Champs de colza

Des hectares de cultures jaune acidulé, ça se voit même d’avion. Hier des amis venus de Floride ont voulu savoir quelle était cette plante qu’ils avaient repérée depuis le ciel. Le terme de colza les a laissés perplexes.
C’est pourtant un mot transparent, prétendent Robert et Collins, mais l’entrée colza ne figure pas côté anglais, ce qui laisse supposer que le mot n’est guère employé par les anglophones. Les linguistes proposent aussi rape comme traduction. Une plante qui s’appelle viol, pas terrible comme carte de visite !
Le colza a pourtant plus d’un atout, que ce soit pour la production d’huile alimentaire, de diester, ou de tourteaux pour le bétail…
Pour les abeilles, c’est une corne d’abondance, une caverne d’Ali Baba, la super cagnotte du loto. Elles se fichent bien de sa légère odeur de chou.
Les champs de colza ont même certaines qualités picturales, à condition d’aimer leur jaune un peu cru. Du temps de Monet, ils n’envahissaient pas encore le paysage. A la place où ils poussent aujourd’hui, on trouvait des prairies ou des champs de blé.
Bien sûr il n’y a pas que les habitants de Floride qui ne savent pas ce que c’est que le colza. Très souvent il est pris pour un champ de moutarde. Cela en ferait, de la moutarde !

Glycine

La glycine en fleurs au-dessus du pont japonais, c’est la carte postale de Giverny. La floraison dure assez longtemps, en mai, car le pont est orné de deux variétés différentes. L’une, de couleur mauve, porte des grappes assez rondes, l’autre de longues fleurs blanches.
La robustesse de la glycine est assez stupéfiante. Elle traverse allègrement les décennies, supporte l’absence de soins, l’abandon, l’excès d’humidité… rien ne la décourage.
Cinquante ans après la mort de Monet, il ne restait presque rien de son jardin, mais les glycines n’étaient pas mortes. Celle du pont, la blanche, a dû être coupée pendant la reconstruction de la passerelle. Elle est repartie de plus belle.
A l’autre bout de l’étang, la glycine mauve avait glissé dans le bassin. Elle a pu être repêchée et sauvée. De son tronc, il ne reste que l’écorce. Mais vaille que vaille, un siècle après sa plantation, elle survit toujours.

Les souterrains de Giverny

Quand Monet a emménagé à Giverny, le jardin de sa maison s’arrêtait à la route et à la voie ferrée. Par la suite, il a acheté un bout de terre de l’autre côté du chemin de fer pour y creuser son jardin d’eau. Cela ne le dérangeait guère de franchir le ballast pour passer d’un jardin à l’autre, vue la rareté des trains et leur allure modérée. Quant à la route…
Ces temps sont révolus. Aujourd’hui, si la ligne de train a été désaffectée et tranformée en voie verte, la départementale est devenue passante. Pas question de la faire traverser en surface aux visiteurs. On a donc construit des souterrains.
Le plus emprunté, c’est celui de la Fondation Monet. Il permet de faire la visite des deux jardins en passant sous la route. C’est un souterrain coquet, peint en rose et orné de treillage vert. On y descend par de belles marches en pierre de Vernon. Il porte une inscription gravée dans le marbre : « ce passage souterrain a été construit dans l’intérêt du public grâce à une donation de the Hon. Walter H. Annenberg. »
Le plus récent, c’est celui du grand parking de la prairie. Lui aussi passe sous la route. Come il se doit si près de chez Monet, il a une vraie tête d’ouvrage d’art. Tout de béton, il répond à un cahier des charges exigeant : il est accessible aux handicapés. Il porte lui aussi une inscription. « Passage souterrain inondable ».
Le plus mystérieux est beaucoup moins fréquenté. Chacun connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un qui sait où il se trouve. C’est « Le » fameux souterrain qui passerait sous la Seine. Rien que ça. Mais pourquoi pas ? Les mythes de souterrains se succèdent tous les 500 mètres le long du fleuve. Ce n’est pas impossible après tout, dans cette région frontalière où le moyen-âge a réussi plus d’un tour de force, tel que la construction de Château-Gaillard en un an, avec ses puits de 100 mètres de profondeur.
Cela paraît même plausible si l’on pense à quel point les collines entre Vernon et Giverny sont un gruyère de galeries. Pendant près de mille ans, on en a extrait la pierre qui a servi à construire quantité de monuments, dont la Sainte Chapelle à Paris.
Si on redécouvre ce souterrain, je me demande s’il portera une inscription, et si oui, laquelle ?

Les clématites

Des murs de fleurs légères, roses ou blanches : à Giverny, la floraison des clématites prend des allures spectaculaires.
Cette plante ligneuse ne demande qu’un support pour s’enrouler et grimper à plusieurs mètres. Monet en a joué en faisant construire à l’est de l’allée centrale des structures métalliques de grande taille qui servent de tuteurs aux clématites.
Ces barres métalliques ont beau être peintes en vert, elles restent raides et ont un côté artificiel qui n’est plus du tout dans le goût d’aujourd’hui. Il faut croire que cela ne gênait pas Monet de hérisser son jardin de cornières de métal.
Claude Monet avait un faible pour les clématites. En 1887, les clématites blanches lui servent de modèle pour deux tableaux où les fleurs sont réparties sur la toile à la manière d’Hokusai.


Maison caméléon

Le ciel était un peu laiteux ce matin. La réverbération du soleil sur les ardoises de la maison de Claude Monet à Giverny fait disparaître le toit.
Avec les murs couverts de vigne vierge, le massif de tulipes qui reproduit le rose du crépi, la maison a l’air de faire partie du jardin, de s’y fondre comme un végétal plus gros que les autres.
Cela ne trompe l’oeil qu’un instant, jusqu’à ce que le regard s’arrête sur le fronton triangulaire et son oeil de boeuf. C’est ce petit détail d’architecture qui donne la clé de l’image.
En peinture, le titre de l’oeuvre joue parfois ce rôle. Dans le bol de lait de Bonnard, la lumière attire l’oeil vers la fenêtre ensoleillée, comme si cela devait être l’essentiel du tableau, mais le titre décode ce qui se joue dans l’ombre de la pièce, la femme et son bol, et le chat qui attend.

Boutons d’or

Vernon est la première ville de Normandie quand on arrive de l’Ile de France. Les citadins qui viennent visiter Giverny prennent un bon bol de campagne. Ces jours-ci, ils sont accueillis par ce spectacle : un troupeau de vaches tachetées qui paissent au milieu d’une mer de boutons d’or. Bucolique, non ?

C’est sûrement très bon pour leur lait, si on se souvient du petit jeu des enfants. On approche un bouton d’or du visage de quelqu’un, et quand son pollen lui a fait une belle tache jaune, on lui dit « tu as mangé du beurre ! »

La Grande Allée début mai 2006

La grande allée prend de plus en plus de couleurs. Difficile de décrire la composition du parterre qui est extrêmement travaillé. Les bordures basses sont faites de myosotis roses, pius viennent des pensées de différentes couleurs, des tulipes, des fritillaires, et bien d’autres fleurs de saison.
Une impression d’unité se dégage à première vue, mais si l’on observe attentivement, on s’aperçoit que la bordure gauche et la droite sont très différentes.

Vocation

Une des pastellistes qui expose à Giverny me raconte comment, après avoir été banquière pendant dix-sept ans, elle a découvert qu’elle avait un talent pour le dessin. il a fallu qu’elle soit clouée dans un fauteuil par une douleur qui l’empêchait de poser le pied par terre, pour qu’elle reprenne un crayon. Elle n’avait plus dessiné depuis le lycée.
Quand elle était ado, elle avait un prof qui privilégiait l’abstraction. Elle réussissait, mais sans plaisir. Et là, vingt ans plus tard, en dessinant des fleurs, « je me suis rendue compte que ça venait tout seul, mais vraiment tout seul ».
Cette prise de conscience a changé sa vie, elle a tout abandonné pour se consacrer entièrement à l’art. Pour peindre, exposer, mais aussi enseigner. « Car un don est fait pour être redonné ».
Avons-nous tous, comme elle le pensait ado, un talent qu’il nous faut découvrir ?

Lady in a Garden, Frieseke

Lady in a Garden, FriesekeAu musée d’Art Américain de Giverny, j’ai acheté un poster. C’est la reproduction d’un tableau de Frieseke, Lady in a Garden, peint vers 1912. Je crois que la scène est prise dans un jardin de Giverny. La Lady a l’air de surgir des fleurs, on ne sait pas où finissent les rayures de sa robe et où commencent celles des tiges fleuries – peut-être des glaïeuls.
J’aime cette vision d’Eden. Le cadrage serré nous laisse cette illusion que le monde n’est qu’une profusion de fleurs où nous mouvoir. C’est un peu l’impression qu’on a, en été, dans le clos normand de Monet.
J’aime ces couleurs à la fois douces et gaies, ce fouillis tempéré par la rigueur des lignes. Je vais pouvoir me repaître de cette image. Mais quelque chose me déçoit. L’aspect lisse et terne du papier. En achetant le poster, j’ai capturé l’image, mais il manque la palpitation de la matière. Je vais entrer dans une grande familiarité avec cette oeuvre, et en même temps elle va m’échapper. C’est pour cela que la Joconde du Louvre déçoit tant de visiteurs.

Champ de coquelicots, environs de Giverny

Champ de coquelicots, environs de GivernyAu détour d’une balade dans les collines de Giverny, voilà qu’on tombe nez à nez avec ce vallon. A première vue, rien d’extraordinaire, mais l’oeil y a décelé un motif connu. C’est le millième tableau de Monet.
Avec ses touffes d’orties, ses bouquets d’arbres, la réalité frappe surtout par sa banalité. Qu’est-ce qui a bien pu séduire le peintre pour qu’il plante son chevalet devant ce paysage-ci en particulier ? Qu’y a-t-il vu de pittoresque ?
On peut chercher des raisons rationnelles. Il y a d’abord le dessin délicat de cette crête arrondie, la douceur accueillante de ce creux dans la colline. La scène qui s’élève devant les yeux répond à la verticalité de la toile, et propose un cadrage original d’où le ciel est presque absent. Mais quand on oublie la réalité, quand, de retour à la maison, on revient au tableau, une autre explication du choix de l’artiste saute aux yeux.
L’oeuvre s’appelle Champ de coquelicots, environs de Giverny. Quand Monet a peint ce vallon, en 1885, il était envahi de fleurs rouges. Et l’image d’une de ses toiles les plus célèbres s’impose. Camille et Jean, doublement peints dans leur promenade à travers un champ tout tacheté de coquelicots près d’Argenteuil, douze ans plus tôt.

C’est le souvenir de ce doux instant du passé qui ressurgit, me semble-t-il, quand Monet choisit de peindre ce vallon. La toile s’emplit alors de mélancolie, par l’absence de la gracieuse jeune femme.
Et par contraste avec l’image heureuse d’Argenteuil, quand l’avenir était riche de promesses, le paysage se ferme. La colline se dresse comme un mur. La mort de Camille a fait s’évanouir un certain rêve de bonheur.

Direction Giverny

Direction GivernyDe tous les panneaux indicateurs qui flèchent Giverny, c’est celui que je préfère.
Il se trouve sur le plateau entre Vernon et Gasny.
Il y a des panneaux haut perchés, en grappes, qui claironnent l’indication. D’autres, ostensibles, annoncent le musée Claude Monet. Celui-ci chuchote l’information. Au bout de cette route de campagne, se trouve la commune de Giverny. C’est dit en toute modestie, au ras du sol. L’arrière-plan change d’année en année, le plus beau décor est celui du champ de blé – discrète évocation des Meules.
Indiqué de cette façon, Giverny retrouve sa ruralité. Le village de Monet redevient semblable à tous les autres villages, tel qu’il était avant que le peintre ne le distingue.

Les pastellistes à Giverny

Que peut-on faire avec du pigment pur ? L’exposition de pastels qui se tient encore ce week-end dans l’ancienne gare de Giverny en donne une brillante démonstration.
Sylvie Fauvel Cabal, la fondatrice d’Art du Pastel en France, veut rendre au pastel ses lettres de noblesse. Il y avait, dit-elle, de très nombreux pastellistes à Paris avant la Révolution, du temps où les nobles se faisaient couramment faire le portrait. Le pastel, poudreux, convenait particulièrement bien à la représentation des visages poudrés. Les pastellistes ont disparu en même temps que l’aristocratie.
Les impressionnistes, poursuit Sylvie Fauvel Cabal, ont porté le coup de grâce au pastel en utilisant de mauvais supports et de mauvais fixatifs. C’est un phénomène assez typiquement français. En Russie, par exemple, la technique du pastel a gardé la faveur des peintres.
L’association l’Art du Pastel en France organise en France et à l’étranger des expositions mêlant des artistes de toutes nationalités. Comme à Giverny cette semaine, on y découvre toutes les possibilités d’une technique pas si fragile que le veut sa réputation, à condition de protéger les oeuvres par un verre.

L’expo Bonnard à Paris

C’est toujours pareil avec les expos parisiennes. On se dit qu’il faudrait y aller, et en même temps l’idée de faire la queue pour apercevoir les oeuvres par dessus l’épaule des autres visiteurs, sans recul, fait hésiter. Bref, l’expo Bonnard tire sa révérence dans deux jours, il était temps de se décider.
Bonnard, c’est l’autre grand peintre de Vernon. Un peu éclipsé par son voisin de Giverny, plus discret. Sa maison n’est pas devenue un musée, son jardin n’est pas l’attraction numéro un du département. Et pourtant le hameau de Ma Campagne n’est qu’à une poignée de kilomètres de Giverny, sur la même rive de la Seine.
Quand on est à ma Campagne, on cherche La Roulotte, la maison de Pierre Bonnard. Autant les demeures de Monet sont clairement repérables, autant celle de Bonnard se fond dans le hameau. Laquelle est-ce ? Dans les tableaux de Bonnard que j’ai pu voir à Paris, il n’a peint que le jardin et les pièces donnant sur la terrasse et la Seine. Rien côté façade. Hier devant ses grandes compositions vernonnaises, je cherchais des éléments distinctifs. La balustrade en bois aux motifs entrecroisés, la terrasse, la porte vitrée… Et ce jardin fouilli qui rappelle les jungles du douanier Rousseau. A-t-il peint Marthe dans la salle de bains de cette maison ? Dans quel jardin l’a-t-il fait poser nue ? Des questions qui n’ont guère d’importance, mais qui naissent de l’acte de voir. Chez Bonnard beaucoup plus que chez Monet, on se sent voyeur devant l’érotisme des toiles, témoin d’une relation amoureuse et charnelle. Que Monet paraît sage à côté de son jeune voisin !

Monet et le pastel

L’art du pastel est à l’honneur cette semaine à la salle des fêtes de Giverny. Des artistes pastellistes venus de France, des Etats-Unis, de Russie… se retrouvent comme chaque année pour une exposition somptueuse.
Claude Monet aimait beaucoup cette technique et a réalisé plusieurs dizaines de pastels, dont certains superbes, comme celui-ci qui représente des falaises de Seine-Maritime.

Pianos d’époque

Une exposition qui sort de l’ordinaire vient de s’ouvrir au musée de Vernon : jusqu’au 11 juin 2006, on peut y voir des pianos très anciens, fabriqués entre 1820 et 1850. Ils ont été sauvés de la destruction et patiemment restaurés par des particuliers.
Au début du 19e siècle, la forme du piano n’est pas encore figée. En sont témoins d’étonnants pianos carrés et même un piano de voyage.
Mais ce sont les pianos à queue Erard et Pleyel qui tiennent la vedette. Grâce à un cycle de concerts au musée, ils reprennent vie sous les doigts des pianistes.
Chopin jouait Pleyel, Liszt préférait Erard. Entendre leurs oeuvres sonner sur des pianos qui furent leurs contemporains est un plaisir rare.

Jardin blanc

Le jardin du Musée d’Art Américain de Giverny a une façon bien différente de celui de Monet de décliner le thème de la couleur. Ici, les teintes ne se mêlent pas dans des parterres chatoyants, elles se distinguent. Une succession de chambres de verdure abrite des massifs monochromes, où les fleurs se détachent sur le vert des haies.

C’est le blanc qui a été choisi pour orner la pièce d’eau, accentuant l’impression de fraîcheur. De discrètes touches de pourpre sombre font ressortir l’éclat du blanc. En ce moment des cohortes de tulipes blanches et noires resplendissent au milieu des touffes vertes des arums qui fleuriront le mois prochain, des narcisses et des iris blancs. A leur pied, des pensées blanches au coeur violet, et des pâquerettes blanches tout ébouriffées.

"Je travaille à force"

Une expression revient souvent dans la correspondance de Monet : « je travaille à force ». Cette locution ne se dit plus, comme le précise le Petit Robert qui qualifie l’expression de ‘vieux’, c’est-à-dire peu compréhensible de nos jours et jamais employée.
Le Nouveau Dictionnaire Encyclopédique de 1888 la juge simplement ‘familière’. Il faut prendre le ‘à force’ dans le sens de beaucoup, extrêmement. Le rédacteur donne pour exemple : travailler à force. Le Petit Robert préfère citer Ronsard : « Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force ».
C’est une chose qui impressionne chez Monet : son extraordinaire capacité de travail. Elle force l’admiration. En travailleur de force, Monet est capable de manier la brosse pendant une dizaine d’heures par jour. Jusqu’à s’en blesser le pouce qui tient la palette.
Lors de ses campagnes de peinture, rien ne vient le distraire de sa tâche. Il enrage quand le mauvais temps le force à l’inaction.
C’est aussi une force de la nature, ne craignant ni le froid ni la pluie. Bien emmitouflé, il brave des froids polaires pour peindre la Seine gelée à Vétheuil. Cette année-là, le thermomètre descend à -25°.
Monet est un matinal, debout à l’aube été comme hiver. Quand il est pris de la fièvre de peindre, il travaille sans discontinuer jusqu’à la tombée du jour. A 68 ans, nous savons par sa femme Alice qu’il peint encore plus de six heures par jour pendant leur séjour à Venise. Force est de constater que sans cette force de travail peu commune et l’exigence extrême envers lui-même qui le harcèle, Monet n’aurait pas réalisé l’oeuvre qu’il nous a laissé.

Le jardin japonais de Monet

Le jardin japonais de MonetLe jardin de Monet est-il un jardin japonais ? A l’évidence, la réponse est non. Le jardin japonais ignore la profusion de fleurs, la symétrie du clos normand, les allées bien visibles.

Mais de façon tout aussi évidente, et bien qu’il n’ait jamais quitté l’Europe, Monet s’est inspiré des jardins japonais. Rechercher les éléments japonisants qu’il a adoptés rend la visite de Giverny aussi amusante qu’un jeu de piste, à condition d’avoir un peu révisé les bases du jardin japonais auparavant.
Près de la maison, les pommiers et cerisiers du Japon ne se laissent pas ignorer ces derniers temps. Dans le clos, cherchez bien : vous remarquerez les iris et les pivoines, deux favoris des jardins japonais.

Mais c’est du côté du jardin d’eau que la ressemblance saute aux yeux. Vous franchissez le « pont japonais » – peint en vert, il est vrai, alors qu’il est traditionnellement rouge – vous passez sous la glycine, vous contournez les bambous, vous flânez le long de l’étang aux nymphéas, vous arrivez près des rhododendrons et des azalées : autant de fleurs et de plantes fétiches des jardins nippons. Ici plus de symétrie, mais une nature évoquée.
Le jardin japonais est un lieu de méditation. N’était-ce pas ce que faisait Monet quand il contemplait et peignait à l’infini ses nymphéas ?


Installation à Giverny

C’est l’anniversaire de l’installation de Monet à Giverny : le peintre et sa famille ont déménagé dans la maison rose le 29 avril 1883. Venu de Poissy, Monet arrive le premier, « avec quelques-uns des enfants ». Alice le suit le lendemain, le 30 avril, en compagnie des autres rejetons Hoschedé et Monet. Ils passent quelques jours à l’hôtel avant de prendre possession de leur maison, dans le quartier du Pressoir.
Après des années d’instabilité, les voilà dans la maison dont ils ne bougeront plus. Monet a 42 ans, il est au milieu de sa vie. Il va passer à Giverny 43 autres années. Ici, il va s’affranchir enfin des difficultés matérielles et s’organiser une confortable vie bourgeoise. L’aisance puis la richesse vont lui permettre de se consacrer à son art.

Cendres

tombe de MonetMessage terrible au courrier : que faut-il répondre à ces parents douloureusement éprouvés par la mort de leur fils, qui demandent s’ils peuvent répandre un peu de ses cendres dans le jardin de Monet ? En pensant à eux, je suis allée me recueillir sur la tombe de Monet derrière l’église de Giverny. La réponse était peut-être là.

Do you allow scattering of a small amount of ashes at the Gardens? Our 23 year old son died March 15th. He loved Monet. We would like to scatter a small portion of his ashes there.

Thank you.

L. K.


Monet et les tulipes

trois pots de tulipes, Claude Monet, 1885, collection particulièreDepuis quelques jours les tulipes sont en pleine floraison à Giverny. C’est une fleur que Monet aimait beaucoup, propre aux effets de couleurs.
En Hollande, Monet a planté son chevalet devant les champs de tulipes en fleur. Les bandes rouges, blanches, jaunes, fuient jusqu’à l’horizon dans ses tableaux de 1886. Mais quand il peint « trois pots de tulipes » en 1885 (collection particulière), il n’a pas encore vu les Pays Bas au printemps. Il n’a pas encore transformé radicalement son verger normand en un jardin croulant de fleurs. Il cultive des tulipes en pot, peut-être pour les forcer. Ou peut-être simplement pour avoir un sujet sous la main les jours de pluie.
Les tulipes de Monet ont des grâces féminines. Elles prennent la pose, leurs feuilles dressées comme des bras. Celle du milieu a une tête ébouriffée de rousse. Les deux de gauche ont l’air de se chuchoter quelque chose à l’oreille. De quelles variétés peut-il bien s’agir ?
La floriculture a fait de tels progrès que les tulipes telles qu’elles existaient à l’époque de Monet ont presque disparu. Il y a deux ans, les bulbiculteurs hollandais ont fait un précieux cadeau à la Fondation Monet. Ils ont offert au musée de Giverny quelques bulbes de tulipes anciennes. Pour les mettre en valeur, ces raretés sont cultivées en pot, près de la maison du maître.

Les photos de Paul Strand

Un grand nom de la photographie américaine à Giverny : le musée d’art américain propose jusqu’au 11 juin un parcours dans l’oeuvre de Paul Strand (1890 – 1976).Ou plutôt trois parcours. Car Strand a cheminé sur trois voies simultanément. Son travail explore aussi bien les rapports de la photo avec la peinture moderne, que l’aspect documentaire de la photo, et enfin l’humain, dans une tentative de photographier les gens à leur insu.

Cela donne quelque chose de fascinant. A l’aide de son objectif, de son art du cadrage, Strand ouvre des portes à celui qui regarde ses images. On plonge dans l’atmosphère du début du 20e siècle, en Amérique et en Europe. Strand s’est livré à une expérience unique : il a photographié tous les habitants d’un village d’Italie. Ils ont les attributs de leur métier, le boucher, le coiffeur, mais des regards qui vous vissent encore aujourd’hui, et plus de présence que les meilleurs acteurs.

La colline en habit de fête

la colline entre Vernon et Giverny, floraison printanière Il y a de quoi tourner la tête à une abeille : entre Vernon et Giverny, l’air est tout embaumé du parfum des fleurs. Il suffit de lever le nez pour découvrir d’où vient cette délicieuse odeur de miel. La colline est couverte d’une mousse blanche. Ce sont les prunelliers et les aubépines qui paradent. Dans quelques jours ils rentreront dans le rang, on ne les remarquera plus. Mais pour l’instant c’est leur heure de gloire.
Autrefois, au temps de Monet, le coteau était couvert de vignes. En regardant bien, on aperçoit encore deci-delà quelques ceps. Mais le phylloxéra a eu raison de la viticulture normande. Toute la colline est devenue une vaste friche. En cent ans, la nature a repris ses droits. Les prunelliers se plaisent tellement sur ce terrain qu’ils deviennent de vrais arbres, comme sur la photo.

Banc de jardin

banc MonetSur le tableau « Le Déjeuner » du musée d’Orsay, peint par Monet en 1873, le banc de jardin est d’un style des plus courants en France dans les jardins publics. Il est composé d’une multitude de lattes de frêne montées sur une armature en fonte. Ce modèle de forme gondole, confortable et pratique, a eu un grand succès. Il est généralement peint en vert foncé, comme dans le tableau, ou en blanc.
On retrouve le même banc du jardin de Monet à Argenteuil dans un autre tableau intitulé carrément « le Banc ». Il représente Camille, l’air fatigué, les traits tirés. Un homme en chapeau haut de forme se penche vers elle.
C’est encore le même type de banc qu’on peut voir sur les photos de Monet prises dans son jardin près de l’étang aux nymphéas. Rien que du classique. Et puis, tout à coup, voilà Monet qui se pique de dessiner des bancs de jardin. Monet designer ? Oui, quand c’est pour faire plaisir au roi des Belges ! Leopold II aimait beaucoup la région de Giverny, il s’était même fait construire un château à une dizaine de kilomètres, à Rolleboise, le château de la Corniche, aujourd’hui transformé en hôtel restaurant.
Le banc gondole ne favorisait pas la conversation. C’était un banc de jardin public fait pour s’asseoir les uns à côté des autres sans se parler. Le banc que Monet invente a un air de famille avec les bancs anglais qu’il a pu voir lors de ses fréquents voyages à Londres. Légèrement cintré, il est plus convivial.
A Giverny, trois grands bancs de ce style sont disposés en cercle tout en bas du clos, sous le paulownia. On appelle cet endroit le rond des dames. C’est là qu’Alice et ses filles venaient tirer l’aiguille les après-midi d’été.

Déjeuner au jardin

Aujourd’hui pour la première fois de l’année nous avons mangé dehors. Il faisait une température idéale, juste chaude comme il faut. Bientôt il faudra tirer la table à l’ombre, et en plein été on se trouvera mieux à l’intérieur de la maison.
En savourant ce premier repas au jardin, on ne peut s’empêcher de penser au tableau de Monet « Le Déjeuner » si fascinant au musée d’Orsay. Cette oisiveté d’après repas, cette nonchalance… L’oeil cherche les détails qui retranscrivent si bien l’instant. Est-ce l’ombrelle oubliée sur le banc, le chapeau accroché dans l’arbre, Camille qui passe au fond dans sa robe blanche ? Ou la belle cafetière en argent sur la table, les tasses japonaises que personne ne s’est hâté de débarasser ? Le petit Jean qui joue par terre ? Ou simplement le contraste de l’ombre et de la lumière qui revient si souvent dans les oeuvres de Monet à Argenteuil ?
Cet après-midi le soleil s’est voilé, et un orage a éclaté sur Giverny.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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