Les carnets de cuisine de Monet

bocal de pêchesLe plus difficile, dans la préparation quotidienne des repas, c’est de trouver l’idée. Pour renouveler mon inspiration, j’ai relu Les Carnets de cuisine de Monet (Claire Joyes, Editions du Chêne).
J’avais oublié qu’il y avait une telle quantité de recettes. Monet et Alice étaient de fins gourmets, compilateurs de recettes des plus simples aux plus sophistiquées. Quand ils appréciaient un plat au restaurant, ils demandaient au chef de leur en expliquer la préparation, en toute simplicité.
Et comme tout le monde, leurs amis leur livraient les secrets de leurs casseroles. Ce qui donne « Recette de girolles (Mallarmé) » et « Bouilllabaisse de morue (Cézanne) ». Le rapprochement des termes de cuisine et du nom de ces maîtres de la littérature ou de la peinture tient de l’oxymore, mais en même temps les rend plus humains.
Que mangeait-on chez les Monet ? On peut s’imaginer les menus quotidiens et surtout festifs en parcourant l’index du livre de cuisine. 11 recettes de poulet, en saison du gibier, 25 recettes de poissons et crustacés (coquilles Saint-Jacques, homards, soles, excusez du peu…). Et puis des bananes en gratin ou en glace, de la « crème somptueuse », des conserves de cerises…
Joël Robuchon, qui a préfacé l’ouvrage, affirme que les recettes sont faisables, mais certaines vraiment difficiles. Le grand chef a vérifié que leur exécution ne posait plus de problème, les textes ont été un peu adaptés, ce que je regrette. On s’en aperçoit quand on les compare aux photos de recettes tirées des carnets, beaucoup plus émouvantes. Une main sans doute féminine s’est appliquée à consigner à l’encre violette les détails de préparation d’un plat apprécié. Peut-être cette page a-t-elle été lue maintes et maintes fois, peut-être pas, oubliée sitôt que notée.

Camille Doncieux

Camille DoncieuxVoici Camille Doncieux, la première épouse de Claude Monet. Elle pose pour Renoir, grand ami du jeune couple.
De l’âge de 18 ans jusqu’à son lit de mort, à 32 ans, Camille a servi de nombreuses fois de modèle à son mari, mais ce portrait-ci est plus détaillé que la plupart de ceux peints par Monet. Peut-être est-ce dû au style de Renoir, ou parce que… l’amour rend aveugle ?
Cette couleur bleu pâle lui va bien, on l’imagine très douce, Camille, très patiente. Mais à la vérité, il reste bien peu de choses de sa courte existence.
C’est pourtant la seule femme qui ait donné des enfants à Monet, Jean et Michel. Elle qu’ils auraient pu fêter aujourd’hui, si la fête des mères avait déjà été instaurée.

Pluie à Giverny, William Blair Bruce

Rain in Giverny, William Blair Bruce, Spanierman Gallery, NYCJe ne sais pas ce qu’en pensent les statisticiens de Météo France, mais si l’on s’en tient aux impressions subjectives, nous avons le mois de mai le plus froid et le plus pluvieux qu’on ait vu depuis longtemps.
Voilà qui n’aurait pas arrêté Claude Monet, même si le mauvais temps le faisait grogner. Son entêtement à sortir sur le motif par tous les temps a fait des émules du côté des peintres de la colonie américaine de Giverny. Willian Blair Bruce nous a laissé une « Pluie à Giverny » qui témoigne que les intempéries ne datent pas d’aujourd’hui.

Clématites

Clématites Des clématites blanches qui semblent courir sur le sol : voici l’un des deux tableaux de clématites peints par Claude Monet en 1887. Les fleurs occupent presque toute la toile. Certaines sont coupées par les bords du tableau, dans un cadrage de style photographique. Le sujet est traité davantage en paysage qu’en nature morte.
De grandes dimensions (65 x 100 cm), cette oeuvre fait partie de la très importante collection de la galerie Wildenstein, (du nom du biographe de Monet, Daniel Wildenstein) qui compte plus de 200 tableaux de Monet. C’est plus que n’importe quel musée, mais beaucoup moins que la collection Durand-Ruel, qui rassemblait à elle seule près de la moitié des Monet du monde entier. On peut juger par là de l’énorme soutien que son marchand a apporté à Claude Monet, achetant beaucoup plus de toiles qu’il ne pouvait en écouler.

La Grande Allée fin mai 2006

La Grande Allée fin mai 2006 Les pensées et les myosotis roses achèvent leur floraison, ils seront bientôt remplacés par les capucines. Les taches de couleurs sont données par des plantes un peu plus hautes comme des giroflées.
C’est une période intermédiaire où les tulipes sont passées, les rosiers sur les arceaux encore en bouton.
La fleur reine dans le jardin cette semaine, c’est l’iris, mais il n’y en a pas dans la grande allée.

La glycine du musée d’art américain

glycineLa floraison des glycines mauves se termine, laissant place à l’heure de gloire des glycines blanches.
A Giverny, le musée d’art américain est situé à 100 mètres de la maison et des jardins de Monet. Les bâtiments du musée, très contemporains, aussi bien que ses jardins sont traités dans un tout autre style que chez le père de l’impressionnisme. Mais l’entrée du musée de beaux arts rend doublement hommage à Monet.
On accède au musée d’art américain par une allée terminée par une passerelle. Cette allée passe sous une pergola couverte de glycines blanches.
Passerelle et glycine, voilà qui évoque irrésistiblement le pont japonais de Monet. Les arceaux qui supportent la glycine font pour leur part penser à ceux de la Grande Allée, où ils sont ornés de rosiers.
Pour le plaisir de l’oeil, le flou de la glycine est compensé par la rigueur du buis et des lavandes taillés, dans un subtil dégradé de verts.

Verrière d’artiste

Verrière d'artiste à GivernyL’évènement s’est passé il y a cent ans, mais il en reste encore des traces. A la fin du 19e siècle, Giverny est devenu une colonie d’artistes. L’engouement des peintres, impressionnistes ou non, pour le village de Claude Monet a duré de 1886 à 1914 principalement.
On a recensé une centaine de peintres et de sculpteurs ayant séjourné à Giverny durant cette période, en majorité des Américains. Certains logeaient à l’hôtel Baudy, d’autres préféraient louer une maison.
A cette époque, face à la demande, les toits des maisons de Giverny se sont couverts de verrières. En un tournemain, les combles sont devenus des ateliers.
Cela peut être un but de promenade dans le village que de faire la tournée des verrières. Certaines sont très visibles, à portée de main, d’autres se font discrètes dans les propriétés. Il en est qui paraissent inchangées depuis leur installation, d’autres sont toutes neuves. Réhabilitation ou adaptation au style du village pour éviter les Velux ?
La championne, cela reste l’immense verrière du dernier atelier de Monet, celui qu’il a fait construire pour les Grandes Décorations. Elle vient d’être refaite cet hiver. On peut apprécier sa luminosité dans la boutique de la Fondation Monet. C’est un bâtiment de style industriel que Monet lui-même jugeait affreux, mais la verrière a des dimensions hors du commun.


Iris jaunes

Les iris jaunes fleurissent au bord du bassin aux nymphéas du jardin de Monet. Aujourd’hui, ce sont des fleurs cultivées. Mais du temps de Monet, les iris jaunes sauvages abondaient dans les marais de Giverny.
En 1887, Monet a peint trois tableaux représentant le même sujet, une prairie humide couverte d’iris : Champ d’iris jaunes à Giverny (w1137), Champ d’iris à Giverny (w1138) et Champ d’iris au matin (w1139). La floraison printanière des iris a très certainement contribué à l’ensorcellement que Giverny a exercé sur le peintre dès son arrivée.
Pendant la Première Guerre Mondiale, Monet a repris ce sujet ancien, mais cette fois dans son jardin d’eau. Toute une série d’études mettent les iris en scène. Trois portent le même titre : Iris jaunes (w1824, w1826 ci-dessous, w1834).
Monet sans doute déjà atteint des premiers symptômes de la cataracte assouplit toutes les lignes droites en une série d’étonnantes flammes vertes. Les Iris jaunes au nuage rose (w1835) ne sont pas moins surprenants, avec leurs formes tourmentées et leur jaune vif qui se détache sur un fond rose et mauve. Le dessin et les couleurs osées font penser à van Gogh.
Les iris jaunes ont aussi séduit des artistes de la colonie américaine de Giverny, à commencer par Breck, le soupirant de Blanche Hoschedé. Il a peint en 1888 Fleur-de-Lis jaune, qui représente en gros plan une touffe d’iris, dans un style proche de l’impressionnisme. Le titre n’est pas une confusion botanique d’anglophone, mais tout au contraire la marque de la culture de Breck, qui savait que l’iris jaune a servi de modèle au lys de France, symbole de la royauté.
iris jaunesyellow irises

Le prix de la maison de Monet

maison de Claude Monet J’ai été surprise de lire le prix auquel Monet a acheté sa maison de Giverny, le 17 novembre 1890. L’acte de vente porte sur 22 000 francs, payables en quatre ans.
Non pas que cela me dise grand chose, 22 000 francs de 1890, mais cette année-là, cela correspond environ au prix de vente de trois de ses tableaux. C’est Heide Michels, dans La maison de Monet, qui compare. L’année précédente, la Seine à Vétheuil s’est vendue 7 900 francs, et les Dindons, une oeuvre de grande taille il est vrai, a atteint la coquette somme de 12 000 francs. Les années de vaches maigres sont finies.
Alors pourquoi, sur le coup de la cinquantaine, Monet a-t-il acheté cette maison rurale, simple, et pas si grande pour une famille de dix personnes comme la sienne ? Il avait les moyens de s’offrir un château, ou de faire construire. Il n’a pas peur de bâtir, les nombreux agrandissements et aménagements qu’il fait faire à sa demeure le prouvent.
Tout simplement, il se plait dans cette maison. En 1890, quand le propriétaire la met en vente, les Monet-Hoschedé louent la maison de Giverny depuis sept ans. Il faut acheter ou partir.
Monet écrit à son marchand Durand-Ruel :

« Je serai obligé de vous demander pas mal d’argent, étant à la veille d’acheter la maison que j’habite ou de quitter Giverny, ce qui m’ennuierait beaucoup, certain de ne jamais retrouver une pareille installation ni un si beau pays. »

C’est une maison à la campagne où il mène une vie bourgeoise, mais sans pose. La maison offre à Monet la fonctionnalité qu’il en attend, il se fiche du reste. Monet est un homme de plein air. Ce qui compte, c’est son jardin, et les motifs de la campagne alentour. « Giverny est un pays splendide pour moi », dit-il.


Cézanne et Pissarro

Quinze ans de préparation ! On doit l’expo présentée actuellement au musée d’Orsay à l’obstination du petit-fils de Camille Pissarro, Joachim Pissarro, conservateur au MoMa de New York, où elle a été présentée au préalable.
L’idée était de réunir des paires de tableaux de même sujet peints par Cézanne et Pissarro au moment de leur amitié, entre 1865 et 1885.
Natures mortes, autoportraits, paysages : les tableaux présentés côte à côte ont des airs de famille, mais chaque peintre a gardé sa personnalité, tout en subissant l’influence de son ami. C’est tout à fait fascinant.
Devant chaque paire, on se demande lequel est de qui. Une petite vérification, on ne peut pas beaucoup se tromper. Cézanne est construit, un peu sombre, un peu dur. Pissarro plus doux. De la juxtaposition ressort une leçon de peinture. La mise en parallèle fait ressortir similitudes et différences. Et les textes explicatifs, courts et pertinents, donnent un éclairage sur l’aspect humain de ces deux peintres, qui furent tous les deux des amis de Monet. Cézanne et Pissarro

Files d’attente

Ca y est, l’Orangerie a rouvert ! Le musée parisien qui abrite les Grandes Décorations de Monet, plus une belle collection de chefs-d’oeuvres, était fermé depuis six ans. Les maîtres d’ouvrages prévoyaient une réouverture pour 2005, mais des découvertes archéologiques ont retardé les travaux.
Depuis deux jours, on peut enfin revoir toutes ces merveilles. Tout a été repensé pour rendre aux grandes décorations la place centrale et la lumière naturelle qu’elles méritent. J’avais hâte d’aller admirer cela.
Mais l’heure et demie d’attente m’a découragée. Jusqu’à dimanche, l’entrée est gratuite, ce qui explique partiellement l’affluence.
J’ai traversé la Seine et je suis remontée jusqu’au musée d’Orsay, en me disant que si tout le monde était en train d’attendre à l’Orangerie, la voie serait libre pour l’expo Cézanne et Pissarro. Cet optimisme n’était que modérément justifié : 45 minutes de queue !
Y a-t-il une ruée vers l’art ? Un intérêt orchestré par les médias autour d’évènements culturels inscrits dans le temps ? Un effet 35 heures ? Une démocratisation de la culture ?
Pendant que la file serpente à la vitesse de chez Disney, vous avez le temps de vous poser des tonnes de questions sans réponse. Ou si vous préférez, vous pouvez aussi observer vos compagnons d’attente, tenter de deviner leur nationalité, leur emploi du temps de la matinée. Certains stakhanovistes sortent du Louvre, ils enchaînent, c’est pratique c’est en face.
Je regarde comment les touristes professionnels s’habillent pour aller dans les musées, quelles chaussures ils ont enfilées ce matin en se disant qu’il fallait qu’elles soient confortables. Tout à coup, il se met à pleuvoir. Hop ! Ces dames ont des parapluies à fleurs, des capuches en plastique. Et voilà que surgit un marchand à la sauvette. Il propose des parapluies pliants ; l’instant d’avant il vendait des bouteilles d’eau.
Son opportunisme peut en agacer certains, les mêmes qui ne supportent pas le joueur de clarinette, qui fait pourtant ce qu’il peut pour rendre l’attente plus agréable. Leur débrouillardise me les rend plutôt sympathiques. C’est le besoin et la réponse au besoin, le b a ba de l’économie.
Mais est-ce que ces petits métiers à la sauvette traduisent une paupérisation de la société ? Une faillite du système de protection sociale ? Une société à deux vitesses, d’un côté les nantis qui se bourrent de peinture, de l’autre les laissés pour compte qui survivent comme ils peuvent ? D’autres questions sans réponse… Allez, voilà l’entrée du musée.

L’ange bleu

Voici le vrai visage d’un ange. Non, non, pas celui de la rêveuse Lily Butler ! Celui tout sourire de Blanche Hoschedé-Monet, au premier plan.
Elle est entourée à gauche par Monet, à droite par Clemenceau.
C’est Georges Clemenceau qui l’a élevée au titre d’ange, et même d’archange, pas moins. Le plus souvent, quand il écrit à son vieil ami Monet, il termine par un mot gentil pour Blanche en l’appelant l’ange bleu. Car « faut-il qu’elle en ait du bleu dans l’âme pour compenser le bitume de Claude Monet » ! Une petite raillerie affectueuse comme sa correspondance avec le peintre en est pleine. Impossible de ne pas rire aux éclats devant sa verve. Impossible, en lisant ses lettres, de ne pas aimer ce grand homme si plein d’amicale sollicitude.
Donc Blanche est un ange. Parce qu’elle est toute entière dévouée à Monet, dont elle s’occupe avec abnégation pendant les dernières années de sa vie. Sa dévotion au peintre dure depuis toujours. Elle a fait sa connaissance quand elle était petite, quand Monet est venu peindre dans le château de ses parents Ernest et Alice Hoschedé à Montgeron, ou peut-être même avant, au parc Monceau à Paris.
Et puis Ernest a fait faillite, Alice l’a quitté pour Monet, les six enfants ont suivi leur mère.
Dotée d’un joli talent de peintre, Blanche se lance aux côtés de Monet, qui l’encourage à peindre mais ne lui donne pas de leçons. Elle est la seule dont il tolère la compagnie quand il travaille.
On ne sait s’il faut plaindre Blanche ou l’envier. Elle est de ces femmes qui vivent toute leur vie dans l’ombre des hommes, situation banale à la fin du 19e siècle. Ce qui donne envie de la plaindre, c’est son histoire d’amour contrariée avec le peintre américain John Leslie Breck. Breck, qui séjourne plusieurs années de suite à Giverny, est ami des Monet. Jusqu’à ce qu’il tombe amoureux de Blanche. Beau-papa Monet en est bouleversé et furieux. Il oblige les jeunes gens à rompre. L’idée que sa chère Blanche pourrait partir aux Etats-Unis lui est insupportable. Face à cette tyrannie, Blanche plie. A la place de Breck, elle va épouser son presque frère, Jean Monet, le fils du peintre avec Camille Doncieux. Par ce mariage, elle devient doublement la belle-fille de Monet.
Mais on est tenté aussi d’envier Blanche. Rares sont les personnes qui ont été aussi proches du père de l’impressionnisme. Elle semble en communion avec lui. « Elle aimait tout ce qu’il aimait », dira d’elle son frère Jean-Pierre Hoschedé. Même la salade couverte de poivre. Même peindre en plein air quand il gèle. La compagnie quotidienne de Monet lui a sans doute permis de donner le meilleur d’elle-même en peinture. La Meule à Giverny, effet de neige conservée dans la chambre de Monet à Giverny témoigne tout à la fois de son talent personnel et de son inaltérable amour filial.


Champs de colza

Des hectares de cultures jaune acidulé, ça se voit même d’avion. Hier des amis venus de Floride ont voulu savoir quelle était cette plante qu’ils avaient repérée depuis le ciel. Le terme de colza les a laissés perplexes.
C’est pourtant un mot transparent, prétendent Robert et Collins, mais l’entrée colza ne figure pas côté anglais, ce qui laisse supposer que le mot n’est guère employé par les anglophones. Les linguistes proposent aussi rape comme traduction. Une plante qui s’appelle viol, pas terrible comme carte de visite !
Le colza a pourtant plus d’un atout, que ce soit pour la production d’huile alimentaire, de diester, ou de tourteaux pour le bétail…
Pour les abeilles, c’est une corne d’abondance, une caverne d’Ali Baba, la super cagnotte du loto. Elles se fichent bien de sa légère odeur de chou.
Les champs de colza ont même certaines qualités picturales, à condition d’aimer leur jaune un peu cru. Du temps de Monet, ils n’envahissaient pas encore le paysage. A la place où ils poussent aujourd’hui, on trouvait des prairies ou des champs de blé.
Bien sûr il n’y a pas que les habitants de Floride qui ne savent pas ce que c’est que le colza. Très souvent il est pris pour un champ de moutarde. Cela en ferait, de la moutarde !

Glycine

La glycine en fleurs au-dessus du pont japonais, c’est la carte postale de Giverny. La floraison dure assez longtemps, en mai, car le pont est orné de deux variétés différentes. L’une, de couleur mauve, porte des grappes assez rondes, l’autre de longues fleurs blanches.
La robustesse de la glycine est assez stupéfiante. Elle traverse allègrement les décennies, supporte l’absence de soins, l’abandon, l’excès d’humidité… rien ne la décourage.
Cinquante ans après la mort de Monet, il ne restait presque rien de son jardin, mais les glycines n’étaient pas mortes. Celle du pont, la blanche, a dû être coupée pendant la reconstruction de la passerelle. Elle est repartie de plus belle.
A l’autre bout de l’étang, la glycine mauve avait glissé dans le bassin. Elle a pu être repêchée et sauvée. De son tronc, il ne reste que l’écorce. Mais vaille que vaille, un siècle après sa plantation, elle survit toujours.

Les souterrains de Giverny

Quand Monet a emménagé à Giverny, le jardin de sa maison s’arrêtait à la route et à la voie ferrée. Par la suite, il a acheté un bout de terre de l’autre côté du chemin de fer pour y creuser son jardin d’eau. Cela ne le dérangeait guère de franchir le ballast pour passer d’un jardin à l’autre, vue la rareté des trains et leur allure modérée. Quant à la route…
Ces temps sont révolus. Aujourd’hui, si la ligne de train a été désaffectée et tranformée en voie verte, la départementale est devenue passante. Pas question de la faire traverser en surface aux visiteurs. On a donc construit des souterrains.
Le plus emprunté, c’est celui de la Fondation Monet. Il permet de faire la visite des deux jardins en passant sous la route. C’est un souterrain coquet, peint en rose et orné de treillage vert. On y descend par de belles marches en pierre de Vernon. Il porte une inscription gravée dans le marbre : « ce passage souterrain a été construit dans l’intérêt du public grâce à une donation de the Hon. Walter H. Annenberg. »
Le plus récent, c’est celui du grand parking de la prairie. Lui aussi passe sous la route. Come il se doit si près de chez Monet, il a une vraie tête d’ouvrage d’art. Tout de béton, il répond à un cahier des charges exigeant : il est accessible aux handicapés. Il porte lui aussi une inscription. « Passage souterrain inondable ».
Le plus mystérieux est beaucoup moins fréquenté. Chacun connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un qui sait où il se trouve. C’est « Le » fameux souterrain qui passerait sous la Seine. Rien que ça. Mais pourquoi pas ? Les mythes de souterrains se succèdent tous les 500 mètres le long du fleuve. Ce n’est pas impossible après tout, dans cette région frontalière où le moyen-âge a réussi plus d’un tour de force, tel que la construction de Château-Gaillard en un an, avec ses puits de 100 mètres de profondeur.
Cela paraît même plausible si l’on pense à quel point les collines entre Vernon et Giverny sont un gruyère de galeries. Pendant près de mille ans, on en a extrait la pierre qui a servi à construire quantité de monuments, dont la Sainte Chapelle à Paris.
Si on redécouvre ce souterrain, je me demande s’il portera une inscription, et si oui, laquelle ?

Les clématites

Des murs de fleurs légères, roses ou blanches : à Giverny, la floraison des clématites prend des allures spectaculaires.
Cette plante ligneuse ne demande qu’un support pour s’enrouler et grimper à plusieurs mètres. Monet en a joué en faisant construire à l’est de l’allée centrale des structures métalliques de grande taille qui servent de tuteurs aux clématites.
Ces barres métalliques ont beau être peintes en vert, elles restent raides et ont un côté artificiel qui n’est plus du tout dans le goût d’aujourd’hui. Il faut croire que cela ne gênait pas Monet de hérisser son jardin de cornières de métal.
Claude Monet avait un faible pour les clématites. En 1887, les clématites blanches lui servent de modèle pour deux tableaux où les fleurs sont réparties sur la toile à la manière d’Hokusai.


Maison caméléon

Le ciel était un peu laiteux ce matin. La réverbération du soleil sur les ardoises de la maison de Claude Monet à Giverny fait disparaître le toit.
Avec les murs couverts de vigne vierge, le massif de tulipes qui reproduit le rose du crépi, la maison a l’air de faire partie du jardin, de s’y fondre comme un végétal plus gros que les autres.
Cela ne trompe l’oeil qu’un instant, jusqu’à ce que le regard s’arrête sur le fronton triangulaire et son oeil de boeuf. C’est ce petit détail d’architecture qui donne la clé de l’image.
En peinture, le titre de l’oeuvre joue parfois ce rôle. Dans le bol de lait de Bonnard, la lumière attire l’oeil vers la fenêtre ensoleillée, comme si cela devait être l’essentiel du tableau, mais le titre décode ce qui se joue dans l’ombre de la pièce, la femme et son bol, et le chat qui attend.

Boutons d’or

Vernon est la première ville de Normandie quand on arrive de l’Ile de France. Les citadins qui viennent visiter Giverny prennent un bon bol de campagne. Ces jours-ci, ils sont accueillis par ce spectacle : un troupeau de vaches tachetées qui paissent au milieu d’une mer de boutons d’or. Bucolique, non ?

C’est sûrement très bon pour leur lait, si on se souvient du petit jeu des enfants. On approche un bouton d’or du visage de quelqu’un, et quand son pollen lui a fait une belle tache jaune, on lui dit « tu as mangé du beurre ! »

La Grande Allée début mai 2006

La grande allée prend de plus en plus de couleurs. Difficile de décrire la composition du parterre qui est extrêmement travaillé. Les bordures basses sont faites de myosotis roses, pius viennent des pensées de différentes couleurs, des tulipes, des fritillaires, et bien d’autres fleurs de saison.
Une impression d’unité se dégage à première vue, mais si l’on observe attentivement, on s’aperçoit que la bordure gauche et la droite sont très différentes.

Vocation

Une des pastellistes qui expose à Giverny me raconte comment, après avoir été banquière pendant dix-sept ans, elle a découvert qu’elle avait un talent pour le dessin. il a fallu qu’elle soit clouée dans un fauteuil par une douleur qui l’empêchait de poser le pied par terre, pour qu’elle reprenne un crayon. Elle n’avait plus dessiné depuis le lycée.
Quand elle était ado, elle avait un prof qui privilégiait l’abstraction. Elle réussissait, mais sans plaisir. Et là, vingt ans plus tard, en dessinant des fleurs, « je me suis rendue compte que ça venait tout seul, mais vraiment tout seul ».
Cette prise de conscience a changé sa vie, elle a tout abandonné pour se consacrer entièrement à l’art. Pour peindre, exposer, mais aussi enseigner. « Car un don est fait pour être redonné ».
Avons-nous tous, comme elle le pensait ado, un talent qu’il nous faut découvrir ?

Lady in a Garden, Frieseke

Lady in a Garden, FriesekeAu musée d’Art Américain de Giverny, j’ai acheté un poster. C’est la reproduction d’un tableau de Frieseke, Lady in a Garden, peint vers 1912. Je crois que la scène est prise dans un jardin de Giverny. La Lady a l’air de surgir des fleurs, on ne sait pas où finissent les rayures de sa robe et où commencent celles des tiges fleuries – peut-être des glaïeuls.
J’aime cette vision d’Eden. Le cadrage serré nous laisse cette illusion que le monde n’est qu’une profusion de fleurs où nous mouvoir. C’est un peu l’impression qu’on a, en été, dans le clos normand de Monet.
J’aime ces couleurs à la fois douces et gaies, ce fouillis tempéré par la rigueur des lignes. Je vais pouvoir me repaître de cette image. Mais quelque chose me déçoit. L’aspect lisse et terne du papier. En achetant le poster, j’ai capturé l’image, mais il manque la palpitation de la matière. Je vais entrer dans une grande familiarité avec cette oeuvre, et en même temps elle va m’échapper. C’est pour cela que la Joconde du Louvre déçoit tant de visiteurs.

Champ de coquelicots, environs de Giverny

Champ de coquelicots, environs de GivernyAu détour d’une balade dans les collines de Giverny, voilà qu’on tombe nez à nez avec ce vallon. A première vue, rien d’extraordinaire, mais l’oeil y a décelé un motif connu. C’est le millième tableau de Monet.
Avec ses touffes d’orties, ses bouquets d’arbres, la réalité frappe surtout par sa banalité. Qu’est-ce qui a bien pu séduire le peintre pour qu’il plante son chevalet devant ce paysage-ci en particulier ? Qu’y a-t-il vu de pittoresque ?
On peut chercher des raisons rationnelles. Il y a d’abord le dessin délicat de cette crête arrondie, la douceur accueillante de ce creux dans la colline. La scène qui s’élève devant les yeux répond à la verticalité de la toile, et propose un cadrage original d’où le ciel est presque absent. Mais quand on oublie la réalité, quand, de retour à la maison, on revient au tableau, une autre explication du choix de l’artiste saute aux yeux.
L’oeuvre s’appelle Champ de coquelicots, environs de Giverny. Quand Monet a peint ce vallon, en 1885, il était envahi de fleurs rouges. Et l’image d’une de ses toiles les plus célèbres s’impose. Camille et Jean, doublement peints dans leur promenade à travers un champ tout tacheté de coquelicots près d’Argenteuil, douze ans plus tôt.

C’est le souvenir de ce doux instant du passé qui ressurgit, me semble-t-il, quand Monet choisit de peindre ce vallon. La toile s’emplit alors de mélancolie, par l’absence de la gracieuse jeune femme.
Et par contraste avec l’image heureuse d’Argenteuil, quand l’avenir était riche de promesses, le paysage se ferme. La colline se dresse comme un mur. La mort de Camille a fait s’évanouir un certain rêve de bonheur.

Direction Giverny

Direction GivernyDe tous les panneaux indicateurs qui flèchent Giverny, c’est celui que je préfère.
Il se trouve sur le plateau entre Vernon et Gasny.
Il y a des panneaux haut perchés, en grappes, qui claironnent l’indication. D’autres, ostensibles, annoncent le musée Claude Monet. Celui-ci chuchote l’information. Au bout de cette route de campagne, se trouve la commune de Giverny. C’est dit en toute modestie, au ras du sol. L’arrière-plan change d’année en année, le plus beau décor est celui du champ de blé – discrète évocation des Meules.
Indiqué de cette façon, Giverny retrouve sa ruralité. Le village de Monet redevient semblable à tous les autres villages, tel qu’il était avant que le peintre ne le distingue.

Les pastellistes à Giverny

Que peut-on faire avec du pigment pur ? L’exposition de pastels qui se tient encore ce week-end dans l’ancienne gare de Giverny en donne une brillante démonstration.
Sylvie Fauvel Cabal, la fondatrice d’Art du Pastel en France, veut rendre au pastel ses lettres de noblesse. Il y avait, dit-elle, de très nombreux pastellistes à Paris avant la Révolution, du temps où les nobles se faisaient couramment faire le portrait. Le pastel, poudreux, convenait particulièrement bien à la représentation des visages poudrés. Les pastellistes ont disparu en même temps que l’aristocratie.
Les impressionnistes, poursuit Sylvie Fauvel Cabal, ont porté le coup de grâce au pastel en utilisant de mauvais supports et de mauvais fixatifs. C’est un phénomène assez typiquement français. En Russie, par exemple, la technique du pastel a gardé la faveur des peintres.
L’association l’Art du Pastel en France organise en France et à l’étranger des expositions mêlant des artistes de toutes nationalités. Comme à Giverny cette semaine, on y découvre toutes les possibilités d’une technique pas si fragile que le veut sa réputation, à condition de protéger les oeuvres par un verre.

L’expo Bonnard à Paris

C’est toujours pareil avec les expos parisiennes. On se dit qu’il faudrait y aller, et en même temps l’idée de faire la queue pour apercevoir les oeuvres par dessus l’épaule des autres visiteurs, sans recul, fait hésiter. Bref, l’expo Bonnard tire sa révérence dans deux jours, il était temps de se décider.
Bonnard, c’est l’autre grand peintre de Vernon. Un peu éclipsé par son voisin de Giverny, plus discret. Sa maison n’est pas devenue un musée, son jardin n’est pas l’attraction numéro un du département. Et pourtant le hameau de Ma Campagne n’est qu’à une poignée de kilomètres de Giverny, sur la même rive de la Seine.
Quand on est à ma Campagne, on cherche La Roulotte, la maison de Pierre Bonnard. Autant les demeures de Monet sont clairement repérables, autant celle de Bonnard se fond dans le hameau. Laquelle est-ce ? Dans les tableaux de Bonnard que j’ai pu voir à Paris, il n’a peint que le jardin et les pièces donnant sur la terrasse et la Seine. Rien côté façade. Hier devant ses grandes compositions vernonnaises, je cherchais des éléments distinctifs. La balustrade en bois aux motifs entrecroisés, la terrasse, la porte vitrée… Et ce jardin fouilli qui rappelle les jungles du douanier Rousseau. A-t-il peint Marthe dans la salle de bains de cette maison ? Dans quel jardin l’a-t-il fait poser nue ? Des questions qui n’ont guère d’importance, mais qui naissent de l’acte de voir. Chez Bonnard beaucoup plus que chez Monet, on se sent voyeur devant l’érotisme des toiles, témoin d’une relation amoureuse et charnelle. Que Monet paraît sage à côté de son jeune voisin !

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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