Dans la rue Claude Monet

Rue Claude Monet, le musée des Impressionnismes GivernyA deux pas de la maison de Monet, le musée des Impressionnismes Giverny fait déborder son jardin jusque dans la rue.
Du printemps à l’automne, une profusion d’iris, de fuchsias, d’asters se dressent ou dégringolent le long de la chaussée, offrant une haie d’honneur colorée aux passants.
A la mi-octobre, le spectacle est plus impressionniste que jamais, et même, néo-impressionniste.
Les petites têtes blanches des asters n’ont-elles pas l’air de répondre aux touches pointillistes de Maximilien Luce, dont l’exposition vient de s’achever à Giverny ?

Paysage d’eau

Bassin de Giverny A propos de ses vues du bassin aux nymphéas, Claude Monet utilisait l’expression « paysages d’eau ». Où est-il allé la pêcher ? Existait-elle auparavant, ou l’a-t-il forgée ?
Lui qui avait vécu à Londres, je me demande s’il aurait peut-être subi une influence de l’anglais. C’est si simple et si pratique en anglais, il suffit d’accoler le suffixe -scape, et on a tous les paysages (landscapes) de la terre : des seascapes (marines), des cityscapes (vues de villes) et bien sûr des waterscapes, des paysages d’eau.
On est parfois surpris par les titres choisis par Monet. Ses ponts japonais se nomment Bassins, par exemple. Comme s’il y avait la volonté de décaler la perception. Vous croyez voir un pont en gros plan ? Mais non, c’est plutôt un détail du bassin.
Mais le terme de bassin est-il bien choisi ? Jean-Pierre Hoschedé est d’avis qu’il faudrait, pour être correct, parler de pièce d’eau. Mais, précise-t-il, c’est Monet lui-même qui a utilisé le mot bassin, et ensuite, le nom est resté.
Les visiteurs se heurtent aux mêmes difficultés quand il s’agit de nommer le plan d’eau. Tantôt c’est un étang, tantôt un lac, parfois une banale mare. Ma dénomination préférée, c’est quand même celle que lui ont décernée des ados : la piscine de Monet. Je me demande d’où ils venaient, ceux-là. C’était drôle, et un peu triste en même temps. Pauvreté du vocabulaire, pauvreté des expériences.

Abstraction faite du motif

reflets d'automne à Giverny
Par temps calme à Giverny, la surface de l’eau est un miroir parfait qui dédouble les formes, entre les îlots de nymphéas.
Mais si le vent vient brouiller la surface du bassin de Monet, le motif disparaît.
Il ne reste que la couleur qui éclate en fragments juxtaposés. On dirait des coups de pinceaux sur la toile.
Ce qui était le reflet de l’embarcadère aux roses et du liquidambar rougeoyant devient un tapis de taches à l’harmonie subtile, mélange de tons chauds et froids.
Claude Monet a passé des années de sa vie à scruter la surface de son étang.
Rien d’étonnant à ce qu’il soit arrivé de la sorte aux confins de l’abstraction.
La nature lui offrait sans cesse le spectacle du passage du motif au non-motif, du figuratif à l’abstrait.

Fermeture

Maison de MonetCette fois ça y est, la saison 2010 est finie. La fondation Monet et le musée des Impressionnismes Giverny ont fermé leurs portes au public.
A l’intérieur, les équipes vont continuer à s’activer pour préparer la prochaine saison. Réouverture le 1er avril 2011, ça paraît encore loin mais les cinq mois passent vite tant il y a à faire.
Dès demain le bruit du marteau piqueur troublera le calme du village : il faut desceller les bancs de bois pour les rentrer.
Les jardiniers, de leur côté, s’empresseront de mettre à l’abri les plantes d’orangerie, avant de dépouiller les massifs, selon l’expression consacrée. Depuis qu’il a gelé, il leur tarde d’arracher les restes de fleurs et de faire place nette.
Pour moi, c’est le début des vacances, le temps du repos, des projets, des bonnes résolutions et du travail pour soi, à un autre rythme. Après avoir tant parlé pendant des mois, je me réjouis du luxe de me taire. Ceux qui font un usage professionnel de leur voix me comprendront.

Couleurs d’automne

Forêt de Vernon en automneToute la vallée de la Seine a brusquement roussi. Voici les couleurs qu’elle arborait cet après-midi à Vernon. Le château des Tourelles jouait à cache-cache derrière les arbres de l’île du Talus, et le soleil en faisait autant avec les nuages !
Très réduit depuis le dragage de la Seine, l’îlot a joué un rôle important par le passé, puisque le pont de Vernon y prenait appui. On y habitait, on y pêchait, on y avait même mis les malades avant que Saint-Louis ne s’en émeuve.
C’est là, au pied de l’arche marinière, que les chevaux de halage hissaient à grand peine les bateaux qui remontaient le cours du fleuve, d’où son autre nom d’île aux chevaux.
De toute cette splendeur passée, il ne reste plus qu’un bout de quai en train de s’écrouler dans l’eau, tandis qu’une végétation spontanée à l’étonnante diversité est venue conquérir le restant d’île tout à fait sauvage aujourd’hui.

Fin de saison

Aster et sauge Les soubresauts du thermomètre sont imprévisibles. Cette année encore les fleurs fragiles ont perdu la bataille contre le froid plus tôt qu’à l’accoutumée. C’était l’histoire de rien du tout, deux degrés peut-être, quelques heures de gel, un temps un peu trop beau à la fin de la nuit. Le jardin de fleurs de Claude Monet n’est plus que l’ombre de lui-même. Les squelettes piteux des tithonias, des dahlias, se dressent foudroyés au milieu d’autres plantes plus rustiques qui luttent encore vaillamment, les asters, les sauges, les roses même.
Tout en haut du jardin, la maison de Monet a revêtu sa robe de feuillage rouge, comme un écrin de velours pour les merveilles qu’elle recèle.
Si le jardin de fleurs est presque entièrement à terre, bruni, vaincu, le jardin d’eau est plus somptueux que jamais. Lui d’habitude si vert se pare subitement des teintes les plus éclatantes, dans le flamboiement des liquidambars, des érables ou des saules. C’est comme si les couleurs chassées du clos normand s’étaient réfugiées autour du bassin, envolées vers les cimes pour mieux plonger dans les reflets de l’étang.
Souvent la brume du petit matin vient tempérer de douceur tout cet éclat, et c’est une atmosphère irréelle qui règne autour du paysage créé par Monet. Quand le soleil rasant émerge derrière la colline, ses rayons viennent dorer les vapeurs mouvantes, dans un spectacle à couper le souffle.

Eglise de Giverny

Eglise de Giverny La restauration de l’église de Giverny se termine. Depuis un mois, il est à nouveau possible de visiter l’intérieur de l’édifice, où les derniers travaux portent sur des fresques mises à jour à l’occasion de cette campagne de restauration complète. Des angelots peints sur la voûte de l’autel de la Vierge sont en train de retrouver leur fraîcheur du 17e siècle.
C’est la dernière tranche d’une remise en beauté de la petite église entreprise il y a trois ans. On a vu successivement le clocher, la toiture, les murs extérieurs se métamorphoser. Les entreprises hautement qualifiées ont remplacé, nettoyé, rejointoyé… Puis est venu le tour de l’intérieur, avec notamment une belle voûte en bois toute neuve au-dessus de la nef.
Le coût total avoisine le million d’euros. C’est une lourde charge pour la collectivité, mais l’ancienneté de l’édifice, son intérêt touristique aussi le justifient. L’église sainte Radegonde n’est pas un pur joyau de l’art roman ou gothique, mais elle offre le charme des églises de village, un mélange de traits architecturaux intéressants, d’histoire et d’intimité. Pour beaucoup de visiteurs, c’est l’occasion d’entrer dans une église villageoise, alors que la plupart sont fermées. C’est la déclinaison à petite échelle de la foi qui animait les bâtisseurs de cathédrales, à l’usage d’une communauté de paysans.
D’ici la prochaine saison, les échafaudages auront sans doute disparu. Les admirateurs de Claude Monet qui viennent se recueillir sur sa tombe dans le petit cimetière pourront à nouveau pousser la porte du sanctuaire pour découvrir ce lieu où, un beau jour de juillet, Monet avait conduit sa belle-fille Suzanne à l’autel.

Nymphéa bleu et or

Nymphéa bleu et orQuelle fleur extraordinaire que le nénuphar !
Je n’ai pas retouché cette photo, la voici telle qu’elle a été saisie par l’objectif une fin d’après-midi d’octobre à Giverny.
Dans le reflet doré du saule pleureur, les feuilles vernissées des nymphéas captent la couleur du ciel et deviennent étrangement bleues, offrant une harmonie inattendue.
Comment ne pas partager la fascination de Claude Monet pour ces fleurs étonnantes, aussi changeantes que des caméléons ?

Lis des crapauds

TricyrtisAutrefois, c’était la rose. Aujourd’hui, l’orchidée est en train de devenir la fleur de référence, banale entre toutes malgré sa beauté.
Autant la floraison des roses est réputée pour sa brièveté, autant celle des orchidées fait d’elles de petits Mathusalem, qui se dirigent vers la dégénérescence de l’âge si lentement qu’on les prendrait pour des fleurs en tissu.
Leur culture de masse et leur faible coût a banalisé quelques variétés d’orchidées : on les voit partout. Tant et si bien que certains visiteurs s’imaginent en reconnaître dans les jardins de Claude Monet à Giverny.
D’accord, la région regorge d’orchidées sauvages, mais elles n’ont pas grand chose à voir avec les Phalaenopsis. Et le climat de la Normandie a beaucoup à envier à celui de la Colombie.
Ce qu’on peut admirer, en revanche, dans le jardin d’eau de Monet, ce sont de superbes lis des crapauds. Oui, rapprocher lis de crapaud, le nom sonne comme un oxymore, mais je n’ai pas découvert l’explication de cette étrange appellation, qu’on retrouve avec constance en anglais (toad lily) et en allemand (Krötenlilie). Les pois, à la limite, qui pourraient évoquer, de très loin, les boursouflures de la peau du batracien ?
L’avantage est que c’est facile à retenir, surtout en pensant aux bords de l’étang de Giverny. Mais si cela vous paraît trop disgracieux pour une fleur si élégante, vous préférerez peut-être son nom botanique de Tricyrtis.
Le lis des crapauds forme une longue hampe ornée de-ci de-là de larges feuilles recourbées dont le port fait penser aux feuilles des orchidées, et sa fleur a quelque chose d’exotique et de rare, de la texture des pétales à leurs charmants petits points violets. La ressemblance s’arrête là, la forme de la fleur est bien différente de celle de l’orchidée.
Après les avoir admirés à Giverny, j’étais tout heureuse de trouver des lis des crapauds en jardinerie et, une fois plantés dans mon jardin avec leur étiquette au pied, de mémoriser leur nom. C’est donc sans hésitation que j’ai pu renseigner une visiteuse qui me demandait s’il s’agissait bien d’une orchidée.
La dame, visiblement, est déçue. Lis des crapauds, késako ? Elle n’y croit pas. Elle me fait répéter. Toujours pas convaincue, elle questionne doucement sa voisine, c’est des orchidées, ça, non ?
Et puis, dix mètres plus loin, tandis que, rêveuse, je m’émerveille encore de l’évolution du statut de l’orchidée depuis Proust :
– Et ça, c’est des orchidées ? interroge la dame en pointant du doigt des balsamines.
– C’est plutôt de la famille des impatiences, dis-je patiemment, amusée à l’idée que ma réponse va de nouveau faire un flop.
Une orque-idée, tout juste bonne à faire un gros plouf dans le bassin. Comme un crapaud.

Fleurs géantes

Fleurs géantes dans le jardin de Monet à GivernyC’est en toute fin de saison qu’il faut venir à Giverny pour éprouver une impression de gigantisme. Les fleurs d’automne atteignent des hauteurs vertigineuses, loin au-dessus des têtes des visiteurs.
C’est toujours étrange de se promener au milieu de végétaux aux proportions inhabituelles, qu’il s’agisse de séquoias, de fougères arborescentes ou, comme chez Monet, de fleurs de jardin.
On se tord un peu le cou pour regarder les têtes colorées qui se balancent là-haut dans la brise, dahlias, asters, et toutes les déclinaisons possibles du tournesol.
Les tiges démesurées rapetissent les humains. Sûrement les fleurs s’amusent entre elles, elles se chuchotent « Chérie ! J’ai rétréci les visiteurs ! »
On est Alice au Pays des Merveilles dans sa version lilliputienne. On s’attend à quelque rencontre surprenante au prochain détour.
On ne verra pas de chat au sourire énigmatique, non, mais tout de même un spectacle magnifique, celui de la grande allée éblouissante de couleurs.
 » C’est le bouquet final du feu d’artifices ! » se sont exclamé les charmantes personnes que j’accompagnais hier.
On ne saurait mieux dire.

Papillon Vulcain

Papillon Vulcain à Giverny
Les papillons Vulcains sont de passage à Giverny. Ils sont faciles à reconnaître avec leur cercle orange autour d’un corps marron, et leurs taches blanches au bout des ailes.
On en voit dans les asters, et sur les tournesols du Mexique dont l’orange répond au leur.
Ce beau papillon migrateur n’est pas au bout de son voyage. Le but, c’est le Maroc. C’est de là que s’envoleront ses enfants pour revenir vers le Nord l’année prochaine, en franchissant le détroit de Gibraltar puis en longeant les côtes.
Le Vulcain n’a peur de rien, à la faveur de vents du sud il est capable de viser le Danemark ou l’Islande, un pays qui doit lui plaire avec tous ses volcans.
Les vulcanologues (je veux dire les entomologistes qui étudient le papillon Vulcain) ont encore du pain sur la planche avant d’avoir percé tous ses mystères.
On l’observe depuis le 19e siècle, mais ce n’est pas facile, quand on en croise un, de savoir s’il est migrant ou s’il est né sur place, et donc de se faire une idée exacte de ses voyages au long cours. On bague les oiseaux, mais pour les papillons il va falloir trouver autre chose !
L’étape migratoire du Vulcain ne dure que quelques jours. C’est une raison de plus pour venir à Giverny ce week-end. Il va faire beau, et le jardin est d’une beauté exubérante, une explosion de fleurs et de couleurs.
Côté bassin, l’automne commence à poindre son nez, avec ses reflets chauds baignant les derniers nymphéas roses.

Jeanne-Marguerite Lecadre au jardin

Claude Monet, Jeanne-Marguerite Lecadre au jardin ou Femme au jardin, 1866 ou 1867, Musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg, huile sur toile, 80x99cmClaude Monet, "Jeanne-Marguerite Lecadre au jardin" ou "Femme au jardin", 1866 ou 1867, Musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg, huile sur toile, 80x99cm.

L'exposition Monet du Grand Palais (Paris, jusqu'au 24 janvier 2011) a choisi le tableau Jeanne-Marguerite Lecadre au jardin alias Femme au jardin comme thème de sa communication. La lumineuse silhouette de la jeune cousine de Claude Monet dans un jardin fleuri se décline partout, des affiches au catalogue.
Pourquoi ce tableau-ci plutôt qu'un autre pour présenter la grande rétrospective parisienne qui aligne 168 chefs d'oeuvres du chef de file de l'impressionnisme ?
J'imagine qu'il convenait de mettre en avant une toile venue de loin, difficilement accessible pour le public parisien, et celle-ci est conservée au musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg.
Et puis, quoi de mieux qu'une oeuvre de jeunesse pour annoncer une monographie qui porte sur "Monet entier", selon l'expression de Guy Cogeval, président des musées d'Orsay et de l'Orangerie, qui préface le catalogue.
A 26 ans, Monet n'a pas encore tourné le dos à la figure, si j'ose dire, pour se consacrer au seul paysage. Ses toiles s'animent de personnages, et ce tableau allie la grâce féminine au charme d'un éclatant jardin croulant sous les roses.
On est en juin, sans doute, juin 1867 selon les dernières recherches. Le jardin en question se trouve à Sainte-Adresse, près du Havre, c'est celui de la maison de campagne de la tante de Monet. Et la demoiselle qui illumine la pelouse de sa robe immaculée se nomme Jeanne-Marguerite.
Je ne suis pas une grande défricheteuse d'arbre généalogique, mais si j'ai bien compris Jeanne-Marguerite est à double titre la petite cousine de Claude Monet : cette demoiselle Lecadre, petite-nièce de la fameuse demi-tante de Monet si décisive pour les débuts du peintre, a épousé son cousin Lecadre, ce qui lui a permis de ne pas changer de nom de famille à son mariage.
Ce devait être une charmante personne, si l'on en croit son obligeance à poser pour Claude à deux reprises au moins, pour cette toile et pour Terrasse à Sainte-Adresse où elle apparaît dans une tenue assez semblable.
Les deux tableaux peints sans doute le même été présentent d'ailleurs la même luminosité extraordinaire, le même air vif baigné d'un soleil radieux, les mêmes coloris resplendissants.

(suite…)

Onagre

Fleur d'onagre« Tout jardin est d’abord un massif de vocabulaire à déchiffrer« .
C’est Christian Limousin, auteur d’essais sur Mirbeau, un grand ami de Monet, qui souligne « les complicités évidentes entre l’univers des mots et celui des jardins. » Je n’irai pas dire le contraire.
Si Monet voyait le jardin en peintre, comme un paysage dont il commandait les couleurs, si d’autres se passionnent pour la géométrie du monde floral, si pour le jardinier les plantes sont avant tout des êtres vivants qui ont faim, qui ont soif, chaud, froid, qui naissent, grandissent, se reproduisent et meurent, c’est aussi par leurs noms que les fleurs exercent sur beaucoup d’humains une joyeuse fascination.
Voyez l’onagre, par exemple. Vous pensiez que cette bête-là était une espèce d’âne sauvage galopant librement dans les steppes de Mongolie ? Ou, si vous êtes versé dans l’histoire des armes, que c’était un genre de catapulte utilisé par les Romains ? Ce n’est pas faux. Mais l’onagre est aussi une fleur jaune qui pousse sur les talus caillouteux et que l’on peut inviter dans son jardin.
L’onagre a une floraison brève, mais renouvelée tout au long de l’été. Sa fleur s’ouvre en une minute, fait la belle le temps d’une soirée, et finit par pendre telle un petit mouchoir jaune égaré dans la nature. Elle est jolie quand même dans cet abandon, si bien qu’on peut en voir dans plusieurs massifs du jardin de Monet.
Les anglophones la nomment evening primrose, primevère du soir, et aussi suncup ou sundrop, tasse ou goutte de soleil, une jolie façon de rendre hommage à sa couleur éclatante. En allemand, c’est une Nachtkerzen, une bougie de la nuit.
Au Québec, selon un site sur la flore laurentienne, « les sables littoraux du bas Saint-Laurent et du golfe présentent souvent au coucher du soleil un admirable spectacle, au moment où les onagres, ces hiboux des fleurs, déploient leurs grands pétales d’or, et constellent la dune d’innombrables croix de Malte immobiles au bout des tiges purpurines.« 
Des ânes, et maintenant des hiboux ! Difficile à première vue de comprendre le lien entre les différents sens du mot onagre.
Le nom botanique de l’onagre est l’oenothera, construit sur la même racine grecque que l’oenologie, la science du vin : de quoi y perdre encore un peu plus son latin.
Quelques pistes qui valent ce qu’elles valent : tout dérive d’onagre, l’âne. La catapulte imite son coup de pied, sa ruade. La plante, et en particulier ses racines, serait mangée par les ânes, selon les uns. D’autres y voient des feuilles dont la forme rappelle les célèbres oreilles de ces charmants quadrupèdes.
Et peut-être bien que l’onagre, la plante, servait autrefois à parfumer le vin. Les Grecs ne renâclaient pas à des expériences originales.

Colchique nénuphar

Colchique nénupharCette fleur n’existait pas du temps de Monet, mais elle s’impose à Giverny ! Voici colchicum water lily, autrement dit le colchique nénuphar.
Tout le monde connaît, au moins en chanson, le colchique sauvage, cousin estival du crocus printanier, qui fleurit les prairies à la fin août. Amélioré par les horticulteurs, ce colchique simple a donné une jolie variété double dont la forme rappelle à s’y méprendre une fleur de nénuphar en miniature.
La couleur demeure celle du colchique, ce bleu lavande un peu fade, bien fait pour trancher sur le vert franc des pelouses ragaillardies par les dernières pluies. Et bien sûr il manque les feuilles des nymphéas, peut-être encore plus belles que leurs fleurs.
N’importe ! Dans les jardins de Monet, les colchiques disposés par groupes dans les carrés bien tondus du jardin de fleurs évoquent avec délicatesse les îlots de nénuphars qui flotte sur l’étang du jardin d’eau.
Ce n’est pas la seule des subtiles correspondances tissées entre ces deux jardins qu’apparemment tout oppose.

Métamorphose

Nénuphar à contre-jour, GivernySi Monet avait peint ses Nymphéas de cette couleur, personne n’aurait voulu le croire. Je veux dire croire que c’est vraiment ainsi qu’ils apparaissent parfois, dans la lumière de Giverny.
A contre-jour, le nénuphar se pare de tons étranges, des gris profonds, violacés, qui lui donnent un air métallique.
Ses feuilles perdent leur aspect végétal et deviennent des objets vaguement inquiétants, artificiels, qui semblent faits de plastique fondu ou de tissu gaufré.
Tout cela flotte, mais la vie n’a-t-elle pas déserté la plante en deuil ?
Pure illusion d’optique. Il suffit de se décaler un peu, et les nénuphars reprennent leur teinte verdâtre habituelle. Ils sont encore bien vivants, offrant leurs dernières fleurs aux rayons de l’automne. Pour les voir ouvertes et admirer leurs couronnes roses ou jaunes, il vaut mieux venir l’après-midi. Les matinées fraîches rendent le nénuphar paresseux, il prend son temps pour sortir de ses songes et desserrer l’étreinte dans laquelle, la veille au soir, il a clos ses pétales.

Matinée sur la Seine

Brume matinale sur la SeineTout autour de Giverny, le paysage garde la trace des vagabondages de Claude Monet.
Ses motifs sont partout, et frappent l'oeil à l'improviste.
La lumière si changeante est toujours la même depuis des siècles, le décor n'a guère varié non plus.
Dans la fraîcheur du petit matin, depuis le ponton des pêcheurs face à la collégiale de Vernon la vue rappelle les Matinées sur la Seine prises deux ou trois kilomètres en amont, au confluent de l'Epte et du fleuve.
Même végétation touffue sur laquelle se détache la masse incertaine de la brume matinale.
Paradoxe de cette humidité que ne mouille pas, de cette transparence qui devient opaque à distance, légère comme du tulle.
Plus tard le soleil se lèvera et teintera de rose l'haleine du fleuve, comme dans la série des Églises de Vernon.
Du tableau ou du motif, on ne sait ce qui est réminiscence de l'autre.
L'un et l'autre se répondent tant qu'ils donnent chacun une impression de déjà vu.

Fin d’été

Giverny, fin d'étéFin d’été à Giverny. C’est « un univers vivement coloré, mais sans profondeur, sans perspective, où l’air est raréfié (à peine une allée, un bout de ciel entr’aperçu) : la profusion, l’extraordinaire fourmillement floral (…) a comme mangé et bu tout l’espace. »
Ces lignes sont extraites d’une passionnante étude de Christian Limousin intitulée « Monet au jardin des supplices », dans laquelle l’auteur étudie les connexions entre le jardin de Giverny et le livre d’Octave Mirbeau « Le jardin des supplices ». Qui a inspiré l’autre, et comment les deux amis se sont-ils influencés réciproquement ? On ne saurait en décider, mais les correspondances sont troublantes.
Tranchant avec la vision habituelle d’un jardin édenique, petit coin de paradis sur terre, Mirbeau voit tout autre chose dans le jardin de Giverny. C’est « une métaphore » de l’oeuvre de Monet, et il faut, selon l’auteur, « aller au-delà de l’aspect lumineux et séduisant du premier abord pour accéder au fond de sauvagerie qui en constitue le coeur noir.« 
Métaphore de l’oeuvre, et projection de la personnalité de Monet. Une visiteuse me faisait judicieusement remarquer le contraste entre les allées droites et l’aspect « rebelle » des massifs, qu’elle comparaît aux contradictions entre le conformisme bourgeois de Monet et sa liberté artistique. Dans le jardin de fin d’été on peut voir tout le bouillonnement d’une nature et d’un caractère pleins de vigueur, d’ardeur créatrice, difficilement endigués par des cheminements aux tracés rectilignes de plus en plus envahis par la végétation.
Dans toute cette fougue, on pourrait déceler quelque chose qui se rapproche de la violence. Le promeneur est submergé par la vitalité des plantes qui l’environnent de toute part, dressant leurs fières corolles géantes loin au-dessus de sa tête, formant des murs denses, impénétrables, qui le cloisonnent et l’emprisonnent.
Emportée par cet élan végétal impressionnant, j’ai été bien surprise d’entendre une autre personne me confier qu’elle avait trouvé le jardin « fatigué ». Elle aurait aimé le voir au printemps. Les couleurs lui paraissaient ternes.
Ternes ! Tous ces dahlias sanglants, ces soleils lumineux, ces sauges au bleu intense ! J’étais fascinée d’entendre exprimé ce ressenti à des années lumière du mien. Quelle pouvait bien être la cause de ce jugement si déprimé ?
Sans chercher à en percer le mystère, je garde de cette critique étonnante la petite fenêtre qu’elle ouvre sur la diversité de la nature humaine.
On ne ressent pas tous la même chose. Mais je vais continuer à être subjective, et m’extasier tout haut devant les personnes que je guide. Tant pis pour les ronchons.

Claude Monet ce mal connu

Claude Monet ce mal connu, par Jean-Pierre Hoschedé, éditions Cailler, Genève, 1960. Parmi les sources écrites dont on dispose à propos de Monet, les plus fiables sont celles rédigées à chaud : les lettres qu’il a adressées ou reçues, les factures et livres de comptes, les actes notariés, le journal tenu par son épouse Alice après la mort de sa fille Suzanne…
Les articles dont Monet fait l’objet de son vivant ne manquent pas d’intérêt, même s’il excelle dans l’art de façonner sa propre légende.
En complément à ces documents, et c’est tant mieux pour notre connaissance du peintre, plusieurs proches de Monet ont fait l’effort de rédiger un livre entier pour le faire connaître à leurs contemporains et à la postérité. Son critique et ami Gustave Geffroy devient son premier biographe, et Georges Clemenceau, Marc Elder ou Jean-Pierre Hoschedé fournissent des témoignages irremplaçables.
Certes ces livres sont écrits dans l’après coup, quelquefois à un âge avancé, ils constituent cependant des sources précieuses auxquelles puisent les historiens d’art.
J’ai lu tant de citations extraites du recueil de souvenirs du plus jeune des beaux-fils de Monet, Jean-Pierre Hoschedé, que je grillais de le découvrir in extenso. Malheureusement « Claude Monet ce mal connu », paru chez Cailler en Suisse en 1960 n’a pas été réédité, si bien qu’il m’a fallu l’aide de l’internet, un peu de chance et de patience pour le trouver enfin.
Je tiens le livre entre mes mains. Ou plutôt les livres, car, allez savoir pourquoi ? il est divisé en deux tomes. C’est un ouvrage broché où sont insérées des pages de photographies en noir et blanc, photos de famille surtout, d’oeuvres parfois.
En 1960 on vendait des livres non découpés, le coupe-papier était un objet pas encore tombé en désuétude.
La personne à qui a appartenu ce livre l’a lu, mais pas entièrement. Les découpes s’arrêtent à la page 152, vingt pages avant la fin. Le deuxième tome, qui concerne les grandes décorations des Nymphéas, ne l’a pas intéressée : il est intact.
Pas d’autres traces du premier propriétaire de l’ouvrage qui en a sans doute parcouru les lignes il y a tout juste un demi-siècle. Je les dévore à mon tour, et j’y trouve un éclairage sur Monet en général largement diffusé entre-temps, mais parfois inattendu.
Derrière ce portrait du peintre esquissé par Jean-Pierre Hoschedé, se dessine en creux un portrait de la personnalité de l’auteur lui-même, attachant dans sa piété filiale, agaçant pour la même raison.
Enfin, dans le pointillé des citations retrouvées ici et là se devine aussi la subjectivité des auteurs de livres sur Monet, qui ont retenu tel détail et laissé de côté tel autre.
Je ferai de même prochainement, en essayant de choisir des précisions inédites. Mais peut-être qu’elles ne le seront pas, peut-être que j’aurai oublié avoir déjà lu cela quelque part dans la littérature secondaire.
Subjectivité, mémoire, oubli… L’enquête historique est un art difficile où l’on se heurte sans cesse à ces trois-là, en l’occurrence subjectivité, mémoire, oubli de Monet lui-même, de ses proches, des témoins de son temps, des auteurs postérieurs… Et l’on est inévitablement en prise aussi avec sa propre subjectivité, sa propre mémoire, son propre oubli. Ce n’est qu’avec prudence, après recoupement, que l’on peut établir des faits, même en se fondant sur les meilleures sources. Jean-Pierre Hoschedé lui-même, si sincère dans sa volonté de rétablir la vérité sur Monet, si proche du peintre, n’évite pas certaines erreurs non plus.

Vandrimare

Jardin de VandrimareA environ 45 minutes de Giverny en direction de Rouen, le château de Vandrimare est entouré d’un parc dessiné sous le 1er Empire.
Ses arbres deux fois centenaires, parmi lesquels le plus vieux et plus grand magnolia d’Europe justifieraient déjà son titre de « jardin remarquable ». Mais l’intérêt ne s’arrête pas là.
Sous les frondaisons a été aménagé un jardin contemporain voué aux cinq sens.
Des chambres de verdure proposent des collections de vivaces colorées.
On chemine à travers le jardin des baies, on médite sous la pergola du cloître aux herbes aromatiques, on joue à se perdre dans le labyrinthe de charmilles où les araignées tissent des cloisons supplémentaires, on tourne dans les bosquets du mouvement perpétuel à la recherche de la lumière, on pénètre en catimini dans l’orangerie et la serre, fort anciennes, on lorgne sur le verger typiquement normand, on guette les grenouilles au bord du bassin…
Partout des odeurs étonnantes, des plantes rares, des arbustes jamais vus… Cinq mille végétaux différents paraît-il on été acclimatés dans ce jardin, à découvrir dans la grande paix d’un parc de six hectares qui, cet après-midi, n’était guère envahi de promeneurs.

Jardin de contrastes

Gouttes sur gauraUn des plaisirs du jardin est de créer des contrastes.
Je ne veux pas parler ici du contraste évident qui règne entre le jardin d’eau et le jardin de fleurs de Claude Monet à Giverny, mais de celui, très raffiné, qui s’observe à l’intérieur même du clos normand.
Les massifs fleuris imaginés par le peintre s’alignent sur un hectare, et pourtant il n’en y en a pas deux pareils. Leurs disparités ne sont jamais aussi marquées qu’en fin d’été.
Les contrastes reposent sur les couleurs, bien sûr, les parterres monochromes ou au contraire multicolores alternent avec ceux où s’harmonise une gamme de couleurs resserrée, chaude ou froide.
Monet jouait aussi du contraste entre les carrés d’une même variété de fleurs et les parterres qui en mêlent un grand nombre de formes, de textures et de hauteurs différentes.
La taille des tiges entre en jeu elle aussi, depuis les géraniums au ras du sol jusqu’aux soleils géants, qui se dressent fièrement à trois ou quatre mètres de haut.
Enfin, les massifs s’opposent par leur densité, certains épais comme des murs, d’autres à la légèreté subtile de prairie.
Le côté naturel de ces derniers est obtenu avec des fleurs de culture, et c’est du grand art. Regardez comment les gauras se courbent sous le poids de leur collier de gouttes, offrant leurs lignes gracieuses en contrepoint aux amarantoïdes, ces petites boules de peluche rose qui font penser au trèfle, aux verveines, aux sauges, aux mauves, aux glaïeuls, aux mini rosiers…
En cuisine, ce serait une délicate mousse fruitée à la fin d’un repas roboratif. L’oeil se repose un instant, volette comme un papillon parmi toute cette finesse, avant de retourner se poser un peu plus loin sur un parterre aux masses denses et aux couleurs intenses.
Le contraste, source d’équilibre et d’harmonie.

Verbena bonariensis

Verbena bonariensisTout l’été fleurit la verveine. Celle-ci porte le doux nom de verbena bonariensis.
En cette rentrée des classes, n’allez pas croire qu’il s’agit d’une sorte de cancre, une variété de verveine bonne à rien comparée à la verveine officinale qui serait bonne à tout, première de la classe des utilisations médicinales et magiques.
C’est ce que je m’étais imaginé la première fois que j’ai entendu son nom. Mais la réalité est plus prosaïque. Un cours de latin, de géo et de botanique plus tard, la verbena bonariensis était redevenue la verveine de Buenos Aires. (C’est sans doute de là qu’on a dû la rapporter pour la première fois, car elle fleurit un peu partout sur le continent sud-américain.)
Il y a pourtant un peu de vrai dans cette image de bonne à rien. Regardez-la. Isolée, avec ses petites touffes de fleurettes pâlichonnes tout au bout de grandes tiges ligneuses, son port dégingandé de grande bringue maigrichonne, on hésite. Cette chose dans mon jardin, vraiment ? Pour quoi faire ?
Tout son charme tient à ça, justement. La verveine de Buenos Aires est une bonne copine. Une fois entourée d’autres fleurs plus gâtées par la nature, elle excelle à alléger les masses compactes, à architecturer les massifs un peu mous, à donner du flou aux floraisons trop denses.
Les jardiniers l’adorent, parce qu’elle est sans souci. Elle pousse toute seule, elle résiste à tout, et, providence des étourdis, elle se ressème comme une grande, sans l’aide de personne.
Si vous copiez sur vos voisins qui l’ont déjà adoptée, ça vous laissera le temps de profiter de la récré.

Dans Marianne il y a Ariane

Monet, Monet, money...  Marianne du 28 août au 3 septembre 2010 L’exposition Monet qui ouvrira ses portes dans moins d’un mois au Grand Palais suscite déjà des articles. Cette semaine, l’hebdomadaire Marianne consacre trois pages à la Monet mania, dans un reportage qui a conduit le journaliste Vincent Huguet à Monetland, comme il dit : comprenez Giverny.
Pour préparer son papier, Vincent Huguet a fureté sur la toile, et il est tombé sur Giverny News, où visiblement ma boutade gentiment ironique sur Carla Bruni l’a amusé.

Woody Allen (…) le 6 août dernier, est venu tourner une scène de son film chez Monet. Un épisode relaté avec un humour ravageur sur Giverny News (http://givernews.com), l’irrésistible blog tenu par Ariane Cauderlier, guide indépendante à Giverny qui épingle les excès du culte. Rappelant les 32 prises nécessaires auparavant, à Paris, pour filmer Carla Bruni « en train d’acheter une baguette de pain rue Mouffetard » (« Ça n’a l’air de rien, mais ce n’est pas si facile quand vous ne l’avez jamais fait. Un vrai rôle de composition. ») la bloggeuse aux nymphéas ajoute : « Heureusement, Madame Sarkozy n’est pas venue à Giverny. On aurait risqué d’avoir à fermer les jardins de Monet tout le week-end si ce perfectionniste de cinéaste lui avait demandé, disons, de jouer la belle jardinière et d’arroser un massif. »

Sympa, non ? Il est clair que chez Marianne, faire partie de la blogosphère, donc être une voix indépendante, originale et sincère vous fait d’emblée marquer des points.
Merci, monsieur Huguet, ce coup de projo, c’est très aimable à vous.
Mais, comment dire ? je ressens un léger malaise. Si les lecteurs de Marianne ont la curiosité de venir se promener par ici, alléchés par la citation, ils risquent bien d’être déçus de tomber sur des fleurs et des petits oiseaux.
Je ne donne pas dans le sarcasme politique, et à y réfléchir, celui-ci, je le regrette. Car pourquoi Woody Allen s’est-il « acharné » sur Carla Bruni, en lui faisant répéter sa prise 32 fois ? Pour le buzz ? C’est mesquin. Pour humilier notre première dame ? C’est bas. Non, je ne vois qu’une explication, puisque Carla débute il a voulu lui donner un cours de cinéma, patiemment, pour qu’elle soit la meilleure possible. Comme Monet, il a poussé le travail au maximum, jusqu’à ne plus pouvoir ajouter de force au tableau.
Et puis, faut-il le préciser, c’est de la pure fiction d’imaginer la Fondation Monet fermée pendant deux jours. Woody Allen a obtenu une privatisation d’une heure et demi, si je me rappelle bien, sur la moitié du jardin, en fin de journée, quand il n’y a de toutes façons plus personne ou presque : c’est déjà beaucoup. On a le sens du service public à Giverny, pas question de fermer inconsidérément les lieux aux visiteurs, fut-ce pour encourager la création artistique.
Quoi d’autre ? Je ne crois pas épingler les excès du culte. Si culte il y a, je crains fort, au contraire, d’en être l’une des modestes prêtresses, et tout à fait excessive. Un blog entier sur Giverny !
Enfin, ça fait toujours bizarre de se retrouver dans la presse, qu’elle soit écrite, radiophonique ou télévisuelle. J’en ai fait plusieurs fois l’expérience à des titres divers, je l’ai infligée autrefois aux personnes que j’ai interviewées, on se trouve soudainement face à une image de soi vue à travers le prisme de quelqu’un d’autre, qui opère des choix subjectifs.
Voyez la légende de l’illustration, par exemple. Un bonbon rose, moi, j’ai dit ça ? J’ai du mal à y croire, tant, dans le contexte de l’article, l’expression passe pour distanciée et un peu moqueuse.
Vérification faite, oui, bien sûr, c’est dans givernews. C’était à propos de la neige à Giverny, une métaphore filée. « Ici, tout juste un peu de sucre glace. La maison de Claude Monet en devient une confiserie géante, un énorme bonbon rose. « 
C’était un regard tendre. Rose bonbon.

Néanmoins

Feuilles de nénuphars Il y a des mots qui dorment dans un coin de notre mémoire. Un vocabulaire passif, que nous comprenons mais ne pensons pas à utiliser.
Jamais, en anglais, je n’emploie le mot nevertheless. Toutefois, quand une de mes clientes l’a prononcé hier, sa traduction m’est revenue, comme une fiche sortie d’un classeur : néanmoins.
Les mots ne manquent pas pour exprimer l’opposition, à commencer par mais. Néanmoins, c’est une opposition, mais atténuée, une réticence, une réserve.
Si nevertheless est bien long pour un adverbe, un peu traître à prononcer pour des francophones avec son th au milieu, et que je n’ai pas dans la langue de Shakespeare la finesse d’expression qui le ferait préférer parfois à but ou however, je me demande en revanche pourquoi, comme beaucoup de mes compatriotes, je boude néanmoins.
L’alignement de hiatus et de nasales n’en fait pas un très joli vocable, c’est vrai. Il me semble pourtant que c’est le sens caché du mot qui retient de l’employer.
Néanmoins : nez en moins. On n’a envie d’amputer personne. Et néant moins, les profondeurs négatives de l’insondable, n’en parlons pas, c’est carrément déprimant !
Alors qu’en anglais nevertheless claque comme une devise : jamais le moins, (donc toujours le plus) voilà qui ne manque pas de panache.
J’avoue que la subtile mathématique rhétorique du moins qui apparaît dans les deux langues m’échappe. Serait-ce que l’on retranche quelque chose à la proposition précédente ? Ou que l’on fait mine au contraire de ne rien y retrancher ? Si vous avez une explication, je suis tout ouïe, oreilles en plus.
Enfin, pour ceux qui se demanderaient quel rapport il y a entre cette image de feuilles de nénuphars et mes interrogations linguistiques, j’aime beaucoup cette photo, c’était si beau de voir les nymphéas creusés d’une goutte en coeur scintiller d’éclats d’or, d’argent et de lapis-lazuli. Néanmoins, j’avais une réticence à la publier parce que les feuilles ne sont pas tout à fait propres, il s’y accroche un peu de mousse. Re-néanmoins, n’est-ce pas cette mousse, justement, qui retient les rayons de lumière ? Et le bassin de Monet n’est-il pas d’autant plus admirable de ce qu’il magnifie l’ordinaire, voire l’ordure, pour en faire de l’or, comme le fumier au pied des roses ?

Les choses ayant souvent plus d’un sens, je dédie ce billet à N., nez de la parfumerie parti outre-Manche, qui laisse un vide derrière elle.

Camouflage

Chenille sur iris Si certaines chenilles arborent des couleurs voyantes, comme pour faire croire aux prédateurs éventuels qu’elles sont toxiques, d’autres ont une stratégie de survie bien différente.
Regardez celle-ci, par exemple, qui arpente le rebord d’un iris du jardin d’eau de Claude Monet. Ne dirait-on pas une excroissance de l’iris lui-même ?
Sa teinte, subtil camaïeu de jaune et de vert, est copiée avec une exactitude que bien des peintres pourraient lui envier. Et l’analogie entre la larve et le végétal ne s’arrête pas là : la chenille a le même aspect translucide dans la lumière. Suprême raffinement, vous verrez en agrandissant la photo qu’elle pousse le bouchon jusqu’à aligner de petits points sombres à intervalles réguliers le long de son corps, à l’image des segments que l’on voit sur la tige d’iris.
L’hypothèse darwinienne trouve ici son illustration. Des mutations successives ont fait ressembler certaines chenilles de plus en plus à la plante hôte, et les chenilles les mieux camouflées sont aussi celles qui ont le mieux survécu.
Le point faible de cette technique de survie par le camouflage, c’est le mouvement. Tant qu’elle est au repos, la chenille se fond dans la nature. Mais si elle s’avise d’avancer, son curieux pas glissé la dénonce immédiatement. Qui a déjà vu un iris faire des boucles ?

Roses blanches

Rosier blanc devant la maison de Claude MonetAoût voit remonter les rosiers de Giverny.
La floraison estivale est moins spectaculaire que celle de juin, mais bien présente tout de même.
La petite roseraie derrière les tilleuls a retrouvé sa raison d’être, avec ses buissons parfumés qui attendent les visiteurs les plus curieux.
Au-dessus de la grande allée, le beau rosier grimpant abricot a déjà semé une nouvelle fois ses pétales au pied des ifs.
Devant la maison, les rosiers blancs rayonnent. L’association de leurs fleurs immaculées avec le vert des feuillages et des boiseries est si fraîche, si éclatante, qu’elle donne envie de planter des roses blanches dans son jardin, en oubliant définitivement la larmoyante chanson de Berthe Sylva qui leur colle aux pétales.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

Catégories