L’allée aux roses
Giverny est, encore aujourd’hui, une source d’inspiration infinie pour les artistes.
Voici quelle interprétation le peintre Jean-Jacques Chaignaud propose de la Grande Allée au mois de mai, lorsque les arceaux se couvrent de roses épanouies, et que les bordures explosent de couleurs.
J’aime la touche veloutée de ce tableau qui correspond à la douceur du tableau naturel créé par Monet dans son jardin, et l’écran sombre et mystérieux des arbres de l’arrière-plan sur lequel les fleurs pimpantes de l’allée se détachent. Jean-Jacques Chaignaud s’est inspiré d’une photo de l’allée aux roses de Monet publiée ici : je suis heureuse d’avoir un tout petit peu contribué à la création de sa toile.
T’as d’bons yeux tu sais !
Il y a peu de chances de découvrir spontanément cette fleur si personne ne vous l’a montrée : elle est aussi minuscule qu’inattendue. Et bizarre avec ça ! Un pied velu, et des bras rouge vif qui émergent d’un tout petit bourgeon pour s’ouvrir en éventail à la façon d’une anémone de mer.
Si vous agrandissez la photo, vous reconnaîtrez sans doute de quelle plante il s’agit grâce aux chatons voisins, si caractéristiques du noisetier.
Les écureuils font provision de noisettes pour passer l’hiver, c’est bien connu. Mais le noisetier pourrait en remontrer à l’écureuil en matière de prévoyance. Il a toujours plusieurs saisons d’avance, un peu comme ma grand-mère qui préparait ses cadeaux de Noël dès le mois d’août.
Chez le noisetier, il n’est jamais trop tôt pour bien faire. Dès l’automne, la floraison de l’année suivante est en place.
Les fleurs s’ouvrent en janvier-février, alors que tout n’est que frimas aux alentours. Vous iriez déjeuner sur la terrasse, vous ? Et passer la nuit à la belle étoile ? Il faudrait avoir un grain pour cela, mais le noisetier n’est pas fou. Avec son caractère, évidemment il a tout prévu.
La petite fleur rouge n’a que le bout du nez qui dépasse. Le strict minimum. Tout le reste est bien caché sous la doudoune.
Les parties rouges sont des stigmates, c’est-à-dire l’extrémité du pistil. Grâce à eux la fleur femelle va attraper le pollen de noisetier qui passe. D’où il sort, celui-là ? Des grands chatons qui, leur heure venue, s’ouvrent et laissent le vent les secouer comme un chiffon à poussière.
Le noisetier n’est pas avare en pollen, au point d’en jaunir les alentours. Prévoyant comme il est, il ne faudrait pas qu’on en manque. Un peu comme ma grand-mère qui cuisinait toujours pour douze quand on n’était que quatre.
Tout irait donc pour le mieux. Seulement, le noisetier a aussi l’art de se compliquer l’existence. Par exemple, il a horreur des mariages consanguins. Comment faire pour éviter de s’autopolléniser ?
Le noisetier a trouvé la solution. Les fleurs mâles, les chatons, s’épanouissent avant les femelles. Quand les petits boutons rouges s’ouvrent, cela fait longtemps que les chatons se sont secoués et resecoués et qu’ils n’ont plus rien à offrir à personne.
Bigre ! Et comment vont faire les petites fleurs rouges pour réaliser leur voeu le plus cher, se transformer en noisettes ? Là, il faut qu’elles aient un peu de chance, qu’il y ait dans les environs un noisetier en retard et dont les fleurs mâles puissent les féconder.
Même quand on est très prévoyant, il faut quand même laisser un peu de place au hasard.
Eglise de la Reconstruction
Eglise Saint-Julien, Caen
Je dois l’avouer, j’étais comme tout le monde, a priori je n’aimais pas le béton. Je trouvais cela raide, gris et froid. Mais si je parle de cette aversion au passé, c’est que depuis, pas à pas, j’ai découvert le patrimoine normand de la Reconstruction. Et je me prends à aimer le béton, à y voir de la rigueur plutôt que de la raideur. C’est un matériau d’une grande variété.
La Reconstruction, quelle période fascinante sur le plan architectural ! Elle dure une vingtaine d’années à partir de 1947 environ, vingt ans d’activité intense pour rebâtir tout ce qui a été bombardé ou dynamité, grâce au plan Marshall.
Quand les dommages ne sont pas trop importants, on restaure à l’identique, sinon on reconstruit. Et pas question alors de faire des bâtiments à l’ancienne.
Les idées les plus variées, les plus créatives, les plus innovantes jaillissent des planches à dessin. Les architectes se surmènent et se surpassent. Les destructions leur offrent l’occasion de plancher sur des projets d’envergure, comme la construction de nouvelles églises.
Le recensement des églises de la Reconstruction est en cours, il y en aurait environ 500 en Normandie. Et autant de partis différents, de recherches sur ce que peut être une église. Certaines donnent dans le régionalisme, au moins à l’extérieur, avec des formes traditionnelles et des toits d’ardoise. Les paroissiens n’y perdent pas leur latin. D’autres se veulent résolument modernes.
C’est le cas de la merveilleuse église Saint-Julien de Caen.
L’architecte qui en est chargé n’est pas n’importe qui. Henry Bernard, premier Grand Prix de Rome, a signé par la suite des réalisations aussi prestigieuses que la maison de la Radio à Paris ou le Palais de l’Europe à Strasbourg. A Caen, il a pour mission après-guerre de faire les plans de l’Université et du quartier qui l’entoure. L’église Saint-Julien y figure. Elle sera moderne, à l’image de cette population jeune qui va la fréquenter.
Henry Bernard invente un édifice religieux inédit, en forme de mandorle ! Un symbole fort : l’église elle-même est désignée comme le moyen de passer du monde terrestre au monde spirituel. Sa seconde idée de génie, c’est d’insérer dans les parois des milliers de pavés de verre coloré, qui font de l’espace intérieur un lieu saisissant de beauté.
Bassin
Surprise à la vitrine d’une des nombreuses galeries d’art de Honfleur, un grand tableau d’un étang familier…
Quel est le rapport entre Honfleur et Giverny ? Tous les deux ont un bassin, et tous les deux ont été peints par Monet !
Boîte à oeufs
Ma collègue Patricia a un bien joli coup de pinceau. Cet hiver, elle s’est laissé inspirer par les merveilles dont la maison de Monet regorge pour en faire des aquarelles.
Pas besoin de vous dire à quoi sert cette boîte accrochée au mur de la petite pièce qui fait office d’épicerie. Comme un fromage bien connu, c’est écrit dessus. Mais il m’arrive de me trouver là avec des visiteurs très jeunes, ou beaucoup moins fort en français que vous, pour qui l’inscription garde tout son mystère. Et ils ne manquent pas d’imagination pour inventer des usages à cette intrigante petite boîte, qui pourrait selon eux servir à mettre les clés, les épices, les lettres…
Un coup d’oeil sur le côté aide à trouver la réponse. A travers le lattis prévu pour l’aération, on aperçoit des plaquettes de bois percées de trous ronds.
On pouvait ranger 36 oeufs dans cette boîte. Cela paraît beaucoup, mais c’était loin d’être suffisant pour une famille comme celle de Monet, qui comptait 10 personnes et du personnel. Dans la même pièce, une deuxième étagère à oeufs en contenait jusqu’à 80. Soit un total de 116 oeufs !
Cette profusion s’explique par la présence d’un poulailler dans le jardin, et aussi parce qu’on mangeait beaucoup plus d’oeufs au 19ème siècle qu’aujourd’hui.
C’était un vrai trésor… Vous avez vu cette belle serrure ? Les oeufs étaient gardés sous clé, comme le reste de la nourriture. Je ne peux pas affirmer que c’était le cas chez Monet, mais le meuble est prévu pour. Les romanciers contemporains décrivent ces maîtresses de maison aux énormes trousseaux de clés, qui ouvrent et ferment les armoires et les garde-manger au gré des besoins. Marque de pouvoir, marque de richesse… La nourriture était comparativement beaucoup plus chère alors, et les bourgeois qui n’auraient su se passer de leurs domestiques craignaient pourtant de se faire voler.
Collé serré
On va voir si vous avez l’oeil : combien y a-t-il de tulipes sur cette photo ? Non non, ne comptez pas, c’est triché ! Peut-être que ce sera plus facile en imaginant des personnes. Disons, par exemple : combien y a-t-il de belles plantes dans cette discothèque ? C’est vrai, quand elles sont collées serrées comme ça, c’est difficile à dire, à moins d’avoir un gros entraînement en tant que DJ ou que syndicaliste.
Les journalistes aussi sont amenés à évaluer des rassemblements paisibles ou virulents, et par amour de la vérité il vaut mieux tomber un peu juste. C’est un des aspects approximatifs de mon ancien métier qui ne me mettait pas trop à l’aise. Si donc vous envisagez d’embrasser cette carrière, astreignez-vous à vous entraîner, vous l’étreindrez mieux !
Mais revenons à nos moutons. Je voulais juste vous faire remarquer à quel point les jardiniers plantent serré à Giverny, pour un bel effet de masse colorée, de teintes denses où dansent les têtes des tulipes, hors d’atteinte des sombres pensées.
La femme papillon
Suzuki Harunobu, Beauté sautant dans le vide depuis le balcon du temple Kiyomizu, 1765
L’exposition d’estampes japonaises de la Bibliothèque Nationale de France se termine dimanche, mais son magnifique site internet permet une belle séance de rattrapage. Je ne sais pas vous, mais j’ai eu un coup de coeur pour cette estampe-ci, et pour l’oeuvre d’Harunobu en général.
Cet artiste japonais vivait au 18ème siècle. Il porte un regard tendre sur les femmes qu’il peint graciles, gracieuses, légères. La quintessence de la femme vue par Harunobu, c’est cette estampe où la jeune fille paraît voler au-dessus de l’arbre en fleurs.
Gisèle Lambert, la commissaire de l’exposition, donne cette explication :
Semblable à un oiseau ou plus encore à un papillon, la jeune fille suspendue à son ombrelle vient de sauter dans le vide, du haut de la terrasse du temple Kiyomizu. Si les dieux sont favorables à ses amours, elle arrivera sans mal, comme il se doit, sur le cerisier, au fond du vallon. Selon la légende, le souhait formulé pouvait aussi concerner une guérison.
Vous imaginez ? Vous êtes amoureuse, pour savoir si ça vaut le coup de continuer avec ce garçon il faut que vous alliez sauter à l’élastique avec le risque de vous écraser au fond. Charmant !
Ce qu’il y a de bien avec Harunobu, c’est qu’on n’est pas vraiment inquiet. Elle est tellement mignonne, rien ne peut lui arriver, n’est-ce pas ? Aidée de son parapluie et de son kimono, elle va se poser comme une fleur. D’ailleurs, regardez, elle n’a pas peur.
Est-ce la confiance ou l’inconscience qui la pousse et la soutient ? Elle est l’image même des choix que nous demande la vie. A chaque fois que nous nous engageons pour une orientation professionnelle ou avec un partenaire, nous ne cessons de nous lancer dans le vide, accrochés à des ombrelles dérisoires. Le métier et le conjoint vont prendre une importance extrême. Pourtant même lorsque nous croyons les connaître nous savons si peu d’eux et de nous-mêmes.
Que faire alors ? Sans hésitation, il faut sauter ! On verra bien comment on atterrira. En cette veille de Saint-Valentin, je vous souhaite de toucher terre en douceur sur un lit de mousse. A vos amours !
du MAAG au MIG
Un coin du voile qui entoure encore le Musée des Impressionnismes Giverny vient de se lever à l’occasion d’une première conférence de presse. L’exposition inaugurale de la nouvelle structure qui remplace le musée d’Art Américain Giverny « sera entièrement consacrée au jardin de Giverny », bonne nouvelle !
Elle s’intitule « Le jardin de Monet à Giverny : Linvention d’un paysage », et aura lieu du 1er mai au 15 août.
L’expo devrait au final comporter « une vingtaine doeuvres peintes, une trentaine de photographies et autant de documents. » Le nombre des Monet est donc revu à la baisse, d’autant que d’autres artistes pourraient entrer dans la thématique du jardin de Monet, par exemple sa belle-fille Blanche Hoschedé ou encore l’ami de celle-ci John Leslie Breck. Orsay prêterait quatre oeuvres, vraisemblablement les quatre dans ses collections qui représentent le jardin de l’artiste : le grand Nymphéas bleus, le Pont japonais, l’allée aux iris, et un saule. D’où viendront les autres ? Pour l’instant rien n’est encore confirmé.
Lexposition sera divisée en trois parties :
Linvention dun paysage (1883?1904)
Monet peintre du XXe siècle (1899?1926)
Lélaboration dune image (1905?1926)
Les photos d’époque prises par les amis de Monet, Guitry, Clémentel et d’autres, seront très intéressantes à comparer avec les tableaux et avec le jardin actuel. On pourra mesurer ressemblances et différences. Car depuis le temps de Monet, son jardin a été « réinventé » par et pour le public d’aujourd’hui.
Sur le plan pratique, le musée appliquera son tarif habituel, soit un modique 5,50 euros le billet, rien à voir avec certains prix d’expos qui font faire gloups. Il sera ouvert de 10h à 18h tous les jours (y compris les lundis) du 1er mai au 13 juillet inclus, ensuite le MIG sera fermé le lundi.
Victimes de la mode
Le détail ne vous aura pas échappé, surtout si vous aimez écouter de la musique ailleurs que dans votre salon : après les oreillettes ultra-discrètes, voici revenu le temps des écouteurs balèzes, les gros casques noirs qui ne passent pas inaperçus. Les mélomanes trouvent leur son meilleur.
Malgré leur esthétique discutable ces écouteurs ont un avantage par les temps qui courent, ils tiennent chaud aux oreilles, bien plaqués dessus avec leurs petites fronces.
J’étais quand même étonnée de constater que cette mode a fait des émules là où l’on s’y attendrait le moins : chez les statues.
Bon, pas n’importe quelles statues. Le port du casque n’est pas obligatoire pour elles, loin s’en faut. Ce sont des statues de la dernière génération, un groupe assez futuriste placé dans le square au bout du pont de Vernon.
Avec leurs têtes penchées, les personnages de People d’Olivier Gerval donnaient toujours l’impression d’être en train d’écouter quelque chose. Les voici démasqués, la vérité éclate au grand jour : c’est bel et bien ce qu’ils font, ils ont le casque sur les oreilles.
Comme la pluie révélant la silhouette de l’homme invisible, la neige matérialise la chose. Et bien sûr, on les comprend, ça doit aider à passer le temps quand on est une statue.
On ne saura pas sur quel programme interstellaire ils sont branchés. Mais visiblement il n’est pas convenable pour les enfants, le plus petit n’y a pas droit.
Pour l’exemple
Vous voyez ce que je veux dire ?
Mort-bois
Le vent n’a pas eu en Normandie la violence dont il a fait preuve dans le sud-ouest. Ici il a fait tomber quelques branches, mais il a épargné les vieux arbres.
Dans les jardins, quand l’herbe se mettra à pousser ce bois mort sera un piège pour la tondeuse, il faut donc le ramasser. Si on a la fibre écolo, on l’entasse dans un coin où il ne gêne pas pour offrir le gîte et le couvert à de minuscules organismes en début de chaîne alimentaire. On peut aussi en faire des oeuvres d’art ou lui donner une deuxième vie comme radeau.
Tout ce bois mort qui jonche le sol, cela aurait été une aubaine autrefois, quand on allait ramasser en forêt de quoi se chauffer. La coutume normande autorisait les riverains à se servir gracieusement et sans autorisation préalable, mais seulement en bois mort. Le bois vif, celui qui porte des feuilles et des fruits, était réglementé.
Et puis, morbleu ! il ne fallait pas confondre le bois mort et le mort-bois. Cela sonne comme bonnet blanc et blanc bonnet, mais pas du tout.
Le mort-bois est du bois bien vivant, comme son nom ne l’indique pas. Le mot est une corruption de « mauvais bois ». Selon la charte aux Normands, il désignait le bois de faible valeur car ne portant pas de fruit, à savoir le saule, les épines, les genêts, etc. Selon les coutumes locales les riverains avaient ou non le droit de s’en servir pour « clore leur héritage » ou pour d’autres usages.Il ne faisait pas bon enfreindre ces règles. Les tribunaux avaient à connaître un très grand nombre de conflits liés à l’usage de la forêt. Et les amendes pleuvaient. On imagine la manne financière, bien avant l’invention du radar automatique.
Aujourd’hui si on passait un examen de ramassage de bois, je crois qu’il y aurait pas mal de recalés. Ce qui n’a aucune importance puisque la règle est devenue super simple : même le bois mort, on n’a pas le droit de le prendre. Il est indispensable à l’équilibre de la forêt de Normandie et d’Ile de France, qui, nous dit-on, en manque beaucoup.
Des figures dans le paysage
Vous avez vu les deux chéris qui se tiennent par la taille sur le pont de Monet ? J’étais toute attendrie en les découvrant sur la photo. Je ne les avais pas remarqués sur place, et voici qu’ils illuminent de leur bonheur cette vue du jardin de Giverny.
Ils ne sont pas tout jeunes, les amoureux. Mais ils ont gardé cette façon tendre de se serrer l’un contre l’autre pour l’objectif. On peut en être sûr, il y a quelqu’un en train de les photographier de l’autre côté du pont, dans la pleine lumière de l’après-midi et non pas comme moi à contre-jour.
Quelque part sur la planète dans un ordi ou un album figure en bonne place la photo souvenir où ils doivent être si mignons, souriant sous les glycines. S’il fait gris en cette saison chez eux, peut-être qu’ils rêvent devant les photos à cette bulle enchantée qu’a été leur visite de Giverny.
Et c’est pour l’évocation de cette parenthèse de pur bonheur que je chéris cette photo, à mon goût beaucoup plus émouvante qu’une vue du pont tout vide.
Pas contrariante
Il fut un temps où il fallait coucher les bébés sur le ventre, vous vous rappelez ? Sinon, scandale, on était de mauvais parents et on risquait de les tuer de mort subite. Puis est venue une époque où on a suggéré que sur le côté, c’était pas mal. Voilà maintenant qu’il faut les mettre sur le dos, c’est plus sûr.
Tout ça pour dire qu’il n’y a pas qu’en histoire que les temps changent.
Heureusement que je ne suis pas prof d’histoire, j’aurais mauvaise conscience. Bien que j’essaie de faire mon métier de guide avec sérieux, cela me rassure de savoir que l’attente du public est surtout récréative. Ce qui m’excuse je l’espère d’avoir à mon insu, sans le faire exprès, et avec la meilleure bonne foi du monde, dit n’importe quoi.
Je plaide coupable, mais pour ma défense je dois dire que je n’étais pas la seule dans ce cas et que ce n’est pas de notre faute.
Donc, voilà : aux dernières des dernières nouvelles l’objet archéologique qui trône au milieu du cloître de la cathédrale d’Evreux n’est pas une cuve à foulon, comme je me suis plu à le répéter. Taratata. C’est, c’est… une cuve baptismale, oui oui, comme tout un chacun l’imagine spontanément. Fermez le ban.
Apprendre ceci m’a fort contrariée, je l’avoue. Je veux bien ne pas être contrariante et relayer l’état de la science, avec toutes ses contradictions successives, j’ai des regrets. C’était sympa, une cuve à foulon. Il y avait de quoi accrocher l’attention. Tandis que des fonts baptismaux, pfff… Tout le monde en a déjà vu des tas et des plus beaux. Blasés.
Peut-être pas d’aussi anciens quand même. D’après la couche du sous-sol où il se trouvait, ce baptistère (car la cuve était incluse dans des éléments de maçonnerie, la construction mérite donc l’appellation de baptistère paléochrétien) daterait du 4ème siècle environ. Il pourrait même être encore plus vieux, style fontaine gallo-romaine reconvertie en cuve baptismale. Quoi qu’il en soit, cela en fait un baptistère des tous premiers temps de la chrétienté, et c’est tout de même très émouvant à imaginer.
Un des plus vieux baptistères qui soient en Normandie, oui. Mais si par hasard il avait été réemployé ultérieurement en cuve à foulon ? Mmmm ?
J’émets l’hypothèse, parce que le document qui affirme que la cuve est un baptistère ne m’a pas entièrement convaincue. Sans vouloir remettre en cause l’autorité de son auteur, je n’ai pas très bien compris sur quoi il s’appuyait pour battre en brèche l’interprétation précédente. On a l’impression qu’il s’agit de son intime conviction, sans plus.
Vous savez quoi ? J’attends la suite de ce trépidant feuilleton. Au moins aussi haletant qu’au Mont Saint-Michel, l’âge du crâne de Saint-Aubert.
Expo Venise
A l’occasion du centenaire du voyage de Claude Monet à Venise, la Fondation Beyeler a réuni seize des toiles vénitiennes du maître de l’impressionnisme pour une exposition évènement (jusqu’au 25 janvier).
La Fondation Beyeler, c’est l’un des grands musées de Bâle, la ville suisse limitrophe de la France et l’Allemagne à l’intense vie culturelle.
L’exposition Venedig (Venise en allemand) ne se borne pas à l’oeuvre de Monet. Elle brosse à travers 150 oeuvres majeures un large panorama de la façon dont les peintres ont rendu la cité des doges au cours de deux siècles d’histoire de l’art.
Chacun des artistes offre sa propre vision de la ville sur la lagune, des vues minutieuses et détaillées de Canaletto ou Guardi aux nuages de brume dorée d’un Turner, des bleus de Renoir aux violets de Monet, des contrastes de Manet aux tonalités exquises de Signac.
Et c’est peut-être cela qui, sans être propre à Venise, frappe à nouveau comme une évidence, toutes ces façons différentes d’appréhender la même réalité, en mettant le focus tantôt sur l’homme, le monument ou les éléments naturels, cette variété infinie de l’art, aussi multiple que la nature humaine.
Je remercie sincèrement les lecteurs alsaciens qui m’ont encouragée à aller voir cette exposition. C’était merveilleux comme toujours de voir en vrai les Monet connus à travers les reproductions, à chaque fois on s’étonne de ce qu’ils sont tellement plus beaux que leur image. Et c’était fantastique de découvrir les oeuvres vénitiennes de Sargent et de Whistler si différentes des portraits vus à Giverny.
Cénotaphe
Qu’est-ce que c’est que ce truc au milieu des bois ? Dans la forêt de Bizy à Vernon, des centaines de promeneurs se posent chaque année la question. Le monument ressemble à un autel pour dire la messe. Mais un examen attentif révèle une inscription sur le côté : tombeau de Saint Mauxe. Au-dessous on aperçoit gravée dans la pierre la forme allongée d’un évêque reconnaissable à sa crosse et à sa mitre.
En fait, qu’on se rassure, le tombeau est vide. Les reliques de saints étaient bien trop précieuses pour qu’on les abandonnât enfouies dans la forêt.
L’autel est un cénotaphe, c’est-à-dire un monument commémoratif en forme de tombeau. Il a été élevé là en 1816 en signe de piété par la duchesse d’Orléans, première princesse de sang douairière, dans la forêt qui appartenait alors à son château de Bizy. On y célèbre parfois des messes en plein air.
Le cénotaphe remplace une chapelle plus ancienne, sans doute ruinée à la Révolution. Elle marquait l’emplacement où eut lieu un des nombreux miracles de Saint Mauxe. Celui-ci concerne directement ses reliques. Au Moyen-âge,
on avoit enchassé dans de l’argent l’os du bras de ce sainct Evesque, lors que l’impiété qui ne pardonne pas aux choses plus sacrees se glissa dans l’esprit de certains sacrileges mauvais garnements abandonnez de Dieu, lesquels desroberent ce precieux joyau qui estoit gardé assez negligemment.
Les voleurs prennent le chemin de la forêt où, « au pied d’un chesne », à l’aide d’un couteau, ils séparent l’argent de la relique. C’est alors que l’os vénérable
miraculeusement eslevé au sommet de cet arbre les toucha de frayeur, & sentans desja sur leur teste l’espee de la vengeance qui les menaçoit, ils s’enfuirent promptement à Ivry.
La relique est perdue jusqu’au jour où un brave homme venu ramasser du bois l’aperçoit dans l’arbre. On ordonne une procession générale, et
quelques-uns des assistans montans au chesne s’efforcerent de prendre la saincte Relique : ce qu’ils ne peurent jamais faire, car elle refuioit d’eux, allant de branche en branche de l’arbre où elle estoit.
On célèbre alors une messe en dessous du fameux chêne, et au moment où le prêtre parvient à l’offertoire les reliques « devallerent miraculeusement entre ses mains ». Une fois remises en lieu sûr, on bâtit une chapelle dans le champ où la messe avait été dite, chapelle qui devint un lieu de pèlerinage annuel. Quant aux voleurs, bientôt confondus grâce à une pièce à conviction, le couteau, « ils receurent une mort sortable à l’atrocité de leur forfaict » nous dit benoîtement l’abbé Théroude. Brrr ! On n’ose imaginer l’atrocité du châtiment.
(Citations : Les Cahiers Vernonnais N°26, Vie de Saint Mauxe par l’abbé Théroude.)
Miracles à profusion
Ci-contre, cénotaphe de Saint Mauxe en forêt de Bizy à Vernon
On a beaucoup vénéré Saint Mauxe – alias Saint Maxime – à Vernon. Depuis le 10ème siècle le trésor de la collégiale Notre-Dame renfermait des reliques de l’évêque qui vécut en Provence au 5ème siècle.
Un bon millénaire plus tard, en 1635, le curé de Vernon a jugé utile de rédiger un petit livre sur la vie de ce saint et ses nombreux miracles.
Je ne sais pas si vous croyez aux miracles. Pour l’abbé Théroude les sources antérieures sur lesquelles il s’appuie pour son récit sont paroles d’évangile. Les résurrections et les guérisons miraculeuses foisonnent, ce qui ne surprend guère : on s’attend à la fin merveilleuse, hagiographie oblige.
Ce qui arrête davantage l’attention, en revanche, c’est l’incroyable collection de faits divers qui se trouvent évoqués par ricochet, puisqu’il faut bien qu’un malheur se produise d’abord pour que le saint puisse intervenir. Des morts accidentelles et des blessures comme on n’en fait plus, racontées dans la belle langue imagée du 17ème siècle : on plonge dans le quotidien de nos ancêtres.
Dans la ville de Vernon un petit enfant aagé d’environ d’un an, avoit mis dedans sa bouche une balle de plomb qui luy estoit demeuree dans le gosier à cause de la petitesse des conduits, ce qui luy empeschoit la liberté de la respiration, tellement qu’il ne pouvoit plus vivre : une couleur tristement plombee luy couvroit tout le visage. (…)
Un autre enfant (…) celuy-cy plus aagé que l’autre, se jouant sur une muraille, fut accablé de la ruine & cheute d’icelle. Les voisins au bruit de cet accident accoururent pour le garantir de ce malheur, mais voyans que la mort triomphoit de sa vie, & que les remèdes humains leurs manquoient, ils jetterent leur souvenir & esperance sur sainct Maxe avec un heureux succez. (…)
Dans le territoire de Vernon, un manoeuvre entretenoit sa petite famille de son travail journalier. Un certain jour comme il transportoit des plastrats & ordures d’un vieil bastiment, une muraille tomba sur luy. (…)
La roüe d’une charette traisnee par des chevaux fascheux avoit fort blessé un pauvre homme (…).
Un jour de Dimanche, lors que tout le peuple de Vernon estoit dans les exercices de la piété pour honorer Dieu & le servir comme il est ordonné, un certain homme de bas lieu nommé Barthelemy, blutoit de la farine par mespris & par avarice (…) : ayant esté rudement frappé par deux fois, sans sçavoir par qui, il espandit une telle quantité de sang par le nez, qu’il ne fut pas possible aux voisins, qui estoient accourus à son secours, d’arrester ce flux.(…)
(Les Cahiers Vernonnais N°26, Vie de Saint Mauxe par l’abbé Théroude.)
Pour tous ces cas, l’invocation de Saint Mauxe a fait merveille. Mais il ne faudrait pas en conclure qu’on peut déranger le saint pour un oui ou pour un non. Le plus sage est de vous garder des balles égarées, de ne pas vous jouer sur des murailles ni vous approcher d’un vieil bastiment. Ne blutez pas de farine en douce à l’heure de la messe. Et surtout, surtout, évitez les chevaux fascheux.
Banc sans public
Les bancs publics s’ennuient depuis que le public les fuit. C’est l’époque de l’année où ils ont le moral en berne. Ils doutent de leur utilité. Leur métier a-t-il un sens ? Ils réfléchissent à une reconversion en banc de gare, une délocalisation sur un quai de métro.
Certains, comme ce banc à Giverny, ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. On les a déshabillés de leurs lattes de bois trop fragiles pour résister aux intempéries. Il ne reste plus que leur squelette de béton armé tout nu dans le froid de l’hiver.
Le banc le long de l’Epte est morose. Car pour comble de disgrâce il ne peut même pas se distraire avec le spectacle des canards. Il tourne le dos à la rivière, face au chemin où nul ne chemine.
Ailleurs, les bancs de bois tendent toujours leurs planches vernissées aux passants. Des fois qu’un bonhomme de neige poursuivi par le froid voudrait s’asseoir un instant. Sont-ils parcourus d’une sève tiède ? La neige y fond, fond, fond, ne laissant qu’une flaque d’eau.
Pour passer le temps, le beau banc bâlois au bois éblouissant invente des histoires en regardant passer le Rhin.
Capucine
Si la capucine arrivait sous le nez des botanistes européens aujourd’hui, je ne sais pas si elle s’appellerait encore la capucine. Tout au plus, à condition d’être en période de froidure comme ces jours-ci, pourrait-elle se retrouver nommée la capuchonne. Au mieux, ou plutôt au pire.
Qui se soucie encore de la taille des capuches des moines ? C’est pourtant un sujet qui a fait débat jadis, entre les partisans de la capuche ample et ceux qui préconisaient la capuche serrée. La fleur nouvelle évoquait la forme du couvre-chef des moines capucins, ça n’a fait ni une ni deux, avec des parrains pareils elle a été baptisée capucine illico.
Va encore pour la forme, mais la couleur ? Cet orange flamboyant n’a rien de l’humilité monacale mais plutôt un petit air diabolique. Passons.
Claude Monet adorait les capucines qu’il laissait courir librement dans l’allée principale de son jardin, un effet obtenu fortuitement qui l’enchantait, tout comme les visiteurs de Giverny d’aujourd’hui.
Les capucines sont tellement mignonnes qu’on en mangerait. Ce n’est un secret pour personne, la capucine se laisse croquer, fleurs, feuilles et graines comprises. Les pucerons l’adorent encore plus que les humains, mais s’ils sont allés voir ailleurs la capucine fera sensation dans la salade. Et elle transforme un banal sandwich en mets classieux.
Capucine est venue récemment s’ajouter à la longue liste des prénoms féminins détournés du jardin. Dans Capucine il y a puce, voilà bien de quoi faire craquer les parents. Puce, le petit mot tendre, pas les horribles pucerons susmentionnés !
Et puis dans l’ombre de Capucine on voit aussi se dessiner un joli petit chaperon rouge, que les jeunes loups croqueraient bien avec ou sans salades.
Frigidarium
Pour ne pas laisser le cerveau des guides se ramollir pendant les longs mois d’hiver, un procédé astucieux a été mis au point : les journées de formation. Tandis que les neurones tournent à plein régime grâce à des intervenants éminents, on a l’avantage de visiter des lieux touristiques hors saison en compagnie des collègues. Ça bouillonne sous les crânes tandis qu’on se gèle les pieds en général, dans la chaleur de l’amitié.
J’étais déjà venue plusieurs fois à Gisacum, le jardin archéologique près d’Evreux où des thermes gallo-romains ont été mis à jour et en valeur. J’étais donc ravie de plonger dans la vie des Gallo-Romains avec des spécialistes de la question. Une sorte de stage d’immersion antique.
C’était un de ces derniers jours de froid polaire. Pour nous mettre dans le bain, les archéologues avaient pensé à une habile mise en condition. Nous avons commencé l’éductour dans une salle bien chauffée (caldarium), puis nous sommes passés au centre d’interprétation plus tiède (tepidarium), pour finir par la visite des thermes recouverts d’une neige immaculée (frigidarium).
Au coucher du soleil, la scène avait quelque chose d’irréel. Les vestiges vieux de mille huit cents ans dormaient sous leur couette, pétrifiés de gel. Mais les lapins de 2009 bien vivants avaient laissé leurs traces partout, sans se soucier de la mémoire des lieux. On pouvait les visualiser surgissant des haies, aux aguets, puis bondissant à travers les vestiaires, les hypocaustes et sur la palestre. Ces petites boules de poils chaudes avaient creusé des trous au pied des murs où nos ancêtres s’étaient adossés jadis, avant de disparaître dans le froid de la tombe.
Et tandis que l’espace temps se télescopait bizarrement, voilà que les températures s’affolaient.
« Ce mur est à 40 degrés, expliquait notre guide, c’est une pièce chaude et humide, une sorte de hammam ou de sauna où l’on vient pour transpirer. »
Nous ne demandions qu’à y croire, le visage enfoui dans nos écharpes d’où s’échappaient des nuages en réduction. « Les bains chauds sont là, » a-t-elle ajouté, montrant un coin de neige sur le côté de la salle. « En temps normal c’est plus clair, il y a des petits cailloux bleus pour les matérialiser. »
En temps normal.
Giverny sous la neige
Il neige. Vous me direz, l’évènement n’en est pas un : on doit friser les trois centimètres à peu près.
J’en entends déjà qui rigolent doucement du côté du Québec, comme cette dame charmante qui me racontait la saison dernière ses quatre mètres de neige, la lassitude que l’on éprouve à pelleter tous les matins devant sa porte et les problèmes rencontrés quand les parcs à neige sont pleins.
Des parcs à neige ! J’ouvrais des soucoupes. Voilà un équipement qui n’existe pas chez nous, où pourtant on s’y connaît en matière de parcs, des parcs à huîtres aux parcs à thèmes.
On a la neige modeste en Normandie. Et fugace.
Dès que le sol cesse d’être visible sous le tapis, il faut se précipiter pour faire des photos. On est chez Monet, et l’effet ne dure qu’un instant ! Voici donc son jardin sous la neige tel qu’il se présentait cet après-midi, alors que les flocons tombaient encore. Reconnaissez-vous le clos normand avec l’allée aux rosiers et la maison rose cachée derrière les ifs ? Un nuage a avalé la colline.
A voir le jardin aussi nu, aussi froid, cela paraît extraordinaire de penser qu’il redeviendra cet hymne aux fleurs et à la couleur dans quelques mois à peine.
L’enfer du décor
C’est l’époque des longues soirées d’hiver, avec son corollaire si particulier, la programmation télé des fêtes. Qu’est-ce qui est supposé nous scotcher devant le petit écran entre la bûche et les cotillons ? Une nouvelle mouture des Rois Maudits !
Le premier instant de stupéfaction épuisée passé, on se dit qu’avoir revisité la série culte ne manquait pas de culot. L’histoire, pardon l’Histoire étant connue, on peut, pour trouver quelque intérêt à cette (re)diffusion, s’intéresser à l’art du dépoussiérage.
Nouveaux acteurs (Les Depardieu en famille ! Jeanne Moreau ! Philippe Torreton ! ) et, plus incroyable, des nouveaux décors d’enfer.
On se croit dans la Guerre des Étoiles, pas moins. Des escaliers qui se déplient à l’infini, des lits futuristes, des éléments de fer forgé aux lignes jamais vues au Moyen-Âge… Le tout grandiose, magnifique, kitsch parfois, surprenant, drôle, ridicule, extrême et fascinant.
Le problème de la vraisemblance historique a été délibérément écarté. On n’allait pas faire du pastiche du 14ème siècle façon Viollet-le-Duc, une sorte de reconstitution médiévalisante. Le parti pris a été de créer un décor onirique où l’histoire peut se déployer à son aise.
Cela tient du carton pâte hollywoodien et du jeu vidéo, l’air de dire au téléspectateur, hé, n’allez pas prendre pour vérité historique cette saga ! On est dans le conte, le roman !
J’ai pouffé, bien sûr, devant la pseudo évocation de Château-Gaillard, où je guide assez souvent. On aurait pu filmer là-bas, mais, n’est-ce pas, à quoi bon ? Le décor imaginé a plus d’ampleur, plus de force que la crudité des lieux tels qu’ils sont.
Cet été j’évoquerai sans doute pour les francophones la détention de Marguerite de Bourgogne dans la forteresse. Tous les historiens ne sont pas d’accord sur le lieu exact de cette détention, ce qui est assez embarrassant, mais l’épisode figurant dans la série, cela le rend incontournable pour le guide, qui a modestement pour mission de divertir avant que d’enseigner.
La fontaine gelée
Pourquoi dit-on glagla quand il fait froid ? Si c’était le bruit des dents qui claquent de froid clacla serait plus juste. Peut-être parce que ça sonne comme glacé, glaçon, dans un bégaiement de frisson ?
On a l’occasion de se poser ce genre de question existentielle depuis que le gel s’est emparé du paysage. Ah ! bien sûr, c’est beau, le matin quand le jour se lève, brumeux, rosé, sur des prairies couvertes de givre, le soir quand les étoiles scintillent plus brillantes que jamais dans le ciel noir. Mais la contemplation se fait furtive, un petit coup d’oeil et hop ! vite au chaud ! avant la morsure.
Dans la journée, la métamorphose est moins spectaculaire. Il faut s’approcher de la fontaine derrière la mairie de Vernon pour remarquer la parure nouvelle qui lui pousse à côté des jets d’eau. Les glaçons d’un blanc opalescent évoquent les rondeurs satinées des oeuvres de René Lalique, telles que le merveilleux décor de verre qu’il a créé pour la chapelle Notre-Dame de Fidélité à Douvres-la-Délivrande, dans le Calvados.
Calendrier de Giverny
Joyeux Noël, chers lecteurs !
La nouvelle année approche, aussi, pour vous remercier de m’accompagner tout au long des mois, permettez-moi de vous offrir ce calendrier de Giverny que j’ai préparé à votre intention.
Il est téléchargeable en format pdf, vous n’aurez plus qu’à l’imprimer sur votre plus beau papier. Si vous en avez sous la main je vous recommande le papier photo, le résultat est bien meilleur.
Ensuite, deux agrafes en haut et un petit bout de ficelle, et votre calendrier sera prêt à accrocher au mur !
Si vous préférez acheter un calendrier de Giverny tout fait, (et économiser votre encre par la même occasion) vous en trouverez un ici, avec les mêmes photos mais plus grand.
De belles fêtes à vous tous !
La place des clichés
Voici à un chouïa près la vue qu’avait Monet lors de son séjour à Venise. Un concentré de clichés ! Toutes les images que l’on peut avoir en tête sur la cité des doges sont là, les gondoles, les poteaux bicolores pour les amarrer, les palais les pieds dans le Grand Canal, la coupole de l’église au loin…
C’est le paradoxe des clichés : quand ils s’appliquent à nous, ils nous paraissent stupidement réducteurs et mensongers. Mais sitôt que nous voyageons, les clichés nous ravissent. Quelle joie de découvrir que les lieux touristiques sont tels que nous les imaginions ! Car le cliché sélectionne des détails distinctifs, ces choses que l’on ne trouve pas ailleurs et qui justifient le voyage.
Autant que les clichés ces caractères distinctifs ont la vie dure, même à l’heure de la mondialisation. Alors même s’il se fait rare chez nous de croiser quelqu’un portant le béret, il y a toujours des terrasses de café en France, de la baguette et des croissants dans les boulangeries. Et à Giverny le pont japonais au-dessus de l’étang aux Nymphéas attend les visiteurs du printemps prochain et leurs appareils photos. Ils en prendront des clichés qui ne feront que renforcer l’aspect emblématique et populaire du jardin d’eau de Monet.
Nymphéas bleus
30 janvier 2009 / 4 commentaires sur Nymphéas bleus
Deux mètres sur deux mètres : la toile ci-contre est de dimensions respectables. Pour Monet, c’est la taille maximale pour peindre en plein air, ces étés de la guerre 1914-1918.
On ne sait pas exactement quand Monet peint ces Nymphéas bleus qu’on peut admirer au Musée d’Orsay à Paris. Monet travaille chez lui, donc hors du cadre temporel d’un voyage, et il peint toujours la même chose ou presque, ses lettres ne donnent donc pas beaucoup d’indices. Daniel Wildenstein, l’auteur du catalogue raisonné de l’oeuvre de Monet, avance la fourchette 1916-1919.
Le maître de Giverny ne bouge plus de son jardin à cette époque. Il est septuagénaire, et puis c’est la guerre. Il a le sentiment de participer à l’effort de guerre en travaillant, lui qui se sent « un vieillard ». Il peint. De temps en temps il offre une toile à une vente de bienfaisance au profit des poilus. La presse locale a gardé trace de son don d’un tableau à la tombola du 24 avril 1916 organisée pour financer l’hôpital auxiliaire de Vernon. Prix du billet de tombola : 50 centimes…
Cela lui arrive, mais ce n’est pas pour les tombolas qu’il peint, évidemment. C’est un élan patriotique qui l’anime, lui qu’on célèbre comme une des gloires de la France. Et c’est aussi la continuation de cette fièvre de peindre qui le dévore depuis toujours.
A mesure que sa vision diminue Monet voit grand. S’il peint des toiles de quatre mètres carrés en plein air pendant l’été, c’est pour mieux se lancer dans les immenses étendues de ses Grandes Décorations en atelier pendant l’hiver.
Les Nymphéas bleus d’Orsay font partie de ces oeuvres estivales de préparation. Le tableau frappe par son coloris. Un beau bleu profond est étalé sur tout le fond de la toile. Il justifie le titre de l’oeuvre, où « bleu » s’applique au tableau et non aux fleurs représentées, qui sont blanches et roses.
Formant un faible contraste avec ce bleu, le vert des feuilles de nénuphars occupe une large surface au centre du tableau. La tonalité assez foncée de l’ensemble pourrait faire penser que la toile a été peinte de nuit. Mais c’est plus sûrement l’ombre que Monet a représentée. Il était couche-tôt, pas du genre hibou, et puis les nénuphars se ferment pendant la nuit. Ici ils sont épanouis.
Piquées au milieu des feuilles qu’elles éclairent de leurs teintes claires, les fleurs sont évoquées en quelques coups de brosse. L’ensemble donne un impression de flou, renforcée par la mollesse des verticales, les branches de saule en haut, leur reflet en bas, qui encadrent les rondeurs des nymphéas au milieu.
Monet a cadré serré. La référence à la berge est presque absente, il n’en reste qu’un petit coin dans le bas gauche du tableau. Une deuxième référence spatiale est donnée par les nénuphars roses que l’on aperçoit derrière les branches de saule en haut à gauche. Ils créent l’illusion de la profondeur et aident à identifier la scène.
Car le spectateur doit faire un effort pour analyser ce que le tableau lui présente. Tout se fond, se confond dans cet éclairage réduit. Plusieurs raisons l’expliquent, la théorie impressionniste qui s’attache à rendre l’impression perçue par la rétine plutôt qu’à décrire ce que le cerveau sait, les progrès de la cataracte sur les yeux de Monet, qui le conduiront à une quasi-cécité en 1923, et l’inachèvement du tableau.
Entendons-nous : rien ne dit que Monet souhaitait revenir sur cette toile. Elle lui convenait sans doute comme cela, sinon il aurait pu l’achever dans les années qui ont suivi. Mais les bords ne sont pas finis, et l’oeuvre n’est pas signée, elle porte le cachet de l’atelier apposé par son fils Michel Monet pour authentifier la toile.
Si Monet avait voulu la vendre ou l’exposer il l’aurait retravaillée. Mais telle qu’elle est, elle fascine par son atmosphère apaisante, son harmonie profonde et fraîche, et ses lignes souples qui évoquent si bien la mouvance de l’élément liquide.