin à faire pour aller vers le respect, la considération et l’empathie à l’égard des autistes et de leur entourage.
Cette histoire est aussi la preuve qu’on ne devrait pas faire de suppositions. On n’a pas toutes les clés. On passe son temps à essayer de deviner pourquoi les autres agissent de telle ou telle façon, pour savoir où nous en sommes de notre lien avec eux, mais ces suppositions sont sans valeur, quand on voit à quel point on peut se tromper.
Giverny ouvre vendredi
Ca y est, le printemps est de retour ! La Fondation Monet et le Musée des Impressionnismes Giverny rouvrent leurs portes ce vendredi 22 mars.
La nature s’éveille, avec les premiers bourgeons, les narcisses et jonquilles, et tout un festival de jacinthes qui parfument l’air. Chaque année de nouvelles couleurs de jacinthes font leur apparition pour créer la surprise.
C’est aussi le moment des primevères, des étoiles des Incas et autres bulbes ultra-précoces. Les toutes premières tulipes montrent le bout de leur nez. Et le jardin de Claude Monet a quelque chose de paisible et d’ordonné qui tranche avec sa folie florale des autres saisons.
Moi j’aime bien le tout début du printemps, et vous ? L’annonce du renouveau. Le retour de la douceur l’après-midi. Et à Giverny, des allées où il fait bon cheminer, avec pas trop de monde.
Jean Francis Auburtin versus Claude Monet
Voilà déjà dix ans que le Musée d’Art américain de Giverny a fait place au Musée des Impressionnismes Giverny. Pour fêter cet anniversaire, les visiteurs de début de saison du MDIG auront droit à une très belle exposition : un face-à-face entre des marines de Monet et les mêmes sites interprétés vingt-cinq ans plus tard par un autre peintre normand, Jean Francis Auburtin.
Si vous lisez ce nom pour la première fois, bienvenue au club. La postérité a des ingratitudes, elle laisse beaucoup de monde sur le bord du chemin. Est-ce injuste ou non ? Ce sera l’un des intérêts de l’exposition de donner à chacun l’occasion d’évaluer si Auburtin mérite un retour en grâce. Gageons que oui. Dans tous les cas, il est agréable de redécouvrir un artiste un peu perdu de vue, même si plusieurs expositions autour d’Auburtin ont eu lieu ces dernières années, à Lamballe, à Aix-les-Bains, au Havre, à Morlaix…
L’autre intérêt de l’expo, c’est bien sûr de comparer l’interprétation de deux artistes face à un même site. Car Auburtin n’est pas un « suiveur ». S’il admire Monet au point de choisir délibérément les mêmes motifs, il est plus jeune d’une génération : il est né en 1866, contre 1840 pour Monet. Son style est marqué par le symbolisme de Puvis de Chavanne, le synthétisme de l’école de Pont-Aven, le japonisme omniprésent à son époque, et même la peinture chinoise. Toutes ces influences forgent une esthétique personnelle qui se démarque de l’impressionnisme de Monet.
Exposition au Musée des Impressionnismes Giverny « Monet – Auburtin, une rencontre artistique » du 22 mars au 14 juillet 2019.
Amadou
Plus d’un utilisateur du célèbre site de rencontres l’ignore sans doute : Tinder porte le nom d’un champignon, en anglais tinder fungus, c’est-à-dire l’amadouvier.
C’est un champignon banal, d’autant plus qu’il a perdu de son utilité à l’époque actuelle et n’est donc plus recherché comme avant. Près du grand parking de Giverny, on peut observer l’arbre ci-dessus qui en présente plusieurs agrippés à son tronc.
C’est de l’amadouvier qu’on tire l’amadou, une fois qu’on a enlevé les lamelles, le coeur et le dessus du champignon. L’amadou est une substance fibreuse qui ne demande que d’être séchée pour servir à allumer le feu. Des vidéos montrent comment faire. Un tout petit bout suffit, quand on est un peu doué.
L’usage de l’amadou comme allume-feu s’est maintenu jusqu’en 1845 environ, puis les allumettes se sont généralisées, de plus en plus pratiques à utiliser. D’ailleurs, la devise de Tinder « Matchez. Discutez. Faites des rencontres. » est un jeu de mots entre the match, l’allumette et to match, se correspondre. Le match sportif, pour nous, se traduirait par rencontre. Nous y voilà encore.
Il est peu probable que les créateurs du site américain aient eu connaissance de l’origine du mot amadou en français. Il viendrait du provençal amadou, qui se dit aussi bien pour les amants que pour le champignon combustible. Les uns comme l’autre sont portés à s’enflammer facilement.
Chez Clemenceau
Claude Monet a rendu visite à son ami Georges Clemenceau une fois au moins dans sa maison de villégiature en Vendée. Le séjour du peintre à Saint-Vincent-sur-Jard se déroule du 4 au 11 octobre 1921, Monet a donc 80 ans bien sonnés, et Clemenceau vient de fêter lui aussi ses quatre fois vingt ans.
Malgré l’espoir du Tigre de voir son ami peindre le paysage qui lui est cher, on ne connaît pas de toiles de Monet à Belébat. Les lieux ont en revanche inspiré Blanche, la belle-fille de Monet, qui les a pris pour motifs au cours de ses séjours successifs chez Clemenceau.
Il faut aujourd’hui cinq bonnes heures pour aller en voiture de Giverny jusqu’en Vendée. En 1921, cela devait être une expédition, dans laquelle Monet hésitait sans doute à s’embarquer. Quand il se décide, Clemenceau est locataire de Belébat depuis deux ans. Ce dernier est ravi :
Donc, tout est bien. Le 4 à midi vous ferez votre entrée dans le sable où j’espère bien vous enliser. J’ai deux petites chambres pour vous et l’ange bleu qui trouvera de l’espace pour déployer ses ailes. Votre fils sera logé dans une agréable maison…
Car Michel est du voyage, c’est lui qui conduit l’automobile, pour laquelle Clemenceau a prévu « un garage de fortune à côté de la mienne ».
Nul doute que dès son arrivée, Monet a compris le coup de coeur de son ami pour cet endroit. L’emplacement est magnifique, grand ouvert sur le large. La maison est simple, « une bicoque » selon son propriétaire, le commandant Amédée Luce de Trémont. Elle convient parfaitement à Clemenceau qui en fait un lieu très personnel. Partout, des objets extraordinaires rapportés de ses voyages autour du monde, et qui ne sont qu’une infime partie des collections rassemblées puis dispersées au cours de sa vie.
Le visiteur se sent très bien à Belébat. Il y flotte encore quelque chose de l’énergie du Tigre, son éclectisme, son humour, son insatiable curiosité… Des milliers de livres sont alignés sur les étagères de la bibliothèque. Loin des bruits du monde, c’est une retraite parfaite pour penser, écrire et recevoir ses amis.
Dernière passion de cet homme décidément infatigable, le jardin créé par Clemenceau envers et contre tout, avec l’appui de Monet. Il compte de nombreuses vivaces, gauras, roses trémières, rudbeckias, céanothes, et donne envie de revenir à la belle saison.
Claude Monet critique d’art
C’est tout le mérite de Marc Elder d’avoir fait parler Monet à propos de la peinture des maîtres qui l’ont précédé. Dans son livre A Giverny chez Claude Monet, deux pages avant l’épisode Daumier, Monet évoque l’émotion qui l’a saisi face aux chefs-d’oeuvre du musée du Prado à Madrid.
Le Prado ! Quel musée ! Le plus beau de ceux que je connais. Quand je me suis trouvé dans ces salles, au milieu des Titiens, des Rubens, des Velasquez, des Tintorets qu’on dirait faits d’hier, qui éclatent de force, de lumière, de couleur, l’émotion m’a empoigné au coeur, à la gorge, et j’ai pleuré, pleuré sans pouvoir me contenir… (…) Que voulez-vous, c’était plus fort que moi….
Marc Elder est un interlocuteur de choix pour Monet : il est conservateur de musée. Il s’y entend en peinture. C’est ce qui incite Monet à poursuivre, avec une grande modestie :
Quels colosses à côté de nous ces grands peintres !… J’ai vu à Venise, un fragment du Tintoret, par terre, là, sous mes yeux… Etourdissant ! Chaque morceau vous donne le coup dans l’estomac !… Et Titien, ce n’est qu’une gloire !… Croyez-vous qu’il est beau son François Ier du Louvre, avec ce nez prodigieux qui est tout le portrait, tout le tableau… Ah ! comme on l’aurait refusé au Salon celui-là !
Une phrase comme celle-ci intrigue, n’est-ce pas ? Elle donne une irrésistible envie de revoir ce portrait célèbre. Rien de plus facile aujourd’hui par le miracle de l’internet. En effet, quel nez…
J’en étais là, face à cette image reproduite à l’infini sur l’écran de l’ordi, et je n’aurais sans doute pas écrit une ligne sur cette histoire, sur l’émotivité positive de Monet, si une jolie coïncidence n’était venue m’en donner l’élan. Le même jour, un site de tourisme normand m’apprend qu’une exposition vient d’ouvrir à Evreux : « Autour du Portrait de François Ier par Titien » ! La toile du musée du Louvre est exceptionnellement dans la capitale de l’Eure, dans le cadre de l’opération « Catalogue des désirs » pilotée par le ministère de la Culture. L’idée est de « faire circuler au sein des territoires les chefs-d’oeuvre des collections nationales françaises. »
A peine plus tard, me voilà donc en face de l’oeuvre sublime mise en valeur par le musée d’Evreux. Elle rayonne. Le nez s’étale en pleine toile, magnifique. Monet avait raison : dans le jeu des couleurs naturelles du tableau, on ne voit que lui. Cela pourrait suggérer la caricature, mais c’est le contraire qui se produit : il y a de la superbe dans ce nez royal.
L’exposition explique que Titien a travaillé d’après une médaille de Cellini, c’est pourquoi il a exécuté un portrait de profil et non de trois-quart. La médaille originale est là, en vitrine. C’est un tour de force d’avoir su en tirer ce grand tableau plein de vie.
Devant l’oeuvre, je me laisse prendre par le mystère de la peinture. J’essaie de voir le portrait avec les yeux de Monet, de ressentir ce qu’il ressentait. Je ne pleure pas, mais la force de la toile me saisit. Je pense au clin d’oeil de là-haut qui m’a conduite devant. C’est comme une leçon de peinture, une voix dans l’ombre qui dirait « Tu vois ».
Exposition « Par quatre chemins – Autour du Portrait de François Ier par Titien (1539) » Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Evreux du mardi au dimanche jusqu’au 5 mai 2019. Entrée libre.
Monet et Daumier
Il est douloureux d’être rejeté comme le furent les impressionnistes à leurs débuts. Moqués par la critique, refusés par le jury du Salon, ignorés des collectionneurs, ils ont fait preuve d’un courage phénoménal pour tracer leur route malgré tout et donner une nouvelle impulsion à la peinture. Mais être rejeté par qui l’on admire est une douleur encore bien pire. C’est un coup qui porte jusqu’au tréfonds de l’être.
Au soir de sa vie, Monet se confie à l’écrivain Marc Elder, qui tire un livre de ces entretiens, « A Giverny chez Claude Monet ». Et voilà qu’au détour d’un échange sur Ingres ressurgit un souvenir terrible :
Etre compris, encouragé par cet homme, quelle impulsion c’eût été pour moi, pour nous tous !.. Hélas ! ce sont ceux dont l’éloge aurait eu le plus de prix qui furent toujours hostiles aux impressionnistes.
Ingres ne les a pas compris, pas plus que Corot :
Corot, le père Corot, un grand peintre, n’a jamais senti la valeur de notre effort… Troublant, n’est-ce pas ? Et triste !… Tenez, je vais vous dire la plus grande douleur de ma vie, la plus grande, qui me fait encore mal certains jours après des ans et des ans…
Pour comprendre toute la douleur de Monet, il faut se souvenir qu’il avait commencé sa carrière à l’adolescence en faisant des caricatures. Il s’entraînait à copier celles qui paraissaient dans les journaux, puis improvisait sur les personnalités de sa ville du Havre. L’épisode qu’il relate à Elder se déroule en 1867 à Paris, alors que Monet n’a que 26 ans.
Latouche, un petit marchand de couleurs qui marquait de la sympathie à notre groupe, exposait parfois nos peintures. Le soir, souvent, nous nous retrouvions dans sa boutique. C’était un lieu de rendez-vous, une parlotte. Je venais d’achever le Jardin de l’Infante. Je le lui portai : il le mit en vitrine. Du magasin on pouvait surveiller les passants, leurs mines, leurs grimaces. C’est ainsi que je vis venir Daumier. Il s’arrêta, fit un haut-le-corps, poussa la porte :
« Latouche, cria-t-il d’une voix forte, vous n’allez pas retirer cette horreur de votre montre ? «
Je pâlis, j’étouffai comme sous un coup de poing appliqué au coeur. Daumier ! le grand Daumier ! Un dieu pour moi !… J’avais attendu son verdict en tremblant. Et voilà le camouflet…
Les éloges et les encouragements de Diaz quelques minutes plus tard n’y changeront rien. « Diaz, c’était Diaz, tandis que Daumier…! »
La mairie de Giverny
Au moment de sa construction, en 1868, la mairie de Giverny était une mairie-école, comme dans de très nombreuses petites communes. Ce n’est qu’en 1995 qu’une nouvelle école a été bâtie sur le terrain adjacent.
L’édifice affiche aujourd’hui une certaine rusticité avec ses quatre façades en pierres de Vernon. Les moellons de tailles irrégulières sont posés en lignes pas toujours très droites. Cela n’avait pas d’importance car ils étaient faits pour être cachés.
Au départ, seules les pierres d’angle devaient rester visibles. Le reste des façades était recouvert d’un enduit de plâtre, comme cela se pratiquait beaucoup en ville et dans les zones rurales. Selon le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement des Yvelines toutes proches (CAUE 78), qui s’est penché sur les enduits extérieurs au plâtre en Ile-de-France, on utilisait un mélange de plâtre gros, de chaux grasse, de sable et d’eau. La couleur était souvent donnée par le sable ou des pigments, ce qui avait l’avantage de conserver à l’enduit ses propriétés respirantes.
Puis est venu un temps, après la Deuxième Guerre mondiale, où l’on a trouvé dommage de masquer un matériau noble comme la pierre par un autre jugé moins noble comme le plâtre. On a procédé à la dépose de l’enduit d’origine.
La mairie elle-même, avec ses deux frontons triangulaires placés au-dessus des portes comme des sourcils levés, n’a pas l’air d’en revenir.
Par les rues de Giverny
A Giverny, la rue du Château d’eau s’élance en pente assez raide à l’assaut de la colline. En quelques pas on a déjà une belle vue par dessus les toits, sur les prés et les champs traversés par l’Epte. La Seine coule tout au fond, au pied de l’autre colline.
Comme nous, la rue s’essoufle vite. Elle abandonne rapidement ses velléités d’ascension pour se transformer en étroit chemin, lequel, on l’aura deviné, conduit au réservoir d’eau du village, et au-delà jusqu’à la crête pour
les marcheurs les plus déterminés.
Les maisons qui se trouvent en bas du pré, sur la photo, sont situées rue Claude Monet, l’artère qui traverse presque tout le village de Giverny selon un axe est-ouest parallèle à la vallée. La Fondation Monet est à quelques pas sur la droite.
L’écureuil roux
Malgré l’afflux de visiteurs dans les jardins de Monet, les écureuils roux n’ont pas déserté Giverny. Il m’est arrivé par deux fois d’en apercevoir un au jardin d’eau, attiré sans doute par les faînes du hêtre pourpre. Mais ce sont des animaux sauvages et craintifs. Ils gardent leurs distances.
Voir un écureuil roux est finalement si rare que c’est une joie, un cadeau offert par la nature. Un peu comme apercevoir des dauphins en mer, des chamois en montagne.
Depuis une dizaine de jours ce petit moment de bonheur m’arrive tous les matins. Assise à l’ordi face à la fenêtre, je perçois soudain un mouvement. C’est l’écureuil qui vient faire sa tournée dans mon jardin.
Selon le muséum d’histoire naturelle, l’écureuil roux peut passer jusqu’à 80% de son temps à chercher de la nourriture. Même s’il n’est pas faux qu’il aime les noisettes, son alimentation est très variée : graines, bourgeons, écorce même, escargots, tout y passe. Celui-ci monte aux tilleuls, en redescend, gratte le sol puis se frotte les pattes pour en retirer la terre, et déjà il a filé. Il bondit, suit le faîte du mur, saute encore, léger et vif. On se sent pesant à côté. Un peu comme un éléphant qui contemplerait les pirouettes d’une danseuse.
Il y a dans l’agitation charmante de cette boule de poils quelque chose d’hypnotique. On ne quitte pas des yeux ses évolutions rapides et légères. L’écureuil vit sa vie. Il a l’air d’avoir un plan, de savoir ce qu’il fait. Mon jardin est son espace. Il le connaît mieux que moi. Lui et moi y cohabitons en parallèle. Les animaux sauvages sont en général si discrets que l’être humain a tendance à se croire tout seul.
Effet du matin
Mais comment faisait Monet pour peindre ses tableaux d’effets de lumière ? La théorie, on la connaît : se lever avant le jour, être au motif au moment où l’aube pointe, capter les couleurs aussi vite que possible, changer de tableau chaque fois que les teintes évoluent, et revenir le lendemain continuer son oeuvre, en espérant que les effets seront au rendez-vous.
Mais il faut se frotter à la pratique pour saisir toute la difficulté de l’opération. Un peu comme les archéologues qui essaient de comprendre les techniques du passé en les expérimentant, c’est en mettant ses pas dans ceux de Monet qu’on perçoit le challenge.
Beaucoup d’efforts s’engagent sur un pari, celui que la lumière sera belle, que l’effet sera là. La veille on a réglé le réveil une heure avant le jour, évalué la météo. On se lève alors que le ciel est noir, indéchiffrable. On s’habille en mode pôle nord, on prépare ses affaires, et c’est parti.
Il m’est arrivé que l’expédition capote dès la porte de la maison. A peine dehors, je constate dépitée qu’en fait il bruine. J’imagine comme Monet aurait ragé. Il ne disposait pas de Météo France. Savait-il prédire le temps du lendemain ?
Mais mettons que les prévisions aient vu juste. L’Est blanchit. J’avoue que je triche un peu : je m’approche du motif en voiture. Je ne peins pas à l’huile, mon matériel se résume à un appareil photo.
L’air est vif, le sol boueux glisse. Où le soleil va-t-il se lever ? Certainement Monet faisait un repérage préalable pour trouver l’angle idéal. Il ne pouvait pas en essayer trente-six comme un photographe, et il lui fallait du temps pour s’installer avant l’effet.
La gageure, c’est d’espérer retrouver le même effet plusieurs fois pour achever la toile, car chaque jour est différent. Tantôt le ciel se donne à fond, tantôt il s’économise. Que faisait Monet les jours où le spectacle était décidément moins beau que la veille ? Est-ce qu’il arrivait à voir des merveilles bleutées là où je ne vois que du gris ?
On comprend qu’il ait souffert de découragement quand la nature ne jouait pas le jeu, encore et encore, malgré sa persévérance à être fidèle au rendez-vous. Mais ce qui est très perceptible aussi, c’est l’exaltation qu’il devait ressentir quand elle décidait de sortir le grand jeu.
Le ciel est si beau que la fièvre me gagne. Eblouie par le show, je m’applique. Dans un contre la montre effréné je multiplie les réglages et les cadrages. Ces couleurs splendides sont un cadeau du ciel, au sens propre.
Quand on a goûté à cette magie, c’est une drogue. Elle est assez puissante pour motiver quiconque à sortir de son lit dans l’espoir de cette rencontre absolue entre la nature et nos yeux d’humains.
Chez Zadkine
On vient à Giverny pour découvrir le lieu où vécut Claude Monet et qui fut sa source d’inspiration, mais les tableaux sont ailleurs. A Auvers-sur-Oise, on découvre la dernière chambre de van Gogh, d’une humilité monacale, et les paysages qu’il a représentés. Pas de toiles non plus. Le lien entre la résidence de l’artiste et l’exposition de son oeuvre fluctue selon les artistes, d’un musée à l’autre, entre le rien du tout d’Auvers et la richesse remarquable de la maison de Rodin à Meudon ou du musée Courbet à Ornans.
J’étais curieuse de découvrir l’atelier d’Ossip Zadkine, le sculpteur qui a réalisé le monument à van Gogh d’Auvers-sur-Oise. Il se trouve au 100 bis rue d’Assas à Paris, entre le Quartier latin et Montparnasse.
Comme chez Delacroix, la résidence de Zadkine est au calme, derrière la rangée d’immeubles sur rue qui dissimule et protège. Au bout de l’impasse, une maison à un seul étage, un peu anachronique au milieu des programmes immobiliers qui l’entourent. C’est tellement caché qu’on s’imagine qu’on sera seul. En fait non : c’est si petit que quinze personnes donnent une impression de foule.
Les espaces de vie et de travail ont été transformés en salles d’exposition. On peut regretter la disparition des meubles, mais en contre -partie le visiteur est gratifié d’une magnifique présentation d’oeuvres originales abouties sculptées en taille directe par Zadkine : des bois, des pierres qui expriment la diversité de ses recherches artistiques et son sens de la matière. L’émotion jaillit devant la beauté de ces sculptures qui font figure aujourd’hui de classiques, où la figure humaine est omniprésente.
Peintre de plein air
A une heure de route de Giverny, la petite ville d’Auvers-sur-Oise a elle aussi été une colonie d’artistes florissante, dès que les peintres ont commencé à vouloir travailler en plein air au 19e siècle. Le bref séjour qu’y fit Vincent van Gogh éclipse un peu celui de Daubigny, qui y vécut pendant 18 ans. Tous deux encadrent le mouvement impressionniste : Daubigny le précède, van Gogh le suit.
L’un comme l’autre adoraient peindre sur le motif, ce qui impliquait d’emporter son matériel avec soi. Chevalet, boîte de peinture, brosses, médium à peindre, toiles pouvaient peser une douzaine de kilos.
Dans le parc van Gogh d’Auvers s’élève une statue de Vincent. Le sculpteur Ossip Zadkine l’a représenté comme les Auversois devaient le voir en 1890, en train de sillonner les rues et les champs avec tout son barda sur le dos.
Quand on regarde l’arrière de la statue, on comprend que tout ce matériel était non seulement lourd mais aussi encombrant, surtout une fois les toiles couvertes de peinture fraîche. Cela ne devait pas être commode à porter.
Bienveillance
Les guides sont des médiateurs, qui essaient de faire capter l’âme d’un lieu, d’un objet, d’une histoire. Dans cet effort pour donner à percevoir, je m’applique à la bienveillance. Beaucoup de mes collègues sont dans cet état d’esprit, mais pas tous. J’ai suivi des visites de guides narquois qui moquaient les coutumes d’autrefois ou la vie privée d’un personnage illustre. Ces visites m’ont mise mal à l’aise.
La tentation est grande de faire rire pour s’attirer les faveurs de son public. On peut faire rire de bien des façons, tant que personne n’est blessé. Mais faire rire aux dépens des gens du passé est leur manquer de respect, et qui sommes nous pour nous croire supérieurs ?
Depuis que je fais des formations sur Giverny, je milite pour que mes collègues parlent un peu plus du jardin de Monet, et pas seulement de sa biographie. Le peintre aimait s’effacer derrière son oeuvre. Si Giverny est son lieu de vie, c’est aussi une oeuvre d’art horticole éblouissante et unique, qui demande à être commentée pour bien la voir.
(suite…)Gentil gendarme
Pyrrhocore, c’est le nom savant de ce petit insecte très répandu dans les jardins. La pauvre bête est un vrai défi orthographique, pas étonnant que tout le monde préfère l’appeler par son nom populaire de gendarme. Voilà belle lurette que les forces de l’ordre ont changé d’uniforme. Le pyrrhocore a gardé le sien. Le nom est resté.
Aussi inoffensif qu’une coccinelle et paré des mêmes couleurs, le gentil gendarme n’a hélas pour lui pas la même cote d’amour que la bête à bon dieu. Même s’il lui arrive de se nourrir de pucerons, notre gratitude est limitée. D’ailleurs il aime surtout les fleurs de la famille des mauves et le tilleul.
Il ne pique pas, il ne sent pas, il ne fait pas de bruit, il nettoie le jardin de petits débris. On pourrait même le trouver joli avec son masque étrange. Mais à la différence des coccinelles européennes qui se promènent toutes seules, le gendarme préfère rester en groupe. Et la tolérance humaine envers les insectes est inversement proportionnelle à leur nombre.
Il serait temps qu’on se calme, qu’on réapprenne à partager la planète avec les autres espèces avant qu’il soit trop tard. Dans les jardins de Giverny, on protège la biodiversité. Toutes les petites bêtes y ont droit de cité.
Plage et falaise à Pourville
Cela fait toujours plaisir d’admirer un Monet peu connu, que ce soit en vrai ou en reproduction. Celui-ci figure en noir et blanc dans le catalogue raisonné. Il est sorti de l’ombre en 2017 à l’occasion de sa vente publique. Estimé entre 2 et 3 millions d’euros, il a été adjugé à 4,2 millions à un collectionneur français.
(suite…)Bégonia vivace
Quand on parle de bégonias, l’image qui nous vient est celle de fleurettes estivales et sensibles au froid. On n’a pas tellement l’habitude d’associer au bégonia l’idée d’une grande plante vivace.
Il en existe pourtant qui acceptent de passer l’hiver dehors. C’est ainsi que le bégonia grandis tranche dans la famille. Comme son nom l’indique, il atteint des hauteurs intéressantes, plus d’un mètre de haut à Giverny, et il fleurit très longtemps : de juillet jusqu’aux premières gelées, aux alentours de novembre. La partie aérienne de la plante se flétrit alors, tandis que la vie se retire sous terre.
Devant la maison de Monet, sous le pommier du Japon, les bégonias grandis créent pendant tout l’été et l’automne une grande masse rose, associés à des balsamines et des fuchsias. Au printemps, en attendant que les bégonias sortent de terre, le massif est garni de tulipes blanches et de giroflées jaunes, bordées de pâquerettes doubles, et piqué ça et là de primevères candélabres.
700 000 visiteurs chez Monet !
Ces huit personnes font partie des 696 556 visiteurs qui ont parcouru les allées des jardins de Monet en 2018. Ce chiffre hallucinant marque un bond en avant par rapport au précédent record, enregistré l’an dernier : 638 000 visiteurs. Rien de tel qu’une météo radieuse pour donner envie d’aller visiter un jardin. Et l’un de ceux qui font le plus rêver, c’est celui de Monet, grâce à l’ambiance hypnotique que ses tableaux ont fait connaître partout dans le monde.
« Qu’est-ce qu’il y a comme étrangers ! » remarquent les Français, pas toujours habitués à fréquenter des lieux aussi touristiques. Et c’est vrai, nous sommes en minorité : seulement 46 % des visiteurs viennent de l’Hexagone.
Les visiteurs de proximité sont tout de même nombreux : 27 % des Français viennent du département 27, l’Eure, où se situe Giverny. 85 000 ! Je ne m’attendais pas à un tel chiffre. C’est nettement plus que tous les départements franciliens, situés juste à côté et tellement plus peuplés (20%).
La provenance des 54 % d’étrangers fait faire le tour du monde, de la Finlande à la Corée, de la Nouvelle-Zélande à l’Argentine. Les Etats-Unis fournissent à eux seuls 21 % des visiteurs étrangers de la Fondation Monet, soit davantage que l’Ile-de-France. Je n’aurais pas parié là-dessus non plus.
Le style Monet
Claude Monet aimait la couleur à la folie. Les impressionnistes ont libéré la couleur dans la peinture. Monet l’a employée à profusion dans ses tableaux, mais aussi dans ses autres créations que sont le jardin et la maison de Giverny.
Auriez-vous envie d’entrer dans une pièce rayonnante de jaune à chaque repas ? Un jaune cadré et mis en scène par le bleu des pièces voisines, par les portes-fenêtres donnant sur le jardin.
Du temps de Monet, ces portes-fenêtres étaient largement ouvertes dès les beaux jours. On avait ainsi l’impression de déjeuner presque en plein air. Les moineaux s’avançaient à l’intérieur pour picorer les miettes, de même que les petites poules japonaises offertes par Clemenceau.
Du jaune, il y a bien de quoi vous mettre de bonne humeur, surtout si vous avez un solide coup de fourchette comme Monet, et la perspective d’un bon repas. Selon son beau-fils Jean-Pierre Hoschedé, Monet, quand il était de bonne humeur, aimait chanter.
« Il entonnait le toréador de Carmen ou il s’écriait en chantant A table, à table, à table, mangeons ce pigeonneau qui ne saurait être bon s’il n’était mangé chaud.
Il chantait, il blaguait. Il imitait les voix des crieurs de rue, pour la plus grande joie des enfants. De l’entrain à revendre. Et puis, comme son chauffeur s’appelait Sylvain, une autre chanson lui venait en tête, celle de Juliette Borghèse :
Espoir charmant, Sylvain m’a dit « Je t’aime »
Et depuis lors tout me semble plus haut
Nos prés fleuris, nos bois et le ciel même
Semblent parés d’un éclat tout nouveau
Un peu plus loin dans la chanson, des paroles devaient résonner étrangement aux oreilles de Monet et sa famille :
J’entends déjà le commérage
Qui se fera dans le village
Et les cancans, les mots méchants
Qui vont courir à nos dépends.
Probable que Monet devait s’arrêter aux premiers couplets.
Le vert de Monet
La couleur verte utilisée par la Fondation Monet pour les boiseries se dérobe à la photo. Elle pâlit et bleuit quand il y a du soleil, jaunit le soir, devient grisâtre tôt le matin. Sur cette photo-ci elle est assez proche de ce que l’oeil en perçoit, peut-être un poil plus chaude.
Ce vert intrigue les visiteurs. Ils ont en mémoire les douces harmonies des tableaux de Monet et peinent à croire qu’il ait souhaité une couleur aussi crue pour sa maison et son jardin. C’est oublier que Monet aime aussi les contrastes, les tons francs, comme dans Terrasse à Sainte-Adresse, par exemple.
Mais le pont ne paraît-il pas plus clair et bleuté sur les toiles de Monet ? C’est un fait.
Lors de la restauration des jardins, Gérald van der Kemp, le conservateur, a d’abord opté pour un ton inspiré par les tableaux où l’on voit le pont ou les volets de la maison. C’était plus un bleu-vert qu’un vert bleuté, tel qu’on peut l’observer sur les photos des années 1970 prises pendant les travaux de restauration et publiées dans la première brochure de la Fondation Monet ou dans le livre de Stephen Shore.
Le Pont Japonais, Une visite à Giverny par Gérald van der Kemp, p 14
Et puis un jour van der Kemp s’est dit que ça ne le faisait pas. Il a tout fait repeindre en vert franc. La raison de ce revirement se trouve dans le livre de souvenirs du beau-fils de Claude Monet, Jean-Pierre Hoschedé :
« Les volets qui étaient gris furent peints en vert, ainsi que l’extérieur des portes, y compris celle de la rue et bien entendu aussi, dès qu’il fut construit, le balcon qui court d’un bout à l’autre de la façade de la maison. (…) Ce vert franc et frais, éclatant même, s’appelle à Giverny « le vert Monet ».
Il est dommage que Jean-Pierre Hoschedé ne donne pas d’indication de date pour l’emploi de ce vert, mais on peut le comprendre. Quand on vit à un endroit, il est difficile de se souvenir précisément des dates où se produisent des changements. Les visiteurs ponctuels sont plus à même de donner une vision instantanée des lieux. Maurice Guillemot note ainsi en 1898 que
« les volets sont verts, mais d’un vert pâle, bleuté ».
Cela laisse à penser que Monet a d’abord employé le vert-bleuté pâle des ponts japonais peints en 1899, puis, quand il a fait repeindre quelques années plus tard, il a changé pour un vert plus franc. Monet a pris le temps de la réflexion avant de choisir la couleur de son pont. Sur les tout premiers tableaux et les photos du pont à peine construit, il est encore en bois blanc.
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