Giverny, effet du soir

Femme à l'ombrelle tournée vers la droite, Claude Monet, 1886, Musée d'Orsay (Paris - France) Huile sur toile 131 cm x 88 cmFemme à l’ombrelle tournée vers la droite, Claude Monet, 1886, Musée d’Orsay

On ne sait jamais l’effet qu’on fait sur les gens. A moins qu’ils ne vous le disent, bien sûr, mais ce sont des révélations qui dérangent.
J’ai rencontré récemment un monsieur qui présentait une ressemblance troublante avec mon frère. Il a fallu que je me concentre sur un détail différent de son visage pour oublier ce hasard et travailler normalement. Le lui dire n’aurait fait que le mettre mal à l’aise lui aussi.
Les autres ont un référentiel culturel et intime dont nous ignorons la plus grande partie. Nous en faisons abstraction le plus souvent, advienne que pourra. Mais en même temps notre empathie, plus ou moins profonde selon les personnes, nous fait guetter les signes qui transparaissent de ce monde intérieur des autres qui nous échappe, de façon à y adapter notre attitude et nos propos.
J’ai eu la joie de guider hier une délicieuse vieille dame irlandaise, une de ces personnalités rayonnantes qui ont ce don de toucher tout droit le coeur des gens et de vous faire croire que vous vous connaissez depuis toujours. Au bout d’une demi-heure, elle m’interrogeait sur mes enfants. Elle a attendu que je lui demande combien elle-même en avait pour répondre malicieusement : Cinq ! je vous bats d’un point ! Ils sont grands maintenant, vous savez. Puis, levant les yeux : l’un d’eux est au ciel, dit-elle avec sérénité. Il est mort à 17 ans dans un accident de voiture.
J’ai blêmi sous le choc, traversée par l’horreur que cela avait dû être pour elle. Mais elle avait l’air d’avoir fait un tel chemin depuis.
Plus tard, quand je lui ai raconté les six enfants d’Alice Hoschedé, nous avons ri : battues toutes les deux ! Et dans la chambre de Monet, c’est en connaissance de cause que j’ai commenté pour elle le portrait d’Alice par Nadar. La seconde épouse de Monet a un regard plein de tristesse. Elle porte le deuil de sa fille Suzanne, un chagrin dont elle ne s’est jamais remise.
La silhouette de la jolie Suzanne nous est familière. Elle est la jeune fille à l’ombrelle tournée vers la droite ou vers la gauche, deux tableaux que Monet appelait modestement des « essais de figure en plein air ».

Azalée

AzaléeSortez les lunettes de soleil : les azalées sont en fleurs à Giverny ! Les buissons hauts d’un mètre cinquante se sont couverts d’une myriade de corolles aux couleurs éblouissantes. On en a plein les yeux dans le coin le plus japonais du jardin, le long du bassin aux nymphéas.
A moins d’avoir spontanément un sol acide, ce qui n’est pas trop le cas dans le bassin parisien, le jardinier qui plante des azalées se lance dans des travaux d’envergure. L’azalée, un peu culpabilisée d’être si compliquée, le récompense par la générosité de sa floraison. Pendant quelques jours l’arbuste enfile un manteau incroyable, dans des couleurs qu’on n’oserait jamais arborer dans la rue.
C’est tellement flashy que la faute de goût guette. Pour donner asile aux azalées, il vaut mieux les isoler, sinon, on a vite fait de verser dans le criard. Mais il existe aussi d’impeccables azalées blanches, et d’autres aux tons fanés d’orange qui heurtent moins le regard.

L’autre Henri Martin

Monet, la Gare Saint-Lazare Un Henri Martin peut en cacher un autre ! Voilà ce que c’est de porter le nom le plus répandu de France, assorti d’un prénom royal. Bref, un rectificatif s’impose : un aimable internaute me fait savoir que le Henri-Martin de l’avenue parisienne, et par conséquent du Monopoly, n’est pas du tout celui que je croyais. C’est, précise-t-il, « son homonyme parfait, l’historien (1810-1883), fameux sous le Second Empire et sous la IIIème République. Il a été en outre maire du XVIème. »
Maire du 16e arrondissement ! Voilà qui explique tout. Quel que soit son mérite comme historien, et je ne doute pas qu’il ait été grand, la voie politique est le meilleur moyen de finir en plaques de rue, comme chacun sait. Les exemples ne manquent pas d’obscurs conseillers municipaux promus à cette dignité. Normal, puisque la décision de nommer les voies appartient au conseil municipal, à qui il arrive de déplorer des décès dans ses rangs. A fortiori un maire : le nom de rue s’impose !
Donc, notre Henri-Martin à l’accent toulousain devra compter sur ses toiles pour assurer sa renommée post-mortem. A moins qu’il ait malgré tout sa rue quelque part, dites-moi ? Avec, souhaitons-le, un brin d’explication pour permettre de situer le personnage.
Et pourquoi une gare Saint-Lazare de Monet en guise d’illustration ? Parce que dans Martin il y a train, (!) et que les gares parisiennes sont aussi dans le Monopoly. Dans le jeu elles sont toutes cotées pareil, mais celle qui ouvre les portes de la Normandie tient une place spéciale dans le coeur des amoureux de Giverny.

Un air de Japon

Jardin de Monet Le printemps japonise les jardins de Giverny.
Plus que n’importe quelle autre saison, c’est lui qui donne au paysage imaginé par Claude Monet ce petit air d’avoir glissé d’un paravent ou d’une estampe pour tomber, un peu étonné, dans la vallée de la Seine.
Chaque étape du printemps déploie un éventail de merveilles venues d’Extrême-Orient. C’est le plus joli moment pour les prunus et les cerisiers fleurs, puis les azalées et les pommiers du Japon, enfin les iris, les pivoines et les glycines.
Des couleurs les plus tendres aux flashes les plus intenses, il flotte sur Giverny, tandis que la nouvelle saison commence, un air venu d’ailleurs, un éclat de soleil levant.

Arbres en fleurs

Arbre en fleurTous les arbres sont en fleurs dans les vergers de Normandie.
Les plus précoces ont ouvert le ban, des pruniers échevelés aux cerisiers géants tout cotonneux.
Pâques a vu fleurir les poiriers vénérables, ceux qui sont plein de sagesse et savent comment il convient de s’habiller pour la saison.
Les pommiers arrivent en dernier avec leur floraison délicate d’un blanc rosé poudré de vert.
Avant que le vent ne vienne faire le fou dans les branches ébouriffées, rompant l’instant magique, les arbres fruitiers se retrouvent miraculeusement réunis pour la grande fête du blanc.
Sous leurs branches, les prés sont d’un vert si tendre qu’on en mangerait, de ce velours qu’éclabousse le jaune des pissenlits. C’est d’un bucolique à tenter Virgile. Mais de boeufs, point encore. Seuls les moutons sont déjà de sortie.

Henri Martin

Henri Martin, Les Champs-Elysées, 1939 Musée des Beaux-Arts de BordeauxHenri Martin, Les Champs-Elysées, 1939 Musée des Beaux-Arts de Bordeaux

Je viens d’avoir la solution d’une énigme qui m’intriguait : pourquoi le musée de Vernon est-il aller chercher celui de Douai pour organiser la grande exposition impressionniste en cours ? Au vernissage, chacun remerciait de façon appuyée l’ancienne conservatrice du musée de Vernon, Anne Labourdette. C’est qu’elle est la nouvelle conservatrice du musée de la Chartreuse de Douai !
Pendant qu’un bon peu des trésors de Douai font les délices des visiteurs vernonnais, les cimaises libérées dans la cité du Nord accueillent une grande exposition consacrée au peintre Henri Martin.
Ce nom vous dit forcément quelque chose. Mais si, voyons, l’avenue Henri-Martin, les cases rouges du Monopoly ! Né vingt ans après Monet, Henri Martin a été le chouchou des commandes officielles pendant la Troisième République. A lui les grandes décorations dans sa ville natale de Toulouse avec la salle Henri-Martin et la salle des Illustres de l’hôtel de ville, un bien bel endroit pour se marier !
Du Capitole à la capitale, il enchaîne avec le Palais de Justice et l’Hôtel de Ville de Paris, la Sorbonne, le Conseil d’Etat, qui mérite une visite, ou encore le palais de l’Elysée. Ses pinceaux n’ont pas le temps de refroidir tant son style plaît aux officiels.
Faire le plein d’honneurs de son vivant, il n’en faut pas plus pour se faire placardiser par la postérité, qui a un faible pour les artistes maudits. C’est probablement aussi injuste que le contraire.
L’eau a coulé sous les ponts depuis le décès d’Henri Martin en 1943. On peut le redécouvrir sereinement aujourd’hui, et faire le tri entre ce qu’il a de très : très beaux coloris, très bonne technique, très belle inspiration poétique… et de trop : trop sage ? chantre d’un monde trop idéalisé ? Trop symboliste ? A chacun d’en juger à travers les quelque cent toiles présentées à Douai jusqu’au 15 juin 2009.

P.S. du 22 avril : Hélas, le Henri-Martin du Monopoly en est un autre ! voir billet du 22 avril.

Charme

Charmille à GivernyMarcher dans les feuilles mortes au mois d’avril, ça fait bizarre. On a désappris depuis six mois leur craquement sous les pieds.
Surpris, on s’interroge : comment se fait-il que ces feuilles ne soient pas encore réduites en poussière ? Un petit coup d’oeil au sol et aux alentours, et la réponse saute aux yeux. Elles viennent juste de tomber.
Certains arbres conservent pudiquement leurs feuilles sèches accrochées à leurs branches pendant tout l’hiver. Ils ne voudraient pas être surpris tout dénudés !
Les charmes sont de ceux-là. Ils n’acceptent de perdre leurs vieilles feuilles que lorsque les nouvelles font leur apparition, à l’ouverture des bourgeons. Pas encore habillés pour l’été, mais au moins, euh, en sous-vêtements.
C’est avec les charmes qu’on fait les charmilles, ces jolies haies qui acceptent bien la taille et ont l’avantage de ne pas devenir transparentes en hiver.
Le charme est le cousin du hêtre, ou peut-être même son frère tant ils se ressemblent. Il y a pourtant un moyen simple de les distinguer dès qu’ils ont des feuilles.
C’est l’un de ces trucs que l’on apprend en rosissant, tout jeune, dans les sorties nature, et qu’on n’oubliera plus. « Le charme d’Adam, c’est d’hêtre à poil ». La feuille de charme est dentée, celle du hêtre présente des poils sur les bords.
Décidément, pas moyen de respecter la pudeur des arbres !

Bouleau

Bouleau à GivernyJe peux bien vous le dire puisqu’on est entre nous : j’adore que les clients m’apprennent des trucs. Les Thaïlandais savent tout sur les bambous, les Australiens sur les agapanthes. Hier mes visiteurs venaient de Scandinavie, et cette famille de Suédois m’en a dit long sur une petite boîte en bois qui décore la cuisine de Monet. A sa forme caractéristique et à ses peintures polychromes, ils l’ont immédiatement repérée comme de l’artisanat de leur pays.
Au temps de Monet, Suède et Norvège étaient unies. Ces boîtes se trouvaient couramment dans tout le pays. Elles servaient à transporter non seulement du beurre, comme je l’avais lu à propos de celle de Monet, mais aussi toutes sortes de denrées. Il en existait de toutes tailles, j’imagine que Monet en a rapporté une petite en souvenir de son voyage en Norvège. Il avait dû la trouver curieuse. A moins que ce soit un cadeau de la part de Norvégiens.
Aujourd’hui une autre famille de Suédois m’a fait voyager encore davantage. Arrivés à la porte du grand atelier de Monet, ils se sont exclamés devant un bouleau qui pousse là et dont l’écorce blanche se détache magnifiquement sur la tenture sombre du lierre et du prunus à l’arrière-plan.
Ce n’était pas ce contraste visuel qui les étonnait, mais la présence en elle-même d’un bouleau en notre pays de chênes et de charmes.
Le bouleau est typique des hautes latitudes. Il en existe, m’ont-ils dit, de très nombreuses espèces, la plupart avec des feuilles en forme de coeur. Pour leurs yeux de spécialistes, celui de Monet est une espèce moins courante à feuilles étoilées qui en fait un bel arbre d’ornement.
Mes clients suédois m’ont détaillé tout ce qu’on peut fabriquer en bois de bouleau, un beau bois clair qui convient à la fabrication de meubles et de parquets mais pas à la pâte à papier. L’espace d’un instant je me suis envolée dans les scieries de Suède, ça sentait le bois frais découpé, les grandes lames criaient en fendant les grumes.
Je ne verrai plus jamais ce bouleau de la même façon.

La résurrection des cloches

Clocher d'EvreuxLes cloches sonnent à toutes volées ce matin dans la joie de Pâques. A Evreux, pourtant, elles se sont tues longtemps.
Les Ebroïciens qui ont connu la guerre ont gardé des images terribles des bombardements de juin 1940 qui ont détruit une bonne partie du centre ville. L’incendie a suivi les bombes. La cathédrale a fini par être atteinte par le brasier le 11 juin.
La charpente de la flèche s’est embrasée comme un feu de la Saint-Jean. Le plomb qui la recouvrait a fondu. Sombres journées où les gargouilles crachaient du plomb…
La fournaise était telle que les cloches ont fondu elles aussi. Elles se trouvaient dans les deux tours de la façade occidentale.
Les cloches étaient faites en bronze, un métal réquisitionné pour en faire des obus. Mais une partie du bronze fondu a pu être dissimulé à l’occupant en le cachant dans le calorifère de la cathédrale.
La paix revenue, ce métal a servi à fabriquer de nouvelles cloches. Elles sont arrivées de Villedieu les Poëles un beau matin du printemps 1968, une époque où les feux de l’actualité étaient braqués ailleurs. Leur mise en place dans le clocher reconstruit a été un peu laborieuse, car elles étaient trop larges pour entrer dans la tour. Mais elles ont fini par regagner leur place et se sont remises à rythmer la vie des Ebroïciens, près de trente ans plus tard.

Mahonia

MahoniaLe truc mnémotechnique vaut ce qu’il vaut : les mahonias sont en fleur en même temps que les magnolias ces jours-ci.
Mais si à peine ouvertes les grandes fleurs blanches ou roses des magnolias tombent à la moindre goutte ou au moindre souffle, le mahonia résiste.
Rien ne l’abat. Il commence sa floraison au coeur de l’hiver et la poursuit jusqu’à ce que le printemps soit bien installé. C’est dire s’il laisse toutes leurs chances aux abeilles de venir le visiter, elles qui n’ont pas grand chose à se mettre sous la trompe en ce début de saison.
Pour être sûr de son coup, le mahonia multiplie les armes de séduction massive. Il déploie de vrais bouquets de petites fleurettes jaune citron, bien visibles contre le vert de son feuillage. Surtout, il sent très bon, un parfum puissant qui tranche avec les effluves plus suaves des bulbes de printemps.
Et puis, voilà que le mahonia se ravise. Comme une fille trop jolie obligée de tenir à distance d’innombrables prétendants, le mahonia se hérisse de piquants. Ses feuilles rappellent celles du houx, en un peu moins acéré tout de même.
Je crois que par cette armure il espère décourager les mâchoires pleines de dents qui rôdent aux alentours, et qui n’ont pas grand chose à croquer à l’époque où le mahonia se signale si vivement à leur attention.

Calvaire

calvaireA la collégiale de Vernon, un grand calvaire domine la nef. Il fait face aux fidèles sur l’arc triomphal, baigné par la lumière colorée des fenêtres hautes.
L’oeuvre porte la date de 1664. On la doit à Jean Drouilly, un sculpteur d’origine vernonnaise qui a beaucoup travaillé pour le Roi Soleil à Versailles.
Le Christ représenté en homme vigoureux tourne la tête vers Marie, qui exprime son amour et sa douleur en portant la main à son coeur. De l’autre côté se tient comme toujours l’apôtre Jean, le disciple que Jésus aimait, reconnaissable à ses cheveux longs. Les mains jointes, il paraît espérer quelque miracle qui ferait descendre Jésus de la croix. Les regards de Marie et de Jean dessinent un triangle qui les relie à Jésus, alors que leurs corps se détournent de cette scène effroyable.

Cène de sable

La Sainte Cène, sculpture de sable, Christian Avril, GivernyLe sujet est de circonstance aujourd’hui. Deux artistes de Giverny, Christian Avril et Jean-Pierre Porcher ont sculpté une représentation monumentale du dernier repas du Christ et de ses disciples. Les personnages de la Cène, grandeur nature, sont façonnés dans du sable.
C’est tout à fait saisissant de se trouver face à face en taille réelle avec cette scène si souvent représentée sur les tableaux, donc en réduction. La sculpture éphémère se trouve dans la cour du 75 rue Claude Monet à Giverny, elle est visible de la rue, et si l’on a envie de s’approcher l’entrée est libre.
Christian Avril parle avec humour du choix du sujet, un « hommage à une bande de hippies : Jésus et ses potes ». Nul doute qu’il se retrouve un peu dans le caractère atypique que pouvaient avoir les tous premiers chrétiens. C’est une façon de voir les choses pour un artiste qui a Christ dans son prénom !
Chris Avril sculpte le sable depuis des années chaque été sur les plages de la Méditerranée, Jean-Pierre Porcher s’y est mis avec plaisir.
Les deux sculpteurs ont pris quelques libertés avec la Cène de Léonard de Vinci. Judas, le visage fermé, serre ses sous. L’apôtre qui tend le doigt vers le ciel a plutôt l’air de, disons, commettre une incivilité sacrilège.
Et puis, un petit chien est tapi sous la nappe. C’est le propre chien de Chris mort cet hiver, qu’il représentait souvent sur ses tableaux des rues de Giverny.
Il a fallu trente tonnes de sable de la Seine bien compacté pour donner corps à la Cène. Il a fallu aussi un concours de circonstances un peu triste.
Chris Avril avait l’habitude de peindre dans la rue tout près de la maison de Monet, et d’accrocher ses toiles à vendre à une clôture. Il paraît que ça fait désordre, que d’autres peintres pourraient suivre son exemple. Où irait-on si on se retrouvait soudain avec Giverny transformé en place du Tertre ? On en frissonne d’avance.
Toujours est-il que Chris Avril n’a plus le droit de s’installer dans la rue comme il le faisait depuis longtemps. Jean-Pierre Porcher s’en est ému et lui a offert l’hospitalité devant sa maison, transformant sa cour en plage. Parce qu’une question dérangeante le taraude : où va-t-on quand on ne veut plus de vous dans la rue ?

Splendeurs éphémères

Cerisier du JaponLes cerisiers du Japon finissent de fleurir à Giverny, donnant un air japonais au parking du musée.
Il neige des pétales roses qui tourbillonnent avec hésitation dans la brise du matin.
Les voitures stationnées quelques heures sous les branches se couvrent de confettis soyeux qui s’envolent dès qu’elles repartent, glissant le long du pare-brise à la manière de gerbes d’étincelles. Si on a l’imagination camarguaise on pense à un envol de flamants roses.
La floraison des cerisiers ne dure que le temps de s’en émerveiller. A peine a-t-on fait Oh! devant le spectaculaire alignement de dizaines de cerisiers arborant leurs houppettes roses devant le vert de la forêt, que déjà la magie s’en échappe, fane, s’égrène au vent.
Est-ce long, est-ce court, ces quelques jours à l’apogée de la floraison ?
Le processus de défleurissement est aussi lent que celui de l’ouverture des fleurs. A la fois visible d’un jour à l’autre, mais pas assez rapide pour qu’on en prenne conscience en temps réel. Seule la chute des pétales alerte d’une fin prochaine, matérialise le vieillissement à la façon du tic-tac d’une pendule. Bientôt tous les pétales seront tombés, comme un sablier qui se vide.
La beauté du vivant questionne notre rapport au temps, en métaphore de la jeunesse. Mais si l’être humain peut ressentir de l’angoisse à voir filer les années, la nature semble dénuée de toute crainte de cet ordre. C’est comme si les plantes savaient bien qu’il faut que les fleurs fanent pour donner des fruits, et que les feuilles tombent pour laisser naître de nouveaux bourgeons.

Narcisses et tulipes

GivernyCette année les premières tulipes sont arrivées à l’heure à leur rendez-vous avec les narcisses.
En général, les narcisses se précipitent pour fleurir dès les premiers jours un peu tièdes, tandis que les tulipes attendent sagement le mois d’avril.
Mais cet hiver la température est descendue à un niveau inhabituel, jusqu’à -14°. Le gel a persisté jour et nuit pendant trois semaines. Tout ce froid a calmé les ardeurs des jonquilles et des narcisses. Ouh là là ! se sont-ils dit, ça pince ! Attendons un peu.
Lièvres et tortues ont fini par prendre le même départ, et voilà les narcisses et les jonquilles côte à côte avec les tulipes dans les jardins de Monet, en taches blanches, jaunes et rouges qui réveillent le vert des gazons.
Ces belles plantes à bulbes sont plantées par bouquets dans les pelouses du clos normand. C’est le moment de l’année où l’on se rend compte que Monet avait prévu des carrés d’herbe dans son jardin fleuri, comme une respiration entre les massifs, un gazon bien vert sous les arbres fruitiers et à fleurs.
Bientôt les bordures vont devenir si hautes et si éclatantes qu’on ne remarquera plus les carrés de pelouse. Ce sera le moment de les oublier, quand les longues feuilles du narcisse se dessèchent peu à peu, le temps que le bulbe fasse des réserves pour l’année prochaine.

Le débit de l’eau

Le Ru, GivernyDEVOIR DE VACANCES

Soit un bassin d’une superficie de x m2 et de y cm de profondeur. Ce bassin est alimenté par un captage d’eau souterrain d’un débit de z litres par minute.

1/ Calculer le temps caractéristique de renouvellement de l’eau du bassin. On pourra négliger les infiltrations.

Le jardinier plante des nénuphars, qui apprécient la chaleur et les nitrates (on trouvera en annexe un graphe de l’influence de la température et de la concentration en nitrates sur la croissance des nénuphars). Sachant que l’eau souterraine est à une température T0 très inférieure à la température extérieure, et d’une concentration C en nitrates :

2/ Établir si un apport continu de cette eau a une incidence positive ou négative sur le développement des feuilles de nénuphars.
3/ Déterminer la date d’apparition des premières fleurs en conditions normales de température et de pression.

La richesse en nitrates de l’eau souterraine et la clarté de l’eau du bassin entretenue par son renouvellement permanent favorisent la prolifération des algues.

4/ Représenter le graphe du temps nécessaire à l’entretien du bassin en fonction du débit d’eau souterraine. En déduire s’il sera ou non nécessaire d’embaucher un jardinier supplémentaire.

Pour hâter la floraison, le jardinier décide de stopper l’arrivée d’eau froide et de laisser le bassin se réchauffer. La prolifération des algues se poursuit jusqu’à ce que l’eau de l’étang se trouble à la température T1. Puis le manque de lumière stoppe la croissance des algues.

5/ Combien de jours le jardinier peut-il espérer gagner sur l’apparition des premières fleurs ?

6/ Sachant que le jardin est visité par des touristes qui apprécient l’eau claire et les nénuphars en fleurs, démontrer par l’absurde qu’il est impossible de satisfaire la totalité des touristes. Déterminer le débit que le jardinier doit laisser à l’arrivée d’eau pour obtenir une satisfaction optimale des touristes en fonction des données du problème.

Alchimie lumineuse

jardin de monetNon, le pont de Monet n’a pas été repeint en vert jade cet hiver ! Il est toujours du même vert vif un peu dur. Mais dans la lumière rasante du matin, l’objectif le capte de cette teinte claire un peu bleutée.
L’objectif est-il objectif ? Quelquefois il est en dessous des possibilités de l’oeil humain, il écrase les blancs, les ombres, il voit flou. Mais souvent il se montre supérieur à nos capacités visuelles. Surtout, il n’est pas influencé comme nous par la connaissance préalable des choses, qui nous fait voir le pont vert parce que nous savons qu’il est vert.
Le miracle de l’oeil de Monet, c’est, entre autres facultés visuelles hors du commun, de savoir faire abstraction des images mentales préconçues pour faire l’effort de voir vraiment le motif qui s’offre à lui. Et surprise ! Ses ponts japonais sont de cette même teinte douce et bleutée que leur donne les rayons du soleil.

La lumière bleue

lumière matinale sur le bassin de Monet à GivernyLa lumière qui nous baigne nous paraît toujours aller de soi. Il faut un regard extérieur pour nous faire sentir sa qualité propre. C’est pourquoi j’ai été très heureuse d’avoir l’occasion d’échanger avec un photographe brésilien.
Ce que j’aime avec les photographes, c’est qu’ils ne vous regardent pas comme un ovni quand vous leur demandez, comment trouvez-vous la lumière aujourd’hui ? D’où qu’ils viennent sur la planète ils vous répondent très sérieusement, sans éluder d’un « très belle » qui n’engage à rien.
Donc, pour Fernando Grilli, la lumière de Giverny est très bleue, riche en tons de l’extrémité froide du spectre. « Au Brésil, dit-il, la lumière tire vers le jaune et l’orange. Les couleurs sont franches, tranchées. Le vert est vraiment vert, le rouge vraiment rouge. Ici, elle est beaucoup plus riche en nuances, en tons pastels, toute une gamme fantastique de couleurs intermédiaires. »
Il faisait un grand soleil, cette semaine, juste le temps où l’on se dit, en France, que c’est le moment de faire des photos. Pourtant, l’instant que Fernando a préféré, c’est celui où un nuage a voilé le soleil. « Toute une quantité de nuances sont apparues dans les reflets sur l’étang, c’était extraordinaire. »

Epure

givernyQuel émerveillement de retrouver le jardin de Monet à son ouverture hier matin ! Les rêves de son long sommeil hivernal flottaient encore autour du bassin, tandis que le jardin se réveillait doucement sous les baisers du soleil d’avril.
Le printemps commence tout juste à poindre, en petites touffes colorées de jonquilles et de pensées. Mais beaucoup de plantes, prudentes, attendent que l’air et le sol se réchauffent encore avant de risquer le bout de leurs petites feuilles tendres.
Cet entre-deux qui n’est pas encore le printemps triomphant et déjà plus l’hiver donne au jardin de Monet une atmosphère unique pour quelques jours seulement. Avant l’ouverture des bourgeons, avant que la verdure ne l’emporte et envahisse tout, le jardin s’offre comme une épure. Il a la beauté simple et sublime du nu.

Pré-rentrée

L'étang de Monet, début de printemps Un vent nouveau souffle sur les jardins de Monet. Oh ! Pas une tempête à tout révolutionner, ni même des bourrasques ! Juste une brise légère. Mais le changement de direction il y a un an a apporté quelques changements à la vénérable institution.
Cette année, par exemple, les journalistes ont été conviés à une journée de presse à la veille de l’ouverture demain matin. Une première, dans tous les sens du terme.
Dans son discours de bienvenue, Hugues Gall, l’académicien à la tête du musée s’est présenté comme le patron de la PME Fondation Monet, et plus étonnant encore, s’est comporté comme tel, détaillant les ressources de « l’entreprise », son budget : 6 millions d’euros, le nombre de visiteurs : 410 000 en 2008. Une transparence inconnue jusqu’alors. « On est allé jusqu’à 500 000 avant le 11 septembre, ce qui était sans doute trop », commente-t-il.
Si je me souviens bien, on pouvait ressentir à cette époque comme une inquiétude devant la croissance constante du nombre de visiteurs. Jusqu’où saurait-on absorber l’afflux de touristes dans cet espace limité ? Le coup de frein donné au tourisme américain par les attentats sur les tours jumelles a stabilisé la fréquentation à un niveau moins critique. L’ouverture 7 jours sur 7 devrait toutefois la faire repartir à la hausse, mais étalée sur la semaine.
Les habitués de Giverny noteront dès demain d’autres changements spectaculaires ou discrets. Un velum, c’est-à-dire une grande toile servant à filtrer la luminosité du soleil, masque désormais les verrières du grand atelier. Plus imperceptible, l’arrosage automatique a été refait cet hiver pour un apport d’eau optimisé au pied des plantes, moins consommateur que l’arrosage traditionnel, et qui évite la propagation des maladies. L’électrification du jardin va permettre l’utilisation de matériels de jardinage électriques moins bruyants et non polluants.
Quoi encore ? Ah oui ! La Fondation Monet participera à la Nuit des Musées. Qu’on se le dise, l’entrée sera gratuite le 16 mai de 18h à 21h. Ça aussi, à ma connaissance, c’est du jamais vu.

De Corot à Bonnard

De Corot à Bonnard, musée de Vernon 2009 C’était aujourd’hui le vernissage de la nouvelle exposition du musée de Vernon, « De Corot à Bonnard, chefs d’oeuvre des musées de Douai et de Vernon » à voir jusqu’au 28 juin 2009.
J’aime bien les expos du musée de Vernon, toujours intéressantes, qui proposent de belles découvertes. Mais cette fois, le musée fête ses 25 ans, et c’est carrément le calibre au-dessus. Le sous-titre « chefs d’oeuvre » n’est pas usurpé.
L’exposition s’étend sur presque toutes les salles, selon un parcours logique. On suit l’évolution de la peinture du 19ème siècle, des paysages encore empreints de clacissisme de Corot aux coloris raffinés de Cross le pointilliste, en passant par des portraits, des scènes intimistes, des oeuvres naturalistes…
Et quand on se penche sur les signatures, on lit Monet, Pissarro, Vuillard, Bonnard, Corot, Boudin, Jongkind, Le Sidaner, Blanche Hoschedé-Monet, MacMonnies, Valloton, Daubigny, Denis, Courbet… Un incroyable rassemblement de grands peintres dans un petit musée ! C’est un régal pour les yeux, d’autant que les toiles et les sculptures ne sont guère connues par rapport à celles vues et revues des grands musées.
Si vous avez l’occasion de venir à Giverny, faites le crochet par Vernon pour voir cette expo de grande qualité, vous ne serez pas déçu. Elle n’aura sans doute pas la même couverture médiatique que l’expo Monet qui s’ouvrira le 1er mai à Giverny, raison de plus pour y faire un tour !

Les trois pas

Les trois pas, Olivier Gerval, Château de VascoeuilTrois personnages de métal marchent sur la pelouse les uns derrière les autres, un grand, un moyen et un petit. Tête baissée, ils paraissent perdus dans leurs pensées comme les passants des villes, indifférents à ce qui les entoure.
Vous avez l’impression de les avoir déjà vus quelque part ? C’est que vous avez reconnu la patte d’Olivier Gerval, le plasticien qui a aussi réalisé le groupe People installé près du vieux moulin de Vernon.
Les personnages de People sont plus schématiques, sans bras ni jambes. Ceux des Trois Pas paraissent plus humains, habillés, dotés d’yeux et de mains rondes qui pendent au bout de leurs bras dans le balancement de la marche.
Nous sommes ici au château de Vascoeuil, un lieu culturel exceptionnel situé à une heure de route de Giverny, dans le nord de l’Eure.
Les propriétaires du domaine, M. et Mme Papillard, l’ont acquis assez délabré en 1965, dans le but d’en faire leur maison de campagne. Le gouffre des travaux aurait été insondable pour des particuliers. Mais maître Papillard était l’avocat de grands noms de l’art. C’est Vasarely qui a suggéré de faire de Vascoeuil un espace d’expositions culturelles pour que le château se trouve une autonomie.
Une association est née, et les plus grands artistes contemporains se sont succédé au fin fond de cette campagne, entre les vaches et les pommiers, sur les bords du Crevon qui se jette dans l’Andelle qui se jette dans la Seine : Buffet, Braque, Léger, Cocteau, Dali…
Il n’est donc pas très surprenant que le parc se soit enrichi peu à peu de sculptures et de mosaïques, au point de devenir une galerie en plein air d’une cinquantaine d’oeuvres. Gerval est en bonne compagnie à côté des Volti, Szekely, Chemiakin et autres Hedberg.
Jardin de sculptures, expos de renom (Moreno et Nili Pincas ce printemps), château restauré de façon exemplaire, ce ne sont pas les raisons qui manquent pour venir à Vascoeuil. J’y ajouterai le charme d’un coin de Normandie à la douce ruralité, ouvert vers la grande forêt de Lyons. Et, cerise sur le gâteau : le château de Vascoeuil rouvre le week-end prochain avec une fête du chocolat !

Discrétion assurée

Jardin du Musée des Impressionnismes GivernyCe splendide jardin se trouve à Giverny, mais pas chez Monet : à 200 mètres de la maison du peintre, le jardin du musée des Impressionnismes Giverny fait claquer les couleurs, en hommage au talent des peintres exposés sur ses cimaises.
En France beaucoup de musées sont installés dans des bâtiments anciens reconvertis. L’idée avait été caressée à Giverny, un musée dans la maison du Hameau qui avait vu passer plusieurs membres de la colonie de peintres américains. Mais les locaux se sont révélés trop exigus et inadaptés. L’option de construire a donc été privilégiée par Daniel Terra, le fondateur du Musée d’Art Américain.
La difficulté était de répondre à toutes les contraintes de la muséographie moderne sans abîmer le paysage protégé de Giverny. Comment intégrer du béton dans ces vertes collines ?
Philippe Robert, l’architecte en charge du projet, a fantastiquement relevé le défi. Bâtiments bas, partiellement enterrés, toitures végétalisées, verrières… Rien de massif, d’opaque, d’imposant.
Le paysagiste Mark Rudkin y a mis du sien lui aussi : il a structuré le jardin avec de hautes haies de hêtres ou de thuyas. Vous voyez sur la photo ? Au printemps le mur se distingue encore un peu par transparence, mais bien vite on ne voit plus rien du tout. Le musée disparaît derrière la végétation.

L’intégration au paysage est tellement réussie que c’est presque embêtant. Il faut savoir qu’il y a un musée ici pour le découvrir.
Cela me rappelle une anecdote que m’a racontée Philippe Robert.
– Je suis allée à Giverny, mais je n’ai pas trouvé le musée ! lui avoue une amie.
– C’est le plus grand compliment qu’on puisse me faire. C’est la preuve que j’ai réussi à ce que le musée se fonde dans le paysage !

Réponse courtoise, sans doute, mais pas trace de dépit dans sa voix. Quand on a beaucoup de talent, on peut se permettre d’accepter l’effacement.

Le chant des fleurs

Glycine sur le pont de MonetLa glycine centenaire qui couvre le pont japonais de Claude Monet a fabriqué avec le temps des lianes grosses comme des bras. Elles ont une façon dramatique de ramper et de se tordre autour de la rambarde : ne dirait-on pas un geste de supplique ? C’est Roméo au pied du balcon de Juliette !
Il y a du lyrisme dans les plantes, et singulièrement à Giverny. La partition a été écrite par Monet, les jardiniers l’interprètent avec justesse et sensibilité. Ils s’effacent derrière les divas, les fleurs spectaculaires et solitaires comme les nymphéas qui avancent sur la scène en solistes, drapés dans leur costume somptueux.
Les autres fleurs chantent dans les choeurs. Chacune a son timbre, sa hauteur, qui se fond dans l’harmonie générale.
Et, pour animer ce chant des fleurs, une multitude de valses tourbillonnantes s’offre à qui sait les voir, remous du ruisseau, vol des abeilles et des papillons, feuilles sèches mourant avec grâce dans un dernier vol théâtral…
On comprend que les académiciens aient choisi parmi eux le directeur des Opéras de Paris pour lui confier la direction de cet orchestre de pétales.

La lumière de Giverny

La Seine à Vernon, effet du matinLa lumière de Giverny est-elle différente d’ailleurs ?
Un peu comme un microclimat, il semble bien que oui. On y retrouve les tendances du climat régional agrémentées de quelques petites particularités.
Pour les grandes lignes, on constate une forte variabilité du temps dans cette zone frontalière entre la Normandie et l’Ile de France. Elle se traduit par des changements très fréquents de luminosité, où le soleil joue à cache-cache avec des nuages plus ou moins épais et nombreux.
Les entrées marines venues de la Manche se conjuguent avec l’humidité de la vallée de la Seine. Le fleuve exhale selon l’heure et la température des vapeurs, des brumes, des brouillards qui font un écran devant le soleil, tout en diffusant subtilement son éclat.
Comme l’a bien rendu Monet dans ses Matinées sur la Seine, il flotte aux premières heures de la journée une lumière gris-bleu, rosée, argentée. Puis, quand le soleil est moins rasant, que la brume se dissipe, les couleurs deviennent plus franches.
Le fleuve fait rebondir la lumière dans la vallée. Giverny bénéficie de cet effet dans le lointain, et surtout d’une exposition plein sud qui lui fait profiter de chaque rayon. Pendant la journée le soleil fait le tour du jardin de Monet, l’éclairage vient de la gauche le matin, de la droite le soir. Ce n’est pas pour rien qu’on cultivait de la vigne ici autrefois.

La mode de 1610

Mausolée de Marie Maignart, collégiale de Vernon Marie Maignart avait toutes les vertus. Ce sont toujours les meilleures qui partent, si bien que la belle jeune femme s’est éteinte beaucoup trop tôt, à 23 ans, laissant un mari désespéré et inconsolable.
Je les plains, tous les deux, elle d’avoir succombé à la maladie dans la fleur de sa jeunesse, lui de s’être retrouvé tout seul si vite après la lune de miel. Dans sa grande douleur, ce gentil mari a eu envie de perpétuer le souvenir de sa douce en lui dressant un mausolée. Le monument aura 400 ans l’année prochaine. Il se trouve dans une chapelle nord de la collégiale de Vernon.
On peut, en le contemplant, s’abîmer dans de sombres pensées sur la brièveté de la vie, comme y invite une épitaphe désolée. Mais permettez-moi de prolonger un peu la Journée de la Femme et d’être beaucoup plus frivole : je préfère m’émerveiller de la mode de 1610.
C’est l’année de la mort d’Henri IV, la période charnière de la toute fin de la Renaissance et du début des Temps Modernes. La belle Marie est vêtue comme une dame noble de cette époque, un temps reculé où les femmes n’avaient pas encore de Journée. Loin de rêver à cette victoire de la civilisation, la malheureuse Marie se trimballe un costume fort seyant et non moins malcommode.
C’était toute une histoire de s’habiller en ce temps-là. Songez-y demain matin quand vous aurez réglé l’affaire en deux minutes chrono et que vous vous sentirez d’attaque pour une journée active dans vos vêtements confortables. Si vous viviez à l’époque de Marie Maignart, mesdames, il vous faudrait enfiler moultes couches, les plus redoutables étant le corselet et le vertugadin.
Le corselet, cela sonne gentil avec son double diminutif. Totale hypocrisie ! On serrait cet ancêtre du corset à s’en étouffer, à s’en rentrer les baleines dans le corps.
Toute une journée sans respirer, avec le ventre dans un étau : pas étonnant que Marie n’ait pas résisté.
Si la taille devait être fine, la jupe au contraire devait être renflée. Le vertugadin était au départ un bourrelet porté sur les hanches pour faire bouffer la robe, (artificiel, le bourrelet, en toile remplie de crin, faut-il le préciser !). D’exagération en exagération on en est arrivé au paroxysme du vertugadin « en roue de charrette ». Marie Maignart n’a pas eu de chance, elle était contemporaine de cette mode qui compliquait sérieusement la station assise des dames.
En poésie, la beauté naît de la contrainte. En mode aussi semble-t-il. Car la belle Marie a su merveilleusement tirer parti des diktats de son temps pour qu’en découlent des prodiges d’élégance.
Merveille des manches à crevés, de la fraise à la Médicis encadrant le visage, de la dentelle qui la prolonge, des rangs de perles en sautoir… La coiffure à bandeaux très sophistiquée dégage les oreilles d’où pendent de longues perles. On croit entendre bruire l’étoffe de la jupe froncée.
Les nobles dames d’antan avaient l’art de mettre en scène leur personne, dussent-elles y passer la moitié de leur Journée.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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