Banc sous le lierre
Disposition astucieuse : deux bancs de pierre sont installés sous un lierre qui ne date pas d’hier dans le parc de l’abbaye de Mortemer. Ainsi, selon l’ensoleillement et son humeur on peut choisir le côté que l’on préfère, à l’ombre ou au soleil.
C’est un végétal tellement romantique, le lierre. On l’aimait bien pour les tombes, autrefois, comme celle des frères van Gogh à Auvers-sur-Oise par exemple.
Ses feuilles toujours vertes donnent une impression d’immortalité. Mais il paraît qu’elles tombent tous les six ans.
Comme le houx le lierre a deux sortes de feuilles, certaines un peu étoilées qui plaisent beaucoup à Noël, et puis d’autres, lancéolées. Mais ce n’est pas une histoire d’âge cette fois. C’est simplement que quand le lierre se met à fructifier, il fabrique des feuilles différentes, allez savoir pourquoi.
Lierre
Malgré les apparences ceci n’est pas un arbre, c’est une liane. Au fil des ans le lierre a entièrement recouvert le pan de mur en ruine qui lui sert de support dans le parc de l’abbaye de Mortemer.
Arrivé au sommet, il n’avait plus nulle part où aller. Le lierre s’est alors dit que c’était le moment de se reproduire et il s’est mis à faire des fleurs. De nombreuses plantes sont ainsi, elles attendent d’être dans une impasse pour fructifier. Sinon, tant qu’elles ont de la place pour s’étaler, elles s’étalent. Finis ta croissance d’abord, leur a répété leur maman.
Rien de plus banal que le lierre, il y en a partout, en ville et en forêt, dans les vergers et jusqu’en bord de mer. Le lierre a été, il est et il sera. C’est une formule qui marche : il nous vient de l’ère tertiaire. D’accord, par rapport à la prêle ou aux fougères, c’est avant-hier, mais c’est tellement avant nous qui sommes arrivés il y a cinq minutes…
En ce temps-là rien n’était comme aujourd’hui. Il faisait doux et humide l’hiver, très chaud et très sec l’été. Dans sa grande sagesse le lierre a donc décidé de faire ses fruits en hiver, parce que cela demande un minimum de pluie de fabriquer des baies, voyez-vous. Il faut se mettre à sa place.
Depuis je ne sais pas si le lierre s’est aperçu que le climat avait varié. Ou s’il aime tellement la tradition qu’il n’a pas envie de changer ses bonnes vieilles habitudes pour si peu. Il continue à fleurir à l’automne, ce qui fait le bonheur des abeilles, et ses baies sont mûres à point au tout début du printemps, ce qui arrange bien les oiseaux.
Cathédrale de Rouen
Voyez-vous les gargouilles qui dépassent à gauche de la photo ? Ce sont celles de la tour Saint-Romain, qui limite au Nord la façade de la cathédrale de Rouen. Le manque de recul rend l’édifice difficile à photographier : il est très large car ses deux tours ont été construites hors oeuvre, à l’extérieur de la nef plutôt que de la surmonter au dessus des portails latéraux. Résultat, la façade mesure 61 mètres de long, les tours 75 et 82 mètres de haut, sans parler de la flèche qui s’élève à 151 mètres.
Le même problème de cadrage s’est posé à Claude Monet quand il a entrepris sa célèbre série des Cathédrales. Il a tranché : fidèle à son principe de ne peindre que ce qu’il voyait comme il le voyait, il n’a représenté qu’une partie du monument sur ses toiles.
La cathédrale Notre-Dame de Rouen est fort ancienne puisque sa crypte date du 11ème siècle. Le duc de Normandie assiste à sa dédicace en 1063. Trois ans avant la bataille d’Hastings, Guillaume n’est pas encore surnommé le Conquérant, il n’est encore que le Bâtard.
Quatre-vingts ans plus tard, pourtant, on rase tout. Pourquoi ? Parce que le nouvel archevêque a vu Saint-Denis, où l’abbé Suger a introduit la voûte sur croisée d’ogives. Cette nouveauté enthousiasme l’archevêque de Rouen. Son église romane ne lui plaît plus. Il veut, lui aussi, des voûtes en pierre et des verrières immenses.
On construit d’abord la tour Saint-Romain, puis la façade, et ensuite la nef. En dépit d’un incendie en 1200, l’oeuvre est terminée au milieu du 13ème siècle.
Terminée, c’est une façon de parler. Car la cathédrale n’a jamais cessé d’être en travaux d’un côté ou de l’autre. Pas seulement pour réparer ou entretenir. On modifie, on embellit sans relâche.
Prenez la façade, par exemple. La première n’avait pas du tout cet aspect là. Au 12ème siècle on construisait sobre, sans ornement et guère plus d’ouverture. Deux cents ans plus tard, une telle austérité ne convient plus. C’est l’apogée du gothique rayonnant, on va donc habiller cette façade d’un décor très fouillé composé de dizaines de statues et d’élégants remplages.
Le portail est une nouvelle fois remanié au 16ème siècle quand on abat la partie médiane pour y ouvrir une rose. Pour ne pas nuire à l’harmonie de la façade, l’architecte y applique le style flamboyant, bien que la Renaissance ait déjà conquis la Normandie.
Ce remaniement fait suite à la construction de la tour sud, à droite sur la photo. Elle a causé des désordres au portail principal qui menace ruine. Nos aïeux avaient bien de la constance pour remettre cent fois sur le métier leur ouvrage !
Châteaux de la Loire
Les châteaux de la Loire sont à trois heures de route de Giverny. C’est une excursion envisageable sur la journée à condition d’être assez motivé pour se lever tôt, rouler beaucoup et rentrer tard. Mais avec toutes ces merveilles à l’horizon, qui s’en soucie ?
Quand la décision est prise il reste à savoir quels châteaux on va aller voir. Comme devant le chariot de desserts, il faut choisir. Certains, fort tentants, il faudra pourtant les laisser de côté. On se promet qu’on y reviendra.
On peut faire un choix kilométrique : les plus proches seulement, mais à quelques minutes près est-ce bien raisonnable ? Ou se laisser séduire par les superlatifs : Chambord le plus grand, Cheverny le plus meublé, Chenonceau le plus féminin…
A chaque fois l’ambiance est différente. On aime les châteaux de la Loire parce qu’ils ont chacun leur personnalité, leur âme. Ils sont enfilés comme des perles le long des rivières, mais des perles qui ne se ressemblent qu’un peu.
On les aime aussi pour leur audace, leur raffinement, leur originalité.
Et parce qu’on s’y verrait bien, pour un temps, châtelain ou châtelaine…
Palais de Justice
L’opération coûte au contribuable plus de 18 millions d’euros : cela vaut le coup de s’extasier devant la réfection des façades du palais de justice de Rouen.
On n’avait pas trop le choix, il faut dire. Il y a une quinzaine d’années, les travaux de reconstruction consécutifs à la guerre étaient à peine achevés que des morceaux de pierres ont commencé à se détacher des façades et tomber dans la rue, menaçant les passants. Il devenait urgent de décider des travaux.
L’affaire menée par le ministère de la Justice va son petit bonhomme de chemin. Ce n’est pas terminé, mais une bonne partie est déjà réalisée, tellement spectaculaire qu’on en reste cloué sur place, saisi par « l’effet waou » cher aux décorateurs.
Un aspect parmi cent autres de ce travail, dans la cour d’honneur, cette lucarne de l’aile du palais royal voulue par François Premier, qui date de 1543, a retrouvé tout son éclat de la Renaissance. La pierre blanche se découpe sur l’ardoise sombre qui met en valeur ses délicats pinacles à crochets, ses accolades, ses balustrades, ses statues.Le parti pris par l’architecte est de mener une réfection, c’est-à-dire de réparer, consolider et nettoyer. Quand il l’a pu, il a aussi replacé des statues depuis longtemps déposées. Il en a fait refaire d’autres. L’effet d’ensemble doit se rapprocher beaucoup de ce que pouvaient ressentir les justiciables des siècles passés, sans doute impressionnés et peut-être écrasés par autant de magnificence.
Pour se souvenir d’à quoi ressemblait le palais de justice de Rouen avant le début des travaux, il suffit d’en faire le tour. A l’arrière, le contraste entre les façades à restaurer et celles déjà remises en beauté est saisissant. Au fil du temps, la pierre de Vernon avait pris la couleur de l’ardoise. Comment est-ce possible que des murs, surfaces verticales, se salissent à ce point ?
Le bûcher de Jeanne d’Arc
Le coeur de Rouen est marqué par une place, celle du Vieux Marché. En théorie elle est assez vaste, sauf qu’on a rarement vu place aussi encombrée : une église, un marché couvert, des ruines, un mémorial, un belvédère et un espace vert, sans compter quelques terrasses de café en saison. Il a fallu caser tellement de choses sur cette place qu’il n’en reste plus beaucoup pour les piétons.
Ce qu’on repère immédiatement en arrivant, c’est l’église à la forme biscornue, étrange, qui a quelque chose du bateau viking et du monstre marin. Le marché couvert semble la prolonger de ses toits en forme de crêtes.
La visite de l’église confirme que c’est l’une des plus fascinantes de Rouen. Pourtant, si comme la plupart des touristes on a abordé la place par la rue du Gros-Horloge qui la relie à la cathédrale, il se peut qu’on manque le petit espace vert aménagé à l’arrière de l’édifice religieux, et qui le justifie.
Tout contre l’église se dresse une immense croix. A son pied, un massif planté de bruyères délimite un emplacement circulaire : celui du bûcher de Jeanne d’Arc. C’est exactement là que la sainte fut brûlée par les Anglais le 30 mai 1431.
Tout a changé sur la place qui l’entoure, monuments et façades. L’église actuelle consacrée à Jeanne d’Arc n’existait pas, il y en avait une autre quelques mètres plus loin dont on voit aujourd’hui les ruines.
Mais ici même les archéologues ont retrouvé le sol du Moyen-Âge, et l’endroit précis du martyre.
Le public n’a pas accès à l’emplacement du bûcher. Comme au Moyen-Âge il est maintenu à l’écart. Le périmètre de sécurité est devenu une distance respectueuse.
Bonne année
Quoi de plus naturel quand on s’appelle Rosemonde que de présenter ses voeux aux roses et au monde ? J’étais haute comme trois pommes quand j’ai appris ce poème de Rosemonde Gérard qui commençait par :
Bonne année à toutes les choses,
Au monde ! A la mer ! Aux forêts !
Bonne année à toutes les roses
Que l’hiver prépare en secret.
Il ne se passe pas un 1er de l’An sans que je ne me récite ces vers. Chers professeurs des écoles, choisissez bien les poèmes que vous faites apprendre aux enfants, il arrive qu’ils s’en souviennent toute leur vie !
N’est-ce pas merveilleux, cette façon de saluer la terre entière, dans ce qu’elle est et dans ce qu’elle sera, avec toutes les promesses qu’elle récèle ?
La suite est d’une grande générosité :
Bonne année à tous ceux qui m’aiment,
Et qui m’entendent ici bas,
Et bonne année aussi, quand même,
A tous ceux qui ne m’aiment pas.
Cette Rosemonde, elle méritait le prix de bonne camaraderie.
Houx
Aussi rouges que la capuche du Père Noël, les baies du houx sont des drupes.
La drupe désigne tout simplement un fruit à noyau. Pourquoi m’avait-on caché jusqu’ici ce mot essentiel, et me laissait-on mettre tous les fruits dans le même panier ?
Ce rouge vif des drupes de houx semble destiné aux oiseaux, merles en tête : mangez-moi, mangez-moi ! Mais l’humain n’est pas invité au festin. S’il franchit à ses risques et périls la barrière des piquants et qu’il goûte les fruits du houx, il va le regretter amèrement. Non pas qu’ils soient amers, sans doute que non, mais bien bien toxiques, que ça vous en gâcherait un réveillon.
Le nom latin du houx est assez illisible : Ilex. Dans beaucoup de polices de caractères le I majuscule et le l minuscule se confondent, et le temps de départager les deux cela fait un moment que vous imaginez, contagion de houx aidant, que c’est un H dont on a coupé le pont. Hex. Presque de la sorcellerie. (Hexe, sorcière en allemand).
Il n’y a pourtant pas plus saint que le houx. Parce que les piquants qui paraissent si agressifs se révèlent à l’occasion protecteurs, il suffit de se cacher derrière. C’est ce qu’aurait fait la Sainte Famille lors de la fuite en Egypte, lorsqu’elle avait les soldats d’Hérode aux trousses. Le houx, mine de rien, a étendu ses branches pour cacher Marie, Joseph et l’enfant Jésus. En guise de récompense pour ce haut fait, le houx a obtenu de rester toujours vert, comme Vernon. Et de trôner sur la table de Noël.
En vieillissant le houx devient inoffensif. Il cesse de fabriquer des piquants autour de ses feuilles. Peut-être qu’il a enfin compris la nécessité de la non-violence… Mais un houx sans piquants, est-ce encore du houx ? Est-ce devenu du hou ?
L’absence de piquants n’est pas la seule surprise que peut réserver un Ilex vénérable. Sa taille en est une autre. A force de le voir en arbuste dans les jardins, on en oublierait qu’il peut devenir un arbre imposant. Dans les collines au-dessus de Giverny, on en trouve des spécimens de belle taille, preuve qu’il sait s’accommoder des sols calcaires.
Intrigue à l’anglaise
Voilà un livre qui donne envie de s’offrir une excursion à Bayeux ! Dans la veine du da Vinci Code en plus léger, c’est l’histoire d’une jeune conservatrice nommée au musée de la Tapisserie pour démêler les fils d’une intrigue qui se noue au 11ème siècle, s’embrouille au 19ème et se termine serrée comme un noeud coulant à la mort de la princesse Diana.
La Tapisserie de Bayeux s’arrête un peu abruptement. Quelle était la vraie fin ? Pourquoi a-t-elle disparu ? Et pourquoi ces quelques mètres de toile brodée intéressaient-ils Napoléon, Hitler et les Windsor ?
L’intrigue ne manque pas d’originalité, le ton d’humour, et la toile de fond aux lieux si familiers donne à l’histoire un relief et une saveur tout particuliers.
Détail de vitrail
Le lavement des pieds (détail), Peter Hemmel d’Andlau, vers 1478-1481 Musée de l’oeuvre Notre-Dame, Strasbourg
Si l’on pouvait admirer les vitraux du Moyen-Âge de près, que de détails on y verrait ! Celui-ci était à l’origine placé bien haut sur une verrière d’église. Il se trouve aujourd’hui au musée de l’oeuvre Notre-Dame de Strasbourg, idéalement situé à hauteur des yeux, ce qui permet de découvrir l’étonnante précision de son dessin.
C’est encore plus net sur l’image agrandie : voyez les rides d’expression des apôtres, les boucles de la barbe et des cheveux, les reliefs du bonnet, les coutures du tissu, les veines du bois… Et ces bouches sur le point de parler, ces regards…
L’artiste s’est habilement servi de la grisaille pour marquer les ombres, donner du relief au dessin. C’est tout un psychodrame qui est en train de se jouer pendant que les douze disciples attendent leur tour de se faire laver les pieds par Jésus. Chacun a une expression différente, Judas se cache derrière les autres.
Pourquoi tout ce luxe de détails alors que personne ne les verrait, à plusieurs mètres de distance ? Adrien Goetz, dans son roman « Intrigue à l’anglaise », a cette belle phrase :
On ne sait pas comment on regardait vraiment les cathédrales et les églises au Moyen-Âge, entourées de maisons, de constructions de bois. Ceux qui les peignaient travaillaient pour le regard de Dieu.
Fils électriques
D’accord, c’est moche les fils électriques. Surtout les poteaux. Et c’est une bonne chose quand on décide d’enfouir les premiers et de supprimer les seconds.
Encore quelques lustres et on les aura tous enlevés. Il faut donc se dépêcher d’admirer les graphismes qu’ils dessinent dans le soleil couchant… Toute notre soif de communication à contre-jour sur fond de nuages mousseux, tous ces mots et ces images qui passent dans les fils à travers le ciel.
Qu’est-ce qui peut bien être en train de se dire dans ces fils-là ? Des voeux de bonne année ? Des mots d’amour ? Ou juste un rendez-vous avec le plombier, le garagiste ou, disons, l’électricien ?
Atelier de Monet
C’est de la rue Claude Monet qu’on le voit le mieux, cet énorme atelier que Monet s’est fait construire à 76 ans dans sa propriété de Giverny. Il le trouvait fort laid et on ne peut pas lui donner entièrement tort, même si sa construction en pierre de Vernon lui donne aujourd’hui un certain charme.
L’atelier où Monet a peint ses grandes décorations se voulait avant tout fonctionnel. A l’intérieur il éclate de lumière grâce à sa double verrière de toit, à la fois au nord et au sud.
Dès les premiers beaux jours le soleil devait faire monter sérieusement la température à l’intérieur, si bien que Monet a fait installer de grands rideaux pour se protéger de ses ardeurs.
Eductour
En Normandie, on guide surtout l’été. En ce moment l’activité très calme laisse aux guides le temps de creuser leur sujet, d’étendre leurs connaissances et de se familiariser avec de nouveaux endroits.
Les lectures, indispensables, ne suffisent pas. Il faut aussi aller voir sur place, découvrir les lieux en compagnie de quelqu’un qui connaît bien le secteur. Pour cela, rien ne vaut les eductours.
Mettez ensemble une vingtaine de guides et proposez-leur de suivre une visite guidée : l’ambiance est unique. De l’extérieur, on dirait un groupe comme les autres, et pourtant de petits détails ne trompent pas.
Il règne une attention et une concentration à nulle autre pareille. Tout le monde griffonne des tonnes de notes. Les questions fusent, rebondissent quelquefois entre les participants. Il y a là une concentration de puits de science, tous modestes et conscients de leurs lacunes, avides de précisions.
Autre détail révélateur, l’arrivée d’une voiture déclenche les mêmes réflexes professionnels chez tout le monde. « Attention ! Voiture ! Mettez-vous sur le trottoir ! »
On ne peut pas s’en empêcher…
Trois anges
A Noël on chante les anges, les anges dans nos campagnes, et aussi ceux qui sont trois et qui viennent vous voir le soir en vous apportant de bien belles choses, façon Père Noël en plus merveilleux encore.
Les anges, bien entendu, chantent aussi, sur les porches des églises ou comme ici sur le socle de la vierge d’Ecouis.
Hmm ! Des anges, ceux-là ? Ils ont l’air beaucoup trop vrais pour qu’on les croit surnaturels. L’artiste leur a glissé des ailes derrière la tête pour la forme, mais on sent bien qu’ils seraient beaucoup moins craquants s’ils ne ressemblaient pas autant à de jeunes choristes.
Ils s’appliquent. Ils suivent avec le doigt dans le gros livre. Celui de gauche ne se sent pas assez sûr de lui pour chanter. Celui de droite s’y essaie, les yeux rivés sur la partition. Mais c’est celui du milieu, aux yeux mi-clos levés vers le ciel qui semble les entraîner.
Les deux bras passés autour des épaules de ses compagnons dans un mouvement qui répond à celui des ailes, ce n’est pas lui qui repose sur eux mais qui au contraire les élève. Leurs ailes ont l’air de lui appartenir et d’être largement déployées, prêtes à l’envol.
Et ce n’est sans doute pas un hasard si c’est l’ange du milieu qui a le visage le plus fin, le plus éthéré, le moins terrestre.
Crépuscule
Les jours sont si courts en ce moment qu’on ne risque pas de rater les crépuscules, ni celui du matin ni celui du soir. C’est une affaire qui vous surprend alors que la journée est déjà bien commencée ou qu’elle est loin de se terminer.
Le zapping entre le jour et la nuit se fait tout en douceur, dans le mauve et le bleu.
Le long de l’eau flotte comme une mélancolie quand le ciel fait son baiser du soir à la rivière.
Reste à oublier cette lumière si brève, à se blottir dans la nuit comme dans un manteau. En attendant la prochaine aurore, le crépuscule de demain matin.
Fontaine Sainte Clotilde
C'est tout un petit square malheureusement fermé par des grilles qui a été aménagé aux Andelys autour de la fontaine Sainte-Clotilde.
Pourquoi tant de précautions ? Est-ce une propriété privée, ou a-t-on voulu protéger la source ? En tout cas apercevoir la fontaine de loin ne fait que renforcer son mystère.
On ne compte plus les points d'eau réputés miraculeux, qui guériraient toutes sortes de maladies. Celui-ci n'échappe pas à la règle, il a selon la légende redonné l'usage de ses membres à un paralytique qui s'y était baigné en 514.
Au début du siècle dernier on pouvait voir comme à Lourdes de nombreuses béquilles accrochées près de la source, témoins d'autres guérisons.
Mais le miracle le plus fabuleux, c'est le tout premier qui s'est produit ici.
L'histoire remonte à 511, à l'époque où règne Clovis, premier roi chrétien des Francs. Son épouse se nomme Clotilde et elle est très pieuse, à tel point qu'elle imagine une maison où de saintes femmes pourraient vivre dans la prière : un couvent. C'est elle qui fait construire les premiers monastères de France dont un ici, au Grand Andely.
Il peut se produire de drôles de choses pendant les travaux de terrassement. Il arrive qu'on tombe sur un énorme trésor. Mais ce n'est rien à côté d'un authentique miracle…
On creusait donc, on piochait dur dans le roc et la poussière, et les ouvriers avaient soif. Et plus une goutte à boire pour se désaltérer !
La sainte reine, voyant cela, a craint qu'ils n'abandonnent le chantier. Elle s'est mise à prier, et voilà que l'eau de la source voisine s'est changée en vin ! Ragaillardis par le divin breuvage qui coulait à volonté, les ouvriers ont repris du coeur à l'ouvrage et le monastère a pu être achevé.
Depuis, le temps l'a fait disparaître mais les vitraux de l'église du grand Andely gardent le souvenir de la vie de Sainte-Clotilde.
Un pèlerinage annuel est célébré à la source début juin.
Le jardin d’eau de Monet en hiver
Le bassin aux nymphéas du jardin de Claude Monet à Giverny, sous le pâle soleil de décembre.
Le givre poudre les pelouses de blanc, mais l’étang n’est pas pris en glace, sans doute grâce au courant qui le traverse.
Que le printemps paraît loin ! Et qu’il faudra de métamorphose avant la réouverture en avril prochain !
Les Glaçons
C’est quand il fait vraiment froid comme ces jours-ci qu’on réalise l’exploit de Monet d’aller peindre en plein air. Ça vous dirait de rester debout immobile pendant quelques heures ? Et pourtant la Seine n’est pas sur le point de geler !
La lumière de ces Glaçons rappelle celle que nous avons en ce moment. Le froid enveloppe le paysage d’un voile laiteux, d’une lumière vaporeuse et glacée.
Monet se trouve à Vétheuil en décembre 1879 quand plusieurs jours de gel très intense provoquent l’embâcle de la Seine.
Fasciné par ce spectacle exceptionnel, Monet peint sans relâche malgré les températures polaires. Puis vient la débâcle, début janvier. Le fleuve charrie d’énormes blocs de glace. Et Monet peint toujours.
Pourtant Monet s’est permis une entorse à sa règle de peindre d’après nature. Ce tableau, les Glaçons, conservé au musée de Shelburne dans le Vermont est un grand format (97x150cm) qu’il réalise en mars d’après une étude plus petite faite en janvier, également nommée les Glaçons, qui se trouve aujourd’hui au musée d’Orsay à Paris. Il veut exposer les grands Glaçons au Salon de 1880. Hélas, la toile est refusée.
Si elle ne plaît pas au jury du Salon, elle fait pourtant beaucoup d’effet à l’un des amateurs de Monet, M. Georges Charpentier. C’est son épouse, Madame Charpentier qui va lui acheter la toile.
En juin, elle écrit au peintre :
Monsieur,
Je sais que mon mari désire beaucoup votre grand tableau de la Débâcle. Je voudrais lui en faire cadeau sur mes économies et, quoique je déteste marchander surtout un homme de votre talent, il n’entre pas dans mes moyens de le payer 2000 francs. Comme vous ne l’avez pas encore vendu, peut-être voudrez-vous bien accepter mes conditions : 1500 francs payables en trois fois.
Tout laisse à penser que Monet a trouvé les conditions acceptables. Et que Monsieur Charpentier a dû être bien heureux en déballant son cadeau.
L’hôtel de ville d’Evreux
Sur la place de Gaulle en plein centre d’Evreux, face au beffroi s’élève une imposante bâtisse : sans surprise, c’est l’hôtel de ville. Sa construction s’est achevée il y a un peu plus de cent ans, en 1895.
Pas un centime des deniers publics n’a été mis à contribution pour le bâtir. Tout comme la fontaine sur la même place, l’édification de la mairie d’Evreux a été entièrement financée par un legs, celui d’Olivier Delhomme, adjoint au maire d’Evreux à la fin du 19ème siècle.
Delhomme cède par testament toute sa fortune à la ville, à charge de celle-ci de faire construire un hôtel de ville. Si la somme ne suffit pas, on attendra que les intérêts l’aient grossie.
En 1888, 14 ans après le décès du généreux donateur, la somme est enfin suffisante : 580 000 francs, à comparer aux 22 000 francs qu’a coûté à l’achat la modeste maison de Monet en 1890.
Le projet est confié à l’architecte départemental Georges Gossart. Les travaux débutent en 1890 et durent cinq ans.
La mairie mesure 64 mètres de long et s’élève sur trois étages plus un comble. L’étage noble est le troisième, ce qui se repère à ses fenêtres plus hautes que les autres et à son décor de briques. C’est ici que l’on va trouver la salle des mariages, dans l’avant-corps au centre de l’édifice.
La mairie est de style néo-classique, comme très souvent à cette époque où l’on adore les colonnes, les chapiteaux corinthiens, les frontons triangulaires et autres évocations de l’Antiquité. Mais l’architecte a été particulièrement bien inspiré en choisissant ce style pour un bâtiment public élevé sur un ancien rempart gallo-romain.
D’importants travaux de terrassement ont été nécessaires pour les fondations de la mairie. Le 23 août 1890, l’un des ouvriers a fait la trouvaille de sa vie, bien plus extraordinaire encore qu’une fresque cachée : sa pelle a heurté un bloc de métal qui une fois dégagé s’est avéré être le plus gros trésor monétaire jamais découvert, mais si mais si. 340 kilos de monnaies antiques ! Les pièces étaient toutes soudées entre elles, mais pour autant qu’on en pouvait juger elles dataient toutes des 3ème et 4ème siècle de notre ère, une époque où la cité, très florissante aux siècles précédents, est menacée.
On peut voir quelques pièces de ce trésor au musée d’Evreux, les autres sont conservées à la Bibliothèque Nationale où elles attendent de faire un jour l’objet d’une étude détaillée.
People d’Olivier Gerval
People, c’est le nom de ce groupe monumental installé depuis 1999 sur l’esplanade du château des Tourelles et du Vieux Moulin, à Vernon. De l’art contemporain dans un site classé, toutes proportions gardées ce n’est pas plus étrange que la pyramide du Louvre ! Le dialogue qui s’établit est très harmonieux.
People est un ensemble de sept figures en métal galvanisé peint d’environ 4 mètres de côté. Ces personnages sont l’oeuvre d’Olivier Gerval, un artiste et créateur de mode aux multiples talents qui a fait un long séjour au Japon.
Le meilleur moment pour admirer People est sans doute le soir : la surface du métal est travaillée de reliefs qui captent les moindres éclats de lumière, en particulier au soleil couchant.
La brume, en revanche, renforce le côté fantomatique du groupe.
Sept silhouettes toutes de la même couleur et de la même forme, deux fois plus grandes qu’un être humain. Elles sont disposées comme pour une photo de famille, les petits devant les grands derrière, mais jamais parallèles. Surtout, elles ont chacune un léger mouvement de tête qui les rend attachantes, qui leur donne un air pensif un peu grave.
On peut voir d’autres membres de leur famille au musée de sculptures en plein air du château de Vascoeuil, dans l’Eure.
Chat noir
Cet authentique chat de gouttière passe sa vie sur les toits, et pour cause, il est solidement scellé à l’arête de cette couverture !
Il chasse paisiblement le pigeon et le moineau à Orbec, un très joli bourg du Calvados qui a gardé tout son caractère normand.
Ce genre d’animaux décoratifs en céramique est assez courant dans la région, voici un autre chat tout blanc vu aux Andelys.
Froid de canard
Il a fait un froid très vif aujourd’hui, augmenté par un petit vent glacial et irritant.
Les pas rendaient un bruit sec sur la terre gelée. Derrière chaque motte se cachaient des paillettes de givre inaccessibles aux rayons du soleil.
Dans les ornières les flaques prises en glace s’ornaient de courbes grises et bleues qui dessinaient des géographies inédites.
J’ai essayé d’oublier la bise et d’observer les oiseaux.
Sur le plateau qui domine la vallée de la Seine on a remédié à l’absence de rivière en creusant une multitude de mares qui font le bonheur des canards. Chaque village, presque chaque ferme a la sienne.
Les canards ont la vie dure en ce moment. Pour garder leur petit coin d’eau libre, il doivent rester groupés et agiter sans cesse les pattes, de manière à empêcher la glace de se former. Essayez de dormir dans ces conditions !
Il ne faut pas être frileux pour être canard. Ça vous dirait de barboter dans l’eau glaciale, ou d’aller marcher pattes nues sur l’étang gelé, là où d’habitude vous glissez sur un miroir ?
Aujourd’hui les canards donnaient l’image de la vaillance, braves petites bêtes capables de résister à des températures négatives. Mais l’expression froid de canard ne désigne pas un froid qui ne fait pas peur aux canards, c’est le froid dont souffrent les chasseurs qui les guettent en hiver. Pauvres chasseurs !
Enseigne
Quand il fait un beau ciel bleu à Vernon, les poissons de cette enseigne de poissonnier ont l’air de se trouver dans l’eau à danser la sarabande et faire des bulles…
Le nez en l’air c’est amusant de guetter ces illustrations pleines de fantaisie qui s’avancent en porte-à-faux et parfois se balancent au-dessus des têtes des passants.
Erable du Japon en automne
En automne les arbres aux feuilles vertes deviennent jaunes, rouges ou bruns.
Et que font ceux qui sont pourpres toute l’année ?
Ils trouvent le moyen de devenir plus rouge ou plus roux encore.
A la fin octobre l’érable du Japon qui borde l’étang du jardin de Monet prend cette teinte incroyable, d’un rouge intense.
Le grand hêtre pourpre devient de la couleur des écureuils.
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